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Date : 20110614

Dossier : IMM-5332-10

Référence : 2011 CF 696

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MUSTAFA ABDIKARIM JAMA

(alias JAMA, MUSTAFA ABDIKAR)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision datée du 19 août 2010 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

LE CONTEXTE FACTUEL

 

[2]               Le demandeur soutient être citoyen de la Somalie. Il allègue s’être à l’origine enfui de Kismayo, sa ville natale, en 2000, alors que la ville constituait une zone de guerre pour les milices rivales. Il s’est rendu au Kenya puis aux États‑Unis, où il a demandé l’asile. Il a immédiatement été détenu par les autorités américaines de l’immigration pour avoir tenté d’entrer aux États‑Unis avec un document de voyage frauduleux et il est demeuré en détention pendant huit mois. Après sa libération, il a vécu au Minnesota, jusqu’à ce qu’il quitte de son propre chef le pays en septembre 2003, faisant l’objet d’une mesure de renvoi.

 

[3]               Il est finalement retourné à Kismayo, où il s’est marié, a eu un fils et a exploité une maison de couture dans le marché de la ville. Il allègue avoir été enlevé en juillet 2008. Il a réussi à s’échapper le même jour. En revanche, les ravisseurs ont assassiné son épouse ce jour‑là. Le demandeur a quitté la Somalie une seconde fois. Après quelques semaines au Kenya, il s’est rendu au Canada, où il a demandé l’asile en novembre 2008.

 

[4]               Le demandeur soutient craindre avec raison d’être persécuté pour deux motifs : du fait de sa race, puisqu’il prétend appartenir au clan minoritaire des Ashrafs, et du fait des opinions politiques qui lui sont imputées, en raison de son opposition aux milices islamistes.

 

[5]               Le demandeur a comparu devant la SPR le 11 août 2010. Il était représenté par une avocate et un interprète était présent. La SPR n’a pas été convaincue que le demandeur avait établi son identité selon la prépondérance des probabilités. Elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’était pas exposé à un risque personnalisé du fait de sa race ou de ses opinions politiques. Les revendications fondées sur les articles 96 et 97 ont été rejetées. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

            Le demandeur n’a pas établi son identité

 

[6]               La SPR a reconnu que les pièces d’identité somaliennes sont rares. Elle ne s’attendait pas à ce que le demandeur présente des documents somaliens pour établir son identité, et celui‑ci ne l’a pas fait. Une façon d’établir l’identité d’une personne consiste à établir son origine géographique, et la SPR a fait des démarches à cet égard.

 

[7]               La SPR a noté que le demandeur parlait et comprenait le somali et pouvait donner des noms de sites de Kismayo. Il a démontré qu’il connaissait dans une certaine mesure son clan, les Ashrafs, mais il ne connaissait pas l’origine du nom du clan. Il ne connaissait toutefois pas les divers sous‑clans qui composent le clan des Ashrafs. Il n’a pas pu nommer un grand nombre de communautés où les Ashrafs sont reconnus pour s’y être établis, selon la preuve documentaire, et il n’a pas initialement inclus dans son nom le nom Sharif, bien qu’il fasse partie du nom de tous les hommes du clan des Ashrafs, selon la preuve documentaire. Lorsqu’il a été mis en présence de cette information, le demandeur a dit qu’il ne s’était pas rendu compte que la SPR l’interrogeait au sujet de sa lignée, et il a reformulé son nom en incluant le nom « Sharif ». La SPR a tiré donc une conclusion défavorable en ce qui concerne sa crédibilité.

 

[8]               Le demandeur a cité une personne à témoigner au sujet de son identité. Cette personne, qui s’était rendue en 1995 chez le demandeur, à Kismayo, a déclaré l’avoir vu pendant sa visite, alors qu’il avait 10 ans, mais qu’elle a eu peu d’interaction avec lui. Elle dit ne lui avoir parlé qu’en  2008, lorsqu’il l’a contactée au Canada. Elle a fini par se convaincre de son identité après avoir parlé à un parent commun et parce que les yeux du demandeur ressemblaient à ceux de son frère. La SPR n’a pas douté de la crédibilité du témoin, mais elle a accordé peu de poids à son témoignage en raison de l’absence de contact avec le demandeur ou avec son frère pendant quatorze ans.

