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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110606

Dossier : IMM-5287-10

Référence : 2011 CF 646

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

HAROUNA SIBO SOW

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite une ordonnance ayant pour effet d’annuler la décision du 25 août 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a statué qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Pour les motifs que je vais maintenant exposer, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[2]               Le demandeur est né en Mauritanie en 1971; il est membre du groupe ethnique peul et il  parle la langue peul. En décembre 1989, alors qu’il avait 18 ans, le demandeur a fui la Mauritanie en raison d’un conflit qui y visait les Négro-Mauritaniens, notamment les Peuls. En raison de ce conflit, qualifié de « nettoyage ethnique » dans un document des Nations Unies, plusieurs milliers de Négro-Mauritaniens ont été expulsés de leur pays. Des soldats et des civils ont exproprié les terres et confisqué le bétail du père du demandeur. Ce dernier a fui la Mauritanie en marchant plusieurs jours jusqu’au Sénégal, d’où il a pris l’autobus à destination de la Gambie.

 

[3]               Le demandeur est demeuré en Gambie de 1989 à 2009 sans y disposer d’un statut ni d’un permis de travail. Il y a travaillé comme fermier puis comme ouvrier en construction, mais il a fréquemment été harcelé et, parfois, il a été mis en détention par la police parce qu’il n’avait pas de permis de travail. En 1991, le demandeur a rencontré en Gambie sa future épouse, également originaire de la Mauritanie. Ils se sont mariés en 1992 et ils ont maintenant deux enfants.

 

[4]               En 2005, le demandeur a commencé un nouvel emploi dans le bâtiment. L’employeur versait le quart du salaire et, avec le reste, il prenait des dispositions pour assurer le départ vers le Canada du demandeur. Ce dernier est arrivé à Calgary le 14 décembre 2008 et il a demandé l’asile dès le lendemain.

 

 

La décision à l’examen

 

[5]               Par décision rendue verbalement le 27 juillet 2010 et par écrit le 25 août 2010, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur. La question déterminante a été celle de la disponibilité de la protection de l’État.

 

[6]               Le demandeur a fondé sa demande d’asile sur sa crainte d’être persécuté s’il devait retourner en Mauritanie. Il a déclaré dans sa demande d’asile qu’il craignait avec raison, aux termes de l’article 96 de la LIPR, d’être persécuté en Mauritanie du fait de sa race ou de son origine ethnique, comme il était Peul, et plus particulièrement parce qu’en 1989 il avait été victime d’expropriation foncière et d’expulsion de la part du gouvernement mauritanien. Cette crainte s’appuyait sur les propos rapportés d’autres Négro-Mauritaniens, des rapatriés qui avaient séjourné en Gambie ou au Sénégal, et que les autorités mauritaniennes, pour une grande part du groupe majoritaire des Maures arabes, avaient arrêté ou autrement pris pour cibles.

 

[7]               La Commission a conclu que la Mauritanie était une « nouvelle démocratie », et que des élections y avaient été tenues en 2009, considérées par des observateurs indépendants être libres et équitables. La Commission a conclu que le gouvernement mauritanien avait consenti des efforts considérables en vue du rapatriement et de la réinsertion d’environ 17 130 personnes qui avaient trouvé refuge dans les pays voisins pendant l’expulsion, tel qu’en attestait la preuve documentaire, y compris des rapports émanant du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et du département d’État des États-Unis. La Commission a relevé la mention dans la preuve de quelques rapatriés qu’on avait arrêtés, mais elle a conclu qu’il y avait de l’incertitude quant aux motifs de ces arrestations et quant à savoir si ces rapatriés étaient toujours en prison.

 

[8]               La Commission a statué qu’il y avait lieu de présumer, par conséquent, que l’État mauritanien pouvait protéger ses citoyens, et que le demandeur n’avait pas réfuté cette présomption par une preuve claire et convaincante.

 

Analyse

 

[9]               On peut présumer que, dans un pays démocratique, l’État peut protéger ses propres citoyens. C’est au demandeur qu’il incombe de réfuter cette présomption et de démontrer, par une preuve « claire et convaincante », l’incapacité de l’État d’assurer la protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 50; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 43 et 44; Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, au paragraphe 13).

