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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110526

Dossier : IMM-6212-10

Référence : 2011 CF 594

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

JOHN LIE LIM

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, par John Lie Lim (le demandeur), d’une décision rendue par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent). L’agent a rejeté la demande de résidence permanente que le demandeur avait présentée de l’intérieur du Canada en invoquant des considérations d’ordre humanitaire.

[2]               Le 25 mai 2006, avant d’arriver au Canada, le demandeur avait présenté à New York une demande de visa temporaire de résident, laquelle avait été rejetée. Le 8 juillet 2006, il serait entré au Canada à pied via un poste frontalier non gardé, et, le 25 juillet 2006, il a présenté une demande d’asile à Etobicoke, en Ontario. Sa demande d’asile fut rejetée et sa demande d’autorisation d’engager une procédure de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale fut refusée le 26 mai 2009. Le 22 avril 2009, le demandeur a présenté une demande d’exemption des critères exigés pour l’obtention d’un visa d’immigrant en invoquant des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH).

 

[3]               Avant son arrivée, le demandeur a vécu aux États-Unis en tant que demandeur d’asile, de 1991 à 1996 et de 1997 à 2006. Les deux demandes ont été rejetées. En 1996, il est retourné brièvement en Indonésie. En 2006, il est venu au Canada.

 

[4]               Le demandeur affirme que le gouvernement de l’Indonésie aura révoqué sa citoyenneté en raison de sa longue absence du pays, le rendant ainsi apatride. Il est chrétien et d’ascendance chinoise. Il n’a aucune famille en Indonésie. Il a appris l’anglais.

 

[5]               Depuis son arrivée au Canada, le demandeur travaille à temps partiel en tant que gardien de son église, la Walmer Road Baptist Church, à Toronto.

 

* * * * * * * *

 

[6]               L’agent a conclu qu’il n’y avait aucune considération d’ordre humanitaire dans la présente affaire qui pourrait justifier la demande de résidence permanente présentée de l’intérieur du Canada. La mesure de renvoi ordonnée contre le demandeur était donc exécutoire.

 

[7]               Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.       L’agent a-t-il erré en omettant de tenir compte de la preuve soumise par la thérapeute du demandeur?

b.      L’agent a-t-il erré en ce qui concerne la persécution des chrétiens en Indonésie?

c.       L’agent a-t-il erré en tirant les conclusions au sujet de la capacité du demandeur à obtenir à nouveau sa citoyenneté indonésienne?

 

 

 

[8]               Selon le juge Russel Zinn, qui a énoncé dans Gelaw et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1120, au paragraphe 14, la norme de contrôle applicable à l’analyse de la demande CH par l’agent est la raisonnabilité. Il faut donc faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’agent.

 

* * * * * * * *

 

A. La preuve de la thérapeute

[9]               Le demandeur soutient que l’agent a erré en omettant de tenir compte de la preuve soumise par Elaine Lenehan, la travailleuse sociale et thérapeute du demandeur, preuve dans laquelle elle a affirmé que le degré d’anxiété du demandeur avait récemment augmenté. La thérapeute a évoqué des cas où une personne avait eu constamment l’impression de ne pas être voulue et où elle avait éprouvé des sentiments intenses d’anxiété, de désespoir, d’anéantissement et de rejet et où elle avait développé une idéation suicidaire. La thérapeute a affirmé que les traumatismes subis par le demandeur occasionneraient des difficultés injustifiées s’il devait quitter le Canada.

 

[10]           Le défendeur fait remarquer qu’à la page 7 de la décision, l’agent a explicitement noté l’existence de [traduction] « lettres décrivant les activités bénévoles auxquelles [le demandeur] avait participé et les conséquences que son départ du Canada aurait sur lui et sur la collectivité ». Le défendeur soutient que, bien que l’agent n’ait pas expressément fait référence à la lettre de Mme Lenehan, cette affirmation montre qu’il l’avait lue et qu’il en avait tenu compte.

 

[11]           Je suis d’accord avec le défendeur que la référence de l’agent aux lettres décrivant quelles conséquences le départ du demandeur du Canada aurait sur lui incluait la référence à la lettre de Mme Lenehan. Bien que la lettre montre que le demandeur éprouverait des difficultés s’il devait quitter le Canada, la jurisprudence a établi que de telles difficultés émotionnelles n’équivalaient pas nécessairement à des difficultés injustifiées ou excessives. Les difficultés qui sont inhérentes à l’obligation de quitter le Canada après y avoir vécu pour un certain temps ne constituent pas en soi des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (Uddin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 937, au paragraphe 22; Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1906, au paragraphe 26). Dans Irimie, le juge Denis Pelletier a fait remarquer que la procédure de prise en compte de considérations d’ordre humanitaire « n'est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

[12]           Étant donné que la prise en compte de considérations d’ordre humanitaire est l’exception à la règle générale selon laquelle les demandeurs doivent présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du pays (Serda c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 356, au paragraphe 20), et que l’agent peut exercer son pouvoir discrétionnaire lors de son analyse de la demande, je ne crois pas que la décision de l’agent selon laquelle la preuve, y compris toutes les lettres présentées, ne montrait pas que le demandeur éprouverait des difficultés injustifiées, est déraisonnable.