 

[9]               La SPR s’est demandé, suivant l’article 7 des Règles et l’article 106 de la Loi, si le demandeur avait fait des efforts raisonnables pour établir son identité. Premièrement, elle a constaté que, même si le demandeur avait eu des rapports fréquents avec les autorités américaines de l’immigration lors de son séjour de 2000 à 2003, il n’avait fait aucune démarche pour obtenir des documents à l’appui de sa demande d’asile au Canada. Il a dit qu’il craignait d’être arrêté et expulsé du Canada. La SPR a estimé que cette explication était invraisemblable et a tiré une conclusion défavorable en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. Deuxièmement, le demandeur a témoigné avoir travaillé pendant deux ans dans une boucherie halal au Minnesota qui, à sa connaissance, était toujours ouverte. Toutefois, il n’a fait aucune démarche pour communiquer avec le propriétaire et obtenir une lettre attestant son identité. La SPR a conclu, par conséquent, que le demandeur ne s’est pas présenté à l’audience muni de tous les éléments de preuve qu’il est raisonnablement en mesure d’offrir pour établir son identité, selon la prépondérance des probabilités. Voir Yip c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 70 FTR 175, [1993] A.C.F. no 1285 (QL), au paragraphe 7; and Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 47 ACWS (3d) 798, [1994] A.C.F. no 525 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 8.

 

 

 

 

Le demandeur n’était pas crédible

 

[10]           La SPR a précisé que l’article 106 de la Loi prévoit que la SPR doit évaluer la crédibilité du demandeur d’asile en fonction des papiers d’identité, ou alors, de son explication pour l’absence de ces documents et des mesures prises pour se les procurer. En l’absence de documentation concernant les échanges du demandeur avec les autorités américaines, la SPR n’a pas été en mesure de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile soit déjà retourné en Somalie après son arrivée aux États‑Unis, ce qui rendrait théorique l’enlèvement prétendu du demandeur d’asile à Kismayo, en 2008.

 

[11]           La SPR a aussi jugé invraisemblable la déclaration du demandeur selon laquelle, avant son enlèvement en 2008, il avait vécu sans incident à partir de son retour en Somalie en 2003, malgré les « agitations civiles qui sévissaient » pendant cette période, où les groupes minoritaires étaient particulièrement pris pour cibles. Même si l’on y ajoutait foi, un seul incident d’enlèvement ne constitue pas de la persécution, mais un crime généralisé, auquel tous les Somaliens sont vulnérables. Par conséquent, le demandeur n’a pas établi un lien avec la Convention en raison de sa race.

 

[12]           De plus, bien le demandeur ait déclaré avoir exprimé son opposition aux activités des milices islamistes et donc craindre avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques, il n’a pas indiqué ce motif dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). La SPR a estimé que cette allégation était un embellissement dans le but d’appuyer sa demande. Compte tenu de « l’ensemble du témoignage » du demandeur, la SPR a conclu que celui‑ci ne risquait pas sérieusement d’être persécuté pour l’un des motifs prévus par l’article 96 de la Convention ni d’être exposé à un risque personnalisé au sens de l’article 97.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[13]           Le demandeur soulève la question suivante :

La SPR a‑t‑elle tiré ses conclusions de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

 

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

[…]

 

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

[…]

 

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

[15]           Les dispositions suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), s’appliquent en l’espèce :

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée dans tous les cas. Au contraire, dans le cas où la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement dans le cas où cette recherche ne porte pas fruit que la cour de révision doit entreprendre une analyse relative à la norme de  contrôle applicable en fonction des quatre facteurs que celle‑ci comprend.

 

[17]           La question en litige porte sur les conclusions de fait de la SPR et la façon dont elle a apprécié la preuve. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF); et Ched c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1338, au paragraphe 11.

 

[18]           Lorsque le tribunal examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Les conclusions défavorables de la SPR sur la crédibilité sont déraisonnables

 

[19]           Le demandeur affirme qu’il appartient au clan des Ashrafs, un clan minoritaire persécuté par les clans plus forts et par les milices. Il n’y a pas de gouvernement central en Somalie et la protection de l’État offerte aux membres de ce clan est donc absente. Contrairement à la décision, le demandeur a correctement indiqué les sous‑clans qui composent les Ashrafs, soit les Hussein et les Hassan, lesquels proviennent de Samran, ainsi que Fatima, la fille du prophète Mahomet, lignée de tous les clans. Ces renseignements correspondent à la documentation sur le pays.