 

[10]           Ce principe s’inscrit dans un contexte, toutefois, et il n’est pas absolu, la présomption variant selon la nature de la démocratie dans le pays en cause. Le fardeau de preuve incombant au demandeur d’asile est proportionnel au degré de démocratie dans ce pays et à la place qu’y occupe l’État dans l’ « éventail démocratique » (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, au paragraphe 5; Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 30; Capitaine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 98, aux paragraphes 20 à 22).

 

[11]           La démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État. La Commission doit prendre en compte la qualité des institutions qui assurent la protection. La Commission doit en outre examiner si la protection de l’État est suffisante au niveau opérationnel et prendre en considération les personnes qui se sont trouvées dans une situation semblable à celle du demandeur ainsi que leur traitement par l’État (Zaatreh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 211, au paragraphe 55).

 

[12]           La démocratie, pour ces fins, c’est davantage que la tenue d’élections libres et équitables. C’est à une analyse nuancée qu’il faut procéder. La jurisprudence est claire : il faut considérer que la démocratie est une question de degré, et plus un pays est « démocratique », plus il sera difficile pour le demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État. Pour que la démocratie soit davantage qu’une étiquette, des institutions et des principes sont nécessaires qui donnent effet aux valeurs qu’elle est censée englober. Il peut s’agir, notamment, de juges et d’avocats de la défense indépendants, d’une justice accessible et de forces de police pouvant exercer en toute indépendance leurs fonctions d’enquête.

 

[13]           Si le principe de la primauté du droit et les valeurs démocratiques sont amalgamés parfois, certaines libertés – les libertés d’expression et de religion ainsi que le droit d’habeas corpus – ont été jugées essentielles à une démocratie viable. En l’absence de ces éléments, et de la tenue d’élections libres et équitables, la démocratie n’est qu’une théorie politique qui n’a guère véritablement de sens. C’est l’existence de pareilles institutions, d’ailleurs, qui atténue les risques mêmes directement visés par la Convention sur la protection des réfugiés. Autrement dit, le droit de voter importera peu à un réfugié s’il peut toujours faire l’objet d’arrestation et de détention arbitraires ou de persécution du fait de sa race ou de sa religion.

 

[14]           Il y a lieu de noter que les élections présidentielles de 2007 ont été les premières élections libres et équitables qui ont eu lieu en Mauritanie depuis son indépendance en 1960, et que la tenue des élections de 2009 avait été précipitée par un coup d’État survenu en 2008. En ce qui concerne la situation de la démocratie en Mauritanie, le département d’État des États-Unis a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

La Mauritanie, qui compte environ 3,4 millions d’habitants, est une république islamique fortement centralisée dont le président est Mohamed Ould Abdel Aziz. L’élection de ce dernier le 18 juillet a mis fin à la crise politique de 11 mois provoquée par le coup d’État mené en août 2008 contre l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Le président Aziz a agi comme chef de l’État et de la junte au pouvoir, le Haut conseil d’État, jusqu’à ce qu’il démissionne de l’armée le 22 avril pour se porter officiellement candidat. Les élections présidentielles, déclarées être libres et équitables par les observateurs internationaux, ont fait suite à l’Accord de Dakar conclu sous l’égide du président Wade du Sénégal et de représentants de la communauté internationale, le 4 juin, pour sortir le pays de l’impasse politique. Le 27 juin, en conformité avec l’Accord de Dakar, le président déchu Abdallahi est revenu mettre en place un gouvernement transitoire d’union nationale, après quoi il a volontairement remis sa démission. Les autorités civiles exercent leur contrôle sur les forces de sécurité depuis la tenue des élections.

 

 

 

[15]           Pendant cette année-là, la situation s’est détériorée en termes de droits de la personne. Les citoyens ont été privés du droit de choisir leur gouvernement jusqu’aux élections du 18 juillet. Parmi les autres problèmes rencontrés, on comptait les mauvais traitements et les actes de torture infligés aux détenus et aux prisonniers, l’impunité des forces de sécurité, la détention avant jugement pendant de longues périodes, les conditions de vie déplorables dans les prisons, les arrestations arbitraires et la détention pour des motifs politiques, les limites imposées aux libertés de presse et de réunion, sous forme notamment de passage à tabac de manifestants par les policiers et d’arrestations de journalistes, les entraves à la liberté de religion et la corruption.

