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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110609

 

Dossiers : IMM-5329-10

IMM-431-11

 

Référence : 2011 CF 670

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

ENTRE :

 

NITINKUMAR JAYANTIBHAI PATEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               M. Patel se retrouve dans un bourbier procédural. La demande qu’il a présentée en Inde en vue de la délivrance, sur le fondement d’une offre d’emploi permanent, d’un visa de résident permanent canadien a donné lieu le 25 septembre 2009 à deux décisions défavorables distinctes. L’une et l’autre décisions en sont à des étapes différentes du processus de contrôle judiciaire. 

 

[2]               Dans une décision, rendue par S. Daya, premier secrétaire au Haut-commissariat à New Delhi, M. Patel s’est vu attribuer uniquement 64 points sur les 67 requis. Le 14 septembre 2010, soit près d’un an plus tard, M. Patel a déposé une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision (numéro de dossier IMM-5329-10). Cette demande aurait dû être déposée dans les 60 jours suivant la notification de la décision. M. Patel a sollicité une prorogation de délai en application de l’alinéa 72(2)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR]. Selon le paragraphe 6(2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, il doit être statué sur la demande de prorogation de délai en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier. Aucune décision n’a été rendue à ce jour tant relativement à la demande de prorogation qu’à la demande d’autorisation.

 

[3]               Il est ensuite prévu à l’article 10 des Règles que la demande d’autorisation est mise en état par le dépôt d’un dossier dans les 30 jours suivant le dépôt de la demande ou, si les motifs de la décision n’ont pas été communiqués, dans les 30 jours suivant la réception de ces motifs. M. Patel a sollicité une prorogation de délai pour pouvoir mettre son dossier en état. Le protonotaire Lafrenière a rejeté cette requête le 8 février 2011. Je suis ici saisi de l’appel de M. Patel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire.

 

[4]               Dans l’autre décision, rendue le 25 septembre 2009, David Manicom, ministre-conseiller, a conclu que M. Patel avait fait une présentation erronée relativement à son emploi réservé et que, par conséquent, il était interdit de territoire au Canada pendant deux ans, en application de l’article 40 de la LIPR. Le 24 janvier 2011, M. Patel a déposé une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision (numéro de dossier IMM-431-11). Dans le cadre de cette demande, il a encore une fois sollicité une prorogation de délai en application de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR, en déclarant cette fois qu’il avait reçu les motifs écrits du tribunal administratif en cause. Le dossier de demande a été déposé dans le délai prescrit.

 

[5]               Le juge Mosley a disjoint la demande de prorogation et la demande d’autorisation et, prenant note du fait que M. Patel avait interjeté appel de la décision du protonotaire Lafrenière dans le dossier IMM‑5329‑10, il a ordonné que la demande de prorogation soit instruite en même temps que cet appel, et par le même juge.

 

[6]               Par souci de commodité, je désignerai « décision sur les points » la décision dans le dossier IMM‑5329‑10 et « décision sur la présentation erronée » celle dans le dossier IMM‑431‑11.

 

IMM-5329-10 – DÉCISION SUR LES POINTS

[7]               Le ministre soutient que je n’ai pas compétence pour recevoir la requête visant l’appel de la décision du protonotaire Lafrenière, cette décision constituant une ordonnance interlocutoire. L’alinéa 72(2)e) de la LIPR prévoit en effet expressément qu’une ordonnance interlocutoire prise en application de la Loi n’est pas susceptible d’appel. J’estime que le ministre a raison. Les décisions suivantes étayent sa position : Canada (Procureur général) c. Hennelly (1995), 185 NR 389, [1995] ACF no 1183 (QL); Yogalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 540, [2003] ACF no 697; Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1331, [2008] ACF no 1704 (QL); Froom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 331, 312 NR 282.

 

[8]               La réplique de M. Patel comporte deux volets. À titre de premier argument, comme les alinéas 72(2)c) et d) de la LIPR prévoient que seul un juge peut proroger le délai de signification et de dépôt d’une demande d’autorisation et statuer sur celle-ci, il devrait s’ensuivre, selon les principes d’interprétation législative, que seul un juge peut instruire une requête en prorogation du délai de dépôt du dossier. Cet argument s’appuie sur l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559, qui confirme qu’il convient de lire les dispositions d’une loi dans leur contexte global en tenant compte non seulement du sens ordinaire et grammatical des mots, mais aussi de l’esprit et de l’objet de la loi ainsi que de l’intention du législateur. L’interprétation des textes réglementaires doit, avec les adaptations nécessaires, se faire selon la même méthode (Glykis c. Hydro-Québec, 2004 CSC 60, [2004] 3 RCS 285).

