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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110622

Dossier : IMM-3627-11

Référence : 2011 CF 753

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de Monsieur le juge Barnes

 

ENTRE :

 

LILIANA RAMIREZ TRIANA

OSCAR ESTEBAN CANAS GOMEZ

SOFIA CANAS RAMIREZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

APRÈS avoir entendu la présente requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi le lundi 20 juin 2011 à Toronto;

 

            ET APRÈS avoir entendu les avocats des parties et avoir examiné les documents produits;

 

            ET APRÈS avoir tenu compte du critère à trois volets reconnu dans l’arrêt Toth c. Canada, (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.);

 

            ET APRÈS avoir pris l’affaire en délibéré;

 

            ET APRÈS avoir décidé que la présente requête devait être rejetée pour les motifs suivants :

 

[1]               Je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont établi l’existence d’une question sérieuse dans leur demande de contrôle judiciaire sous-jacente. D’après mon appréciation de la décision contestée rendue dans le cadre d’un ERAR, l’agente a procédé à une évaluation passablement exhaustive des conclusions de la SPR et des éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

 

[2]               L’agente a noté à juste titre que les allégations de risque formulées par les demandeurs étaient [traduction] « essentiellement les mêmes que celles qu’avait entendues et examinées la SPR. » La décision énonce également à juste titre qu’un ERAR n’est pas une occasion de rouvrir le débat sur les conclusions de la SPR ou de les réévaluer. Un ERAR offre plutôt la possibilité de présenter des éléments de preuve nouveaux que la SPR n’a pas examinés ou qui n’étaient pas disponibles pour qu’un demandeur puisse les présenter.

 

[3]               L’agente a pris bonne note des réserves de la SPR quant à la crédibilité, notamment en ce qui avait trait à l’absence de liens corroborants et auxquels on se serait attendu entre les événements invoqués par les demandeurs, au défaut des demandeurs de demander protection en temps opportun en Espagne, puis au fait que les demandeurs s’étaient réclamés de nouveau de la protection de la Colombie en 2009. L’agente a également cité le rejet par la SPR de l’explication [traduction] « invraisemblable » des demandeurs quant à leur défaut de demander protection à la première occasion en Espagne.

 

[4]               L’agente a ensuite examiné l’[traduction] « élément de preuve nouveau » présenté par les demandeurs et constitué de la lettre d’un enquêteur privé. L’agente n’a manifestement pas été impressionnée par cet élément de preuve, dont elle a décrit le contenu de la façon suivante :

[traduction]
Dans la lettre, M. Garcia Correa affirme qu’il est un enquêteur privé. Il a été engagé par l’avocat de la demanderesse principale pour enquêter sur la situation de la demanderesse principale en Colombie. Il affirme qu’il a interviewé Liliana Restrepo, commis à la réception du Dann Carlton Hotel. Il affirme que Mme Restrepo lui a dit qu’elle avait entendu parler d’un accrochage entre la demanderesse principale et certains invités de l’hôtel, mais qu’elle n’en avait pas été témoin. Elle a vu la demanderesse principale devenir pâle après avoir reçu un appel téléphonique, et elle croyait que les appels téléphoniques constituaient le motif pour lequel la demanderesse principale et son époux avaient démissionné de l’hôtel. L’enquêteur écrit également que Mme Restrepo lui a dit qu’il n’y avait aucun moyen de confirmer l’identité de l’invité à l’hôtel avec qui la demanderesse principale aurait eu un désaccord.

 

Je note que l’enquêteur répète les renseignements qu’il dit avoir recueillis. Ces renseignements ne correspondent pas à des faits dont l’enquêteur aurait eu personnellement connaissance, et ils ne sont pas non plus corroborés par un élément de preuve comme un affidavit de Mme Restrepo. L’enquêteur n’indique pas avoir communiqué avec qui que ce soit qui était présent le soir de l’incident (comme un agent de sécurité de l’hôtel), ni pourquoi il ne l’a apparemment pas fait. Je note en outre que le compte rendu de l’entretien qu’il dit avoir eu avec Mme Restrepo ne confirme pas la prétention de la demanderesse principale selon laquelle elle a été l’objet de menaces de la part de Daniel Mejia (ou de ses associés), M. Mejia (ou ses associés) était responsable de la mort de son collègue Omar Caicedo ou les associés de M. Mejia étaient actuellement intéressés à savoir où se trouvait la demanderesse principale.