 

[16]           Si la Commission avait examiné la nature des institutions démocratiques sur lesquelles s’appuie la présomption de protection de l’État, c’est peut-être un fardeau moins lourd qu’elle aurait imposé au demandeur pour réfuter cette présomption.

 

[17]           Bien que cette conclusion relative à la protection de l’État suffise pour accueillir la présente demande, je me pencherai également sur l’analyse faite par la Commission de la preuve dont elle était saisie, comme cette analyse n’était pas approfondie ni ne tenait compte du contexte.

 

[18]           Ce n’est pas à dire qu’une analyse exhaustive de toutes les facettes de l’appareil gouvernemental d’un État est requise, mais bien plutôt qu’il peut, selon le contexte, s’avérer insuffisant de relever l’existence d’élections démocratiques. Comme l’a ainsi déclaré le juge Russel Zinn dans la décision Gonzalez Torres c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 234 :

[l]e profil de l’auteur présumé des violations des droits de la personne est important car, même dans les pays démocratiques, certains individus peuvent être au-dessus des lois.

 

 

[19]           Les critères énoncés par le juge Zinn aux paragraphes 37 à 42 de cette décision nous éclairent, selon moi, sur la façon dont il convient d’analyser une prétention d’absence de protection de l’État.

 

[20]           Il ne suffit pas ainsi de signaler l’existence d’élections libres et équitables et de conclure qu’un pays est une nouvelle démocratie, pour ensuite déplacer vers le demandeur le fardeau de la preuve quant à la présomption de protection de l’État. La présomption est plus forte face aux États dotés de solides institutions et traditions démocratiques. Elle est plus faible face à d’autres. Il faut user de nuances pour résoudre l’équation et tout bien calibrer. Or on n’a procédé à aucun calibrage en l’espèce. C’était là une erreur conduisant à l’annulation de la décision et au renvoi de l’affaire à un autre tribunal de la Commission.

 

[21]           On n’a pas mentionné ni reconnu dans les motifs de la décision que les Peuls et les autres Négro-Mauritaniens avaient fait l’objet en Mauritanie de discrimination et de persécution dans le passé, cela étant manifestement la cause de leur expulsion en 1989 et en 1990. La Commission a bien examiné la situation actuelle des Négro-Mauritaniens, soit notamment la cessation des incidents violents mettant en cause le Sénégal et la signature d’un traité en vue du rapatriement des Négro-Mauritaniens expulsés. Compte tenu toutefois de la profonde antipathie de longue date entre les groupes, c’était une erreur que de prendre pour acquis, au vu d’une preuve contraire, que ce traité conclu avec le Sénégal amoindrissait les risques courus par le demandeur. Je me fonde encore une fois sur la décision Torres, précitée, où le juge Zinn a déclaré ce qui suit  (paragraphe 42) :

Enfin, il est nécessaire de comparer tous les facteurs qui précèdent au dossier documentaire disponible. Une telle mesure peut indiquer à la SPR si les circonstances de l’affaire sont vraisemblables dans le contexte d’un pays donné. Le dossier documentaire peut dénoter si de telles violations des droits de la personne sont monnaie courante dans un pays donné, si la réaction des autorités concorde avec ce qui se passe habituellement, s’il existe d’autres mécanismes de protection que l’on n’a pas cherchés, et si les institutions présentes dans le pays sont régulièrement capables d’assurer une protection et disposées à le faire. L’examen du dossier documentaire n’a pas pour but de déclarer sans équivoque s’il existe ou non dans un pays donné une protection de l’État. Il s’agit plutôt d’éclairer l’analyse des facteurs qui précèdent afin de déterminer si le demandeur d’asile a réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[22]           La Commission n’a pas mentionné d’importants éléments de preuve contraires à sa conclusion, et on peut ainsi conclure que la Commission n’a pas tenu compte de ces éléments. La Commission n’a pas non plus expliqué pourquoi elle avait préféré certains extraits du cartable national de documentation au témoignage oral du demandeur et à la preuve documentaire qui appuyait ce témoignage. La Commission a plus particulièrement déclaré ce qui suit (au paragraphe 18) :

Vous avez affirmé que, selon vous, si vous retournez en Mauritanie, vous serez condamné à un emprisonnement à perpétuité parce que le gouvernement vous considère comme étant une personne qui a détruit la réputation du pays. Toutefois, votre affirmation n’est pas étayée par les éléments de preuve documentaire. Le gouvernement de la Mauritanie déploie de sérieux efforts en vue de rapatrier en Mauritanie les ressortissants vivant dans d’autres pays.

