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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110620

Dossier : IMM-7259-10

Référence : 2011 CF 723

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 juin 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

IMRENE NAGY

HELENA MERCEDESZ HORVATH

(alias HELENA MERCEDES HORVATH)

(une mineure)

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse principale, Imrene Nagy, est hongroise. La demanderesse mineure, Helena Horvath, est sa fille âgée de six ans, dont le père, Sandor Horvath, est un Rom.

 

[2]               La demande d’asile de la demanderesse principale a été rejetée sur le fondement de la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle la demanderesse principale n’était pas crédible et, par conséquent, que les événements importants qu’elle alléguait lui être arrivés n’avaient pas réellement eu lieu. La SPR a exposé le motif suivant au soutien de son rejet de la demande d’asile de la demanderesse mineure :

Étant donné que la demande d’asile de la demandeure d’asile mineure repose entièrement sur la preuve de la demandeure d’asile principale et qu’aucune preuve convaincante n’a été présentée pour établir une distinction entre sa demande d’asile et celle de la demandeure d’asile principale, la demande d’asile de la demandeure d’asile mineure doit également être rejetée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[3]               Les demanderesses soulèvent deux questions. Elles soutiennent que la conclusion de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse principale était déraisonnable et que le commissaire a omis d’examiner adéquatement la demande d’asile de la demanderesse mineure.

 

[4]               La demande de statut de la demanderesse principale était fondée sur son allégation selon laquelle elle avait subi de la violence psychologique et physique aux mains de son ex-époux, Imre Nagy, un policier.

 

[5]               Je conviens avec la demanderesse principale que la conclusion du commissaire selon laquelle elle mentait au sujet de la violence que lui aurait fait subir son époux durant leur mariage ne semble pas être fondée sur une analyse au début de laquelle la véracité des allégations de la demanderesse principale auraient été présumées. Le commissaire a justifié sa conclusion, selon laquelle la demanderesse principale n’était pas crédible à cet égard, principalement en invoquant le fait que la demanderesse principale n’avait pas soulevé d’allégations de violence lors de sa procédure en divorce non contestée, en 2000. Non seulement ce raisonnement repose-t-il sur des présomptions non étayées au sujet de la situation personnelle de la demanderesse principale, mais il semble être fondé sur des présomptions stéréotypées quant au comportement que devraient avoir les femmes qui fuient la violence familiale. Il n’y a aucun fondement aux présomptions du commissaire selon lesquelles la demanderesse principale aurait voulu discuter de la violence qu’elle avait subie devant une tribune publique ou qu’elle ne craignait plus son époux, avec lequel elle devrait maintenir des rapports, étant donné qu’ils avaient des enfants communs et que son époux en aurait la garde.

 

[6]               Malgré cette conclusion problématique, il est clair que le commissaire a conclu que la majeure partie de l’exposé circonstancié de la demanderesse principale n’était pas crédible. Ces conclusions étaient raisonnables, et il est clair que le commissaire en serait arrivé à la même décision indépendamment de l’erreur susmentionnée. Le commissaire n’a tout simplement rien cru de ce que la demanderesse principale avait dit au sujet de la violence subie aux mains de son ex‑époux, et avec raison : son récit était truffé d’omissions et de contradictions, et ses explications n’étaient pas convaincantes. Le commissaire était le mieux placé pour apprécier la crédibilité de la demanderesse principale, et son appréciation a été défavorable. Même en faisant abstraction du fait que le commissaire était présent en personne à l’audience, la transcription de l’audience, en particulier aux pages 284, 286 et 288 du dossier certifié du tribunal, montre que les réponses de la demanderesse principale aux omissions et contradictions dans son récit n’étaient pas convaincantes :

                        [traduction]

LE COMMISSAIRE : […] Alors, pouvez-vous expliquer pourquoi nous avons deux réponses différentes ici?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : J’ai oublié. Il se passait tellement de choses, et j’étais si nerveuse.

 

[…]

 

LE COMMISSAIRE : […] Pourquoi n’avez-vous pas mentionné cela dans votre exposé circonstancié?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : Parce que je ne pensais pas que c’était très important.

 

[…]

 

LE COMMISSAIRE : Pourquoi cet incident n’est-il pas mentionné dans votre FRP [Formulaire de renseignements personnels]?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : Je ne pensais pas que c’était si important, chaque renseignement. Parce qu’à l’époque où ces documents-là étaient en cours de préparation, j’étais très déprimée, et j’ai été traitée en Hongrie.

 

[…]

 

LE COMMISSAIRE : Madame, pourquoi cet incident n’est-il pas mentionné dans votre FRP?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : Parce que j’ai oublié. J’oublie beaucoup de choses, malheureusement.

 

Ces quatre échanges concernaient quatre aspects problématiques différents des éléments de preuve présentés par la demanderesse.

 

[7]               Ces contradictions ont amené le commissaire à conclure, aux paragraphes 29 et 31 de la décision, que la demanderesse principale n’était tout simplement pas un témoin crédible :

Compte tenu des graves incohérences, écarts et omissions qui ont été relevés concernant de nombreuses questions importantes liées à ces demandes d’asile, j’estime que, en général, la demandeure d’asile principale n’était pas crédible. J’estime simplement, selon la prépondérance des probabilités, que les événements importants que la demandeure d’asile principale prétend avoir vécus ne se sont en fait pas produits.

 

[…]

 

Je suis obligé de rendre une décision fondée sur des éléments de preuve réputés crédibles et dignes de foi. Cependant, j’estime qu’il n’y en a aucun.

