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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110609

Dossier : IMM-2490-10

Référence : 2011 CF 660

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

LINDA ESCANILLA FARENAS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 avril 2010 par un agent d’immigration, M. F. Watt‑Galardo (l’agent), dans laquelle la demanderesse s’est vu refuser le statut de résidente permanente au Canada dans la catégorie des aides familiaux. L’agent a conclu que la preuve présentée par la demanderesse n’établissait pas que la demanderesse et les membres de sa famille n’étaient pas interdits de territoire suivant le paragraphe 72(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

[2]               Sur le fondement des motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie.

 

I.          Le contexte

 

A.        Les faits

 

[3]               La demanderesse, Mme Linda Escanilla Farenas, est une citoyenne des Philippines. Elle est venue au Canada à titre d’aide familiale et a présenté une demande de résidence permanente du Canada en tant que membre de la catégorie des aides familiaux. Elle a inclus son époux et son fils dans sa demande.

 

[4]               La demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité le 17 octobre 2009 l’informant que sa demande pourrait être refusée parce que l’agent croyait qu’elle pourrait être interdite de territoire en application de l’alinéa 36(2)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Cette disposition prévoit qu’un étranger est interdit de territoire pour criminalité s’il a commis, à l’extérieur du Canada, un acte qui, commis au Canada, constituerait une infraction punissable par mise en accusation.

 

[5]               Le bureau des visas à Manille a conclu que l’acte de naissance du fils de la demanderesse renfermait des renseignements frauduleux. Le bureau des visas a trouvé un enregistrement de la naissance daté de 1993 dans lequel le père de l’enfant n’était pas le même que celui se trouvant dans l’acte de naissance délivré en 2003 qui avait été présenté par la demanderesse. L’agent a estimé que cela constituait une infraction aux Philippines qui, commise au Canada, aurait constitué une infraction suivant l’alinéa 337(1)b) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, (le Code criminel), à savoir faire insérer des faux renseignements dans un registre de naissances. En outre, l’agent avait des renseignements selon lesquels la demanderesse était encore mariée au père mentionné dans le registre de naissances de 1993, M. Roger Buenaventura, lorsqu’elle a épousé son mari actuel, M. Redante Garcia. Selon l’agent, il s’agissait de bigamie qui est punissable au Canada suivant l’article 290 du Code criminel.

 

[6]               L’agent était également d’avis que la demanderesse pourrait être interdite de territoire suivant l’alinéa 36(1)c) de la Loi pour grande criminalité. Il a fondé son avis sur la conclusion que la demanderesse avait fourni de faux renseignements afin d’obtenir un permis de mariage aux Philippines et avait également présenté l’enregistrement de son mariage avec M. Redante Garcia à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) alors qu’elle savait l’avoir frauduleusement obtenu dans le but de tromper les agents de CIC. La demanderesse a donc commis l’infraction de parjure établie par l’article 131 du Code criminel. En outre, elle pourrait aussi être interdite de territoire pour présentation erronée sur un fait important suivant l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[7]               On a invité la demanderesse à fournir davantage de renseignements, et elle a répondu dans une lettre datée du 27 octobre 2009. Elle a expliqué qu’elle vivait en Arabie saoudite lorsqu’elle a rencontré un autre Philippin travaillant à l’étranger, M. Roger Buenaventura. Ils se sont fréquentés et elle est tombée enceinte. Puisqu’il aurait été illégal pour la demanderesse de rester en Arabie saoudite alors qu’elle était enceinte sans être mariée, elle est retournée aux Philippines et a épousé M. Buenaventura le 26 janvier 1993. Peu de temps après le mariage, M. Buenaventura a disparu. La demanderesse a néanmoins donné à son fils le nom de famille de son père. La demanderesse a cherché M. Buenaventura, mais elle n’a jamais été capable de le trouver. Elle affirme s’être rendu compte qu’en fait Roger Buenaventura n’existait pas et que la personne avec qui elle s’était mariée lui avait donné un faux nom. En 1996, la demanderesse a rencontré son époux actuel. Elle affirme qu’elle croyait que son premier mariage était nul parce que M. Buenaventura avait menti quant à son identité. Elle a donc épousé son mari actuel sans prendre de mesure pour faire annuler son premier mariage. M. Garcia a commencé à élever le fils de la demanderesse comme s’il était le sien, et ils ont donc enregistré de nouveau la naissance du fils et M. Garcia y a été mentionné comme étant le père. La demanderesse a allégué dans la lettre qu’elle n’avait jamais eu l’intention de présenter de faux renseignements.

