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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110615

Dossier : IMM-5562-10

Référence : 2011 CF 685

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

JANELLE MARIA FAISAL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Le 25 septembre 2010, la Cour fédérale a accueilli la requête de la demanderesse concernant un sursis de renvoi du Canada en attendant la décision définitive du présent contrôle judiciaire. Dans sa décision, la juge Marie‑Josée Bédard a affirmé :

[traduction]

 

Je suis également convaincue que la demanderesse et ses enfants subiraient un préjudice irréparable si elle devait être renvoyée à Sainte-Lucie avant que les questions de la garde de ses deux filles les plus âgées soient réglées de façon adéquate. Compte tenu de la situation personnelle de la demanderesse, sa décision de laisser ses deux filles les plus âgées au Canada est dans leur intérêt supérieur et elle ne peut tout simplement pas quitter le Canada sans s’assurer qu’il existe une entente de garde appropriée, ce qui requerra que des dispositions légales appropriées soient prises.

           

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[2]               La juge Bédard a également accueilli la demande d’autorisation en ce qui concerne la décision d’une agente de renvoi (l’agente) rendue le 9 mars 2011.

 

[3]               Dans sa demande à deux volets d’un sursis administratif, la demanderesse a demandé que son renvoi soit retardé jusqu’à ce que sa demande de prise en compte de considérations d’ordre humanitaire (la demande CH) soit évaluée, ou, subsidiairement, que l’entente de garde des enfants soit réglée. Le 22 septembre 2010, le superviseur intérimaire à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a refusé la demande de la demanderesse concernant un sursis administratif. Le second volet qui concerne le contrôle judiciaire effectué par la Cour demeure une « question réelle » parce que la Cour a été informée qu’une décision concernant la demande CH avait été rendue et que les avocats des deux parties avaient reçu cette information dans la semaine au cours de laquelle avait lieu l’audience du contrôle judiciaire.

 

II.  La procédure judiciaire

[4]               La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 22 septembre 2010 par une agente de renvoi de l’ASFC, dans laquelle l’agente avait rejeté la demande de la demanderesse d’un sursis administratif de son renvoi.

 

III.  Le contexte

[5]               La demanderesse, Mme Janelle Maria Faisal, est née le 6 juillet 1987 et est une citoyenne de Sainte‑Lucie.

 

[6]               Mme Faisal est arrivée au Canada le 12 septembre 2004, à l’âge de 17 ans. Elle a présenté une demande d’asile, dans laquelle elle affirmait principalement avoir été agressée par son ancien conjoint de fait. Sa demande a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) le 21 novembre 2005. Le 9 juin 2009, Mme Faisal a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), lequel examen s’est conclu défavorablement le 15 septembre 2009. Le 9 avril 2010, Mme Faisal a présenté une demande de prise en compte de considérations d’ordre humanitaire (la demande CH), affirmant qu’il était dans l’intérêt supérieur de ses trois enfants nés au Canada, âgés de 5 ans, de 3 ans et de 9 mois, qu’elle demeure au Canada. La demande CH était toujours en cours d’évaluation (jusqu’à la réception des informations dont il est question au paragraphe 3 de l’aperçu).

 

[7]               Le 20 juillet 2010, Mme Faisal a été informée par une agente de renvoi que son renvoi était prévu pour le 26 septembre 2010. Mme Faisal a alors décidé de laisser ses deux enfants les plus âgés au Canada. Le père de son aînée, lequel l’aurait persécutée selon les allégations soumises dans sa demande d’asile, vit à Sainte-Lucie, alors que le père de sa fille de 3 ans n’a montré aucun intérêt à prendre soin de sa fille.

 

[8]               Selon Mme Faisal, deux citoyens canadiens consentent à prendre soin de ses enfants : M. McEnroe Thomas, son conjoint de fait actuel, et Mme Olga Prescott, son ancienne belle-mère. Afin de s’assurer qu’une ou l’autre de ces personnes puisse prendre soin de ses enfants, la demanderesse a affirmé qu’elle devait d’abord obtenir la garde exclusive de ses enfants pour ensuite les placer sous la tutelle légale de M. Thomas ou de Mme Prescott. La demanderesse affirme qu’elle doit être présente pour la durée de la procédure concernant la garde et la tutelle des enfants.

 

[9]               Le rendez-vous de Mme Faisal concernant la garde de ses enfants était prévu pour le 23 septembre 2010. La demanderesse a affirmé n’avoir pu se présenter à un rendez-vous antérieur, le 2 septembre 2010, parce qu’elle avait tenté de se suicider.

 

IV.  La décision contestée

[10]           L’agente a décidé de rejeter la demande de report en raison d’un manque de documentation pertinente :

[traduction]

 

[…] Bien qu’il soit demandé de la cour qu’elle accorde la garde de l’enfant, il n’y a aucune documentation qui montre que votre cliente n’a pas la garde de cet enfant ou que le père demande la garde exclusive. En ce qui concerne l’ASFC, la question de la garde n’empêche pas un renvoi.

