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Federal Court


Date : 20110608

Dossier : IMM-5443-10

Référence : 2011 CF 658

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

ROBERT KIKESHIAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Robert Kikeshian à l’encontre de la décision d’un agent des visas, datée du 19 juillet 2010, de rejeter sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des entrepreneurs. M. Kikeshian affirme que l’agent des visas a manqué à son devoir d’agir équitablement en ne consultant pas suffisamment la Province de la Saskatchewan, conformément au paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), avant de rejeter sa demande. Les dispositions pertinentes du Règlement sont jointes en annexe.

Le contexte

[2]               M. Kikeshian est un citoyen de l’Iran et est âgé de 77 ans. Désireux d’investir son argent au Canada où vit maintenant le reste de sa famille élargie, M. Kikeshian est venu au pays à un certain nombre de reprises pour explorer les occasions possibles. En 2008, il a investi 500 000 $ dans une entreprise d’exportation de céréales et de légumineuses de la Saskatchewan, Diefenbaker Seed Processing Ltd. En retour, il a obtenu 14 p. 100 des actions ordinaires de Diefenbaker et a été nommé directeur intérimaire des ventes à l’étranger.

 

[3]               Le 7 octobre 2008, M. Kikeshian a été sélectionné dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (le PCIS). Un certificat de désignation a été délivré et transmis à l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie, aux fins de l’examen de la demande de résidence permanente de M. Kikeshian. La Province a avisé l’ambassade que M. Kikeshian avait été sélectionné au titre de la catégorie des entrepreneurs, parce qu’il semblait pouvoir contribuer de façon notable au développement d’un des secteurs clés de l’économie de la Saskatchewan. La Province a également indiqué qu’elle aiderait M. Kikeshian à réussir son établissement en Saskatchewan.

 

[4]               Le 14 juin 2010, un agent des visas à Damas a écrit à M. Kikeshian pour lui faire part de préoccupations relativement à son intention de s’établir en Saskatchewan. La lettre expose la question de la façon suivante :

[traduction]

 

La présente concerne votre demande de visa de résident permanent au Canada.

 

L’alinéa 87(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés stipule ce qui suit :

 

87(2)    Fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger qui satisfait aux critères suivants :

 

            […]

 

b)         il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation.

 

Après avoir examiné soigneusement votre demande et les éléments de preuve au dossier, je ne suis pas convaincu que vous avez l’intention de vous établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation, soit la Saskatchewan. Voici les raisons qui m’ont amené à tirer cette conclusion :

 

·                    Vous êtes au Canada depuis 2008 et n’avez encore jamais résidé en Saskatchewan. Dans une lettre datée du 31 mai 2010, vous avez déclaré que, depuis votre arrivée au Canada en mai 2008, vous vivez avec votre nièce sur la rue Skymark, à Toronto, en Ontario.

·                    Les autres membres de votre famille vivent en Ontario. Vous avez indiqué, dans une lettre datée du 31 mai 2010, que tous les membres de votre famille vivent au Canada, notamment votre nièce, Janet Frendian et votre sœur, Rosa Kikeshian. Celles‑ci vivent actuellement dans la province d’Ontario.

·                    Le député Gurbax Singh a présenté plusieurs demandes de renseignements au sujet de votre dossier d’immigration. Il me paraît anormal qu’un député de l’Ontario s’intéresse à votre immigration dans la province de la Saskatchewan[1].

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[5]               C’est le conseil de M. Kikeshian qui a répondu à l’agent des visas dans une lettre datée du 12 juillet 2010. La lettre était accompagnée d’une déclaration sous serment de M. Kikeshian offrant la réponse suivante aux préoccupations de l’agent des visas :

[traduction]

 

4.         J’ai toujours eu l’intention de me réinstaller en Saskatchewan après avoir obtenu la résidence permanente. Comme le montre l’affidavit déposé par Mme Frendian au début du processus, dont un exemplaire devait accompagner la demande qui vous a été acheminée par le PCIS (prière d’aviser si vous ne l’avez pas reçu), mon projet de déménager en Saskatchewan a toujours été conditionnel à l’intention de Mme Frendian de m’y accompagner. En effet, le fondement de notre demande au PCIS, catégorie des entrepreneurs, était que Mme Frendian m’aiderait à assumer mes fonctions de directeur des ventes à l’étranger pour l’entreprise Diefenbaker Seed Processors Ltd., vu ma connaissance limitée de l’anglais. Sans elle, je ne pourrais pas fonctionner efficacement, car ma capacité actuelle pour communiquer en anglais est limitée – quoique je sois en train de l’apprendre.