 

[8]               La demanderesse a présenté un document pour étayer son allégation selon laquelle il n’existait personne du nom de Roger Buenaventura répondant à la description de l’homme qu’elle avait marié. L’acte en annexe délivré par le Bureau des statistiques national des Philippines révélait qu’il n’y avait aucun dossier concernant un certain Roger R. Buenaventura qui serait né le 3 janvier 1959 à Santiago City, dans la province d’Isabela. Il est curieux de constater que le document renferme aussi une mention selon laquelle il a été [traduction] « Délivré à la demande de M. Roger Buenaventura aux fins de passeport et de voyage ».

 

B.         La décision contestée

 

[9]               L’agent a rejeté la demande dans une lettre datée du 9 avril 2010. Il a mentionné que la preuve de la demanderesse n’établissait pas qu’elle respectait le paragraphe 72(1) du Règlement, qui prévoit qu’un étranger doit établir que lui et les membres de sa famille ne sont pas interdits de territoire. La lettre révélait que la demanderesse et les membres de sa famille devaient quitter le Canada avant l’expiration de son permis de travail.

 

[10]           Les notes au dossier révèlent que l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse ne savait pas qu’elle avait présenté de faux documents :

[traduction]

 

J’ai examiné avec attention les observations de la demanderesse. Bien que cette dernière croit que son ancien époux lui a menti quant à son identité, cela ne change en rien le fait que, lorsqu’elle a marié son époux actuel, cela lui était interdit par la loi. Je note aussi que, puisque la demanderesse croyait avoir été victime de fraude, elle aurait pu avoir accès à un recours, soit une demande en nullité du mariage, avant d’épouser son mari actuel, cependant elle n’en a rien fait, et la preuve présentée n’établit pas qu’elle a pris quelque mesure que ce soit avant son mariage avec son époux actuel. Je souligne aussi que, lorsque la demanderesse et son époux actuel ont présenté leur demande afin d’obtenir leur permis de mariage, la demanderesse n’a pas révélé les renseignements concernant son mariage précédent. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse ne savait pas qu’elle fournissait de faux renseignements lorsqu’elle a présenté sa demande de permis de mariage.

 

[11]           L’agent a formulé des doutes semblables concernant le dépôt du second enregistrement de naissance dans lequel il était mentionné que son époux actuel était le père de son enfant; il a mentionné ce qui suit :

[traduction]

 

[La demanderesse] savait pertinemment au moment du dépôt de sa demande que les renseignements dans le document n’étaient pas exacts. Bien que la preuve ne révèle pas que la demanderesse avait agi ainsi pour les seules fins d’immigration, je note qu’elle avait fourni ce document inexact au bureau des visas et qu’elle n’avait pas donné les bons renseignements. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse ne savait pas qu’elle commettait un acte illégal ou qu’elle faisait une présentation erronée au gouvernement des Philippines et aux agents du bureau des visas à Manille.

