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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110613

Dossier : IMM-3081-11

Référence : 2011 CF 682

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MOHAMED SALL

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise une ordonnance rendue le 10 mai 2011 par le Commissaire Yves Dumoulin, de la Section de l’Immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le « Commissaire » ou la « SI »), ordonnant la remise en liberté du défendeur, M. Sall, au terme d’un contrôle des motifs de sa détention. 

 

[2]               Le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le « Ministre ») conteste cette ordonnance, et soutient que la décision du Commissaire est déraisonnable du fait qu’elle ne tient pas compte du danger que M. Sall représente pour le public, et plus particulièrement pour son ex-conjointe, et que les conditions imposées pour contrebalancer ce risque sont insuffisantes. 

 

[3]               Après avoir soigneusement examiné le dossier du tribunal, les décisions antérieures, ainsi que les représentations écrites et orales des parties, j’en suis venu à la conclusion que cette demande de contrôle judiciaire devait être rejetée.  Le Commissaire a pris sa décision après mûre réflexion, et il a eu l’avantage de voir et d’entendre le défendeur de même que sa conjointe, qui s’est portée garante de lui. Pour les motifs qui suivent, j’estime que les arguments soulevés par le Ministre sont insuffisants pour conclure au caractère déraisonnable de la décision prise par la SI.

 

I.          Les faits

[4]               Le défendeur est citoyen mauritanien. Il est arrivé au Canada le 5 janvier 2003, après avoir obtenu un visa d’étudiant. Quelques jours après son arrivée au Canada, il a demandé l’asile en raison de ses opinions politiques. Cette demande a été accueillie par la Section de la protection des réfugiés le 4 février 2004. Il a par la suite obtenu sa résidence permanente le 12 janvier 2005.

 

[5]               En 2004, le défendeur s’est rendu en Mauritanie et a épousé sa deuxième épouse, Madame K.G. (son « ex-épouse »). Cette dernière est arrivée au Canada le 24 juillet 2005, et un enfant est né de leur union en mai 2006. Malheureusement, il appert que l’accusé a rapidement fait preuve d’un comportement violent à l’endroit de son ex-épouse, et il a été condamné par la Cour du Québec le 19 juin 2009 pour plusieurs infractions criminelles, incluant voies de fait armées, voies de fait causant des lésions corporelles, agression sexuelle, agressions sexuelle armée, menaces de mort ou de lésions corporelles. Toutes ces infractions, à l’exception d’une, ont été commises entre les mois de mars et juillet 2007. Le défendeur a également été reconnu coupable de bris d’engagement contracté devant un juge. Alors qu’il avait pris un engagement devant un juge qui l’obligeait à ne pas communiquer avec son ex-épouse, à ne pas aller à son domicile, à garder la paix et à avoir une bonne conduite, le défendeur, armé d’un couteau, a violé son ex-épouse à son domicile. Ayant été reconnu coupable de ces infractions, il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Compte tenu du temps qu’il avait déjà passé en détention préventive et du fait qu’il était admissible à la libération au deux-tiers de sa peine, il a fini de purger sa sentence le16 mars 2010. Entre temps, son ex-épouse a obtenu le divorce en 2009.

 

[6]               Le 26 août 2009, le demandeur a fait l’objet d’un rapport d’inadmissibilité pour grande criminalité, et s’est trouvé sous le coup d’un nouveau mandat d’arrestation. Par voie de conséquence, il a été remis à l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC ») au moment de sa libération le 16 mars 2010 et s’est de nouveau retrouvé en détention pour des motifs d’immigration.

 

[7]               Suite au premier contrôle des motifs de sa détention le 18 mars 2010, la SI a ordonné la libération du défendeur moyennant le respect de certaines conditions, et notamment le paiement d’une caution de 2000$.  Le demandeur a immédiatement contesté cette décision par le biais d’une demande de contrôle judiciaire, et a obtenu le 25 mars 2010 le sursis de cette ordonnance jusqu’à ce qu’une décision finale soit prononcée par cette Cour sur la demande de contrôle judiciaire. Le même scénario s’est reproduit lors des deux révisions subséquentes de la détention, le 25 mars et le 30 avril 2011.

 

[8]               À partir du 10 juin 2010, la SI a considéré que le risque de fuite avait augmenté du fait qu’une mesure de renvoi avait été prise à son endroit, et que la Cour d’appel du Québec avait rejeté son appel à l’encontre de sa condamnation par la Cour du Québec.  Dès lors, la détention du demandeur a été maintenue à chaque révision mensuelle de sa détention, et ce jusqu’à la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[9]               Le 27 octobre 2010, Madame la juge Tremblay-Lamer a rejeté les demandes de contrôle judiciaire présentées par le Ministre à l’encontre des ordonnances de libération rendues au terme des trois premières révisions de la détention. Elle s’est dite d’avis que ces demandes de contrôle judiciaire étaient devenues théoriques dans la mesure où la SI avait maintenu la détention de M. Sall depuis le 10 juin 2010.