 

[…]

 

6.         J’ai finalement obtenu un permis de travail au printemps 2009, mais je ne pouvais pas facilement me réinstaller en Saskatchewan, parce que j’avais besoin de l’aide de Mme Frendian. Mme Frendian occupe un bon emploi auprès d’un député, M. Gurbax Malhi, dont la circonscription se trouve dans la région de Toronto. Il aurait été très risqué pour Mme Frendian de quitter son emploi pour se réinstaller en Saskatchewan, compte tenu des avertissements raisonnables donnés par la Province de la Saskatchewan, qui nous a prévenus de ne prendre aucun engagement ferme avant d’obtenir la résidence permanente. La moment de ma réinstallation en Saskatchewan reposait donc sur l’obtention du statut de résident permanent.

 

[6]               Le dossier indique que, bien que l’agent des visas n’ait pas informé directement la Province de la Saskatchewan de ses préoccupations, M. Kikeshian a fait suivre la lettre relative à l’équité procédurale envoyée par l’agent des visas en date du 14 juin 2010. Le 12 juillet 2010, Mme Roberta Cross a écrit à l’agent des visas, au nom de la Province, pour maintenir son appui à la demande de M. Kikeshian. Voici ce qu’elle a écrit :

[traduction]

 

Je vous écris en réponse à la lettre du 14 juin 2010 que vous avez envoyée à M. Robert Kikeshian et qu’il nous a présentée lors d’une entrevue de suivi tenue à nos bureaux le 8 juillet 2010.

 

Nous sommes très déçus que la question de l’intention soit soulevée à cette étape‑ci, pour un demandeur qui s’est conformé à toutes nos procédures de demande, à qui nous avons délivré un certificat de désignation, qui a investi beaucoup de capitaux dans une entreprise florissante de la Saskatchewan et qui joue un rôle actif dans la gestion de cette même entreprise depuis qu’il a reçu un permis de travail temporaire. Une copie d’un procès‑verbal récent attestant ses activités professionnelles est jointe à titre de référence. Nous sommes portés à croire qu’il a également satisfait à toutes les autres exigences législatives fédérales. Je souhaite formuler des commentaires au sujet des questions particulières soulevées dans votre lettre au demandeur.

 

Au moment de sa demande au PCIS au titre des catégories « entrepreneurs » et « exploitants agricoles », nous avons conclu que, en raison de sa connaissance limitée de l’anglais, M. Kikeshian aurait besoin de l’aide de sa nièce, Mme Janet Frendian, pour exécuter son plan d’affaires. C’est pour cette raison que nous avons demandé et reçu une déclaration sous serment de cette dame selon laquelle elle s’établirait aussi dans notre province une fois que le demandeur aurait obtenu la résidence permanente. Une copie est jointe. Comme le délai d’attente a été très long, il est compréhensible qu’elle n’ait pas encore quitté son emploi en Ontario.

 

Vous savez peut‑être aussi que notre programme exige que les candidats sélectionnés versent dans un compte en fiducie une somme de 75 000 $ qui leur est remise seulement s’ils obtiennent la résidence permanente et établissent une entreprise active en Saskatchewan. M. Kikeshian a fait son dépôt le 25 septembre 2008.

 

À l’entrevue, nous expliquons à tous nos candidats que nous attachons une très grande importance à l’intégrité du programme et qu’ils peuvent s’attendre à ce que leur demande soit traitée d’une manière juste et équitable sans qu’ils aient à recourir à un représentant en immigration (leur choix) ou à demander l’intervention de représentants élus. La décision de Mme Frendian de solliciter l’aide de M. Gurbax Singh découle simplement du fait qu’elle travaille pour lui et n’est pas liée au lieu de résidence prévu. Je joins, à titre de référence, une lettre de soutien que nous avons reçue de l’honorable Ralph Goodale, député de Wascana. Un soutien nous a également été accordé par les autorités économiques régionales de Regina. À titre d’information, notre ministre de l’Immigration, l’honorable Rob Norris, a reçu du chef de cabinet de l’honorable Jason Kenney, le 22 mars 2010, une demande de renseignements au sujet du dossier de M. Kikeshian. Le chef de cabinet de M. Kenney a été avisé que la décision sur ce dossier devait être rendue par notre bureau.

