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Date : 20110621

Dossier : IMM-5409-10

Référence : 2011 CF 731

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

MARIA ELENA PARRA ANDUJO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Le paragraphe 52(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) prévoit que « [l]’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement ». En exigeant une autorisation de revenir au Canada (ARC), l’article 52 de la LIPR envoie « un message clair aux personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire afin qu’elles la respectent », comme il est indiqué dans les lignes directrices suivantes :

[…] à défaut de quoi elles pourraient payer cher leur faute et être bannies définitivement du Canada. Ainsi, l’ARC ne devrait pas être utilisée comme un moyen courant de contourner cette mise au ban. Elle devrait plutôt servir dans les cas où l’agent juge que cette autorisation est justifiable en fonction des faits se rattachant au cas.

 

Les personnes qui demandent une ARC doivent démontrer qu’il existe des motifs impérieux pour que leur demande soit considérée, qui peuvent être mis en balance avec les circonstances qui ont nécessité la prise d’une mesure de renvoi. Elles doivent également démontrer qu’elles constituent un risque minime pour les Canadiens et la société canadienne. Le simple fait de répondre aux critères d’admissibilité au visa ne suffit pas pour accorder une ARC.

 

(Guide de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), « OP 1 Procédures », 28 août 2009, section 6.1, Dossier de la demanderesse (DD), p. 22).

 

II.  Introduction

[2]               Une citoyenne du Mexique et demandeure d’asile déboutée était visée par une mesure d’expulsion en raison de son omission de quitter le Canada, comme l’exige la LIPR. Ainsi, la demanderesse ne peut revenir au Canada sans avoir obtenu au préalable l’autorisation d’un agent d’immigration, sous forme d’une ARC. La demanderesse n’a pas quitté le Canada pendant presque trois ans après l’expiration du délai prescrit suivant la levée du sursis d’exécution, afin de bénéficier, selon ses dires, d’un examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

III.  La procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 27 juillet 2010 par laquelle un conseiller et gestionnaire des opérations de la section d’immigration de l’ambassade du Canada au Mexique, a rejeté, suivant l’article 52 de la LIPR, la demande d’ARC de la demanderesse, une demandeure d’asile déboutée.

 

 

 

IV.  Le contexte factuel

[4]               Née le 21 juillet 1978, la demanderesse, Mme Maria Elena Parra Andujo, est citoyenne du Mexique. Elle a vécu au Canada du 11 juin 2002 au 17 avril 2007.

 

[5]               Le 23 mai 2003, la demanderesse a présenté une demande d’asile. Une mesure d’interdiction de séjour a été prise suivant l’alinéa 20(1)a) de la LIPR et l’article 6 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). En vertu du paragraphe 49(2) de la Loi, la mesure de renvoi prise contre la demanderesse était conditionnelle et ne pouvait prendre effet tant que l’une des conditions prévues au paragraphe ne se soit réalisée.

 

[6]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a, le 27 novembre 2003,  rejeté la demande d’asile de Mme Andujo, en concluant que celle‑ci n’était pas digne de foi. Le 31 mars 2004, la Cour fédérale a rejeté la demande de la demanderesse d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision.

 

[7]               Le rejet de la demande d’autorisation a mis fin au sursis d’exécution de la mesure d’interdiction de séjour (par. 231(1)a) du RIPR). La mesure d’interdiction de séjour est devenue donc exécutoire le 31 mars 2004 (paragraphe 48(1) de la LIPR). La demanderesse s’est vu accorder un délai de 30 jours pour quitter le Canada suivant la levée du sursis d’exécution. Le 30 avril 2004, la mesure de renvoi est devenue une mesure d’expulsion conformément au paragraphe 224(2) du RIPR.

 

[8]               La demanderesse n’a pas quitté le Canada afin de bénéficier, selon ses dires, d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). Le 2 janvier 2007, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) lui a envoyé un avis de convocation à une entrevue avec un agent d’exécution pour mettre à jour son dossier. Le 13 janvier 2007, la demanderesse a rencontré un agent d’exécution, qui l’a informée de son droit de présenter une demande d’ERAR, laquelle a entraîné un sursis d’exécution de la mesure d’expulsion en attendant la décision relative à la demande d’ERAR (article 232 du RIPR).