 

[10]           Le 10 février 2011, le Ministre a décidé que M. Sall constituait un danger pour la population du Canada, en application de l’alinéa 115(2)(a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c 27. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision a été rejetée par la Cour fédérale.

 

[11]           Le 16 février 2011, un agent de renvoi a rencontré M. Sall afin d’entamer les démarches pour obtenir un document de voyage, mais le défendeur a alors refusé de collaborer à toute action en vue de son renvoi. Ce manque de collaboration a été relevé lors des révisions ultérieures de sa détention.

 

[12]           Quelques jours avant la dernière révision de sa détention, M. Sall a accepté de signer une déclaration requise en vue d’obtenir un document de voyage.  Étant donné que M. Sall n’a pu fournir qu’une photocopie de son certificat de naissance, l’émission d’un document de voyage pourrait néanmoins prendre quatre ou cinq mois puisque des vérifications doivent être faites en Mauritanie.   

 

[13]           Lors de la dernière révision de sa détention le 6 mai dernier, M. Sall a présenté quelques éléments nouveaux relativement à sa situation. Tout d’abord, il a témoigné à l’effet qu’il avait décidé de collaborer avec l’agent de renvoi afin d’obtenir un document de voyage. D’autre part, il a épousé Madame Kanyenyeri le 20 avril dernier. M. Sall a rencontré sa nouvelle épouse en décembre 2010, alors qu’il était en détention. Cette dernière est d’origine burundaise et a obtenu le statut de résidente permanente au Canada; elle a témoigné avec beaucoup de candeur et de transparence, connaît parfaitement le dossier criminel de son mari et s’est dite prête à s’en porter garante. Enfin, M. Sall a mentionné qu’il avait signifié une demande d’autorisation à la Cour suprême du Canada concernant sa condamnation au criminel.

 

[14]           Après avoir pris l’affaire en délibéré pendant quatre jours, le Commissaire a ordonné la libération sous condition de M. Sall. Le même jour, le ministre a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision, ainsi qu’une requête visant à obtenir un sursis de la décision jusqu’à ce que la Cour ait statué sur la demande de contrôle judiciaire. La demande de sursis a été accordée le 16 mai dernier, et une audition accélérée de la demande de contrôle judiciaire a été fixée au 3 juin.

 

II.         La décision contestée

[15]           Dans sa décision, le Commissaire est d’abord revenu sur les faits nouveaux qui lui avaient été présentés lors de l’audition tenue le 6 mai dernier.            Il a insisté sur le fait que M. Sall a collaboré pour l’obtention d’un document de voyage auprès des autorités mauritaniennes et qu’il continuerait à collaborer avec l’Agence des services frontaliers pour effectuer son renvoi. M. Sall a même explicitement accepté le fait qu’il pourrait avoir à quitter le Canada avant que la Cour suprême ait pu se prononcer sur sa demande d’autorisation.

 

[16]           Le Commissaire a également noté que M. Sall avait pris des cours afin de pouvoir gérer sa violence et contrôler ses émotions. Quant au fait que M. Sall ne reconnaît toujours pas les faits qui sont à la base de ses condamnations criminelles, le Commissaire a dit comprendre la logique de ce refus étant donné les procédures judiciaires qu’il poursuit pour faire renverser ces condamnations.

 

[17]           Enfin, le Commissaire a beaucoup insisté sur le témoignage de Mme Kanyenyeri. Il a noté que cette dernière gagnait environ 1 200$ mensuellement après impôt, et qu’elle avait déjà perdu une caution souscrite en faveur de son frère après que ce dernier ait fait défaut de respecter les conditions d’une libération conditionnelle. Il s’est assuré que Mme Kanyenyeri connaissait bien le passé de son mari, et il a constaté qu’elle semblait capable de l’influencer positivement. Elle a témoigné avoir beaucoup discuté avec M. Sall, et être consciente de ses obligations en tant que garante. Elle a ajouté qu’elle n’hésiterait pas à communiquer avec l’agente responsable de M. Sall si ce dernier ne respectait pas ses conditions.

 

[18]            Après avoir précisé qu’il prenait sa décision à partir de son évaluation globale de l’ensemble du dossier, le Commissaire a commencé par traiter de la question du danger que représentait M. Sall pour le public. Il a pris acte du fait que M. Sall avait toujours nié sa responsabilité pour les actes dont il a été trouvé coupable et qu’il avait refusé toute thérapie antérieurement. Il a également reconnu qu’il devait tenir compte de l’avis de danger émis par le Ministre, comme l’exige le paragraphe 246 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. À ce dernier chapitre, le Commissaire a expliqué que l’avis n’augmentait pas en lui-même le niveau de dangerosité du défendeur, puisque l’avis ne fait que constater une situation factuelle qui existait déjà au moment de sa condamnation en 2009.  Il a ajouté qu’aucune preuve ne lui avait été présentée pour démontrer que d’autres événements de violence avaient augmenté le danger depuis cette date. 