 

L’enquêteur écrit également qu’il a interviewé un agent « qui s’est identifié comme étant Jorge Eduardo Mesias » […] de l’Unité des analyses criminelles. L’agent a indiqué à l’enquêteur qu’il parlait seulement « officieusement, parce qu’il devait observer la loi et traiter de tels renseignements comme confidentiels ». Aucun renseignement n’a été fourni quant à savoir comment l’agent avait été contacté ni sur le fondement de quels éléments de preuve objective l’enquêteur croyait que la personne en question était un agent qui avait participé à l’enquête au sujet de la mort d’Omar Caicedo. Je note que la lettre indique que l’enquêteur a demandé « […] des renseignements sur certains faits reliés à la mort de M. OMAR ALONSO CAICEDO RESTREPO. » (En majuscules dans la lettre). Ni la demanderesse ni l’enquêteur n’ont formulé de commentaires concernant la ressemblance avec le nom de famille de la commis de l’hôtel. Néanmoins, l’enquêteur affirme que l’agent a refusé de faire une déclaration officielle. J’estime que les déclarations attribuées à l’agent ne sont pas étayées par des éléments de preuve objective. Elles sont relayées par l’intermédiaire d’un tiers qui n’est pas désintéressé à l’égard des éléments de preuve. Néanmoins, l’enquêteur a cité les remarques de l’agent selon lesquelles « il était impossible de démontrer » […] que Daniel Mejia avait été impliqué dans la profération de menaces à l’endroit de la demanderesse principale ou d’autres membres du personnel de l’hôtel. M. Mejia était décédé des suites de violences liées à des gangs, et les autorités étaient incapables de confirmer son implication dans la mort de M. Caicedo.

 

La dernière partie de la lettre est constituée d’un exposé de la plume de l’enquêteur au sujet de ce qu’il croit être le « portrait plus général du crime organisé dans le secteur ». L’enquêteur n’indique pas sur quels éléments de preuve objective il fonde son explication; il n’indique pas non plus ses titres de compétence, ses propres expériences ou les renseignements correspondant à des faits dont il a eu personnellement connaissance qui font qu’il est au courant de la structure sociale des gangs paramilitaires ou de l’histoire de la collectivité en Colombie.

 

La lettre de l’enquêteur ne fait pas état de connaissances personnelles relatives aux risques allégués par la demanderesse principale. Le rapport est vague et spéculatif, il manque de détails, et il est fondé sur l’interprétation faite par l’enquêteur de déclarations d’un tiers. L’enquêteur insère des affirmations descriptives (concernant par exemple les sentiments du personnel ou l’« ambiance » à l’hôtel) qui sont subjectives et ne sont pas étayées par des éléments de preuve objective, et il fait des commentaires (comme lorsqu’il parle d’« un crime lamentable ») qui ne sont pas expliqués. Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la lettre de l’enquêteur a une faible valeur probante dans le cadre du présent examen.

 

Bien que j’admette l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle n’avait pas les moyens d’engager les services d’un avocat ou d’un enquêteur privé colombien avant l’audience de la SPR, les éléments de preuve dont je dispose n’étayent pas l’hypothèse selon laquelle les renseignements comme, par exemple, des déclarations de collègues à l’hôtel n’auraient pas raisonnablement pu être obtenues sans les services d’un enquêteur. Les éléments de preuve ne nous renseignent pas non plus quant au risque personnalisé à l’avenir pour les demandeurs d’une manière que la SPR n’aurait pas pu raisonnablement envisager.

 

Je ne tiens pas compte des éléments de preuve qui sont antérieurs à la conclusion de la SPR, puisque le tribunal aurait raisonnablement pu examiner ces renseignements et l’ERAR n’a pas pour objet de permettre de rouvrir le débat sur les conclusions de la SPR. Tous les autres éléments de preuve ont été examinés et évalués dans le cadre de la présente demande.