 

(Décision de l’agente de renvoi, dossier de la demanderesse, à la page 7.)

 

[11]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agente affirme que :

[traduction]

 

Les enfants de votre cliente sont jeunes, tous âgés de 5 ans ou moins. Des enfants de ces âges s’adaptent facilement et il n’y a rien qui prouve qu’ils ne seraient pas capable de le faire. Toutefois, les enfants sont canadiens et ils peuvent rester au Canada. Parce que M. Thomas fait partie de la vie des enfants, il pourrait en prendre soin jusqu’au retour de votre cliente au Canada par les voies appropriées.

 

(Décision de l’agente de renvoi, dossier de la demanderesse, à la page 9.)

 

V.  La position des parties

[12]           La demanderesse soutient que l’agente a fait une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant d’apprécier le bien-être immédiat et futur des enfants. L’agente a visiblement erré en affirmant que la demanderesse peut simplement laisser les enfants aux soins de M. Thomas sans régler la question de la garde par les voies légales appropriées. M Thomas n’est le père d’aucun des enfants dont il prendrait soin. Par conséquent, l’agente a omis d’exercer de son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée et n’a pas été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants comme elle le devait.

 

[13]           Le défendeur soutient que la procédure qui concerne la garde des enfants peut continuer peu importe où se trouve la demanderesse. Avec la permission de la Cour, elle peut donner ses instructions grâce à son avocat, et par affidavit, par téléconférence, ou par vidéoconférence. Ces modes de participation équivalent essentiellement à sa présence lors de la procédure. Selon le défendeur, l’agente de renvoi a un pouvoir discrétionnaire limité en ce qui concerne ce domaine et sa décision était raisonnable. (Il est ressorti à l’audience que les enfants n’auraient nulle part où aller ou personne pour s’occuper d’eux de façon certaine en attendant que les questions de la garde et de la tutelle soient réglées.)

 

VI.  La question en litige

[14]           L’agente de renvoi a-t-elle exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable en ce qui concerne la demande de report de la demanderesse, plus particulièrement en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants nés au Canada de la demanderesse?

 

VII. Les dispositions légales applicables

[15]           L’article 48 de la LIPR est pertinent quant à la présente affaire :

Mesure de renvoi

 

48.      (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

Conséquence

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

Enforceable removal order

 

48.      (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

Effect

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

VIII.  La norme de contrôle

[16]           La Cour d’appel fédérale a clairement énoncé dans Baron que la raisonnabilité est la norme de contrôle qui s’applique aux décisions des agents d’exécution (Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, 176 A.C.W.S. (3d) 490, au paragraphe 25). Là où la raisonnabilité s’applique, les cours qui procèdent au contrôle ne peuvent substituer leur propre appréciation de ce que sont les solutions appropriées, mais doivent plutôt établir si la décision se trouve parmi les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). Il peut y avoir plus d’une issue acceptable (Dunsmuir; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339).

 

IX.  Analyse

[17]           Le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi doit « être appliquée dès que les circonstances le permettent ». Les agents de renvoi ont la compétence de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi seulement lors de circonstances spéciales qui se présentent juste avant la date de renvoi. Toute question concernant une demande CH n’est, en aucun cas, une base pour le report d’un renvoi. La Cour a clairement énoncé que les agents d’exécution ont un pouvoir très limité qui ne concerne que la date de renvoi (par exemple, du temps supplémentaire pour terminer une année scolaire, un traitement médical essentiel, etc.) (Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, [2006] 2 R.C.F. 664). La Cour examine la présente affaire sur le plan de la garde des enfants, selon l’ordonnance de la juge Bédard à laquelle il est fait référence dans le paragraphe 1 de la présente décision. Par conséquent, la « question réelle » concerne l’entente de garde des enfants et il est établi que des dispositions ont été prises à cet égard.

 

[18]           Dans sa décision, l’agente de renvoi a évalué tous les éléments de preuve soumis par la demanderesse. Elle a affirmé que [traduction] « [a]ucune documentation n’a été soumise pour montrer qu’une tierce partie demande ou demandera la garde des enfants » (décision de l’agente de renvoi, dossier de la demanderesse, à la page 7). De plus, l’agente a évalué la preuve documentaire afin d’établir si la demanderesse aurait accès à du soutien si elle devait retourner à Sainte-Lucie avec ses trois enfants; cependant, en tenant compte du rapport de l’hôpital sur l’état de santé de la demanderesse (dossier du tribunal, à la page 28) et sa tendance suicidaire et du fait que la garde des enfants n’avait toujours pas été transférée à des amis ou des proches de la demanderesse, la Cour conclut que cet extrait de la décision de l’agente n’est pas raisonnable.