 

[19]           Le Commissaire a également tenu compte de la participation de M. Sall à plusieurs ateliers pour apprendre à gérer ses émotions, à vivre sans violence et à mieux comprendre qu’il est dans son propre intérêt de bien se comporter. Il a observé qu’il avait été attaqué à deux reprises par des co-détenus sans répliquer ni répondre à la provocation, ce qui démontrerait les effets bénéfiques des ateliers.

 

[20]           Quant au risque de fuite, le Commissaire Dumoulin ne l’estime pas très important et ne croit pas qu’il soit suffisant pour empêcher la libération. Alors que M. Sall avait antérieurement refusé de collaborer pour effectuer son renvoi, et avait exprimé des craintes de retour dans son pays, il semble maintenant avoir changé d’attitude et se dit maintenant prêt à collaborer avec l’ASFC pour son renvoi, dont il paraît d’ailleurs accepter l’éventualité.

 

[21]           Enfin, le Commissaire insiste beaucoup sur le fait que Mme Kanyeyeri semble être une garante crédible et adéquate. Son témoignage n’a révélé aucune contradiction par rapport à ce qu’a déclaré M. Sall, elle est parfaitement au courant de son dossier, et elle a été convaincante quant à sa compréhension de ses obligations comme garante. Elle est prête à déposer une caution de 3 000$ et à héberger son mari chez elle, et elle semble avoir une influence positive sur lui. Elle est également disposée à collaborer avec des membres de la communauté mauritanienne, qui ont témoigné vouloir aider M. Sall à respecter ses conditions lors de révisions antérieures de sa détention.

 

[22]           Sur la base de ces nouveaux éléments factuels, et tenant compte du changement d’attitude de M. Sall, le Commissaire en est arrivé à la conclusion que sa libération pouvait être envisagée. En revanche, il lui a imposé ce qu’il considère être des conditions très strictes, qui se déclinent ainsi :

 

·        Mme Kanyenyeri devra déposer une caution de 3 000$ auprès de l’ASFC;

 

·        Une fois libéré, M. Sall devra se présenter aux dates, heures et lieux fixés par l’ASFC de façon à se conformer à toute obligation qui lui est imposée sous le régime de la LIPR, y compris le renvoi si nécessaire;

 

·        M. Sall devra résider avec Mme Kanyenyeri en tout temps, confirmer son adresse de résidence et informer lui-même l’ASFC avant tout déménagement;

 

·        M. Sall devra se présenter à l’ASFC dans les 48 heures suivant sa libération, et subséquemment deux fois par semaine;

 

·        M. Sall devra continuer de collaborer pleinement avec l’ASFC pour obtenir un document de voyage;

 

·        M. Sall ne devra se livrer à aucune activité qui donnerait lieu à une déclaration de culpabilité en vertu d’une loi fédérale;

 

·        M. Sall devra respecter un couvre-feu et ne pas quitter l’adresse fournie à l’ASFC entre 22 :00 et 6 :00, sauf avec permission écrite de l’ASFC pour exercer un emploi dans un lieu de travail précis pour un employeur nommément désigné;

 

 

·        M. Sall doit avoir une bonne conduite, garder la paix, informer l’ASFC de toute nouvelle accusation ou condamnation et respecter toute ordonnance émise par un tribunal;

 

·        M. Sall ne peut se rendre à Québec (où habite son ex-épouse), à moins d’une raison officielle et avec l’autorisation de l’ASFC. Il doit toujours demeurer à Montréal ou dans les environs, et informer l’ASFC s’il voyage dans d’autres régions.

 

III.       Questions en litige

[23]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement trois questions :

 

a)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

b)      Le Commissaire a-t-il erré dans son analyse du danger que représente

M. Sall pour le public?

 

c)      Le Commissaire pouvait-il raisonnablement conclure que les conditions imposées à M. Sall constituent une solution de rechange à la détention?

 

IV.       Les dispositions législatives et réglementaires applicables

[24]           L’article 55 de la LIPR permet à un agent de l’immigration de procéder à l’arrestation d’un étranger ou d’un résident permanent dont il a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire et qu’il constitue un danger pour le public ou qu’il se soustraira vraisemblablement à l’enquête ou à son renvoi.   À l’inverse, un agent d’immigration peut ordonner la libération d’une personne, moyennant certaines conditions, lorsqu’il n’y a plus de motif de la détenir.  Selon l’article 57 de la LIPR, une personne ainsi détenue peut faire réviser les motifs de sa détention dans les quarante-huit heures suivant la détention, puis dans les sept jours et par la suite tous les 30 jours.