 

 

[5]               L’évaluation qui précède de ces éléments de preuve supposément nouveaux est raisonnable, sinon convaincante. Le rapport de l’enquêteur avait une faible valeur probante, sinon aucune, précisément parce qu’il contenait du ouï-dire non corroboré (en partie du double ouï‑dire) dans des circonstances où des éléments de preuve bien plus probants et concluants devaient être facilement et librement accessibles. Si les demandeurs principaux avaient effectivement quitté leur emploi à cet hôtel apparemment prestigieux en raison de menaces de mort proférées sur les lieux de travail et du meurtre d’un collègue de travail, une lettre de la direction de l’hôtel confirmant ces événements et l’état de l’enquête policière subséquente auraient pu être demandés. Au lieu de cela, les seuls renseignements émanant de l’hôtel étaient de simples lettres de référence. J’ajouterais que ce genre d’éléments de preuve aurait facilement pu être présenté à la Cour comme preuve d’un préjudice irréparable, mais ils ne l’ont pas été. Je tire comme inférence de cette omission que les demandeurs savaient que la direction de l’hôtel ne confirmerait pas des éléments importants de leur récit.

 

[6]               À la lecture de la décision rendue dans le cadre de l’ERAR, je suis convaincu que l’agente a refusé d’admettre les parties du rapport de l’enquêteur qui traitaient des allégations de risque personnel des demandeurs parce qu’il s’agissait du genre d’éléments de preuve qui auraient pu être obtenus de sources facilement accessibles avant l’audience de la SPR. En outre, la qualification par l’agente de ces éléments de preuve comme étant vagues et spéculatifs était certainement raisonnable et bien étayée par les motifs qu’elle a fournis.

 

[7]               J’admets la prétention de M. Boulakia selon laquelle l’observation de l’agente au sujet de la ressemblance des noms de famille de l’enquêteur et d’un des témoins qu’il dit avoir interviewés est spéculative; mais rien n’indique que cette observation ait influé de quelque manière sur la décision finale.

 

[8]               Les demandeurs se plaignent de ce que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté les parties du rapport de l’enquêteur qui étaient fondées sur du ouï-dire. Cependant, il n’y a rien dans la décision qui porte à croire que ces éléments de preuve ont été considérés inadmissibles pour ce motif. L’agente a tout simplement rejeté ces éléments de preuve parce qu’ils étaient non corroborés et parce que des éléments de preuve plus fiables auraient dû être disponibles. C’était là une conclusion raisonnable.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent qu’on aurait dû leur proposer un entretien verbal, compte tenu des éléments de preuve qu’ils avaient présentés. Je conviens avec Mme Singer que les éléments de preuves présentés à l’agente ne mettaient pas en cause la crédibilité des demandeurs. L’agente était placée devant une conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SPR – une conclusion dont les éléments de preuve produits ne justifiaient pas la remise en question selon l’agente. Les éléments de preuve supposément nouveaux au sujet du risque personnel produits par l’enquêteur privé étaient fondés sur ses entretiens avec deux témoins. Les demandeurs n’étaient nullement en mesure de commenter la véracité de ces éléments de preuve, si ce n’était en reprenant le témoignage qu’ils avaient livré ou qu’ils auraient pu livrer devant la SPR. En conséquence, même si l’agente n’a effectivement pas tenu compte de la demande d’entretien de demandeurs, il n’y avait aucun motif de convoquer un entretien parce que les demandeurs n’étaient pas au courant du travail de l’enquêteur, ces éléments de preuve n’étaient pas des « éléments de preuve nouveaux », et l’agente n’avait aucun motif de remettre en question la conclusion antérieure de la SPR quant à la crédibilité. En outre, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils affirment que l’existence de tout élément de preuve nouveau dans le cadre d’un ERAR permet le réexamen de tous les éléments de preuve dont disposait la SPR.

 

[10]           Une audience peut être nécessaire lorsqu’un demandeur a des éléments de preuve nouveaux et convaincants à présenter qui sont suffisants pour jeter un doute sur une conclusion antérieure concernant la crédibilité, mais tel n’était pas le cas ici.

 

[11]           La décision en l’espèce est claire et exhaustive, et je ne relève aucune question sérieuse liée soit au caractère raisonnable des conclusions de l’agente ou à l’équité du processus qui a été suivi.

 

[12]           Puisque je n’ai relevé aucune question sérieuse, il n’est pas nécessaire que j’examine les questions du préjudice irréparable ou de la prépondérance des inconvénients.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3627-11

 

INTITULÉ :                                       LILIANA RAMIREZ TRIANA et al. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 JUIN 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

  ET ORDONNANCE :                     LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 JUIN 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

RAOUL BOULAKIA

 

POUR LES DEMANDEURS

 

ALEXIS SINGER

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAOUL BOULAKIA

AVOCAT

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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