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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110620

Dossier : IMM-6120-10

 

Référence : 2011 CF 722

[Traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 20 juin 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ZINN

 

 

ENTRE :

 

 

 

MARIE MADELEINE CORNEAU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada a jugé que la demanderesse n'avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’elle disposait à Sainte-Lucie d’une protection adéquate de l'État.

 

[2]               Madame Corneau a demandé l’asile parce qu’elle était victime de mauvais traitements de la part de son ex-conjoint de fait, Denys Knox. Elle affirme qu'au cours des 15 années pendant lesquelles leur relation a duré, il la maltraitait physiquement et la battait fréquemment. Elle a communiqué avec la police à cinq reprises pour obtenir de l'aide, mais les policiers ne l’ont pas aidée parce que d’après ce qu’ils lui ont expliqué sa situation familiale ne concernait qu’elle et son conjoint de fait. En 2004, après le dernier épisode où son conjoint l’a battue et l’a presque étranglée à mort, elle a quitté Sainte‑Lucie pour s'établir chez ses enfants qui vivent au Canada. Elle a appris que son départ a mis son conjoint de fait très en colère et qu'il s’est juré de la forcer à vivre avec lui si jamais elle revenait.

 

[3]               La demanderesse a laissé plus de quatre ans s'écouler avant de déposer sa demande d'asile. Bien que la Commission ait examiné la question de la présentation tardive de la demande d’asile et que cette question ait été soulevée dans la présente instance, il ne s’agit pas d’une question déterminante qui a fait en sorte que la Commission a rejeté sa demande d'asile. Il n'est donc pas nécessaire d’examiner cette question davantage.

 

[4]               La Commission a indiqué que dans la présente demande d’asile, la question déterminante portait sur la protection de l'État.

 

[5]               Compte tenu des faits de la présente affaire, la conclusion de la Commission selon laquelle Sainte-Lucie est en mesure d’assurer adéquatement la protection de la demanderesse est déraisonnable. La demanderesse s'est adressée à la police à cinq reprises. Aucune mesure n'a été prise afin de la protéger contre son agresseur. Elle s'est finalement enfuie après que son conjoint l’eut presque étranglée à mort. La Commission n'a tiré aucune conclusion défavorable quant au caractère crédible de la version des événements de la demanderesse. Par conséquent, il doit être tenu pour acquis que les allégations de la demanderesse sont vraies.

 

[6]               Malgré la bonne volonté d’un État de protéger ses citoyens, il n’offre pas une protection si dans les faits les citoyens ne peuvent s’en prévaloir. Les décisions citées par la demanderesse appuient, dans le contexte de la violence conjugale dans les Caraïbes, ce principe : Mitchell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 133; Clyne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1670; Hooper c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1359, et Lewis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 282. En l’espèce, la preuve de la demanderesse établit que l'État, représenté ici par la police, a été incapable ou peu disposé à lui offrir une protection.

 

[7]               L’essentiel de la décision de la Commission repose sur les conclusions suivantes, lesquelles sont intimement liées : (1) le gouvernement de Sainte-Lucie a mis en place des initiatives pour lutter contre la violence conjugale et (2) la demanderesse n’a pas cherché à obtenir les services des divers organismes qui viennent en aide aux femmes battues, et n’a pas déposé de plainte auprès de la direction interne du service de police chargée du traitement des plaintes.

 

[8]               La première conclusion est déraisonnable parce que, comme indiqué ci-dessus, les initiatives mises en place ne servent à rien si elles ne se traduisent pas par une protection adéquate. J’estime particulièrement inquiétant que la Commission ait accepté, sans s’interroger davantage, l’affirmation de juillet 2009 non corroborée du directeur du ministère de l’Intérieur et des Relations selon lequel « la réponse de la police par rapport à la violence conjugale s’est [traduction] "améliorée de façon significative" au cours des huit à neuf dernières années en raison de la formation fournie par la Division des relations entre les sexes (Division of Gender Relations) afin de faire de la sensibilisation » et « cette amélioration est devenue [traduction]"encore plus manifeste" grâce à la création de la VPT ». Il faut examiner la véracité de cette allégation, dans le cas de la demanderesse, en tenant compte du fait que, durant cette même période, la demanderesse n'a reçu aucun soutien du service de police malgré qu'elle ait signalé les mauvais traitements. De plus, le document contenant la déclaration du directeur comporte également une opinion contraire émanant du directeur général du Centre de crise de Sainte-Lucie qui ne [traduction] « pense pas que la police est efficace pour lutter contre la violence conjugale ni que la création de la VPT a amélioré la situation ». La Commission a également omis de tenir compte de l'exemple, donné dans ce rapport, de la mort d'une victime de violence conjugale qui avait déposé « de nombreuses » plaintes contre son agresseur à la police, plaintes auxquelles on n'a « jamais donné suite ». En outre, la Commission ne mentionne pas la déclaration de l'avocat de la demanderesse dans ce rapport portant que « la police ne prend pas toujours les cas de violence conjugale au sérieux ». En bref, la Commission ne cite aucun élément dépeignant la situation autrement que le fait le gouvernement de Sainte-Lucie.