 

[25]           L’article 58 de la LIPR prévoit que la Section d’immigration prononce la mise en liberté de l’étranger ou du résident permanent sauf sur preuve de certains faits.  Lorsque ces faits sont établis, en revanche, la Section d’immigration peut ordonner la détention.

 

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Mise en liberté par la Section de l’immigration

 

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

 

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

 

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

 

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

 

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger.

 

 

Mise en détention par la Section de l’immigration

 

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

 

 

 

Conditions

 

(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Release — Immigration Division

 

 

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

 

(a) they are a danger to the public;

 

 

 

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

 

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

 

 

 

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.

 

Detention — Immigration Division

 

 

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

 

Conditions

 

(3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions.

 

[26]           L’article 246 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés précise les facteurs dont il faut tenir compte pour établir qu’une personne constitue un danger pour le public.  D’autre part, l’article 248 prévoit les critères qui doivent être pris en considération, lorsqu’il existe des motifs de détention, avant qu’une décision soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

 

 

 

 

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Danger pour le public

 

246. Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

 

a) le fait que l’intéressé constitue, de l’avis du ministre aux termes de l’alinéa 101(2)b), des sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) ou des alinéas 115(2)a) ou b) de la Loi, un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada;

 

 

b) l’association à une organisation criminelle au sens du paragraphe 121(2) de la Loi;

 

c) le fait de s’être livré au passage de clandestins ou le trafic de personnes;

 

d) la déclaration de culpabilité au Canada, en vertu d’une loi fédérale, quant à l’une des infractions suivantes :

 

(i) infraction d’ordre sexuel,

 

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

 

e) la déclaration de culpabilité au Canada quant à une infraction visée à l’une des dispositions suivantes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances:

 

(i) article 5 (trafic),

 

(ii) article 6 (importation et exportation),

 

(iii) article 7 (production);

 

f) la déclaration de culpabilité ou la mise en accusation à l’étranger, quant à l’une des infractions suivantes qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale :

 

(i) infraction d’ordre sexuel,

 

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

 

g) la déclaration de culpabilité ou la mise en accusation à l’étranger de l’une des infractions suivantes qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à l’une des dispositions suivantes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances:

 

(i) article 5 (trafic),

 

(ii) article 6 (importation et exportation),

 

(iii) article 7 (production).

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

 

Danger to the public

 

246. For the purposes of paragraph 244(b), the factors are the following:

 

(a) the fact that the person constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada or a danger to the security of Canada under paragraph 101(2)(b), subparagraph 113(d)(i) or (ii) or paragraph 115(2)(a) or (b) of the Act;

 

(b) association with a criminal organization within the meaning of subsection 121(2) of the Act;

 

(c) engagement in people smuggling or trafficking in persons;

 

(d) conviction in Canada under an Act

of Parliament for

 

 

(i) a sexual offence, or

 

(ii) an offence involving violence or weapons;

 

(e) conviction for an offence in Canada under any of the following provisions of the Controlled Drugs and Substances Act, namely,

 

 

(i) section 5 (trafficking),

 

(ii) section 6 (importing and exporting), and

 

(iii) section 7 (production);

 

(f) conviction outside Canada, or the existence of pending charges outside Canada, for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament for

 

(i) a sexual offence, or

 

(ii) an offence involving violence or weapons; and

 

(g) conviction outside Canada, or the existence of pending charges outside Canada, for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under any of the following provisions of the Controlled Drugs and Substances Act, namely,

 

(i) section 5 (trafficking),

 

(ii) section 6 (importing and exporting), and

 

(iii) section 7 (production).

 

Autres critères

 

248. S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

 

a) le motif de la détention;

 

b) la durée de la détention;

 

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

 

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

 

 

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

Other factors

 

248. If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

 

(a) the reason for detention;

 

(b) the length of time in detention;

 

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

 

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

 

(e) the existence of alternatives to detention.

 

V.        Analyse

            a) La norme de contrôle

[27]           Les questions soulevées par le demandeur sont clairement des questions mixtes de droit et de fait, dans la mesure où elles remettent en question l’application qu’a faite le Commissaire des normes juridiques aux faits de l’espèce. En effet, il ne s’agit pas tant d’évaluer si le Commissaire a erré en interprétant les critères que l’on trouve dans la LIPR et le RIPR ou en omettant d’en tenir compte, mais bien plutôt de déterminer si les conclusions qu’il en a tirés, compte tenu de la preuve qu’il avait devant lui, résistent à l’analyse. Or, il est bien établi depuis l’arrêt Dunsmuir v Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, que la norme de contrôle applicable à ce type de questions est celle de la décision raisonnable : voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Li, 2008 CF 949, aux paras. 13-16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c B157, 2010 CF 1314, aux paras. 22-25.

