Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110622


Dossier : IMM-3880-11

Référence : 2011 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

MICHAIL TSIAVOS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Aperçu

[1]               La décision que la Cour est appelée à rendre en l’espèce porte sur l’interprétation qu’elle‑même ou que la jurisprudence fait des dispositions législatives pertinentes prévues par le législateur dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], dispositions qui accordent la priorité à la sécurité des Canadiens et refusent aux grands criminels l’entrée au Canada; le pouvoir exécutif a l’obligation de veiller à ce que ces dispositions législatives soient toujours appliquées sans délai.

 

[2]               Dans la décision Lucas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 34, 155 ACWS (3d) 913, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) rendue à l’endroit d’un demandeur de Trinité-et-Tobago. Dans cette affaire, le demandeur, qui était interdit de territoire pour grande criminalité, se trouvait au Canada depuis l’âge de dix ans et, au moment de l’audience devant la SAI, il était le père d’une fillette née au Canada. La Cour a reconnu que la décision de la SAI « […] est lourde de conséquences – en effet, le demandeur se retrouvera sans ressources dans un pays qu’il a quitté à l’âge de dix ans – il ne m’appartient pas de substituer mon jugement à celui du tribunal ». L’affaire Lucas est une bonne illustration des situations difficiles que rencontrent, à l’occasion, tant la SAI que la Cour. D’une part, le défendeur souhaite renvoyer un résident permanent du Canada qui a indéniablement des liens avec le pays, notamment un enfant de citoyenneté canadienne. De l’autre, ce même individu détient un casier judiciaire important et représente une menace pour la sécurité des Canadiens.

 

[3]               L’intérêt supérieur de l’enfant canadien du demandeur constitue un élément important; toutefois, il est primordial d’assurer la sécurité de la société canadienne dans son ensemble.

 

[4]               Dans l’affaire qui nous occupe, la preuve dont l’agent de renvoi était saisi indiquait que les enfants vivaient avec leur mère et que cette situation serait maintenue après le renvoi de leur père.

 

[5]               De plus, il est clair, d’après les notes de l’agent de renvoi, que celui-ci a examiné les documents présentés à l’appui de la demande de sursis administratif.

 

[6]               En l’espèce, le demandeur ne disposait pas du droit d’en appeler de la mesure de renvoi à la SAI; par conséquent, en raison de la gravité de son comportement criminel, il n’avait même pas la possibilité de faire valoir que des considérations d’ordre humanitaire, notamment l’intérêt supérieur des enfants touchés, justifiaient l’octroi d’un sursis par la SAI.

 

II. Introduction

[7]               Le demandeur a signifié un avis de requête au défendeur. Il sollicite un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, prévue pour le samedi 25 juin 2011.

 

[8]               Le demandeur sait depuis le 12 avril 2011 que son renvoi du Canada doit avoir lieu le 25 juin 2011.

 

[9]               Le 18 octobre 2010, le demandeur a perdu son statut de résident permanent par l’effet de la loi, pour grande criminalité.

 

[10]           Le demandeur soutient que la Cour devrait surseoir à son renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de résidence permanente qu’il a présentée et qui est fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH); toutefois, aucune des circonstances de cette affaire ne justifie de déroger de la règle générale selon laquelle la demande CH en instance, même s’il en est tenu compte, n’est pas un obstacle au renvoi.

 

[11]           Le demandeur fait également valoir qu’il n’est pas apte à voyager. Or, il n’a pas mentionné cet aspect dans la lettre du 30 mai 2011 par laquelle il demandait un sursis administratif au renvoi; qui plus est, la preuve médicale produite à la toute dernière minute ne suffit pas à établir qu’il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé en Grèce.

 

Requête en sursis présentée tardivement

[12]           Normalement, pour obtenir une audience lors de la séance générale du lundi à Montréal, le demandeur doit signifier et déposer le dossier de sa requête le mercredi pour se conformer à ce qui est prévu au paragraphe (1) de l’article 362 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Selon cette disposition, le demandeur est tenu de signifier et de déposer un dossier de requête au moins deux jours avant l’audition.

 

[13]           La règle 362(2) énonce que la Cour peut entendre une requête présentée sur préavis de moins de deux jours « si le requérant la convainc qu’il s’agit d’un cas d’urgence ».

 

[14]           En l’espèce, le demandeur et son avocat ont rencontré l’agent de renvoi le 12 avril 2011; le demandeur a alors appris qu’il serait renvoyé du Canada le 25 juin 2011 (dossier du défendeur (DD), notes de l’agent de renvoi, à la p. 72).

 

[15]           Le 30 mai 2011, l’avocat du demandeur a écrit à l’agent de renvoi pour demander un sursis administratif à l’exécution de la mesure de renvoi (dossier de la requête (DR), lettre de l’avocat du demandeur à l’agent de renvoi datée du 30 mars 2011, aux p. 18 à 24).

 

[16]           Le 31 mai 2011, l’agent de renvoi a refusé la demande (DR, lettre de l’agent de renvoi au demandeur datée du 31 mai 2011, à la p. 12).

 

[17]           Le demandeur n’a pas tenté d’expliquer à la Cour pourquoi il a demandé ce sursis administratif un mois et demi après avoir été informé, le 12 avril 2011, qu’il serait renvoyé du Canada le 25 juin 2011.

 

[18]           Il n’a pas non plus expliqué pourquoi il n’a pas rapidement déposé la requête en sursis dont la Cour est maintenant saisie par suite de la demande écrite de renvoi de son avocat présentée le 30 mai 2011, demande que l’agent de renvoi a refusée le jour suivant.