 

B. La persécution religieuse en Indonésie

[13]           Le demandeur soutient que l’agent a omis d’évaluer s’il s’agit de difficultés injustifiées pour le demandeur de pratiquer sa foi, laquelle est de toute évidence profonde étant donné toutes les lettres de soutien de ses coreligionnaires aux États-Unis et au Canada, dans un environnement au sujet duquel il est reconnu qu’il y a toujours de la violence contre les chrétiens. Le demandeur affirme que l’agent a évalué cette question selon un examen des risques, plutôt que de savoir si cela représenterait une difficulté injustifiée pour le présent demandeur, qui est vulnérable, de pratiquer sa foi dans un tel contexte de violence. Le demandeur soutient que les entraves posées à la libre pratique religieuse peuvent équivaloir à de la persécution et, à plus forte raison, à des difficultés injustifiées. Le demandeur soutient que le simple fait qu’il y a moins de violence religieuse qu’avant est sans pertinence.

 

[14]           Le défendeur soutient que l’agent a, de toute évidence, évalué la preuve documentaire en ce qui concerne la liberté et la persécution religieuse en Indonésie et a conclu que le gouvernement respectait généralement les protections constitutionnelles de la liberté religieuse (page 8 de la décision).

 

[15]           Je suis d’accord avec le défendeur. L’agent a effectivement évalué la preuve documentaire présentée par le demandeur. L’agent a conclu que le gouvernement respectait la liberté religieuse et qu’il faisait des progrès pour arrêter toute violence sectaire. L’agent n’a pas simplement conclu, comme le demandeur l’a affirmé, qu’il y avait [traduction] « moins » de violence religieuse qu’auparavant, mais plutôt, qu’à l’intérieur des deux années précédentes, il n’y avait eu, selon la preuve et à l’exception d’un incident, aucun acte de violence ou de discrimination de nature à avoir un impact sur le demandeur. À la lumière de cette conclusion, laquelle est justifiée par la preuve documentaire, il était raisonnablement loisible, à mon avis, à l’agent de rendre une décision défavorable.

 

C. La citoyenneté indonésienne

[16]           Le demandeur soutient que les affidavits présentés par lui-même et par Leslie Topping montrent que les démarches de réobtention de sa citoyenneté seraient compliquées et prendraient beaucoup de temps. Le demandeur conteste le fait que le consulat de l’Indonésie lui a demandé de fournir les documents concernant sa demande d’asile ainsi que sa demande CH, et soutient que l’agent aurait dû tenir compte du fait que la seule façon pour le demandeur d’obtenir à nouveau sa citoyenneté était de se plier à la demande illégale du gouvernement de l’Indonésie.

 

[17]           Le défendeur fait écho à la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait aucune preuve que l’agent consulaire eût raison en affirmant que les démarches [traduction] « prendraient beaucoup de temps » ou que le demandeur devrait présenter ses documents d’immigration du Canada afin d’appuyer sa demande. Le défendeur soutient qu’il était raisonnablement loisible à l’agent de suivre la lettre de la loi plutôt que de s’en remettre aux affirmations d’un agent consulaire.

 

[18]           Je suis d’avis qu’il était loisible à l’agent de conclure que les démarches ne prendraient pas [traduction] « beaucoup de temps » étant donné que la loi exige que le ministre rende une décision à l’intérieur de trois mois. Je suis troublé par les affirmations de l’agent consulaire, telles qu’elles sont présentées dans les affidavits, selon lesquelles le gouvernement de l’Indonésie exigeait les documents concernant la demande d’asile et la demande CH afin de voir quelles allégations le demandeur avait faites contre le gouvernement de l’Indonésie. Cependant, l’agent a fait remarquer dans sa décision que l’affidavit le plus récent du représentant du demandeur notait qu’il n’y avait apparemment rien dans la loi sur la citoyenneté en Indonésie qui étayait une telle exigence. Vu cette preuve, je conclus qu’il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que cela ne serait pas exigé du demandeur et que, par conséquent, il n’éprouverait pas de difficultés injustifiées lors de sa tentative d’obtenir à nouveau sa citoyenneté, tentative qui doit encore être officiellement faite.

* * * * * * * *

 

[19]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je suis d’accord avec les avocats des deux parties qu’aucune certification n’est requise.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, de la décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada qui a rejeté la demande de résidence permanente présentée de l’intérieur du Canada par le demandeur en invoquant des considérations d’ordre humanitaire, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6212-10

 

INTITULÉ :                                       JOHN LIE LIM c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Hicks                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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