 

[9]               Le 26 janvier 2007, la demanderesse a présenté une demande d’ERAR qui a été rejetée. Comme le prévoit l’alinéa 232c) du RIPR, le sursis prévu à l’article 232 du RIPR a pris fin avec le rejet de la demande d’ERAR. La demanderesse n’a pas présenté de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision et, le 17 avril 2007, la demanderesse a fait l’objet d’une mesure d’expulsion.

 

[10]           Le 29 décembre 2008, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Sa demande de résidence au Québec a été accueillie et elle a obtenu un Certificat de sélection du Québec (le certificat de sélection). Ayant obtenu le certificat de sélection, la demanderesse a été en mesure de faire une demande de visa de résident permanent fondée sur le certificat de sélection de la province du Québec.

 

[11]           Par lettre datée du 25 mars 2009, la demanderesse a été avisée qu’elle devait présenter une demande d’ARC et fournir des renseignements à l’appui (DD, p. 15). Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer les circonstances justifiant la prise d’une mesure de renvoi, la demanderesse a, le 17 mai 2009, envoyé une lettre faisant référence à sa demande de visa de résident permanent. La demanderesse a expliqué pourquoi elle devait obtenir une autorisation écrite d’un agent d’immigration canadien lui permettant de revenir au Canada (DD, p. 29‑30).

 

 

[12]           Le 24 mars 2010, un courriel a été envoyé à la demanderesse lui demandant, pour une deuxième fois, de fournir les motifs de la décision rendue par la Commission à l’égard de sa demande d’asile (mémoire des arguments et affidavit du défendeur, p. 11).

 

[13]           Le 27 juillet 2010, le conseiller a rejeté la demande d’ARC. Le même jour, l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse, puisqu’elle a été jugée interdite de territoire en raison d’une décision défavorable relative à l’ARC (décisions datées du 27 juillet 2010, et notes du STIDI, DD, p. 8-10 et 11-13).

 

V.  La décision contestée

[14]           Par décision datée du 27 juillet 2010, le conseiller a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’il existait des motifs convaincants permettant d’accorder une ARC, eu égard aux circonstances justifiant la prise d’une mesure de renvoi. Plus précisément, le conseiller a tenu compte de l’explication fournie par la demanderesse pour avoir quitté le Canada trois ans environ après l’expiration du délai prescrit de 30 jours suivant la levée du sursis d’exécution de la mesure de renvoi. Le conseiller a conclu que l’explication fournie par la demanderesse était insuffisante, et a ainsi rejeté sa demande d’ARC :

Votre application et la documentation l’accompagnant ont été revues avec soin. Cependant, le Gestionnaire des opérations, qui détient la permission d’autoriser ou non une Autorisation de retour n’est pas satisfait qu’il existe des circonstances atténuantes justifiant votre retour au Canada. Les circonstances entourant votre renvoi du Canada et les raisons d’y retourner ont été considérées dans l’évaluation de votre cas. Cette décision a pour effet de vous interdire de territoire tel qu’il est prescrit au paragraphe 52(1) de la loi :

 

52(1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent.

 

En conséquence[], il a été établi que vous étiez inadmissible au Canada et qu’il n’est pas dans l’intérêt de la population de vous émettre une autorisation de retour annulant cette interdiction. Il ne semble pas qu’il existe des raisons suffisantes et documentées pour justifier votre admission au Canada.

 

(Décision datée du 27 juillet 2010, DD, p. 8).

 

[15]           Par suite de cette décision défavorable, l’agent des visas de l’ambassade du Canada au Mexique a, le 27 juillet 2010, rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par la demanderesse.

 

VI.  La position des parties

[16]           Selon la demanderesse, la décision révèle les erreurs suivantes, permettant de demander son réexamen :

A)  L’agent a omis de tenir compte de la nature mineure quant à l’infraction à la LIPR; le régime législatif  lui‑même permet que la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle devienne une mesure d’expulsion, mais qu’il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi;

B)  L’agent a également omis de tenir compte de nombreux autres facteurs exigés expressément par les lignes directrices du ministre, à savoir :

a.       l’unique infraction de la demanderesse était de rester au Canada, après le prononcé, par la Commission, de la décision défavorable, afin de bénéficier d’un ERAR;

b.      la demanderesse s’est empressée de quitter le Canada après avoir reçu une décision d’ERAR négative;

c.       la demanderesse a payé son billet d’avion pour retourner au Mexique;

d.      la demanderesse n’a commis aucune autre infraction au regard des autorités de l’immigration;

e.       la demanderesse avait reçu une offre d’emploi;

f.        la demanderesse est une immigrante sélectionnée par la province du Québec;

g.       la demanderesse a fait des études, alors qu’elle se trouvait au Canada, a appris les deux langues officielles et a travaillé;

h.       la demanderesse a travaillé comme bénévole alors qu’elle se trouvait au Canada.