 

[19]           La demanderesse a elle-même affirmé que sa vie serait en danger si elle retournait à Sainte-Lucie, parce qu’elle avait récemment tenté de se suicider et qu’elle était considérée comme étant en [traduction] « besoin urgent » de [traduction] « traitements » et de soins psychiatriques, comme il est mentionné dans le rapport médical d’un hôpital psychiatrique réputé; elle est donc considérée comme étant trop instable en raison de sa dépression et de ses troubles de stress post-traumatique pour être renvoyée, tout cela faisant partie de la preuve documentaire (dossier du tribunal, page 28).

 

[20]           Le manque de raisonnabilité est évident compte tenu de l’hôpital psychiatrique très spécialisé qui, dans son rapport, a décrit en détail des risques pour la demanderesse en tant que patiente. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut traiter à la légère. L’agente n’a pas apprécié toutes les questions importantes ou pertinentes. Conséquemment, la décision contestée n’est pas raisonnable car la mère et les enfants sont considérés comme étant en danger.

 

X.  Conclusion

[21]           L’agente a fait une erreur de droit en omettant de retarder le renvoi du Canada en raison d’une exception importante (vu le fait que la demanderesse avait été catégorisée comme étant [traduction] « suicidaire » par un hôpital médical spécialisé, de même que le fait que la procédure légale concernant la garde des enfants était toujours en cours) qui s’est présentée et qui équivaut à une raison pour retarder l’exécution du renvoi.

 

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse sera accueillie et l’affaire sera renvoyée pour réexamen à un autre agent de renvoi.


JUGEMENT

LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie et l’affaire, renvoyée pour réexamen à un autre agent de renvoi. Aucune question n’est à certifier.

Opinion incidente

 

Il s’agit d’une affaire unique en soi. La tendance suicidaire de la demanderesse découle principalement de son inquiétude au sujet du bien-être de ses enfants et du fait que la procédure légale concernant leur garde doit être réglée avant son départ du Canada. L’affaire de la demanderesse n’est unique qu’en raison d’éléments de preuve particuliers, sans quoi elle ne serait pas bien différente de bien d’autres affaires concernant des mères non mariées, sans statut au Canada en raison d’une situation qui découle souvent de leurs propres actes. Elle se retrouve face à un dilemme, soit elle retourne, avec ses enfants, dans son pays d’origine où elle n’a aucun soutien moral, social ou financier, soit elle laisse ses enfants au Canada, dans l’incertitude sans une entente de garde légale. Pourquoi la présente affaire est-elle différente des autres décrites plus haut? La demanderesse, à l’aide d’éléments de preuve détaillés importants provenant de la United Church of Canada, de l’école et des rapport médicaux et d’un hôpital spécialisé, a montré qu’elle a complètement changé sa vie au cours des cinq dernières années afin d’assurer l’avenir de ses enfants, et qu’elle s’est préparée à devenir un atout pour ses enfants et pour la société.

 

D’une adolescente immature à une mère, qui reconnaît la position qu’elle doit assumer : sa transition d’une personne seule à celle d’une jeune femme responsable et ambitieuse ressort de la preuve. Elle reconnaît de par ses actes qu’elle doit se préparer à soutenir financièrement et de manière indépendante ses enfants. Elle s’y prépare grâce à l’éducation, au renforcement communautaire et psychologique, en y travaillant de façon la plus assidue qu’elle le pouvait dans sa situation. Si la preuve est évaluée valablement et non seulement mise de côté en noircissant du papier, il appert que la présente affaire requière un réexamen par un agent de renvoi quant au report de son renvoi, ou même un second examen de prise en compte de considérations d’ordre humanitaire; cependant, à la suite de la décision de la Cour, il ne s’agit que de l’opinion incidente d’un juge dont l’ordonnance a été rendue avant qu’il n’émette la présente opinion. Cependant, il est espéré que cette opinion extrajudiciaire soit au moins prise en compte, si l’on songe que le suicide de la demanderesse n’est pas une option. C’est-à-dire qu’il peut être empêché par un décideur qui peut intervenir dans le cadre de ses compétences et non pas de l’extérieur. Pour ce faire, cela requiert que la preuve, dans sa totalité, soit valablement appréciée et soupesée dans le cadre de ces compétences; cela ne peut être fait que si l’affaire est traitée valablement et non seulement pour en finir le plus rapidement possible. Il faut reconnaître, si c’est le cas, qu’il existe une exception à l’intérieur de ces compétences mêmes, reconnue pour ce qu’elle est, plutôt que d’être rejetée. (Une inspiration peut, sans doute, être puisée du film récent « La véritable Precious Jones », basé sur des faits véridiques, racontant l’histoire d’une jeune femme qui a changé sa vie de manière exceptionnelle dans l’intérêt de ses enfants.)

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5562-10

 

INTITULÉ :                                       JANELLE MARIA FAISAL c.

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arash Banakar

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michel Pépin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Arash Banakar, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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