 

[28]           Il s’ensuit que cette Cour ne sera fondée d’intervenir que dans l’hypothèse où il pourra être démontré que les conclusions auxquelles en est arrivé le Commissaire n’appartiennent pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au para. 47. Tel n’est pas le cas ici.

 

b) Le Commissaire a-t-il erré dans son analyse du danger que représente M. Sall pour le

    public?

 

[29]           Le demandeur a soutenu que la décision du Commissaire n’était pas raisonnable parce qu’il n’avait pas expliqué de façon claire pourquoi il avait décidé de s’écarter des décisions antérieures.  De façon plus particulière, on a fait valoir que les ateliers auxquels M. Sall avait participé n’avaient pas été jugés suffisants dans le passé pour conclure que le danger avait diminué, et que le Commissaire Dumoulin n’expliquait pas vraiment pourquoi il en arrivait à une conclusion différente.

 

[30]           Il est incontestable que le Commissaire se devait d’évaluer les motifs de détention de M. Sall à la lumière des décisions antérieures de ses collègues lors des révisions précédentes de sa détention. La Cour d’appel fédérale a déjà eu à se prononcer sur cette question, et il convient de reproduire les propos du juge Rothstein (tel était alors son titre) à ce chapitre dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4 :

 

[10]     Les décisions rendues à l'égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l'opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d'aller à l'encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés. Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

 

[11]     La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d'entendre les témoins, d'observer leur comportement et d'évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l'évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l'admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l'encontre d'une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l'encontre d'une décision antérieure.

 

[12]     La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d'expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c'est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

 

[13]     Cependant, même si le commissaire n'énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu'il soit fait mention d'une manière significative des motifs antérieurs de la détention

 

[31]            Dans la présente affaire, j’estime que le Commissaire a satisfait à cette obligation. Il est très clair, à la lecture de sa décision, qu’il a pris connaissance de l’ensemble du dossier ainsi que des décisions antérieures; il y réfère d’ailleurs à plusieurs reprises, et il avait lui-même refusé de le libérer à deux reprises dans le passé (le 29 juillet 2010 et le 15 novembre 2010). Le Commissaire est également très conscient de la gravité des gestes posés par M. Sall, et du fait qu’il a toujours nié sa responsabilité. D’autre part, le Commissaire tient compte d’un certain nombre de facteurs qui viennent contrebalancer le danger que représente M. Sall. Il note tout d’abord les commentaires très positifs qu’a reçus M. Sall dans le cadre des cours qu’il a suivis. Il mentionne également que M. Sall a participé à plusieurs autres ateliers depuis la dernière fois où il s’est présenté devant lui, ce qui démontre selon lui une volonté de la part de M. Sall de faire face à ses problèmes. Il considère également que le passage du temps semble avoir eu des effets bénéfiques, et il en veut pour preuve les deux occasions où il a été attaqué sans riposter. Cela démontre selon lui la capacité de M. Sall de se maîtriser et de ne pas répondre à la provocation, et indique que les ateliers auxquels il a assisté ont entraîné un changement d’attitude. Enfin, il note que M. Sall est un homme intelligent qui sait où sont ses intérêts, et qui a compris que la violence n’est pas la meilleure réponse à une situation conflictuelle.

 

[32]           Il est vrai que plusieurs des éléments relevés par le Commissaire ne sont pas nouveaux. Il n’en demeure pas moins que le Commissaire explique, de façon cohérente et transparente, les raisons qui l’amènent à croire que l’évaluation du danger que représente M. Sall doit être réévaluée, sur la base de l’ensemble de ces facteurs. Au surplus, le Commissaire a eu l’avantage de voir et d’entendre M. Sall, et il pouvait juger de sa crédibilité. Le Commissaire dit d’ailleurs explicitement s’être posé la question de savoir si sa collaboration afin d’obtenir un document de voyage n’était qu’un écran de fumée, pour conclure que M. Sall lui semble plutôt avoir accepté les recommandations qui lui ont été faites lors de révisions de détention antérieures.

 

[33]           Enfin, il ne faudrait pas sous-estimer l’influence positive qu’exerce Mme Kanyenyeri sur le défendeur.  Le Commissaire a noté qu’elle avait témoigné de façon crédible et digne de foi et que leur relation amoureuse paraissait authentique. L’engagement qu’ils ont pris l’un envers l’autre en se mariant le 20 avril 2011 constituait un autre élément nouveau extrêmement pertinent.