C)  La décision de l’agent est entachée d’erreurs de fait flagrantes, à savoir :

a.   le conseiller fait référence dans sa décision à l’article 36 de la LIPR;

b.      le formulaire autorisant l’ambassade du Canada à rembourser à la demanderesse les frais relatifs au droit de résidence permanente a été envoyé au mauvais destinataire, au nom de « Leonardo Pantoja Munoz » (dossier du tribunal, p. 6);

c.       la demanderesse n’a jamais reçu le courriel présumé daté du 24 mars 2010.

 

[17]           Le défendeur soutient que la décision du conseiller est une décision administrative discrétionnaire et que cette décision était raisonnable, selon le contexte législatif et la jurisprudence. Dans le cadre du processus relatif à l’ARC, il a été demandé à la demanderesse des renseignements qu’elle n’a pas fournis. De plus, les notes du STIDI, consignées par le décideur, démontrent que tous les facteurs pertinents ont été pris en considération.

 

VII.  La question en litige

[18]           La décision par laquelle le conseiller a refusé une ARC à la demanderesse, était‑elle raisonnable?

 

VIII.  Les dispositions législatives applicables

[19]           La disposition suivante de la LIPR est applicable dans la présente instance :

Interdiction de retour

 

 

52.      (1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

 

Retour au Canada

 

(2) L’étranger peut revenir au Canada aux frais du ministre si la mesure de renvoi non susceptible d’appel est cassée à la suite d’un contrôle judiciaire.

No return without prescribed authorization

 

52.      (1) If a removal order has been enforced, the foreign national shall not return to Canada, unless authorized by an officer or in other prescribed circumstances.

 

Return to Canada

 

(2) If a removal order for which there is no right of appeal has been enforced and is subsequently set aside in a judicial review, the foreign national is entitled to return to Canada at the expense of the Minister.

 

[20]           Les dispositions suivantes du RIPR sont applicables dans la présente instance :

Types

 

223. Les mesures de renvoi sont de trois types : interdiction de séjour, exclusion, expulsion.

 

Mesure d’interdiction de séjour

 

224.     (1) L’exécution d’une mesure d’interdiction de séjour à l’égard d’un étranger est un cas prévu par règlement qui exonère celui-ci de l’obligation d’obtenir l’autorisation prévue au paragraphe 52(1) de la Loi pour revenir au Canada.

 

Exigence

 

(2) L’étranger visé par une mesure d’interdiction de séjour doit satisfaire aux exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) au plus tard trente jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure devient une mesure d’expulsion.

 

Exception : sursis ou détention

 

(3) Si l’étranger est détenu au cours de la période de trente jours ou s’il est sursis à la mesure de renvoi prise à son égard, la période de trente jours est suspendue jusqu’à sa mise en liberté ou jusqu’au moment où la mesure redevient exécutoire.

 

[…]

 

Mesure d’expulsion

 

226.     (1) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, mais sous réserve du paragraphe (2), la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

 

Application de l’alinéa 42b) de la Loi

 

(2) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, le cas de l’étranger visé par une mesure d’expulsion prise du fait de son interdiction de territoire au titre de l’alinéa 42b) de la Loi est un cas prévu par règlement qui dispense celui-ci de l’obligation d’obtenir une autorisation pour revenir au Canada.

 

Mesure de renvoi — certificat

 

(3) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, la mesure de renvoi visée à l’article 81 de la Loi oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

Types of removal order

 

223. There are three types of removal orders, namely, departure orders, exclusion orders and deportation orders.

 

Departure order

 

 

224.     (1) An enforced departure order is prescribed as a circumstance that relieves a foreign national from having to obtain authorization under subsection 52(1) of the Act in order to return to Canada.

 

 

Requirement

 

(2) A foreign national who is issued a departure order mus meet the requirements set out in paragraphs 240(1)(a) to (c) within 30 days after the order becomes enforceable, failing which the departure order becomes a deportation order.