 

[20]           Le demandeur fait valoir qu’en lui demandant d’expliquer l’origine du nom du clan, Ashraf, la SPR a formulé la question de sorte qu’il a mal compris et a indiqué le sens littéral, à savoir le mot « respect ». Il soutient également qu’il a été en mesure d’identifier les « secteurs clés » où les membres du clan des Ashrafs résident et qu’il était déraisonnable pour la SPR de s’attendre à ce qu’il nomme « tous » les lieux de résidence. Enfin, en lui demandant son nom, la SPR a fait référence à son nom « personnel ». C’est pourquoi le demandeur n’a pas indiqué sa lignée, qui comprend le nom Sharif comme le nom de tous les hommes du clan des Ashrafs. Selon le demandeur, la conclusion de la SPR selon laquelle ses réponses étaient inexactes et l’appartenance au clan des Ashrafs n’était pas crédible est déraisonnable et constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[21]           Le demandeur soutient également qu’il était déraisonnable pour la SPR d’accorder peu de poids au témoignage du témoin concernant son identité. La personne appelée à témoigner a affirmé être sûre que le demandeur était bien qui il prétendait être et qu’il était Ashraf. Ils ont des parents communs avec lesquels elle est restée en contact et qui ont également confirmé l’identité du demandeur. Le fait d’accorder peu de poids à ce témoignage, qui était déterminant et confirmait clairement la demande du demandeur, constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[22]           Le demandeur fait valoir qu’il a rempli ses obligations aux termes de l’article 7 des Règles et de l’article 106 de la Loi. Il a fourni une explication circonstanciée de son incapacité d’obtenir des documents pour prouver son séjour aux États‑Unis ainsi qu’une longue description de ses tentatives à cet égard. Il a dit qu’il n’a pu obtenir des documents de l’Immigration and Naturalization Service (INS) des États‑Unis puisqu’il n’avait pas de numéro d’identification de client ni de renseignement concernant son dossier, à l’exception de son nom. Il a expliqué qu’il ne se souvenait pas du nom de son avocate américaine et qu’il n’avait pas été en mesure de la trouver à l’adresse qu’il avait, de sorte qu’il a conclu qu’elle avait déménagé. Il n’a pas été en mesure d’obtenir des documents auprès de ses anciens employeurs des États‑Unis parce qu’il n’avait pas leurs coordonnées; il croit que leurs entreprises ont cessé d’exister. Le demandeur a déclaré qu’il avait un fils, né en 2005 en Somalie, et a fourni une description détaillée de son mariage qui a eu lieu en 2003—ce qui confirme sa prétention selon laquelle il était retourné en Somalie en 2003. Compte tenu de ses explications détaillées et de l’absence de droit à la résidence ou à la citoyenneté dans un autre pays que la Somalie, le demandeur soutient que la conclusion de la SPR constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[23]           Le demandeur allègue qu’en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve présentée par son avocate à l’audience, la SPR a ignoré des éléments de preuve qui se trouvaient au dossier. La conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas de raison valable de craindre la persécution est sans fondement et constitue une erreur susceptible de contrôle. Voir Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm LR (2d) 106, [1989] A.C.F. no 442 (QL) (CAF).

 

Le défendeur

            Le demandeur n’a pas établi le bien‑fondé de sa demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97

 

[24]           La SPR a conclu que la demande d’asile du demandeur n’était ni crédible ni justifiée. La SPR a estimé que le demandeur n’a pas établi de lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention, que sa crainte de persécution du fait de ses opinions politiques était un embellissement, que son témoignage selon lequel il avait vécu en Somalie sans incident pendant cinq ans, malgré les agitations civiles qui y sévissaient était invraisemblable et que rien n’indique que le demandeur est recherché en Somalie ou que ses frères sont persécutés. Le demandeur ne conteste aucune de ces conclusions, lesquelles sont déterminantes pour l’issue de la demande.

 

[25]           Le demandeur n’a pas établi son identité à partir de son origine géographique en raison de ses connaissances limitées du clan des Ashrafs et de son témoignage contradictoire. Il n’a pu nommer que l’un des sept sous‑clans qui font partie des clans des Hussein et des Hassan. La SPR a raisonnablement conclu qu’il n’en avait pas connaissance. Contrairement à l’argument du demandeur, la SPR a tiré une conclusion défavorable parce que celui‑ci n’a pu nommer un grand nombre des endroits où les Ashrafs demeurent, et non parce qu’il n’a pu nommer tous ces endroits. Le demandeur ne savait pas que le nom Ashraf était le titre donné aux fils de Fatima par le prophète Mahomet. Il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pas inclus le nom Sharif lorsqu’on lui a demandé son nom complet, même s’il était possible de tirer une conclusion différente. Voir Krishnapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 563, au paragraphe 11. Contrairement à l’argument du demandeur, celui‑ci n’a pas déclaré à l’audience que son grand‑père s’appelait Warsame Sharif et il n’a pas expliqué, lorsqu’il a demandé à la SPR s’il devait indiquer sa lignée, qu’il demandait en fait si la SPR voulait qu’il énonce le nom complet de sa lignée, qui comprend le nom de son grand‑père.