 

[12]           L’agent a également fait état de doute concernant le document qui devait révéler que le premier époux de la demanderesse n’existait pas :

[traduction]

 

[…] [L]e document mentionne clairement qu’il avait été délivré à la demande de M. Roger Buenaventura afin qu’il puisse obtenir un passeport ou voyager. Le reçu en annexe révèle que le document a été demandé et payé par M. Roger Buenaventura. Sur le fondement des renseignements dont je dispose, je ne peux pas déterminer si la demanderesse a aussi fait une présentation erronée au Bureau des statistiques national afin d’obtenir ce document ou si elle a aussi fait une présentation erronée en essayant de dissimuler l’existence de M. Roger Buenaventura. Je souligne en outre que le document mentionne qu’il n’y a aucun dossier de naissance correspondant aux renseignements fournis, et qu’il ne révèle pas qu’il n’existe personne au nom de M. Roger Buenaventura.

 

[13]           Sur le fondement de la preuve, l’agent a conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada en application des alinéas 36(1)c), 36(2)c), 40(1)a) de la Loi.

 

II.         Les questions en litige

 

[14]           La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

(a)        Les motifs sont‑ils adéquats?

(b)        L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en ce qui concerne son analyse quant à l’équivalence des infractions?

(c)        L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des motifs d’ordre humanitaire?

 

III.       Le régime légal

 

[15]           L’alinéa 36(1)c) de la Loi prévoit qu’un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour grande criminalité s’il a commis, à l’extérieur du Canda, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans.

 

[16]           De façon semblable, l’alinéa 36(2)c) de la Loi prévoit qu’un étranger est interdit de territoire pour criminalité s’il a commis, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

 

[17]           L’alinéa 40(1)a) de la Loi dispose qu’un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour fausse déclaration s’il a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

 

[18]           L’infraction d’insérer de faux renseignements dans un registre de naissances est prévue à l’alinéa 377(1)b) du Code criminel :

Documents endommagés

 

377. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque illégalement, selon le cas :

 

a) détruit, maquille ou détériore un registre ou toute partie d’un registre de naissances, baptêmes, mariages, décès ou sépultures que la loi oblige ou autorise à tenir au Canada, ou une copie ou toute partie d’une copie de ce registre que la loi prescrit de transmettre à un registrateur ou autre fonctionnaire;

 

b) insère ou fait insérer, dans un registre ou une copie que mentionne l’alinéa a), une inscription qu’il sait être fausse au sujet d’une naissance, d’un baptême, d’un mariage, d’un décès ou d’une sépulture, ou efface de ce registre ou de cette copie toute partie essentielle;

 

c) détruit, endommage ou oblitère, ou fait détruire, endommager ou oblitérer un document d’élection;

 

 

 

[…]

 

Damaging documents

 

377. (1) Every one who unlawfully

 

 

 

 

(a) destroys, defaces or injures a register, or any part of a register, of births, baptisms, marriages, deaths or burials that is required or authorized by law to be kept in Canada, or a copy or any part of a copy of such a register that is required by law to be transmitted to a registrar or other officer,

 

 

 

(b) inserts or causes to be inserted in a register or copy referred to in paragraph (a) an entry, that he knows is false, of any matter relating to a birth, baptism, marriage, death or burial, or erases any material part from that register or copy,

 

 

 

(c) destroys, damages or obliterates an election document or causes an election document to be destroyed, damaged or obliterated, or

 

[…]

 

is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years.

 

 

[19]           L’article 290 du Code criminel établit l’infraction de bigamie :

Bigamie

 

290. (1) Commet la bigamie quiconque, selon le cas :

 

a) au Canada :

 

(i) étant marié, passe par une formalité de mariage avec une autre personne,

 

(ii) sachant qu’une autre personne est mariée, passe par une formalité de mariage avec cette personne,

 

(iii) le même jour ou simultanément, passe par une formalité de mariage avec plus d’une personne;

 

 

b) étant un citoyen canadien résidant au Canada, quitte ce pays avec l’intention d’accomplir une chose mentionnée à l’un des sous‑alinéas a)(i) à (iii) et, selon cette intention, accomplit à l’étranger une chose mentionnée à l’un de ces sous‑alinéas dans des circonstances y désignées.