 

 

[23]           Or, malgré cette déclaration, le demandeur avait produit des éléments de preuve documentaire démontrant que certains rapatriés avaient été emprisonnés à leur retour. Pour corroborer sa conclusion quant à la question du risque, la Commission a formulé comme première observation que ces arrestations avaient pu être le fruit d’une erreur ou découler d’activités criminelles sans lien avec le rapatriement, et comme deuxième que « rien n’indiqu[ait] que ces personnes [étaient] toujours en prison aujourd’hui ». La première observation relève de l’hypothèse, tandis que la seconde est sans aucune pertinence.

 

[24]           La Commission a cité au soutien de sa décision certains extraits d’un rapport du département d’État des États-Unis où l’on s’était penché sur les efforts consentis par le gouvernement de la Mauritanie pour rapatrier les personnes précédemment expulsées du pays :  

[traduction]

Le gouvernement a travaillé de concert avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) et d’autres organisations humanitaires pour fournir aide et protection aux personnes déplacées, aux réfugiés de retour au pays, aux demandeurs d’asile, aux apatrides et à d’autres personnes du ressort du HCR. Le gouvernement manquait toutefois de ressources requises pour aider valablement ces personnes. La réinsertion des rapatriés dans les collectivités s’est aussi avérée difficile en raison des défaillances des infrastructures d’assainissement et des infrastructures sanitaires et éducatives, et en raison de litiges fonciers.  [Non souligné dans l’original.]

 

 

[25]           La Commission a toutefois omis de citer l’observation suivante faite dans le rapport du département d’État :

[traduction]

La majorité des rapatriés négro-mauritanien n’ont pu obtenir de carte d’identité. Le problème serait imputable à des retards bureaucratiques selon le HCR, plutôt qu’il ne serait le fruit d’une politique. [Non souligné dans l’original.]

 

On déclarait également ce qui suit dans ce rapport :

                        [traduction]

Pendant l’année, le Haut conseil d’État et l’Administration du président Aziz ont prolongé, en collaboration avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le programme national de réconciliation visant à rapatrier les réfugiés négro‑mauritaniens du Sénégal et du Mali. Le 31 décembre, les opérations de rapatriement ont été menées à bien avec l’arrivée du dernier groupe de réfugiés en provenance du Sénégal. Le 25 mars, le Haut conseil d’État a signé un accord cadre visant à indemniser 244 veuves de militaires négro-mauritaniens tués lors de l’expulsion des Négro-Mauritaniens de 1989 à 1991, et a fait tenir une cérémonie à la mémoire des victimes le même jour. L’accord et la cérémonie commémorative ont constitué la première reconnaissance publique par les autorités du rôle joué par le gouvernement dans les massacres ethniques et les expulsions des années 1989 à 1991. [Non souligné dans l’original.]

 

Document 2.1, Cartable national de documentation sur la Mauritanie (24 mars 2010). 2009 Human Rights Report : Mauritania, département d’État des États-Unis (11 mars 2010).

 

 

 

[26]           La Commission était également saisie d’éléments de preuve démontrant qu’étaient toujours présents les problèmes qui avaient poussé le demandeur à fuir la Mauritanie à l’origine, y compris le taux élevé de prisonniers négro-mauritaniens :

Au cours de sa visite à la prison de Dar Naïm, de nombreuses allégations ont été portées à la connaissance du Rapporteur spécial indiquant que les détenus appartiendraient majoritairement aux communautés traditionnellement discriminées, tandis que ceux appartenant aux groupes arabo-berbères y échapperaient en raison de l’application discriminatoire des lois et de la protection dont ils bénéficieraient de la part de leurs familles ou tribus. Malgré l’absence de statistiques sur la composition de la population carcérale selon l’origine ethnique, le Rapporteur spécial a pu constater une présence dominante de Maures noirs et de Négro-mauritaniens dans la prison. Il a aussi constaté avec préoccupation les conditions de détention, notamment en raison de la surpopulation carcérale, qui empêchent la séparation des prévenus des condamnés et provoquent, entre autres, des restrictions d’accès aux services médicaux. En effet, au moment de la visite, 760 détenus se trouvaient dans la prison, alors que sa  capacité était de 380

 

Document 13.1, Cartable national de documentation sur la  Mauritanie (24 mars 2010). Doudou Diène, Rapporteur spécial, « Le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée – Suivi et application de la Déclaration et du Programme d’action de Durban : Mauritanie », Rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, A/HRC/11/36/Add.2 (16 mars 2009), au paragraphe 53.