 

[26]           De plus, le demandeur n’a pas raisonnablement justifié l’absence de preuve documentaire sur son identité. Il a vécu aux États‑Unis pendant trois ans et a eu des rapports fréquents avec les autorités américaines de l’immigration. Le demandeur a déclaré à l’audience qu’il n’a fait aucune démarche pour obtenir des documents de ces autorités, malgré le délai d’un an et demi pour le faire, ni pour contacter son ancien employeur de la boucherie halal au Minnesota, même s’il croyait que le commerce était toujours ouvert. Les arguments du demandeur selon lesquels il a communiqué avec l’INS, a tenté en vain de retrouver son avocate américaine à partir d’une ancienne adresse et croyait que la boucherie était fermée ne sont pas étayés par la preuve. Les démarches du demandeur se sont limitées à la communication avec un ancien ami pour lui demander s’il connaissait le nom et l’adresse de l’avocate américaine, mais celui‑ci n’a pu lui fournir aucun renseignement utile. La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas raisonnablement justifié l’absence de documents ni n’a pris les mesures voulues pour s’en procurer, comme l’exige l’article 106 de la Loi, reposait sur la preuve dont elle disposait.

 

[27]           Enfin, la SPR a accordé le poids approprié au témoignage de la personne appelée comme témoin, compte tenu de l’absence de rapports avec le demandeur lors de son séjour en Somalie en 1995 et au Canada, au cours des dernières années. Le témoignage selon lequel elle connaissait le demandeur n’est pas déterminant quant à l’identité du demandeur, particulièrement compte tenu des autres doutes de la SPR. Toutefois, même si la SPR a commis des erreurs dans l’une des conclusions tirées sur l’identité du demandeur, ces erreurs ne sont pas déterminantes quant à l’issue de la demande.

 

ANALYSE

 

[28]           Le demandeur fonde la présente demande de contrôle judiciaire sur des erreurs commises par la SPR au sujet de son identité.

 

[29]           Il ressort de mon examen du dossier certifié du tribunal (DCT) que le demandeur a des motifs valables d’affirmer que certaines des conclusions formulées au paragraphe 4 de la décision sont erronées. Celui‑ci a affectivement démontré qu’il connaissait les sous‑clans, il connaissait l’origine du nom Ashraf et la confusion quant à son nom complet n’a pas été causée par lui‑même mais par la SPR. Le demandeur a été en mesure de nommer quelques communautés où les Ashrafs sont reconnus pour s’y être établis, mais non toutes ces communautés. Somme toute, j’estime que la SPR n’avait pas de motifs suffisants pour tirer la conclusion défavorable concernant les connaissances du demandeur au sujet du clan des Ashrafs et les présumées contradictions.

 

[30]           Par contre, je ne crois pas que l’on puisse dire que la SPR était déraisonnable quant au témoignage du témoin qui est examiné au paragraphe 5 de la décision. Le DCT montre que le témoin a rencontré très brièvement le demandeur il y fort longtemps alors que le demandeur était un jeune garçon. Ils se sont seulement salués et n’ont eu aucune autre interaction importante permettant de confirmer l’identité du demandeur après tant d’années. La personne appelée à témoigner n’avait pas été convaincue à l’origine que le demandeur était bel et bien qui il affirmait être, mais elle avait changé d’avis sous l’influence de tiers. Les conclusions de la SPR selon lesquelles le témoin a insisté sur les yeux du demandeur et avait manqué « d’interaction avec le demandeur d’asile en 1995 et aujourd’hui » étaient correctes.

 

[31]           En résumé, la SPR a commis certaines erreurs relativement à l’identité personnelle du demandeur ainsi qu’à son identité nationale, mais ses doutes n’étaient pas sans fondement.

 

[32]           J’estime, toutefois, que les erreurs commises à cet égard ne sont d’aucun secours au demandeur parce que, comme le fait observer ensuite la SPR, celui‑ci n’a pas non plus réussi à établir que sa demande d’asile était crédible et justifiée. Le demandeur ne conteste pas les autres conclusions importantes de la SPR à cet égard. Il n’a pas établi la persécution alléguée ni son statut aux États‑Unis.