 

Défense

 

(2) Nulle personne ne commet la bigamie en passant par une formalité de mariage :

 

a) si elle croit de bonne foi, et pour des motifs raisonnables, que son conjoint est décédé;

 

b) si le conjoint de cette personne a été continûment absent pendant les sept années qui ont précédé le jour où elle passe par la formalité de mariage, à moins qu’elle n’ait su que son conjoint était vivant à un moment quelconque de ces sept années;

 

c) si cette personne a été par divorce libérée des liens du premier mariage;

 

d) si le mariage antérieur a été déclaré nul par un tribunal compétent.

 

[…]

 

Peine

 

291. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque commet la bigamie.

 

Bigamy

 

290. (1) Every one commits bigamy who

 

(a) in Canada,

 

(i) being married, goes through a form of marriage with another person,

 

(ii) knowing that another person is married, goes through a form of marriage with that person, or

 

 

(iii) on the same day or simultaneously, goes through a form of marriage with more than one person; or

 

(b) being a Canadian citizen resident in Canada leaves Canada with intent to do anything mentioned in subparagraphs (a)(i) to (iii) and, pursuant thereto, does outside Canada anything mentioned in those subparagraphs in circumstances mentioned therein.

 

 

Matters of defence

 

(2) No person commits bigamy by going through a form of marriage if

 

(a) that person in good faith and on reasonable grounds believes that his spouse is dead;

 

(b) the spouse of that person has been continuously absent from him for seven years immediately preceding the time when he goes through the form of marriage, unless he knew that his spouse was alive at any time during those seven years;

 

 

(c) that person has been divorced from the bond of the first marriage; or

 

(d) the former marriage has been declared void by a court of competent jurisdiction.

 

[…]

 

Punishment

 

291. (1) Every one who commits bigamy is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years.

 

 

[20]           L’article 131 du Code criminel prévoit l’infraction de parjure :

Parjure

 

131. (1) Sous réserve du paragraphe (3), commet un parjure quiconque fait, avec l’intention de tromper, une fausse déclaration après avoir prêté serment ou fait une affirmation solennelle, dans un affidavit, une déclaration solennelle, un témoignage écrit ou verbal devant une personne autorisée par la loi à permettre que cette déclaration soit faite devant elle, en sachant que sa déclaration est fausse.

 

[…]

 

Peine

 

132. Quiconque commet un parjure est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

Perjury

 

131. (1) Subject to subsection (3), every one commits perjury who, with intent to mislead, makes before a person who is authorized by law to permit it to be made before him a false statement under oath or solemn affirmation, by affidavit, solemn declaration or deposition or orally, knowing that the statement is false.

 

 

 

 

[…]

 

Punishment

 

132. Every one who commits perjury is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding fourteen years.

 

IV.       La norme de contrôle

 

[21]           Je souscris aux observations des parties selon lesquelles les questions soulevées dans la présente demande constituent des questions mixtes de fait et de droit qui devaient être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (Amin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 168, 322 FTR 293, au paragraphe 9; Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [2007] A.C.F. no 139, 2007 CAF 24, au paragraphe 12).

 

V.        Arguments et analyse

 

A.        Les motifs justifiaient‑ils une conclusion selon laquelle il y avait équivalence des infractions?

 

[22]           La demanderesse soutient que l’analyse menée par l’agent ne justifiait pas une conclusion selon laquelle il y avait équivalence des infractions et qu’il a donc commis une erreur en concluant que la demanderesse était interdite de territoire pour grande criminalité. La demanderesse soutient qu’elle n’avait pas l’intention coupable de commettre les infractions de bigamie et de parjure et que l’agent n’a fait aucune analyse concernant l’infraction qui aurait consisté à maquiller un registre de naissances. La demanderesse est d’avis que, dans les deux cas, les motifs fournis ne suffisaient pas pour appuyer la conclusion de l’agent.