 

 

Exception — stay of removal and detention

 

(3) If the foreign national is detained within the 30-day period or the removal order against them is stayed, the 30-day period is suspended until the foreign national's release or the removal order becomes enforceable.

 

 

 

Deportation order

 

226.     (1) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, and subject to subsection (2), a deportation order obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the deportation order was enforced.

 

Application of par. 42(b) of the Act

 

(2) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, the making of a deportation order against a foreign national on the basis of inadmissibility under paragraph 42(b) of the Act is prescribed as a circumstance that relieves the foreign national from having to obtain an authorization in order to return to Canada.

 

Removal order — certificate

 

 

(3) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, a removal order referred to in paragraph 81(b) of the Act obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the removal order was enforced.

 

[21]           L’article 232 du RIPR est également pertinent en l’espèce :

Sursis : examen des risques avant renvoi

 

232. Il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l’intéressé aux termes du paragraphe 160(3) qu’il peut faire une demande de protection au titre du paragraphe 112(1) de la Loi. Le sursis s’applique jusqu’au premier en date des événements suivants [...]

Stay of removal — pre-removal risk assessment

 

232. A removal order is stayed when a person is notified by the Department under subsection 160(3) that they may make an application under subsection 112(1) of the Act, and the stay is effective until the earliest of the following events occurs …

 

 

IX.  La norme de contrôle

[22]           Notre Cour, s’exprimant par l’intermédiaire du juge John A. O’Keefe, a récemment examiné la question de la norme de contrôle applicable dans le cadre d’une décision relative à une ARC. La Cour a conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité :

[21]      La Cour suprême a aussi conclu, dans Dunsmuir, qu’il n’est pas nécessaire de mener l’analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. Ainsi, dans les cas où la norme de contrôle applicable à la question à trancher est bien établie dans la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche est stérile que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs appliqués dans le cadre de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[22]      Dans Sahakyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1542  (Sahakyan), la Cour a conclu que lorsqu’il s’agit du contrôle judiciaire d’une demande fondée sur l’article 52 de la Loi, c’est la décision raisonnable simpliciter qui s’applique.

 

[23]      Par conséquent, à la lumière de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême et des décisions antérieures de la Cour, je conclus que c’est la raisonnabilité qui s’applique comme norme de contrôle à la question de savoir si l’agent d’immigration a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’il s’agit d’examiner une décision en appliquant la norme de raisonnabilité, l’analyse « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; voir Dunsmuir, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour devrait uniquement intervenir si la décision était déraisonnable dans la mesure où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». 

 

[. . .]

 

[60]      Je conviens avec le défendeur que, vu la nature très discrétionnaire et factuelle des décisions relatives aux autorisations de retour au Canada (ARC), la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue lorsqu’elle examine ce type de décisions au regard de la norme de raisonnabilité. Comme il ressort clairement de la jurisprudence, un décideur n’a guère besoin de fournir de motifs ou de justification dans ce contexte; voir Akbari, au paragraphe 11; Chazaro, au paragraphe 21; Singh.

 

(Umlani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1373, 77 Imm LR (3d) 179; et Pacheco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 347, au par. 27 et 28).

 

X.  Analyse

[23]           Bien que la demanderesse ait allégué que l’agent a commis les erreurs qui sont énumérées au paragraphe 16 de la présente décision, ces « erreurs » sont plutôt des circonstances qui, selon la demanderesse, auraient dû réduire la sévérité de la réponse de l’agent relativement à l’ARC, et  créer même un climat propice à une décision contraire, plutôt qu’à une décision favorable en ce qui le concerne. Vu la nature discrétionnaire d’une ARC sous le régime de la LIPR, la décision du conseiller était raisonnable, selon les faits de l’espèce. Le régime législatif applicable au regard d’une demande d’ARC a déjà été énoncé par le juge Maurice Lagacé, dans Khakh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 710 :

IV. Les dispositions applicables

 

[15]      Les demandeurs d’asile déboutés, tels que les demandeurs dans la présente affaire, sont passibles de renvoi après qu’une décision définitive a été rendue sur leur demande d’asile. L’article 223 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑27 (le Règlement), décrit trois genres de mesures de renvoi, à savoir les mesures d’interdiction de séjour, les mesures d’exclusion et les mesures d’expulsion.

 

[16]      Selon le paragraphe 224(2) du Règlement, l’étranger visé par une mesure d’interdiction de séjour doit quitter le Canada au plus tard 30 jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure devient une mesure d’expulsion.