 

[33]           Le demandeur est tenu, suivant l’article 7 des Règles et l’article 106 de la Loi, de prendre les mesures « voulues » pour se procurer des papiers d’identité.

 

[34]           En ce qui concerne la transmission de papiers d’identité, je renvoie à la décision du juge Marc Nadon, maintenant juge de la Cour d’appel fédérale, dans Kante, précitée, au paragraphe 8. Le juge Nadon a dit que « [l]e requérant doit […] se présenter à une audience muni de tous les éléments de preuve qu’il est en mesure d’offrir et qu’il juge nécessaires aux fins d’établir sa revendication » (non souligné dans l’original). La SPR a accepté l’absence de documents somaliens et a examiné l’identité personnelle et nationale du demandeur par d’autres moyens. Toutefois, le demandeur n’avait aucune raison pour ne pas fournir des documents concernant les années passées aux États‑Unis, ses rapports avec les autorités américaines et son statut actuel dans ce pays.

 

[35]           Je ne crois pas que le demandeur ait fourni « tous les éléments de preuve qu’il est en mesure d’offrir », ni qu’il n’ait pu, s’agissant de l’absence de documents d’identité, « raisonnablement en justifier la raison et n’a[it] pris les mesures voulues pour s’en procurer » comme il est tenu de le faire aux termes de l’article 106 de la Loi. Si l’on met de côté les démarches alléguées que le demandeur rapporte dans son affidavit, qui n’a pas été soumis à la SPR, il ressort du dossier que le demandeur n’a pas communiqué avec les autorités américaines de l’immigration pour se procurer des documents sur son identité et son statut aux États‑Unis. Il soutient qu’il craignait qu’une telle demande n’entraîne une mesure de renvoi du Canada. Toutefois, il s’agit d’une crainte que le demandeur aurait pu examiner avec son avocate, qui aurait été en mesure de le rassurer que les autorités américaines de l’immigration n’ont pas le pouvoir de prendre des mesures de renvoi du Canada. Dans le même ordre d’idées, le demandeur aurait pu présenter une demande visant à obtenir des copies des documents en la possession des autorités américaines de l’immigration par l’intermédiaire de son avocate. Même si elle avait échouée, la démarche aurait été favorable au demandeur. De plus, en ce qui concerne l’employeur à la boucherie halal, il est clair que le demandeur n’a même pas essayé de se renseigner pour savoir si le commerce était toujours ouvert, et encore moins d’obtenir une lettre attestant ses présumées activités aux États‑Unis. Le demandeur n’a pas fourni « tous les éléments de preuve qu’il est en mesure d’offrir ». Il n’a pas rempli ses obligations aux termes de l’article 7 des Règles et de l’article 106 de la Loi en ce qui concerne ses expériences aux États‑Unis.

 

[36]           La conclusion générale de la SPR selon laquelle la demande d’asile du demandeur n’était pas crédible ni justifiée était tout à fait raisonnable au vu de la preuve dont elle disposait. Le demandeur n’a pas établi que ses revendications fondées sur les articles 96 et 97 reposaient sur un fondement crédible, même s’il est bel et bien qui il affirme être.

 

[37]           De plus, le demandeur a tout simplement omis de contester des éléments importants de la décision comme la question du lien avec les motifs prévus dans la Convention, l’embellissement concernant les opinions politiques, sa vie en Somalie pendant cinq ans sans incident et l’absence de preuve établissant que lui et ses frères sont recherchés présentement au pays. Il a omis également de contester les conclusions selon lesquelles il ne s’expose à aucun risque à l’avenir s’il retourne en Somalie.

 

[38]           Considérée dans son ensemble, la décision est manifestement raisonnable, malgré les erreurs commises quant à l’identité du demandeur, comme il a été indiqué ci‑dessus.

 

[39]           Les avocates des deux parties conviennent, tout comme la Cour, qu’il n’y a aucune question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

   « James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5332-10

 

INTITULÉ :                                      MUSTAFA ABDIKARIM JAMA

                                                            (alias JAMA, MUSTAFA ABDIKAR)

                                                           

                                                            et

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT               Le juge Russell

ET JUGEMENT :                             

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 14 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lani Gozlan

POUR LE DEMANDEUR

 

Jelena Urosevic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lani Gozlan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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