 

[23]           Dans ses observations écrites, le défendeur soutient qu’il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que la demanderesse était interdite de territoire au Canada parce qu’elle avait commis des actes aux Philippines qui, commis au Canada, constitueraient des infractions de bigamie et de parjure. Le défendeur a attaqué la position de la demanderesse selon laquelle sa conduite ne constituerait pas des crimes en droit canadien parce qu’elle n’avait pas eu l’intention de les commettre. Cependant, à l’audience, le défendeur a pour ainsi dire concédé que les motifs quant à l’analyse relative à l’équivalence des infractions ne justifiaient pas la conclusion tirée à cet égard. Néanmoins, le défendeur soutient que la demanderesse a fait une présentation erronée et que pour ce seul motif l’agent était justifié de conclure que la demanderesse était interdite de territoire.

 

[24]           Malgré l’allégation du défendeur selon laquelle, même si la conclusion relative à l’équivalence ne tient pas, le rejet de la demande de la demanderesse est encore fondé, la présente affaire doit être renvoyée pour que l’on statue à nouveau sur elle. Comme l’allègue la demanderesse, en l’absence d’une déclaration de culpabilité, l’agent doit examiner les faits et le droit philippin afin de déterminer s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’on peut estimer que la demanderesse a commis le crime allégué aux Philippines puis expliquer comment ce même acte constituerait un crime au Canada. Afin que la décision soit estimée raisonnable, il incombe à l’agent de fournir une analyse critique (Zeon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1338, 49 Imm LR (3d) 146, au paragraphe 8). En l’espèce, je suis d’accord pour affirmer que rien ne donne à penser que l’agent a mené une analyse adéquate et critique relativement à l’équivalence. Par conséquent, l’agent n’a pas fourni de motifs suffisants à l’appui de sa conclusion.

 

[25]           Par exemple, en ce qui concerne la conclusion de bigamie, la demanderesse soutient qu’elle n’aurait pas pu commettre l’infraction de bigamie parce qu’elle avait appris, avant son second mariage, que la personne qu’elle aurait mariée n’existait pas. Par conséquent, elle a cru que son premier mariage était nul. La demanderesse soutient que, en droit canadien et en droit philippin, il faut qu’une personne ait eu l’intention de se marier alors qu’elle était déjà légalement mariée à une autre personne afin d’être déclarée coupable de bigamie. Au Canada, l’erreur de fait constitue une défense valide à l’égard de la bigamie (R c. Pappajohn, [1980] 2 R.C.S. 120).

[26]           Dans une affaire récente, soit R c. Kairouz, 2010 QCCQ 2649, [2010] R.J.Q. 1279, la Cour du Québec a examiné la validité de la défense d’erreur de fait au paragraphe 118. L’accusé dans cette affaire a essayé d’avoir recours à la défense d’erreur de fait à l’encontre d’une accusation de bigamie. La Cour du Québec a fait les observations suivantes :

[118]    […]

 

La défense d’erreur de fait tire son origine de la common law et s’applique via l’article 8(3) C.cr. Cette défense consiste à démontrer qu’au moment de l’infraction, l’accusé croit honnêtement et sincèrement à une situation de fait qui, si elle avait existé, aurait rendu ses gestes innocents. Redisons-le, le droit criminel ne veut pas punir celui ou celle qui est moralement innocent. [...]

 

La question centrale à la défense d’erreur de fait est la croyance sincère et honnête de l’accusé. Il s’agit d’un test subjectif. L’important est ce que l’accusé croit et non pas ce que la personne raisonnable aurait cru à sa place. Cependant, si l’accusé, soupçonnant un état de fait, ne cherche pas à clarifier la situation et préfère rester dans l’imprécision (aveuglement volontaire), alors sa croyance en cet état de fait ne peut être qualifiée de sincère et d’honnête. [soulignements ajoutés]

 

[27]           La Cour du Québec insiste pour affirmer que l’analyse liée à la défense d’erreur de fait porte sur une conclusion de faits très précis et est fondée sur la croyance subjective sincère et honnête de la personne. Il n’est aucunement question de l’état d’esprit de la demanderesse dans les motifs de l’agent. L’agent traite de l’infraction de bigamie comme s’il s’agissait d’une infraction de responsabilité stricte. Cependant, tant le droit canadien que le droit philippin exigent qu’il y ait eu intention coupable afin qu’une personne soit déclarée coupable de bigamie. L’agent n’a pas mené une analyse suffisamment exhaustive afin de déterminer si la demanderesse avait l’intention coupable nécessaire pour avoir commis l’infraction de bigamie. La conclusion de l’agent n’était donc pas raisonnable.