 

[9]               Rien dans la LIPR ne permet toutefois d’assimiler la demande de dépôt d’un acte introductif d’instance, comme une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire, à une requête en cours d’instance, pour que soit délivrée une ordonnance de prorogation du délai de dépôt du dossier. L’argument de M. Patel va aussi à l’encontre de l’article 50 des Règles des Cours fédérales ainsi que, tout particulièrement, du paragraphe 21(2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, en vertu duquel les délais prévus dans celles-ci ne peuvent être modifiés « que par ordonnance d’un juge ou d’un protonotaire ».

 

[10]           M. Patel fait valoir comme second argument que la décision du protonotaire Lafrenière constitue en fait une décision définitive. Toutefois, quoique la décision du protonotaire conduira en fin de compte au rejet par un juge de la demande d’autorisation pour mise en état tardive du dossier, c’est bien d’une décision interlocutoire qu’il s’agit. On ne peut considérer le résultat futur de la décision pour, de ce point, juger rétroactivement du caractère interlocutoire ou non de celle-ci. S’il en était ainsi, la décision de proroger un délai serait interlocutoire et la décision de le refuser serait définitive. Voir à ce sujet la décision Symbol Yachts Ltd c. Canada (Revenu, Douanes et Accise), [1996] 2 CF 391, [1996] ACF no 101 (QL) du juge Nadon (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale.

 

IMM-431-11 – DÉCISION SUR LA PRÉSENTATION ERRONÉE

[11]           Au cours des plaidoiries, j’ai soulevé la question de savoir si la présente demande allait être sans intérêt pratique en cas de confirmation de la décision du protonotaire Lafrenière. Dans un tel cas en effet, même si une prorogation de délai était accordée, et si était accueillie la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, M. Patel ne disposerait toujours que de 64 des 67 points requis.

 

[12]           L’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly, 244 N.R. 399, [1999] A.C.F. no 846 (QL), de la Cour d’appel fédérale est le plus cité en matière de prorogation de délai. Pour obtenir une prorogation de délai, selon la Cour d’appel, le demandeur doit démontrer a) une intention constante de poursuivre sa demande, b) que la demande est bien fondée, c) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai et d) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai. On doit toutefois lire ensemble cet arrêt et l’arrêt antérieur Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 263, 63 NR 106 de la Cour d’appel fédérale, qui établit clairement comme principe que ce qui importe fondamentalement, c’est que justice soit faite. Il faut ainsi tenir compte des raisons du retard et se demander s’il existe une cause défendable.

 

[13]           Je suis disposé à présumer qu’il y a un certain fondement à la cause de M. Patel. Une confusion justifiée a pu exister entre Service Canada, qui a émis un avis sur l’emploi réservé, M. Patel et son employeur éventuel. Cet avis avait trait à un emploi de technicien d’entretien mécanique. Le premier secrétaire du Haut-commissariat a dit pour sa part estimer que les compétences recherchées par l’employeur étaient plutôt celles d’un mécanicien de machinerie lourde. C’est cela qui a finalement conduit à la conclusion de présentation erronée, même si l’employeur a dit à nouveau qu’il avait besoin non pas d’un mécanicien de machinerie lourde mais bien d’une personne ayant une formation et des compétences plus poussées.

 

[14]           Aucune explication satisfaisante pour le retard n’a toutefois été fournie. Un certain nombre de raisons peuvent quand même être avancées quant à divers éléments du retard, certaines pouvant être justifiées, comme le fait voir le calendrier suivant :

a.       le 25 septembre 2009 – décision défavorable;

b.      le 8 octobre 2009 – décision transmise par courrier à M. Patel;

c.       le 17 novembre 2009 – le frère de M. Patel consulte un avocat pour qu’il représente ce dernier;

d.      le 23 décembre 2009 – M. Patel signe une formule de recours à un représentant et une formule d’accès aux renseignements;

e.       le 9 janvier 2010 – l’avocat demande les notes versées au STIDI;

f.        le 15 février 2010 – les notes versées au STIDI sont envoyées par courrier;

g.       le 14 septembre 2010 – dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision sur les points (IMM-5329-10);

h.       le 9 octobre 2010 – M. Patel signe son affidavit;

i.         le 24 janvier 2011 – dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision sur la présentation erronée (IMM-431-11).