 

À la lumière de tous les faits susmentionnés et de nos échanges continus avec le demandeur sur une période de trois ans, nous estimons que, selon la prépondérance des probabilités, l’intention de M. Kikeshian de s’établir en Saskatchewan est sincère et, en toute impartialité, ne doit pas être remise en question. Je souhaite que vous et vos collègues réexaminiez les points susmentionnés et vous presse d’arriver à la même conclusion que nous. J’ai également confiance que la présente apporte une réponse satisfaisante à votre lettre du 14 juin 2010 et que notre perspective sur le dossier vous aidera à prendre une décision définitive.

 

[7]               Il ressort clairement des notes informatiques de l’agent des visas que la réponse de M. Kikeshian a soulevé de nouveaux doutes quant à sa capacité de réussir son établissement économique au Canada. L’agent des visas a abordé la question de la façon suivante :

[traduction]

 

Il semble que le certificat de désignation ait été délivré au demandeur à la condition que sa nièce l’accompagne en Saskatchewan et gère activement ses affaires puisqu’il dépend d’elle. Le paragraphe 5.3.1 de la convention d’actionnaires précise même que Janet Frendian peut l’aider à s’acquitter de ses responsabilités.

 

M. Kikeshian, Mme Frendian, le PCIS et l’entreprise Diefenbaker Seeds ont tous exprimé, par écrit, les différents degrés de dépendance de M. Kikeshian à l’égard de Mme Frendian. La nièce du demandeur est citoyenne canadienne et a participé activement à maints aspects du dossier du demandeur, notamment en se rendant en Saskatchewan à quelques reprises, en participant aux négociations avec Diefenbaker et en assumant directement les responsabilités du demandeur auprès de l’entreprise. Il est évident qu’il dépend de Mme Frendian pour de nombreux aspects de sa vie.

 

À la lumière des renseignements au dossier, y compris les dernières observations, je ne suis pas convaincu que le demandeur sera en mesure de s’établir économiquement au Canada.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

La conclusion ci‑dessus a par la suite été confirmée par le gestionnaire adjoint du programme, qui a ajouté le commentaire suivant dans les notes informatiques : [traduction] « Nous ne pouvons fonder une décision de sélection positive sur la bonne volonté et l’intention d’un tiers. »

 

[8]               La décision de l’agent des visas a été communiquée à M. Kikeshian dans une lettre datée du 19 juillet 2010. Voici les motifs fournis à l’appui du rejet de la demande de visa :

[traduction]

 

Après avoir étudié votre demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie des candidats des provinces, je dois vous informer que celle‑ci ne répond pas aux exigences relatives à l’immigration au Canada.

 

Aux termes du paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2).

 

Je ne suis pas convaincu que le fait que vous soyez visé par un certificat de désignation délivré par la Saskatchewan constitue un indicateur suffisant de votre aptitude à réussir votre établissement économique au Canada. Je suis parvenu à cette conclusion pour les raisons suivantes : votre nièce, Mme Frendian, Roberta Cross, directrice du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan, et Lionel Ector, président de Diefenbaker Seed Processors Ltd. ont tous exprimé par écrit votre dépendance à l’égard de votre nièce pour réussir votre établissement économique au Canada. À la lumière des observations reçues en réponse à ma lettre du 14 juin 2010, j’ai des raisons de croire que votre aptitude à réussir votre établissement économique dans la province de la Saskatchewan dépend d’un tiers, soit votre nièce. Le gouvernement de la Saskatchewan sait que votre demande peut être rejetée. Mes préoccupations qui portaient principalement sur le lieu de résidence prévu vous ont été présentées dans ma lettre du 14 juin 2010. Les renseignements que vous, votre nièce, la Province de la Saskatchewan et la compagnie Diefenbaker Seed Processors Ltd avez fournis en réponse portaient à la fois sur le lieu de résidence prévu et sur votre aptitude à réussir votre établissement économique.

 

À la lumière des renseignements au dossier, je ne suis pas convaincu que vous êtes en mesure de réussir votre établissement économique au Canada. Un deuxième agent a souscrit à cette appréciation.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[9]               Il ressort du dossier qui m’a été présenté que l’agent des visas n’a pas communiqué avec le gouvernement de la Saskatchewan ni avec M. Kikeshian pour exprimer ses préoccupations quant à la capacité de celui‑ci à réussir son établissement économique avant de rejeter la demande.

 

La question en litige

[10]           Le décideur a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande de visa de résident permanent de M. Kikeshian au titre de la catégorie des entrepreneurs et, en particulier, s’est‑il acquitté de l’obligation que lui imposait le Règlement de consulter les responsables de la Province de la Saskatchewan avant de rejeter la demande?