[17]      Cette conversion a son importance. Selon le paragraphe 224(1) du Règlement, l’étranger contre qui une mesure d’interdiction de séjour a été exécutée est dispensé de l’obligation d’obtenir l’autorisation prévue au paragraphe 52(1) de la Loi pour revenir au Canada. Cependant, après qu’une mesure d’interdiction de séjour devient une mesure d’expulsion exécutoire, le renvoi du Canada entraîne d’importantes conséquences. L’article 226 du Règlement, qui régit les mesures d’expulsion, dispose que la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

 

[24]           En l’espèce, en ne quittant pas le Canada à l’intérieur de la période de 30 jours prévue par le paragraphe 224(2) du RIPR, la demanderesse est tombée sous le coup d’une mesure d’expulsion qui a été exécutée lorsqu’elle a finalement quitté le Canada, le 17 avril 2007. Par conséquent, en application du paragraphe 52(1) de la LIPR et de l’article 226 du RIPR, la demanderesse ne peut pas revenir au Canada sans autorisation écrite préalable. Dans Chazaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 966, 155 ACWS (3d) 640, le juge Pierre Blais a déclaré que la LIPR ou le RIPR ne prévoient aucun critère permettant d’évaluer une demande d’ARC. La Cour a déclaré ce qui suit :

[19]      Ni la Loi, ni le Règlement n’imposent de critères à l’agent chargé d’évaluer une demande d’autorisation de retour. Cependant, l’arrêt Sahakyan, ci‑dessus, donne des lignes directrices. Le juge Harrington, au paragraphe 23, a indiqué que l’élément central pour le genre d’évaluation qui a eu lieu en l’espèce est l’analyse des raisons relatives au retard du demandeur à quitter le Canada :

En dernier ressort, il appartient aux cours, non au ministre ou à ses représentants, d’interpréter la Loi. L’accent que l’agent a mis sur des questions qui n’auraient pas été pertinentes si M. Sahakyan avait quitté le pays au bon moment démontre qu’il a mal interprété la Loi. Cela ne veut pas dire que les antécédents canadiens de M. Sahakyan ne sont pas pertinents. Ce que cela signifie c’est que ces antécédents doivent être pertinents à son départ tardif. L’élément central des préoccupations de l’agent devait être les raisons pour lesquelles M. Sahakyan avait quitté le pays en juin plutôt qu’en mars. [je souligne]

 

[25]           En outre, la décision d’autoriser l’admission de la demanderesse au Canada après avoir fait l’objet d’une mesure d’expulsion doit revenir au ministre « sans qu’il ait à donner quelque motif que ce soit […] [mais ayant l’obligation d’] examiner équitablement les motifs proposés, reconnaître qu’il en a pris connaissance, et arrêter sa décision » (Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 6 FTR 15, 1 ACWS (3d) 28).

 

La décision du conseiller est raisonnable

 

[26]           Le paragraphe 52(1) de la LIPR prévoit que « [l]’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement ». En exigeant une autorisation de revenir au Canada (ARC), l’article 52 de la LIPR envoie « un message clair aux personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire afin qu’elles la respectent », comme il est indiqué dans les lignes directrices suivantes :

[…] à défaut de quoi elles pourraient payer cher leur faute et être bannies définitivement du Canada. Ainsi, l’ARC ne devrait pas être utilisée comme un moyen courant de contourner cette mise au ban. Elle devrait plutôt servir dans les cas où l’agent juge que cette autorisation est justifiable en fonction des faits se rattachant au cas.

 

Les personnes qui demandent une ARC doivent démontrer qu’il existe des motifs impérieux pour que leur demande soit considérée, qui peuvent être mis en balance avec les circonstances qui ont nécessité la prise d’une mesure de renvoi. Elles doivent également démontrer qu’elles constituent un risque minime pour les Canadiens et la société canadienne. Le simple fait de répondre aux critères d’admissibilité au visa ne suffit pas pour accorder une ARC.

 

(Guide de CIC, « OP 1 Procédures », 28 août 2009).