 

[34]           Compte tenu de tous ces éléments, je suis d’avis que le Commissaire Dumoulin pouvait s’écarter des décisions antérieures. Contrairement à ce qu’a soutenu l’avocat du Ministre, il a fourni des motifs étoffés et convaincants pour justifier son évaluation différente du danger. Il était manifestement bien au fait du dossier de M. Sall, et ne s’est prononcé sur la révision de sa détention qu’après avoir pris son dossier en délibéré pendant quatre jours. Non seulement l’évaluation à laquelle il en est arrivé est-elle raisonnable compte tenu de la preuve qui était devant lui, mais elle est également suffisamment motivée pour répondre aux exigences énoncées par la Cour d’appel dans l’arrêt Thanabalasingham, précitée.

 

[35]           Le demandeur a également fait valoir que le Commissaire avait commis une erreur de droit dans son traitement de l’avis de danger émis par le Ministre. Rappelant qu’un tel avis constitue l’un des facteurs dont la SI doit tenir compte dans son évaluation du danger pour le public, au terme de l’alinéa 246a) du RIPR, le procureur du Ministre a soutenu que le Commissaire n’en avait pas vraiment tenu compte et avait plutôt choisi de lui donner une portée limitée en prétextant que cet avis ne faisait que constater la situation telle qu’elle existait en 2009.

 

[36]           Tel que je l’ai mentionné précédemment, nous ne sommes pas ici en présence d’une situation où le Commissaire aurait complètement ignoré l’avis de danger, comme c’était le cas dans l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Steer, 2011 CF 423, à laquelle le demandeur a référé la Cour.  D’autre part, l’avis de danger émis par le Ministre ne saurait lier la SI; il ne s’agit encore une fois que d’un facteur dont il doit être tenu compte pour déterminer si un individu représente un danger pour le public.

 

[37]           Dans ses motifs, le Commissaire a abondamment traité de l’avis de danger.  Il a d’abord reconnu qu’il s’agissait d’un élément qu’il devait considérer conformément à l’alinéa 246(a) du RIPR. Puis, il a ajouté ce qui suit :

 

En ce qui concerne l’avis de danger, le commentaire que je voudrais faire c’est que, oui, l’avis de danger est présent mais l’avis de danger en lui-même n’augmente pas le niveau – votre niveau de dangerosité puisque l’avis de danger vient constater une situation factuelle qui était déjà en place dès le moment où vous avez été condamné en 2009.  Donc l’avis de danger, il n’y a pas eu de preuve qui a été présentée pour démontrer que d’autres événements de violence ou d’autres événements ponctuels ont été considérés pour – qui auraient pu être pris par nous, par exemple, comme une démonstration que le danger est plus grand.  L’avis de danger je dois le considérer parce qu’il est là, c’est un motif qui est là pour démontrer l’existence d’un danger pour le public mais il est en lien directement avec une situation qui est de 2009 et qui a été (inaudible) dans le but principal de pouvoir procéder à votre renvoi du Canada, vu que vous êtes une personne protégée.  Si l’avis de danger n’avait pas été émis, vous n’auriez pas pu être renvoyé du Canada.

 

Donc c’est dans ce sens-là que je fais une distinction.  C’est que l’avis de danger, oui je le considère parce que c’est un élément que je dois considérer quant à l’existence d’un danger mais en même temps, il n’y a pas de preuve qu’il y ait quoi que ce soit d’autre qui ait été ajouté dans l’étude de ce dossier qui ajoute aux événements de 2009.

 

Dossier du Tribunal, pp. 14-15

 

[38]           Il ne peut faire de doute, à la lecture de cet extrait, que le Commissaire était bien au fait de l’avis de danger et du fait qu’il devait en tenir compte. Ce que le Commissaire tente d’exprimer, peut-être maladroitement, c’est que cette évaluation du Ministre constituait peut-être un fait nouveau en février 2011, mais elle n’en reposait pas moins sur la situation qui prévalait en 2009 et sur des événements passés. Par conséquent, il n’y a dans cet avis aucun fait nouveau qui viendrait, en soi, accroître le danger de M. Sall pour le public.

 

[39]           D’autre part, le Commissaire était en droit de diverger d’opinion avec l’évaluation faite par le Ministre, non seulement parce qu’il s’appuyait sur d’autres éléments pour mesurer le danger (les formations suivies par M. Sall, sa collaboration avec l’ASFC, l’écoulement du temps et son mariage), mais également parce que cet avis de danger est effectué dans un contexte bien précis (déterminer s’il peut être renvoyé du Canada) qui diffère des objectifs poursuivis dans le cadre d’une revue de détention. Tel que le souligne la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Williams c Canada, [1997] 2 CF 646, l’exercice auquel doit se livrer le Ministre ou son délégué dans l’exercice du pouvoir que lui confère l’alinéa 115(2)(a) de la LIPR consiste à déterminer si un individu ayant commis un ou des crimes graves dans le passé représente un risque inacceptable pour le public.  Or, une telle évaluation fait nécessairement intervenir « des considérations politiques qui ne sont pas inappropriées de la part d’un ministre » (Williams, au para. 29), mais qui ne sont certes pas pertinentes pour la SI lorsqu’elle procède à une révision de détention. 