 

[28]           De façon semblable, le reste des motifs de l’agent ne me convainc pas. Même si les fausses représentations qu’aurait fait la demanderesse concernant son premier mariage et le père de son enfant sont troublantes et violent l’obligation de franchise imposée par la Loi, elles ne suffisent pas en soi pour passer outre aux problèmes cernés dans l’analyse relative à l’équivalence et pour faire échec à la présente demande de contrôle judiciaire. J’accueillerai la présente demande et renverrai l’affaire à un autre décideur.

 

B.       L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des motifs d’ordre humanitaire?

 

[29]           Malgré que j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire, j’aimerais néanmoins faire des commentaires sur la seconde erreur susceptible de contrôle soulevée par la demanderesse. La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des motifs d’ordre humanitaire. Bien que la demanderesse n’ait pas expressément demandé que l’on tienne compte des motifs d’ordre humanitaire, elle soutient que sa lettre datée du 27 octobre 2009 constituait un plaidoyer pour un examen des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse invoque la décision Rogers c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 26, 339 FTR 191, pour affirmer que l’agent était tenu de déterminer s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant qu’on lui octroie une dispense puisqu’elle n’était pas représentée par un avocat et avait présenté l’équivalent d’une demande d’ordre humanitaire.

 

[30]           Le défendeur soutient que la lettre ne constituait pas un [traduction] « plaidoyer » pour un examen fondé sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il incombait au demandeur de fournir l’ensemble des renseignements établissant que ces circonstances personnelles justifient l’octroi d’une dispense. Le défendeur soutient que, même si l’agent peut envisager, de sa propre initiative, d’octroyer une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle s’il ne le fait pas.

 

[31]           Je suis d’accord avec le défendeur. Dans la décision Rogers, précitée, le juge Yves de Montigny a écrit ce qui suit au paragraphe 41 :

[41]      Le défendeur a sans doute raison d’affirmer qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été établi pour le simple motif que l’agent d’immigration n’a pas, de sa propre initiative, envisagé d’octroyer une dispense au demandeur. Même si le Bulletin vise des situations dans lesquelles un agent d’immigration peut envisager d’octroyer à un demandeur une dispense même si le demandeur n’en a pas fait la demande, il n’ordonne pas à l’agent de le faire.

 

 

[32]           En outre, l’affaire Rogers, précitée, a été tranchée dans un contexte factuel précis. Le demandeur dans cette affaire avait rempli un formulaire de demande qui ne renfermait aucune information sur les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. En raison d’un changement en matière de politique, le formulaire de demande et le guide pour les personnes présentant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avisent désormais les demandeurs qu’ils doivent clairement mentionner qu’ils souhaitent qu’on leur octroie une dispense afin que soit écartée leur interdiction de territoire. En fait, le guide IP‑5 de CIC concernant les demandes présentées au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire mentionne maintenant ce qui suit au paragraphe 5.12 :

[traduction]

 

Cependant, si le client n’a pas expressément demandé une dispense et que l’interdiction de territoire a été découverte pendant l’étude de la demande, l’agent n’est pas obligé de conseiller le client et peut refuser la demande.

 

[33]           Je conclus que l’agent n’a pas commis une erreur en ne tenant pas compte des motifs d’ordre humanitaire.

 

VI.       Conclusion

 

[34]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

[35]           Vu les conclusions précédentes, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2490-10

 

INTITULÉ :                                       LINDA ESCANILLA FARENAS c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ian Hicks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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