 

[27]           La demanderesse ne peut pas justifier le non‑respect de la mesure de renvoi par le fait qu’elle a décidé de rester au Canada et de bénéficier d’un ERAR et que l’avis prévu à l’article 160 du RIPR a été émis après que la mesure de renvoi est devenue une mesure d’expulsion. Dans Revich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 852, 180 FTR 201, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a conclu que le défendeur n’a pas agi de façon inéquitable lorsqu’il a avisé la demanderesse de son droit à présenter une demande d’ERAR après le moment où la  mesure d’interdiction de séjour prise à son encontre était déjà devenue une mesure d’expulsion. Comme l’a affirmé le conseiller, la LIPR obligeait la demanderesse à obtenir une attestation de départ dans le délai prescrit, et l’ignorance de cette exigence ne justifie pas l’inobservation de celle‑ci. La Cour s’appuie sur la décision du juge Blais dans Chazaro, précitée, au paragraphe 22.

 

[28]           Après avoir examiné tous les éléments de preuve fournis,  notamment la lettre de la demanderesse datée du 17 mai 2009, le conseiller a rejeté la demande d’ARC pour les raisons suivantes :

·        L’explication fournie par la demanderesse pour avoir quitté le Canada trois ans environ après l’expiration du délai prescrit de 30 jours suivant la levée du sursis d’exécution n’a pas été jugée satisfaisante. La demanderesse a déclaré qu’elle ignorait que la mesure d’interdiction de séjour serait exécutée si elle demandait l’asile. Le conseiller n’a pas accepté l’ignorance de la loi à titre d’explication parce que la demanderesse avait bénéficié des services d’un interprète lors de la signature de la mesure d’interdiction de séjour et qu’elle était une personne instruite;

·        Même si la demanderesse faisait l’objet d’un certificat de sélection de la province du Québec, cela ne suffit pas pour l’emporter sur l’obligation de convaincre l’agent de révision et de justifier le dépassement de la durée de séjour autorisée.

(DD, pp. 8-10).

 

[29]           En ce qui concerne l’examen des facteurs antérieurs à une ARC, le juge O’Keefe, dans Pacheco, précitée, a dit ce qui suit :

[51]      Pour les décisions quant à l’ARC, en général, l’agent dispose du pouvoir discrétionnaire de décider quels faits il prendra ou non en considération. Les demandes d’ARC ne devraient pas être vues comme de mini‑demandes fondées sur des motifs humanitaires. Plutôt, une décision quant à l’ARC est non seulement de nature fortement discrétionnaire, mais également « relève dans une large mesure d’un pouvoir d’appréciation libre et subjectif » (Akbari, précitée, paragraphes 8 et 11).

 

[52]      En l’absence de circonstances particulières s’apparentant aux circonstances de l’affaire Akbari, précitée, les agents des visas n’ont pas à mentionner expressément dans leurs motifs la totalité des faits présentés par les demandeurs, et ils ne sont « pas non plus tenu[s] d’exposer formellement [leurs] motifs » (Akbari, précitée, paragraphe 11).

 

[53]      La situation unique de Mme Akbari nécessitait qu’on lui porte une considération particulière. On n’a pas affaire à une situation semblable en l’espèce. En outre, aucun élément de preuve ne réfute la présomption que l’agent des visas a bien pris en compte les facteurs susmentionnés. La personne qui rend une décision quant à l’ARC n’est pas tenue d’exposer formellement ses motifs ni d’en donner le détail.

 

[30]           La demanderesse a également affirmé que son acceptation sous le régime du certificat de sélection constitue normalement un motif convaincant pour revenir au Canada. Le défendeur n’a pas contesté cet argument. Toutefois, le fait d’avoir des motifs convaincants pour revenir au Canada relève du facteur relatif aux « Motifs de la demande de revenir au Canada ». Ce facteur est lui‑même l’un des trois facteurs importants énumérés dans le guide OP1 (DD, p. 23). Les deux autres facteurs portent sur la gravité de l’infraction et les antécédents de collaboration avec les autorités de l’immigration. Le conseiller a estimé que ces deux facteurs l’emportent sur les motifs de la demande de revenir au Canada. Cette décision constituait une issue possible raisonnable selon les faits de l’espèce et la Cour ne doit pas intervenir.

 

XI.  Conclusion

[31]           Compte tenu de ces faits et de la nature hautement discrétionnaire de la décision, les motifs justifiant le refus du conseiller de délivrer une autorisation de revenir Canada étaient entièrement raisonnables.

 

[32]      Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit rejetée, sans questions à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5409-10

 

INTITULÉ :                                       MARIA ELENA PARRA ANDUJO c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Shams, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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