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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110616

Dossier : T-36-09

Référence : 2011 CF 709

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

SETANTA SPORTS CANADA LIMITED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

840341 ALBERTA LTD., faisant affaire sous la raison sociale THE BREW’IN TAPHOUSE,

MARK BECK et CASEY STEWART BECKHUSON

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

I.        Le contexte

 

[1]               La demanderesse, Setanta Sports Canada Ltd, sollicite par requête à la Cour un jugement sommaire contre les défendeurs pour violation de droit d’auteur à l’occasion de la diffusion de manifestations sportives organisées sous l’égide de l’Ultimate Fighting Championship (l'UFC). La société défenderesse est un bar de l’Alberta, les défendeurs individuels étant des dirigeants et administrateurs de la société.

 

[2]               Les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :

 

1.         La société Setanta a-t-elle établi qu’elle possède effectivement les droits qu’elle entend faire valoir en l’espèce?

2.         Setanta a-t-elle établi que les défendeurs ont porté atteinte aux droits en question?

3.         Setanta peut-elle prétendre obtenir un jugement sommaire?

4.         La question des dommages-intérêts et des dépens.

 

II.         Question numéro un – La société Setanta a-t-elle établi qu’elle possède effectivement les droits qu’elle entend faire valoir en l’espèce?

 

[3]               Selon l’affidavit de M. Rod Keary, dirigeant et administrateur de Setanta, celle-ci a, en 2008, conclu avec Zuffa LLC, propriétaire de l’UFC, et Canadastar Boxing Inc., distributeur d’émissions à la carte, un accord aux termes duquel les droits d’auteur des émissions diffusées par UFC étaient cédés à Setanta, celle-ci étant, aux termes de cet accord, chargée de faire respecter au Canada les intérêts des deux autres parties à l’entente en matière de propriété intellectuelle. Selon l’acte de cession, Setanta est codétentrice des droits d’auteur appartenant à Zuffa et à Canadastar, [traduction] « afin que [Setanta] soit à même de faire respecter, éventuellement par des actions en justice, tout droit ou recours dont [Zuffa et Canadastar] pourraient se prévaloir à l’égard des droits de propriété qu’elles ont sur la télédiffusion à la carte des matches de l'UFC au Canada ».

 

[4]               En ce qui concerne ce contrat, les défendeurs invoquent deux arguments. Ils affirment, en premier lieu, qu’il équivaut à un pacte de quota litis. Selon eux, Setanta a uniquement pour rôle d’agir en justice au nom de Zuffa et de Canadastar, et de partager avec elles le montant des dommages-intérêts pouvant être adjugés. Ce serait son seul intérêt en l’espèce. Cela étant, les défendeurs affirment qu’il y a, de la part de Setanta, immixtion indue dans une action en justice dans laquelle elle n’a aucun intérêt légitime, mais dont elle entend partager les fruits.

 

[5]               J’estime cependant que la cession confère à Setanta un intérêt conjoint dans la propriété intellectuelle appartenant à Zuffa et à Canadastar, intérêt conjoint en raison duquel Setanta peut effectivement agir pour défendre cet intérêt dans leur intérêt à tous. Il ne s’agit pas simplement de la cession d’un droit de mise à exécution, bien que la cession comprenne effectivement ce droit. On ne peut, par conséquent, pas dire qu’il s’agisse d’un pacte de quota litis qui serait illégitime.

 

[6]               Les défendeurs soutiennent en second lieu que les éléments de preuve produits par Setanta ne concordent pas avec les conclusions exposées dans sa déclaration. Ils font notamment valoir qu’il est, dans la déclaration, fait état des droits de Setanta en tant que diffuseur, alors que les éléments de preuve produits, y compris le texte même de l’accord décrit ci-dessus, démontrent que Setanta ne fait que veiller au respect de droits appartenant à d’autres. Selon le paragraphe 20 de la déclaration, Setanta est [traduction] « avec ses partenaires, en ce qui concerne les Setanta Sports Events (manifestations sportives de Setanta), le distributeur et diffuseur exclusif d’émissions de télévision à circuit fermé ou d’émissions à la carte au Canada, et elle détient l’ensemble des droits d’auteur afférents à ces manifestations ». Selon le paragraphe 1 de la déclaration, on entend par « Setanta Sports Events », les manifestations sportives de l’UFC diffusées à la carte, ainsi que les manifestations sportives diffusées sur la chaîne Setanta Sports Channel. Le paragraphe 22 explique que Setanta est soit licenciée, soit propriétaire des droits d’auteur afférents aux manifestations sportives de Setanta.

 

[7]               Les défendeurs soutiennent qu’aussi bien les observations écrites de Setanta que les éléments de preuve qu'elle a déposés montrent maintenant que Setanta n’est pas le distributeur et diffuseur exclusif, mais que son rôle est simplement de veiller au respect des droits de propriété intellectuelle de Zuffa et de Canadastar. Les défendeurs affirment être lésés par ce qu’ils estiment être un changement d’orientation dans les documents produits en l’espèce par Setanta.