 

Analyse

[11]           La question déterminante en l’espèce a trait à l’obligation prévue au paragraphe 87(3) du RIPR, selon laquelle l’agent des visas doit consulter l’autorité provinciale qui a délivré le certificat à l’étranger au titre de la catégorie des candidats des provinces avant de rejeter une demande de visa de résident permanent. Le décideur ne peut se soustraire à l’obligation de consulter prescrite par le Règlement, sans quoi il manque à son devoir d’agir équitablement. Les parties ne s’entendent pas à savoir si l’obligation de consulter a été remplie en l’espèce.

 

[12]           J’accepte l’argument avancé par Me Gafar selon lequel le demandeur de visa doit habituellement anticiper et remplir toutes les conditions statutaires afin d’obtenir la résidence permanente. Elle a également raison de dire que, dans un tel cas, l’agent des visas n’a pas à tenter d’éclaircir une demande déficiente ni à informer le demandeur du résultat de sa demande à chaque étape du processus : voir Pan c. Canada, 2010 CF 838, 90 Imm. L.R. (3d) 309.

 

[13]           La présente affaire, cependant, est différente. Aux termes du Programme des candidats des provinces, lorsque l’agent des visas a l’intention de substituer son appréciation à celle de la Province quant à la capacité du demandeur à réussir son établissement économique, il a l’obligation de consulter d’abord les responsables de la Province qui a délivré le certificat. L’obligation de consulter est énoncée au paragraphe 87(3) du RIPR :

87. (3) Si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2).

 

[Non souligné dans l’original.]

87. (3) Substitution of evaluation — If the fact that the foreign national is named in a certificate referred to in paragraph (2)(a) is not a sufficient indicator of whether they may become economically established in Canada and an officer has consulted the government that issued the certificate, the officer may substitute for the criteria set out in subsection (2) their evaluation of the likelihood of the ability of the foreign national to become economically established in Canada.

 

[Emphasis added.]

 

 

[14]           S’il est clair que, sous ce programme, l’agent des visas détient le pouvoir ultime de juger si les critères d’admissibilité sont satisfaits, l’importance de la participation de la Province dans cet exercice y est également reconnue. En effet, le chapitre OP 7(b) du guide opérationnel du Ministère reconnaît que la sélection d’un candidat par une province (confirmée par la délivrance d’un certificat de désignation) crée une présomption que le demandeur aura la capacité de s’établir sur le plan économique. La section 7.8 précise qu’un agent doit consulter les autorités provinciales s’il a des raisons de croire que le demandeur de visa n’a pas l’intention de vivre dans la province qui l’a désigné ou qu’il ne pourra vraisemblablement pas réussir son établissement économique au Canada. Il y est également stipulé que l’agent des visas doit obtenir une confirmation d’un autre agent avant de rejeter la demande pour des motifs liés à l’établissement. La nature prudente de ce processus se reflète également à la section 7.6 : « Les agents doivent demander des documents supplémentaires ou des éclaircissements au demandeur ou à la province qui effectue la désignation s’ils ne sont pas convaincus que le demandeur remplit tous les critères. » Ces dispositions sont reflétées et, dans une certaine mesure, approfondies aux articles 4.9 et 4.10 de l’Accord Canada‑Saskatchewan sur l’immigration de 2005, qui se lisent respectivement comme suit :

4.9       Le Canada considère le certificat de désignation délivré par la Saskatchewan comme une première preuve que l’admission favorise le développement économique de la Saskatchewan de façon notable, et que le candidat a la capacité de réussir son établissement économique au Canada.

 

4.10     Lorsqu’un refus est probable, le Canada avise la Saskatchewan avant que l’avis de refus final ne soit délivré au candidat. […]

 

 

[15]           Dans sa plaidoirie, l’avocate du défendeur a demandé si la consultation intergouvernementale requise aux termes du programme jouait en faveur de M. Kikeshian. Si l’obligation, pour l’agent des visas, de consulter les autorités provinciales découlait uniquement d’un accord intergouvernemental, je serais plus favorable à cet argument. Mais l’obligation de consulter est prescrite par le paragraphe 87(3) du RIPR dans le cadre d’un programme qui reconnaît que le certificat de désignation délivré par la Province constitue une preuve prima facie de la capacité du candidat à réussir son établissement économique au Canada. Ayant convaincu les autorités provinciales sur cette question, le demandeur s’attendrait normalement à ce que l’agent des visas ne rende pas une décision contraire sans s’acquitter d’abord de son obligation de consulter le gouvernement de la Province au sujet de toute préoccupation.