 

 

[8]               Malgré la conclusion suspecte du commissaire quant à la vraisemblance liée au défaut de soulever des allégations de violence durant la procédure en divorce, je conclus que la décision du commissaire au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale était raisonnable. Il a relevé de nombreux aspects très problématiques des éléments de preuve, qui ont servi de fondement à une conclusion défavorable quant à la crédibilité, et il était le mieux placé pour tirer cette conclusion. En outre, un examen de la transcription étaye ces conclusions.

 

[9]               Est beaucoup plus troublant le défaut du commissaire d’examiner convenablement la demande d’asile de la demanderesse mineure. Il ressort à l’évidence de la transcription et des observations écrites du conseil, déposées après l’audience, que la demande d’asile de la demanderesse mineure se fondait sur deux moyens : premièrement, en tant qu’enfant de la demanderesse principale, la demanderesse mineure était menacée par l’ex-époux de sa mère, et deuxièmement, en tant que personne d’origine rom en Hongrie, elle était exposée à un risque de persécution.

 

[10]           Le premier moyen de la demanderesse mineure a été rejeté avec la demande d’asile de sa mère. Cependant, le commissaire n’a jamais contesté le fait qu’Helena Horvath était à moitié rom. Son identité a été admise, et elle porte le nom rom de son père. La question de l’identité ethnique d’Helena a clairement été soumise à la SPR tel qu’il ressort du témoignage de sa mère et des observations écrites subséquentes du conseil.

 

[11]           Le commissaire n’a tiré aucune conclusion quant au risque auquel Helena pourrait être exposée en raison de son ethnicité partiellement rom, statuant plutôt que sa demande d’asile ne pouvait pas être distinguée de celle de sa mère – même si sa mère n’était pas rom. Le défaut complet de la Commission de traiter de cet aspect de la demande d’asile d’Helena exige que la demande, dans la mesure où elle se rapporte à cet aspect de la demande d’asile de la demanderesse mineure, soit accueillie.

 

[12]           Le défendeur soutient que les demanderesses n’ont présenté aucun élément de preuve liant les documents sur la situation dans le pays aux circonstances particulières de la demanderesse mineure, et que la demanderesse principale n’a témoigné au sujet d’aucun incident de persécution relatif à l’ethnicité de sa fille. Ces motifs auraient pu constituer des motifs valables de rejeter la demande d’asile d’Helena, mais ils n’ont pas été évoqués par le commissaire. Il n’est pas loisible au défendeur de proposer des motifs que la SPR aurait pu invoquer ou qu’elle aurait dû invoquer pour rejeter la demande d’Helena. Pas plus qu’il n’appartient à la Cour de tirer une telle conclusion.

 

[13]           Les demanderesses soutiennent que la demanderesse principale peut aussi demander l’asile sur le fondement de sa crainte d’être persécutée en tant que mère d’un enfant rom (un risque de persécution auquel elle serait exposée en Hongrie de manière générale, et non précisément aux mains de son ex-époux). Cette prétention n’a pas été formulée dans son FRP ni dans les observations écrites formulées par son conseil après que la preuve eut été présentée. La demanderesse principale invoque l’échange suivant au soutien de ce moyen :

                        [traduction]

LE CONSEIL : Bon, je veux parler de vous d’abord. Votre vie serait menacée.

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : Oui, c’est vrai.

 

LE CONSEIL : Par qui?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : À cause d’Imre, par Imre.

 

LE CONSEIL : D’autres personnes? Y a-t-il d’autres personnes que vous craignez en Hongrie?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : (inaudible) à cause de ma fille, il pourrait y avoir des problèmes parce qu’elle est à moitié rom.

 

LE CONSEIL : Des problèmes pour vous?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : J’élève ma fille; elle est mon enfant.

 

LE CONSEIL : Qui causerait ces problèmes?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : Les gens qui n’aiment pas les Roms. Elle est mon enfant; je la protégerais.

 

LE CONSEIL : Lorsque vous dites les gens qui n’aiment pas les Roms, y a-t-il un nom pour ces gens ou simplement […]

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : J’ai oublié, il y a un nom.

 

LE CONSEIL : Mais vous ne parlez pas de gens que vous connaissez personnellement?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : Non, non.

 

LE CONSEIL : Y a-t-il d’autres personnes que vous craignez?

 

LA DEMANDEURE D’ASILE : Non, seulement ceux-là.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Il ressort à l’évidence de cet échange que la demanderesse principale n’a pas affirmé qu’elle avait éprouvé des problèmes du fait qu’elle était la mère d’un enfant rom, mais qu’elle pourrait en éprouver à l’avenir. Bien que ce motif de demande d’asile ait pu être ténu, le commissaire ne l’a pas examiné.

 

[15]           En conséquence, les demandes des demanderesses découlant de l’ethnicité rom de la demanderesse mineure doivent être renvoyées à la SPR pour décision. Ni l’un ni l’autre des avocats n’a proposé de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie en partie; la demande des demanderesses est accueillie et leur demande d’asile sur le fondement de l’ethnicité rom d’Helena Mercedesz Horvath (alias Helena Mercedes Horvath) est renvoyée à la Commission pour qu’une décision soit rendue sur cette demande par un autre commissaire, lequel examinera l’allégation de persécution en Hongrie, de manière générale, mais non celle du fait de l’agent de persécution prétendu, Imre Nagy.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7259-10

 

INTITULÉ :                                       IMRENE NAGY ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 juin 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 20 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

                      POUR LA DEMANDERESSE

Kevin Doyle

 

                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KOREMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                      POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                      POUR LE DÉFENDEUR

 

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