 

[8]               Il n’y a, selon moi, aucun écart notable entre la déclaration de Setanta et les observations et éléments de preuve qu’elle avance. Ces observations et ces éléments de preuve ne font que préciser la nature du lien existant entre Setanta et ses partenaires (c'est-à-dire, l’accord de cession), évoqué de manière générale dans la déclaration. Je ne relève rien qui permette aux défendeurs de se dire lésés. Avant de déposer leurs propres documents dans le cadre de la présente requête, les défendeurs avaient en main depuis presque un an les observations et éléments de preuve déposés par Setanta.

 

[9]               Je considère que Setanta a établi que, en raison de la cession, elle possède effectivement les droits qu’elle entend faire valoir en l’espèce.

 

III.       Question numéro deux – Setanta a-t-elle établi que les défendeurs ont porté atteinte aux droits en question?

 

[10]           Il ressort de la preuve que les défendeurs ont, le 25 octobre 2008, présenté une manifestation sportive de l’UFC diffusée à la carte. Setanta a envoyé aux défendeurs une lettre leur demandant de cesser de montrer sans autorisation les manifestations sportives de l’UFC. Ne recevant aucune réponse, Setanta a sollicité une injonction de la Cour, que le juge Robert Barnes a prononcée à l’encontre des défendeurs le 27 janvier 2009, et qui a été signifiée aux défendeurs au siège de l’entreprise. Il semble, cependant, que les défendeurs aient, le 31 janvier 2009, présenté une autre manifestation de l’UFC, et encore une autre le 21 novembre 2009. Setanta a continué à communiquer par écrit avec les défendeurs, mais sans recevoir de réponse.

 

[11]           Les défendeurs affirment qu’aucun fait, ni aucune règle de droit ne permet de leur imputer individuellement une violation des droits d’auteur de Setanta. Selon la déclaration, les défendeurs individuels [traduction] « auraient présenté ou fait présenter » des manifestations sportives de Setanta. Ils font valoir que Setanta n’a produit aucune preuve démontrant qu’ils ont à telle ou telle occasion violé ses droits d’auteur. Ils invoquent à l’appui de leur thèse la décision Sunsolar Energy Technologies (S.E.T.) Inc c. Flexible Solutions International Inc, 2004 CF 1205, au paragraphe 23, dans laquelle le juge Paul Rouleau précise qu’il faut, pour que la responsabilité d'un dirigeant d'entreprise soit engagée, pouvoir lui imputer des agissements précis.

 

[12]           M. Mark Beck et M. Casey Beckhuson font partie des dirigeants et administrateurs de la société défenderesse. Ils étaient nommément visés par l’injonction du juge Barnes, et c’est à eux que celle-ci a été signifiée. Il leur appartenait de veiller à son respect. Or, d’après certains éléments de preuve produits en l’espèce, il n' a été tenu aucun compte de cette injonction. Je relève qu’en réponse aux allégations de Setanta, les défendeurs n’ont produit aucune preuve concernant ce qu’ils savaient de cela, ou les mesures qu’ils auraient prises ou non à cet égard.

 

[13]           Dans sa déclaration, Setanta affirme, me semble-t-il, que les défendeurs individuels ont, sans autorisation (paragraphe 24), capté et présenté une ou plusieurs émissions retransmettant des manifestations sportives de Setanta. C’est dire qu’un agissement précis leur est reproché. Il ressort de la preuve que des manifestations sportives de l’UFC, faisant l’objet d’une retransmission à la carte, ont été présentées dans l’établissement des défendeurs après que la Cour leur eut enjoint de ne plus le faire. Cela étant, je considère que les défendeurs individuels devront être tenus pour responsables au même titre que la société défenderesse. La preuve démontre qu’à tout le moins les défendeurs individuels se sont montrés indifférents au risque que la présentation de manifestations sportives de l’UFC porte atteinte aux droits d’auteur de Setanta (Microsoft Corp c. 9038-3746 Québec Inc., 2006 CF 1509, au paragraphe 92, citant la décision Ital‑Press Ltd. c. Sicoli (1999), 86 C.P.R. (3d) 129, au paragraphe 148 (C.F. 1re inst.)).

[14]           Selon les défendeurs, je ne saurais conclure à la violation d’une ordonnance de la Cour sans insister sur le respect des Règles des Cours fédérales, DORS/98-116, concernant l’outrage au tribunal (articles 466 à 472). Je considère, cependant, comme pertinente en l'espèce toute preuve concernant le non-respect d’une ordonnance de la Cour lorsqu’il s’agit de me prononcer sur la responsabilité des défendeurs individuels. De tels éléments se rapportent en effet à la connaissance qu’ils avaient des faits et à leur responsabilité pour la violation en cause. Pour se pencher sur la question du non-respect d’une ordonnance de la Cour, il n’est cependant pas nécessaire de transformer la présente procédure en action pour outrage au tribunal.