 

[16]           Le défendeur soutient également que l’agent des visas a effectivement consulté le gouvernement de la Saskatchewan lorsqu’il a reçu et examiné la lettre envoyée par Mme Cross, en date du 12 juillet 2010, à l’appui de la demande de M. Kikeshian. S’il est vrai que l’agent des visas a été informé de la position des responsables de la Saskatchewan concernant l’intention de M. Kikeshian de s’établir en Saskatchewan, il n’en demeure pas moins que ces mêmes responsables n’ont pas été consultés lorsque l’objet de préoccupation de l’agent des visas est passé à la dépendance de l’intéressé envers sa nièce et à la question connexe de sa capacité de s’établir sur le plan économique.

 

[17]           Bien que l’intention d’une personne de vivre dans la province ayant délivré le certificat de désignation soit étroitement liée à sa capacité à réussir son établissement économique au Canada, ces deux aspects n’ont pas un poids équivalent. L’agent des visas a bien saisi la distinction en disant que la préoccupation initiale quant à l’intention de M. Kikeshian de s’établir en Saskatchewan découlait de l’alinéa 87(2)b) du Règlement, mais que sa décision définitive était fondée sur le paragraphe 87(3), qui porte sur l’établissement économique au Canada. Ce qui s’est produit, bien entendu, c’est que lorsque M. Kikeshian a répondu de façon satisfaisante aux doutes de l’agent des visas concernant la résidence, la preuve qu’il a fournie a suscité une nouvelle préoccupation face à la dépendance de l’intéressé envers sa nièce. Comme il s’agissait d’une préoccupation différente, le bureau des visas avait à nouveau l’obligation de consulter le gouvernement de la Saskatchewan avant de rendre une décision définitive, ce qu’il n’a pas fait. Les autorités provinciales et M. Kikeshian auraient peut‑être pu répondre de manière satisfaisante aux doutes de l’agent des visas concernant l’établissement économique, de la même façon qu’ils avaient abordé la préoccupation liée à la résidence, mais cette possibilité ne leur a pas été offerte. La décision de l’agent des visas est viciée par le fait qu’il ne s’est pas acquitté de son obligation statutaire de consulter les autorités provinciales avant de rejeter la demande de visa de M. Kikeshian. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. Il s’agit d’une situation où la demande de M. Kikeshian doit être réexaminée sur le fond par d’autres décideurs et, s’il subsiste des préoccupations, en consultation avec le gouvernement de la Province de la Saskatchewan.

 

[18]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à d’autres décideurs pour une nouvelle décision sur le fond, en conformité avec les présents motifs.

 

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


ANNEXE A

 

 

87. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des candidats des provinces est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

 

87. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the provincial nominee class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

Qualité

(2) Fait partie de la catégorie des candidats des provinces l’étranger qui satisfait

aux critères suivants :

 

Member of the

class

(2) A foreign national is a member of

the provincial nominee class if

 

a) sous réserve du paragraphe (5), il est visé par un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial concerné conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre;

 

(a) subject to subsection (5), they are named in a nomination certificate issued by the government of a province under a provincial nomination agreement between that province and the Minister;

and

 

b) il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation.

 

(b) they intend to reside in the province

that has nominated them.

 

Substitution

d’appréciation

(3) Si le fait que l’étranger est visé par le certificat de désignation mentionné à l’alinéa (2)a) n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat, substituer son appréciation aux critères prévus au paragraphe (2).

 

Substitution of

evaluation

(3) If the fact that the foreign national is named in a certificate referred to in paragraph (2)(a) is not a sufficient indicator of whether they may become economically established in Canada and an officer has consulted the government that issued the certificate, the officer may substitute for the criteria set out in subsection (2) their evaluation of the likelihood of the ability of the foreign national to become economically established in Canada.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5443-10

 

INTITULÉ :                                       KIKESHIAN c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ON)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 8 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen Green

Hilete Stein

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel

Avocats

Toronto (ON)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ON)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]     La même préoccupation figure dans les notes informatiques de l’agent des visas, où l’on peut lire ce qui suit : [traduction] « J’ai des doutes quant à l’intention du DP de s’établir dans la province de désignation, selon le R87(2)b). Lettre relative à l’équité procédurale à envoyer. »

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