 

[15]           Il me semble qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire aurait pu être déposée dans le délai prescrit, en novembre ou au début de décembre 2009. Deux motifs expliqueraient qu’on ne l’ait pas fait. L’un est que l’avocat de M. Patel souhaitait que son client lui confirme personnellement son mandat. Cette confirmation n’a été donnée qu’à la fin de décembre, soit une fois le délai de 60 jours expiré. Le second motif, c’est que cet avocat a demandé et a obtenu les notes versées au STIDI avant de procéder au dépôt de la demande.

 

[16]           L’obtention de ces notes n’était pas nécessaire selon moi. On prévoit dans la Formule IR-1 de la Cour fédérale, utilisée pour l’introduction d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en matière d’immigration, que le demandeur doit déclarer s’il a reçu ou non les motifs écrits du tribunal administratif. S’il est déclaré que les motifs écrits n’ont pas été reçus, le greffe de la Cour demande alors au décideur de les fournir. M. Patel avait reçu la décision en l’espèce, mais les motifs en étaient insuffisants. Il est bien établi que les notes versées au STIDI, soit les entrées consignées dans le système informatisé par les agents des visas, peuvent faire partie des motifs, comme tel était le cas en l’espèce puisqu’on n’expliquait pas suffisamment dans la lettre annonçant la décision les motifs de celle-ci (Veryamani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1268, [2010] ACF no 1668 (QL), et les décisions qui y sont citées). C’est en février 2010 qu’ont été reçues les notes versées au STIDI. Si la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire avait été déposée à ce moment-là, j’aurais assurément, le critère prévu dans Hennelly étant satisfait, prorogé le délai.

 

[17]           Rien toutefois n’a constitué un obstacle par la suite, sinon le manque d’empressement du frère de M. Patel, et on n’a pas indiqué pour quel motif la demande n’avait pas été déposée avant septembre 2010 dans le dossier IMM-5329-10 et avant janvier 2011 dans le dossier IMM 431‑11. Il est dans l’intérêt public que soient rapidement présentées les demandes de contrôle judiciaire visant les décisions des offices fédéraux. La règle générale prévue à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, est qu’une demande de contrôle judiciaire doit être déposée dans un délai de 30 jours.

 

[18]           S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Berhad c. Canada, 2005 CAF 267, 338 NR 75, le juge Létourneau a expliqué (au paragraphe 60) pour quel motif de brefs délais étaient imposés à quiconque veut contester les décisions des offices fédéraux :

À mon avis, la raison primordiale pour laquelle un armateur qui s’estime lésé par les conclusions d’une inspection de sécurité de son navire doit épuiser les recours prévus par la loi avant d’intenter une action en responsabilité civile est l’intérêt public dans le caractère définitif des décisions qui font suite aux inspections. L’importance de cet intérêt public est reflétée dans les délais relativement brefs qui sont imposés à quiconque veut contester une décision administrative - un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle la décision est communiquée, ou tel autre délai que la Cour peut accorder sur requête en prorogation de délai. Ce délai n’est pas capricieux. Il existe dans l’intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai, apportant la tranquillité d’esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu’elle soit observée, souvent à grands frais. En l’espèce, la décision du président n’a été contestée qu’un an et demi après qu’elle a été rendue, lorsque les intimées ont déposé leur action en dommages-intérêts.

 

[19]           Bien que l’arrêt Berhad, ainsi que certaines autres décisions où l’on avait déclaré qu’une demande de contrôle judiciaire devait précéder une action en dommages-intérêts contre l’État fédéral en lien avec la décision d’un office fédéral, aient été renversés par la Cour suprême (Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc, 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585), j’estime qu’est toujours valable la raison d’être des courts délais pour l’introduction des demandes de contrôle judiciaire que le juge Létourneau y a exprimée.

 

[20]           Dès septembre, M. Patel pourra présenter une nouvelle demande de visa de résident permanent. D’ici là, l’incidence de la présentation erronée se sera peut-être quelque peu amoindrie compte tenu des présents motifs.

 

[21]           Une copie des présents motifs sera versée dans les dossiers numéro IMM‑5329‑10 et numéro IMM‑431‑11.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 9 juin 2011

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-5329-10 ET

                                                            IMM-431-11

 

INTITULÉ :                                       PATEL c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 JUIN 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Brendan Friesen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (MB)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (MB)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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