 

[9]               Je suis d'accord avec le défendeur pour dire qu’il n’est pas nécessaire que la Commission fasse référence à chaque élément de preuve versé au dossier. Cependant, il est déraisonnable pour la Commission de se fonder sur une opinion non corroborée et de ne pas tenir compte des déclarations et des éléments de preuve contradictoires, ni de les mentionner, sans donner d’explications sur les raisons pour lesquelles elle a préféré les perspectives positives données par un fonctionnaire du gouvernement au détriment des opinions défavorables et des exemples donnés par d'autres.

 

[10]           Le deuxième motif sur lequel s’est fondée la Commission est déraisonnable parce qu’un demandeur d’asile n'est pas tenu de demander la protection ou l'aide d'organisations non gouvernementales ou d'organismes administratifs pour réfuter la présomption de la protection de l'État. Il suffit d’obtenir la protection du service de police ou de l'organisme responsable de la sécurité des citoyens. Bien que les refuges, les services de counseling et les services de téléassistance puissent être utiles pour les femmes qui fuient les mauvais traitements, ces institutions ne sont pas chargées d'assurer leur sécurité physique; c'est le travail de la police. Dans la plupart des cas, si un demandeur d’asile établit que le service de police ou une autorité analogue est incapable de le protéger du danger précisé aux articles 96 ou 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, il aura réfuté la présomption de la protection de l'État. À cet égard, je fais miens les commentaires suivants de la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 25 de Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 491 :

Or, j’estime que ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés.

 

[11]           Les remarques de la Commission selon lesquelles la demanderesse aurait pu consulter la direction interne du service de police chargée du traitement des plaintes sont, elles aussi, déraisonnables. Rien dans la preuve n’indique que la demanderesse connaissait, ou aurait dû connaître, l’existence de cette direction. Je remarque qu'elle n’a terminé que la cinquième année du primaire. Le fardeau qui incombe aux demandeurs d’asile de fournir des éléments de preuve « clairs et convaincants » afin de réfuter la présomption de la protection de l'État ne va pas jusqu'à exiger qu’ils sollicitent la protection des différentes directions de la police. Quoi qu’il en soit, la Commission laisse elle-même entendre que la direction interne chargée du traitement des plaintes est censée examiner les plaintes relatives à la corruption. Or, en l’espèce la demanderesse allègue que la police ne lui a pas offert de protection, et non un problème de corruption. Enfin, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que la demanderesse ‑ qui, en plus d’être naïve, n'est pas instruite – compose avec le système judiciaire — que la preuve documentaire décrit comme étant problématique — pour obtenir une ordonnance de protection — dont la valeur est remise en question par la preuve documentaire — après avoir tenté à maintes reprises, mais en vain, d’obtenir la protection de la police, et après avoir subi une dernière agression qui a failli causer sa mort.

 

[12]           Sont également déraisonnables la remarque la Commission selon laquelle les « omissions locales » de maintenir l'ordre d'une façon efficace n'équivalent pas à une absence de protection étatique et la conclusion de la Commission selon laquelle l’omission, dans le cas de la demanderesse, n'indique pas une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’offrir une protection. Sainte-Lucie est une petite nation insulaire d'environ 174 000 habitants, dont le service de police compte 826 membres (y compris la garde côtière). Compte tenu de cette très petite taille, il est difficile d'accepter que les omissions de maintenir l'ordre d'une façon efficace soient vraiment « locales », particulièrement dans la capitale, Castries, là où la demanderesse vivait.

 

[13]           Pour ces motifs, la demande est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie, l’affaire renvoyée à un autre commissaire de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6120-10

 

INTITULÉ :                                       MARIE MADELEINE CORNEAU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le14 juin 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      le20 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nina Chandy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BABALOLA ODELEYE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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