 

IV.       Question numéro trois – Setanta peut-elle prétendre obtenir un jugement sommaire?

 

[15]           Les défendeurs ne soutiennent pas expressément que Setanta n’est pas en droit d’obtenir un jugement sommaire, et ne font que soulever les questions qui viennent d’être évoquées. Les défendeurs n’ont produit aucune preuve que subsiste en l’espèce une question qui doive faire l'objet d'une instruction.

 

[16]           Setanta a, par contre, produit à l’appui de sa requête des affidavits détaillés; les éléments ainsi produits démontrent que les défendeurs ont, sans autorisation, présenté dans leur établissement des manifestations sportives de l’UFC diffusées à la carte et qu’ils ont, ce faisant, violé les droits d’auteur de Setanta.

 

[17]           Je considère que Setanta est en droit d’obtenir un jugement sommaire.

 

V.        Question numéro quatre - La question des dommages-intérêts et des dépens.

 

[18]      Selon les défendeurs, Setanta n’aurait droit qu’à des dommages-intérêts symboliques étant donné qu’elle n’a pas rapporté la preuve d’un préjudice tel qu’une perte de revenu, la confusion ou l’atteinte à la réputation. Selon les éléments de preuve fournis par Setanta, 15 personnes seulement ont assisté en octobre 2008 à la présentation d’une manifestation télédiffusée de l’UFC.

 

[19]      Setanta réclame pour sa part les dommages-intérêts préétablis prévus à l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42. Elle réclame à ce titre la somme de 40 000 $. Compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 38.1(5), et notamment la bonne ou mauvaise foi, le comportement des parties et la nécessité de créer un effet dissuasif, j’estime que des dommages-intérêts de 20 000 $ conviennent en l’occurrence. Je relève les circonstances suivantes :

 

•           le fait que les défendeurs n’ont pas répondu aux communications écrites de Setanta;

•           le fait que les défendeurs ont désobéi à une ordonnance de la Cour;

•           le fait que les défendeurs n’ont produit aucun élément de preuve à l’appui de leurs conclusions;

•           l’existence, au cours de la période en cause, d'au moins deux violations manifestes des droits d’auteur de Setanta;

•           le besoin d’accorder, à titre de dommages-intérêts, une somme susceptible de décourager toute nouvelle violation.

 

[20]      En ce qui concerne les dépens, les défendeurs souhaitent pouvoir présenter des observations complémentaires. Je suis disposé à accueillir les observations que les parties déposeront dans les 10 jours suivant la date de la présente ordonnance.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête en jugement sommaire visant solidairement les défendeurs dont le nom figure ci-dessous est accueillie, la somme de 20 000 $ étant accordée à titre de dommages-intérêts :

 

a)         840341 ALBERTA LTD., faisant affaire sous la raison sociale THE BREW’IN TAPHOUSE, MARK BECK et CASEY STEWART BUCKHUSON.

 

2.         Une injonction permanente est prononcée contre chacun des défendeurs, leur interdisant à chacun, ainsi qu’à leurs dirigeants, administrateurs, employés, mandataires, ayants droit, préposés ou à toute personne agissant en vertu de leurs instructions, ou connaissant celles-ci, de présenter en public, de montrer ou de diffuser l’une ou l’autre des émissions suivantes :

 

a)         Tout match ou manifestation sportive de l’Ultimate Fighting Championship [l'UFC] retransmis à la carte ou diffusé au Canada, et ce, jusqu’au 31 décembre 2011 inclusivement;

 

b)         Tout match ou manifestation sportive diffusé exclusivement au Canada par Setanta sur la chaîne Setanta Sports Channel par l’intermédiaire des principaux câblodistributeurs canadiens et des fournisseurs de transmission par satellite tels que Bell TV et Star Choice;

 

c)         De décoder, de décrypter ou de télécharger d’Internet, en vue de leur présentation ou de leur visionnement, ou de présenter publiquement l’un ou l’autre des matches et manifestations sportives mentionnés ci-dessus, quel que soit leur mode de diffusion ou de télédiffusion, et quelle que soit la source de l’émission ou du signal, sans le consentement et l’autorisation écrite de la demanderesse.

 

3.         La demanderesse aura droit aux dépens, le montant de ceux-ci étant fixés après examen des observations écrites déposées par les parties dans les dix jours suivant la date de la présente ordonnance.

 

 

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-36-09

 

INTITULÉ :                                       SETANTA SPORTS CANADA LIMITED c. 840341 ALBERTA LTD., faisant affaire sous la raison sociale THE BREW’IN TAPHOUSE, MARK BECK et CASEY STEWART BECKHUSON

 

 

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 8 JUIN 2011 ENTRE OTTAWA (ONTARIO), TORONTO (ONTARIO) ET EDMONTON (ALBERTA)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

  ET ORDONNANCE :                     LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 juin 2011

 

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

 

Kevin W. Fisher

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Patrick D. Kirwin

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Basman Smith LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Kirwin LLP

Avocats et agents de marques de commerce

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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