 

[40]           Compte tenu des motifs qui précèdent, j’estime donc que le Commissaire n’a pas commis d’erreur en considérant que l’avis de danger émis par le Ministre pouvait être distingué et n’ajoutait pas vraiment au danger que peut représenter M. Sall. Contrairement à ce qu’a prétendu le procureur du demandeur, le Commissaire n’a pas fait abstraction du critère prévu à l’alinéa 246(1)(a) du RIPR, mais il a plutôt choisi de s’écarter de l’avis de danger en motivant sa décision.  Le Ministre ne m’a pas convaincu que le Commissaire avait erré en ce faisant, d’autant plus qu’il ne s’agissait que de l’un des facteurs mentionnés à l’article 246 du RIPR.

 

[41]           Enfin, le demandeur soutient que le Commissaire a omis de tenir compte des critères énumérés à l’article 248 du RIPR, et plus spécifiquement de l’alinéa 248d). Bien que le Commissaire Dumoulin ait tenu compte du motif de la détention, de la durée de celle-ci et du fait qu’elle se poursuivrait vraisemblablement pour 4 ou 5 mois, il n’a jamais tenu compte de l’alinéa 248d).  S’il l’avait fait, a-t-on plaidé, il aurait dû conclure que le Ministre n’est pas responsable des délais imposés par la Mauritanie en raison du fait que M. Sall n’a fourni qu’une copie de son certificat de naissance, et que sa détention aurait été écourtée s’il n’avait pas attendu au 29 avril 2011 avant de collaborer avec l’agent de renvoi. Dans ces circonstances, affirme le Ministre, il est inconcevable que l’on libère M. Sall alors même que l’on arrive à l’étape ultime, puisque les risques de fuite ne peuvent que s’accentuer à l’approche du renvoi.

 

[42]           Il est exact que le Commissaire n’a pas explicitement référé à l’alinéa 248d) dans ses motifs, pas plus, d’ailleurs, qu’aux autres alinéas de l’article 248. Une lecture attentive de sa décision permet cependant de constater qu’il en a tenu compte. 

 

[43]           Il est vrai que depuis le mois de juin 2010, la SI avait toujours décidé de maintenir M. Sall en détention. Mais les circonstances étaient différentes au moment de la dernière revue de détention le 6 mai dernier. Non seulement le Commissaire a-t-il conclu qu’il existait maintenant une alternative à la détention (ce sur quoi je reviendrai dans la prochaine section de mes motifs), mais il a également référé à une décision récente de l’un de ses collègues selon laquelle M. Sall pourrait éventuellement se voir offrir une libération s’il acceptait de collaborer pleinement avec l’ASFC. Or, le Commissaire Dumoulin a estimé que M. Sall avait pris acte de cette recommandation, et a estimé que ce changement d’attitude n’était pas qu’un écran de fumée mais paraissait sincère. Le manque de coopération de M. Sall ne pouvait donc plus être retenu contre lui pour justifier une détention qui se prolongeait depuis près d’un an. Je ne peux donc retenir l’argument du Ministre à l’effet que le Commissaire aurait omis de tenir compte de ce facteur dans sa décision.

 

[44]           Pour tous les motifs qui précèdent, le premier moyen du demandeur à l’encontre de la décision du Commissaire Dumoulin doit donc être rejeté. L’analyse qu’il a faite du danger pour le public ainsi que du risque de fuite que représente M. Sall est rigoureuse et conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables. La conclusion qu’il en a tirée s’appuie sur la preuve qui était devant lui et appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 

c) Le Commissaire pouvait-il raisonnablement conclure que les conditions imposées à

    M. Sall constituent une solution de rechange à la détention?

 

[45]           Le demandeur allègue que les conditions imposées par le Commissaire Dumoulin à titre d’alternative à la détention sont insuffisantes. Il observe que deux commissaires ont refusé de libérer M. Sall dans le passé, alors même que des conditions beaucoup plus strictes avaient pourtant été proposées par le procureur de ce dernier. En n’expliquant pas pourquoi les conditions strictes que ses collègues avaient jugées nécessaires n’étaient plus requises, le Commissaire aurait donc commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

 

[46]           Selon le demandeur, le Commissaire aurait également erré en n’examinant pas la question de savoir si Mme Kanyanyeri était en mesure de s’assurer que M. Sall respecterait ses conditions.  Non seulement le Commissaire n’a-t-il pas expliqué l’incidence que pouvait avoir le fait que Mme Kanyanyeri avait perdu la caution de 2 000$ qu’elle avait fourni pour son frère dans le passé, mais il aurait également accordé une importance démesurée à l’opinion de Mme Kanyanyeri selon laquelle elle croit être en mesure d’influencer M. Sall, sans tenir compte du fait qu’elle ne l’a jamais connu hors d’un environnement contrôlé et qu’elle travaille cinq soirs par semaine et une fin de semaine sur deux.