 

 

[27]           Le département d’État des États-Unis a également relevé, comme suit, que les minorités ethniques, et particulièrement les Négro-Mauritaniens, continuaient de faire l’objet de persécution et de marginalisation en Mauritanie :

[traduction]

Les minorités ethniques étaient victimes de discrimination de la part du gouvernement. La délivrance irrégulière des cartes d’identité nationales, requises pour voter, a ainsi privé du droit de voter de nombreux membres de groupes minoritaires du sud. La division géographique et le clivage culturel entre les Maures et les Négro‑Mauritaniens ont également occasionné des tensions et de la discrimination raciales et culturelles.

 

[…]

 

Les rivalités ethniques ont contribué aux tensions et aux fractures politiques. Bien que les coalitions entre partis politiques aient gagné en importance, certains partis tendaient à avoir une base politique clairement associée à une ethnie particulière. Les Maures noirs et les Négro-Mauritaniens ont continué à être sous-représentés dans les emplois de niveau intermédiaire et supérieur, tant au sein du secteur public que du secteur privé.

 

[…]

 

On a rapporté de nombreux différends fonciers opposant d’anciens esclaves, des Négro-Mauritaniens et des Maures. D’après des défenseurs des droits de la personne et des articles de presse, les autorités locales ont permis à des Maures d’exproprier des terres occupées par d’anciens esclaves et des Négro-Mauritaniens ou d’entraver l’accès à l’eau et aux pâturages.

 

 

[28]           L’avocate du ministre a fait part d’observations convaincantes au soutien de la décision. L’avocate a particulièrement attiré l’attention sur deux éléments précis de la preuve dont la Commission était saisie et qui étayaient les conclusions de celle-ci :

 

·        le 12 novembre 2007, les gouvernements de la Mauritanie et du Sénégal ainsi que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ont signé un « Accord tripartie pour le rapatriement volontaire des réfugiés mauritaniens au Sénégal » (rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, page 42, paragraphe 3);

·        le président de la Mauritanie a fait du rapatriement et des problèmes humanitaires des rapatriés une priorité de son gouvernement (dossier de la demande, rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, page 48, paragraphes 58 et 60; voir également la page 50, paragraphes 69 et 70).

 

 

[29]           L’avocate a également soutenu, à juste titre, que le droit des réfugiés était tourné vers l’avenir – c’est le risque auquel le demandeur d’asile serait exposé à son retour qu’il convient d’évaluer (Thiaw c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 965, au paragraphe 21). C’est toutefois de cette question-là précisément que la Commission a fait abstraction.

 

[30]           La Commission pouvait rejeter les craintes alléguées par le demandeur parce qu’elle les estimait dénuées de fondement objectif, mais cette conclusion devait être tirée en tenant compte de la preuve sur le traitement actuel des rapatriés négro-mauritaniens. Dans le cartable national de documentation, la preuve sur la façon dont les rapatriés sont actuellement traités était, au mieux, mince et hypothétique. Bien que l’absence de preuve sur ce point ne soit pas en soi déterminante, c’était là une question d’importance compte tenu du contexte historique et de la grave persécution ethnique qui sévit depuis longtemps en Mauritanie.

 

[31]           Au final, la question à trancher par la Commission est de savoir si, aux termes de la Convention, l’intéressé craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de son pays.

 

[32]           À mon avis, au vu de la preuve dont la Commission était saisie, la conclusion selon laquelle le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État ne peut être maintenue.

 

[33]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour nouvel examen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission.

 

[34]           Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour nouvel examen par un autre membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission. Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification et la Cour conclut qu’aucune question n’a à être certifiée.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5287-10

 

INTITULÉ :                                       HAROUNA SIBO SOW c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 avril 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dove Maierovitz

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler Etienne LLP
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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