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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110621

Dossier : IMM-3401-10

Référence : 2011 CF 741

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

SWEE FATT KOK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen de la Malaisie. Il souffre d’une dépendance à l’héroïne et il reçoit actuellement un traitement au Canada dans le cadre d’un programme de traitement par substitution à la méthadone (le programme de traitement). Il est venu au Canada en septembre 1998. En avril 2001, il a été déclaré coupable de [traduction] « possession d’un instrument pouvant servir à s’introduire par effraction » et de deux méfaits de moins de 5 000 $. Il a également été déclaré coupable en 2003 de vol de moins de 5 000 $. Ces déclarations de culpabilité l’ont rendu interdit de territoire au Canada en application des alinéas 36(1)a) et 36(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour cause de grande criminalité et de criminalité.

 

[2]               Le demandeur a fait une demande d’asile en octobre 2002. La demande a été rejetée le 4 mars 2004, et une mesure de renvoi a été prise contre le demandeur. Une décision défavorable a été rendue à l’endroit du demandeur dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi le 28 novembre 2005. Son expulsion était prévue pour octobre 2006, mais a été reportée plusieurs fois à cause du traitement à la méthadone que suivait le demandeur.

 

[3]               En janvier 2006, le demandeur a demandé la résidence permanente à partir du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. Il a soutenu qu’il ne pourrait pas obtenir les doses nécessaires de méthadone s’il devait être renvoyé en Malaisie. Il a dit que s’il retournait en Malaisie, il risquerait de rechuter gravement.

 

[4]               La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été refusée en mai 2010. Le renvoi du demandeur en Malaisie était prévu pour le mardi 27 juillet 2010. Il a été sursis à la mesure de renvoi prise contre lui le 26 juillet 2010, en attendant qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur.

 

[5]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agente a conclu que les difficultés que le demandeur éprouverait en rapport avec la disponibilité de méthadone en Malaisie, son degré d’établissement au Canada, ses attaches à la Malaisie et l’intérêt supérieur de son enfant en Malaisie ne justifiaient pas une exemption au titre des motifs d’ordre humanitaire. L’agente a conclu que la criminalité et l’insuffisance financière du demandeur l’emportaient sur les facteurs d’ordre humanitaire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               La seule question en litige est de savoir si la décision de l’agente était raisonnable.

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle

 

[7]               L'octroi d'une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358, aux paragraphes 15 à 17, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2002] C.S.C.R. no 220; Hee Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 368, aux paragraphes 1 et 2; Garcia De Leiva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, au paragraphe 15.

 

[8]               Par conséquent, il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision du juge des faits : Legault, précité, et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 53. La norme de contrôle est la raisonnabilité. Comme l'a établi l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, le caractère raisonnable tient principalement à l’existence d’une justification à la décision ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.

 

La décision de l’agente était-elle raisonnable?

 

[9]               Le demandeur est un héroïnomane qui est stabilisé grâce à un programme d’entretien à la méthadone, dans le cadre duquel il est suivi par un médecin et bénéficie d’un réseau de soutien qui l’aide à retrouver une vie normale. À cause de la controverse actuelle entourant les cliniques de méthadone et les programmes de ce genre en Malaisie, le demandeur soutient que son retour en Malaisie l’exposerait au risque de rechuter gravement.

 

[10]           Le médecin qui gère le programme de traitement du demandeur, le Dr Belluzzo, a émis l’avis que, sans sa dose actuelle d’environ 110 mg de méthadone par jour, l’état de santé du demandeur deviendra instable et il risquera la rechute. Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en ne prenant pas en compte l’avis du Dr Belluzzo quant à la quantité de méthadone requise pour maintenir sa pharmacothérapie. Cet avis était fondé sur les symptômes que le demandeur avait dit avoir ressentis lorsque les dosages étaient inférieurs.

 

[11]           En Malaisie, ce n’est qu’en 2005 que la méthadone est devenue disponible pour être prescrite aux fins du traitement de toxicomanes, et les quantités sont limitées. Le demandeur soutient qu’il se pourrait qu’il ne puisse pas avoir accès du tout à de la méthadone ou qu’il ne puisse pas recevoir les doses dont il a besoin. Le demandeur attire l’attention sur des éléments de preuve documentaire au dossier, dont une lettre d’un médecin de la Central Polyclinic à Kuala Lumpur, au soutien de cette prétention.

 

[12]           En outre, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a noté que l’avis du Dr Belluzzo indiquait que la rechute était source de préoccupation, et non une [traduction] « certitude » ou une [traduction] « conclusion prévisible ». L’agente n’est pas une experte médicale, et elle n’a aucun motif de rejeter l’avis d’un expert qui traite le demandeur depuis des années. En outre, le critère relatif aux difficultés ne dépend pas d’une certitude ou d’une conclusion prévisible, mais plutôt de la question de savoir si, selon la prépondérance de la preuve, il y a un risque grave de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[13]           Le défendeur soutient que l’agente a raisonnablement accordé une faible valeur probante aux éléments de preuve donnant à entendre que la disponibilité de la méthadone en Malaisie était limitée. L’agente a examiné tous les éléments de preuve et elle a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il serait incapable d’obtenir un traitement en Malaisie.

 

[14]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’agente n’a pas rejeté l’avis du Dr Belluzzo quant à la quantité de méthadone requise pour la poursuite du programme de traitement du demandeur. Elle a noté et admis que le demandeur avait réussi à passer d’une dose quotidienne de 180 mg à une dose quotidienne de 100 à 110 mg. C’est avec ces renseignements à l’esprit que l’agente à évalué les autres éléments de preuve. Cela est particulièrement évident à l’examen de la correspondance entre l’agente et la Direction générale de la gestion de la santé et l’agent du programme d’immigration à la mission canadienne.