 

[47]           Bien que ces préoccupations soient certainement valides, j’estime que les représentations du demandeur ne soulèvent pas d’erreurs dans les motifs du Commissaire mais témoignent plutôt d’un désaccord avec l’évaluation qu’il a faite des conditions susceptibles de fournir une alternative à la détention. À ce chapitre, il ne faut pas perdre de vue que le Commissaire peut revendiquer une plus grande expertise que cette Cour en la matière et qu’il a eu l’avantage d’entendre le témoignage de Mme Kanyanyeri.  

 

[48]           Je note tout d’abord que le montant du cautionnement que doit fournir Mme Kanyanyeri est substantiel, compte tenu de ses moyens et de ses sources de revenu.  Un montant de 3 000$, pour une personne dont le revenu net est de 1 200$ par mois, représente une somme importante et clairement susceptible d’inciter Mme Kanyanyeri à prendre son rôle au sérieux. Cette exigence m’apparaît tout à fait conforme à la logique qui sous-tend la fourniture d’un cautionnement, et dont on retrouve une bonne synthèse dans l’extrait suivant :

 

Il semble que la théorie qui sous-tend l'exigence d'un cautionnement ou d'une garantie d'exécution porte que la personne qui se porte garant prend un risque assez important pour qu'elle ait intérêt à ce que la personne libérée respecte les conditions de sa libération, y compris celle ne pas se dérober à son renvoi. 

 

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zhang, 2001 CFPI 522, au para. 19.

 

[49]           Qui plus est, le lien affectif qui unit M. Sall à Mme Kanyanyeri n’est pas de la même nature que celui qui unissait cette dernière à son frère. Le Commissaire a longuement insisté dans ses motifs sur l’authenticité des sentiments qu’éprouvent l’un pour l’autre M. Sall et son épouse. Sa décision repose en grande partie sur l’influence positive qu’exerce Mme Kanyanyeri sur M. Sall, et sur la volonté du défendeur de tourner la page sur son passé. Ce sont là des considérations qui étaient tout à fait pertinentes, et auxquelles le Commissaire pouvait raisonnablement attacher de l’importance. 

 

[50]           D’autre part, il est vrai que Mme Kanyanyeri travaille de 16:00 à 21:00 pendant la semaine et une fin de semaine sur deux.  Or, ce laps de temps serait insuffisant pour permettre à M. Sall de se rendre à Québec et d’en revenir à l’insu de Mme Kanyanyeri, d’autant plus que cette dernière a indiqué pouvoir appeler à la maison durant ses heures de travail. Mais il ne s’agit pas là de l’élément le plus important. Outre le contrôle physique que peut exercer Mme Kanyanyeri sur M. Sall, le Commissaire a pris en considération l’engagement qu’a pris M. Sall envers elle. La relation qui unit M. Sall et son épouse peut très bien s’avérer une meilleure garantie du respect des conditions imposées à M. Sall qu’une présence physique de tous les instants de la part de Mme Kanyaneri; c’est du moins l’évaluation qu’a faite le Commissaire, après avoir entendu le défendeur et son épouse et comparé leur témoignage, et la Cour n’est pas prête à intervenir pour écarter cette évaluation. 

 

[51]           Quoi qu’en dise le procureur du Ministre, les conditions auxquelles doit se conformer M. Sall sont strictes et sévères, surtout si l’on tient compte du fait qu’il doit aussi satisfaire aux exigences de sa probation suite à sa condamnation criminelle. Je suis satisfait, dans ces circonstances, que le Commissaire n’a pas erré en faisant abstraction de la capacité de Mme Kanyenyeri de faire respecter les conditions imposées à M. Sall pour sa libération. Au contraire, le Commissaire a fait preuve de lucidité en considérant le caractère de M. Sall et les infractions dont il a été reconnu coupable. Loin d’en minimiser la gravité, il s’est assuré lors de l’audition que l’épouse de M. Sall connaissait bien son mari, et qu’elle avait également la volonté de s’assurer que M. Sall resterait dans le droit chemin et n’hésiterait pas à communiquer avec l’ASFC si tel n’était pas le cas.  Bref, la décision du Commissaire était tout à fait raisonnable dans les circonstances.

 

VI.       Conclusion

[52]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire présentée par le Ministre à l’encontre de la décision du Commissaire Dumoulin en date du 10 mai 2011 doit être rejetée.  Aucune question n’est certifiée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                « Yves de Montigny »

                                                                                    _____________________________

                                                                                                            Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3081-11

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                            c

                                                            MOHAMED SALL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 juin 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE de MONTIGNY     

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sébastien Dasylva

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sangaré Salif

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Sangaré Salif

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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