 

[15]           Le demandeur laisse entendre que cette correspondance démontre que l’agente savait quelles questions poser et qu’elle savait qu’elle ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour réfuter les éléments de preuve du demandeur selon lesquels les doses adéquates pour ses besoins d’entretien n’étaient pas disponibles en Malaisie. À mon avis, la correspondance démontre que l’agente a fait preuve de diligence raisonnable en obtenant les renseignements dont elle avait besoin afin d’évaluer équitablement la question dont elle était saisie. La correspondance confirme en outre que la méthadone est effectivement disponible en dosages de plus de 100 mg en Malaisie.

 

[16]           Par exemple, l’agente a noté que les renseignements fournis par le ministère de la Santé de la Malaisie établissaient que plusieurs hôpitaux et cliniques de santé gouvernementaux offrent un traitement de substitution à la méthadone, et que le ministère ne précisait aucune marge posologique. Le fonctionnaire du ministère a affirmé qu’[traduction] « en pratique, la dose est déterminée par un praticien de la santé reconnu […] ». Par conséquent, l’agente a inféré que le demandeur pourrait recevoir la dose dont il avait besoin pour maintenir ses niveaux actuels de méthadone.

 

[17]           Il était loisible à l’agente d’accorder une faible valeur probante à une statistique citée dans un article intitulé « Clearing the Air over Methadone Therapy for Addicts » (mai 2009), qui affirme que les toxicomanes en Malaisie reçoivent seulement de 30 à 80 mg de méthadone. Cette statistique était une preuve dérivée, et la source n’était pas nommée dans l’article.

 

[18]           L’agente a raisonnablement conclu que l’étude de 2007 du premier programme de méthadone de la Malaisie ne concluait pas que les doses étaient limitées par la disponibilité. L’étude concluait que les dosages étaient déterminés par les besoins individuels de chaque participant. L’étude avait pour objet de déterminer la dose moyenne dont les usagers avaient normalement besoin au sein de la population locale. Les auteurs ont conclu que la dose d’entretien requise était inférieure à cette moyenne.

 

[19]           Il était équitable que l’agente accorde une faible valeur probante aux éléments de preuve présentés par le Dr Shanmuganathan en Malaisie, parce que ces éléments de preuve dataient de 2006. Il était loisible à l’agente de conclure que le demandeur avait fourni des éléments de preuve qui n’étaient pas suffisamment récents pour étayer son allégation selon laquelle en Malaisie aujourd’hui, c’est-à-dire en 2010, il ne parviendrait pas à obtenir tout ce dont il avait besoin, étant donné que le programme avait seulement commencé en 2005.

 

[20]           L’agente a correctement noté les déclarations faites par un médecin australien, mais elle leur a accordé peu de poids parce que ces déclarations n'étaient pas corroborées et que, surtout, le ministère de la Santé avait fourni des renseignements au sujet de [traduction] « plusieurs hôpitaux et cliniques de santé gouvernementaux offrant maintenant un traitement de substitution à la méthadone ». La source des renseignements fournis par le médecin était inconnue, et il n’y avait aucune indication qu’il était un expert dans le domaine de l’entretien à la méthadone.

 

[21]           À mon avis, l’agente n’a pas imposé une norme de preuve plus exigeante au demandeur lorsqu’elle a noté que le Dr Belluzzo avait exprimé une préoccupation plutôt qu’une certitude ou une conclusion prévisible. L’avis du médecin n’était qu’un élément parmi les éléments de preuve dont disposait l’agente, et elle pouvait tenir compte du fait que le médecin n'avait pas considéré que la rechute était une certitude. À la lecture de la décision prise dans son ensemble, je suis convaincu que l’agente a appliqué le bon critère relativement aux difficultés et qu’elle en est arrivée à une conclusion à laquelle il lui était loisible d’arriver, et que la Cour ne devrait pas modifier.

 

[22]           Je reconnais que le demandeur a fait de sérieux efforts pour remettre de l’ordre dans sa vie et pour changer son mode de vie de toxicomane qui l’avait amené à avoir des démêlés avec la justice. Je note également que les infractions qu’il a commises ne sont pas au haut de l’échelle de l’inconduite criminelle. Néanmoins, son comportement l’a rendu interdit de territoire au pays pour cause de criminalité, et c’est à lui qu’incombait le fardeau de démontrer que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 devait être exercé en sa faveur.

 

[23]           Le demandeur soutient fondamentalement que l’agente a omis d’examiner correctement les éléments de preuve qui tendaient à établir une disponibilité limitée de méthadone en Malaisie. Mais, comme le défendeur l’a correctement affirmé, il s’agit là d’un argument concernant essentiellement le poids des éléments de preuve. Or, la Cour de révision n’a pas pour fonction de soupeser de nouveau les éléments de preuve : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 61; Lupsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1054.

 

[24]           La tâche de la Cour consiste seulement à déterminer si la décision appartient au vaste éventail des issues possibles et acceptables : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. La Cour aurait pu en arriver à une conclusion différente quant à savoir si une exemption était justifiée pour des motifs d’ordre humanitaire, mais les décisions qualifiées de discrétionnaires peuvent seulement être réformées pour des motifs limités : Baker, précité au paragraphe 53.

 

[25]           Il ressort clairement de la lecture de la décision que l’agente a tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait, et que ses motifs apportent justification, transparence et intelligibilité. Elle a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents, elle a noté les observations formulées par l’avocat du demandeur, et elle a effectué des recherches additionnelles quant à savoir si les dosages de méthadone dont le demandeur avait besoin seraient disponibles si le demandeur était renvoyé en Malaisie. La décision appartient donc aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[26]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3401-10

 

INTITULÉ :                                       SWEE FATT KOK

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 MARS 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 JUIN 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEIGH SALSBERG

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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