 

[19]           Le manque de diligence du demandeur témoigne de son manque de respect pour l’administration efficace de la justice en matière d’immigration.

 

[20]           Les propos tenus par le juge Yvon Pinard dans Matadeen c. MCI, IMM-3164-00, sont particulièrement oportuns en l’espèce :

[traduction]

[…] À vrai dire, les requêtes « de dernière minute » pour surseoir à l’exécution d’une mesure obligent le défendeur à répondre sans y être adéquatement préparé, elles ne facilitent pas le travail de la Cour et ne font pas en sorte que justice soit faite; un sursis est une mesure extraordinaire qui mérite un examen approfondi.

 

[21]           Pour cette seule raison, la Cour pourrait se contenter de rejeter la requête en sursis sur‑le‑champ.

 

[22]           Néamoins, la Cour exposera en substance pourquoi, même à l’issue d’un examen du bien‑fondé de l’affaire, la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

[23]           La Cour adhère entièrement à la position défendue par Me Gretchen Timmins pour le compte du défendeur.

 

III. Le contexte

[24]           Le demandeur, M. Michail Tsiavos, est venu au Canada en vertu d’un visa de séjour et s’est éventuellement vu octroyer la résidence permanente le 17 décembre 2003.

 

[25]           Le 21 novembre 2009, un rapport circonstancié a été établi au sujet du demandeur en application de l’article 44 de la LIPR. On pouvait y lire que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité parce qu’il avait été déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

[26]           En particulier, le rapport visé à l’article 44 précisait que le demandeur avait été déclaré coupable des infractions criminelles suivantes :

1)         le 29 septembre 2008 – possession d’arme dans un dessein dangereux;

 

2)         le 1er octobre 2008 – entrave à la justice.

 

[27]           Le 11 mai 2010, le demandeur a été convoqué à une enquête devant la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SI). Sur la base de la preuve produite à l’enquête, la SI a prononcé une mesure d’expulsion contre le demandeur (dossier de requête du défendeur (DRD), décision de la SI, aux p. 15 et 16).

 

[28]           Le 9 juin 2010, le demandeur a fait appel de la mesure de renvoi à la SAI (DRD, requête du ministre en vue du rejet de l’appel pour défaut de compétence, à la p. 28, premier para.).

 

[29]           Le 30 septembre 2010, le ministre a présenté une requête à la SAI afin d’obtenir le rejet de l’appel du demandeur pour défaut de compétence. Il mentionnait que la peine totale infligée pour les infractions dont le demandeur avait été déclaré coupable était de 64 mois (cinq ans et quatre mois). Pour cette raison, il soutenait que le paragraphe 64(2) de la LIPR s’appliquait : le demandeur ne disposait d’aucun droit d’appel parce qu’il avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en lien avec un crime punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans pour lequel il s’était vu infliger, au Canada, un emprisonnement d’au moins deux ans (DRD, observations faites par le ministre dans sa requête, aux paragraphes 8 à 15).

 

[30]           Dans une lettre portant la date du 12 octobre 2010, l’avocat du demandeur a écrit au ministre pour l’informer que son client ne s’opposait pas à la requête en rejet de l’appel (DRD, à la p. 26).

 

[31]           Le 18 octobre 2010, la SAI a délivré un avis de décision confirmant qu’elle accueillait la requête du ministre et que l’appel du demandeur était rejeté faute de compétence (DRD, à la p. 24).

 

[32]           Le ministre avait joint à sa requête en rejet de l’appel du demandeur une transcription de certains extraits de l’instance qui avait eu lieu devant le tribunal de juridiction criminelle, le 23 décembre 2008. Ces extraits montrent que le demandeur a été déclaré coupable d’infractions très graves :

1)   il a pris part avec son ex-épouse à des activités criminelles qui ont abouti à la condamnation de cette dernière à sept ans d’emprisonnement pour complot en vue de commettre un meurtre (DRD, transcription de la procédure pénale du 23 décembre 2008 (transcription) à la p. 35, dernier paragraphe);

2)   le poursuivant a accepté le plaidoyer de culpabilité du demandeur à des accusations de complot en vue de causer des lésions corporelles graves, d’infliction de lésions corporelles graves, d’entrave à la justice et de possession d’une arme dangereuse (transcription aux p. 36, 39, 41 et 42);

3)   le demandeur s’est rendu en voiture jusqu’à l’établissement commercial de la victime en compagnie de deux jeunes hommes. Ces derniers sont sortis de la voiture, ont attaqué la victime, sont remontés dans la voiture et ont été conduits loin de la scène par le demandeur. Ce dernier n’a pas pris part à l’agression sur la victime, mais il savait ce qui se passait et le couteau provenait de son domicile (transcription, à la p. 42, dernier paragraphe);

4)   après l’agression, le demandeur, son ex-épouse et d’autres ont été mis sous écoute et la preuve d’un complot d’entrave à la justice a été recueillie (transcription, à la p. 43).

 

[33]           À la date où la SAI a rejeté son appel pour défaut de compétence, le demandeur a perdu son statut de résident permanent par l’effet de la loi (LIPR, aux alinéas 46(1)c) et 49(1)c)).

 

[34]           La transcription de la procédure pénale révèle également qu’à l’époque en question, le demandeur savait pertinemment que sa condamnation pouvait éventuellement provoquer son renvoi du Canada (transcription, à la p. 55).

 

[35]           Le 23 décembre 2010, à peine plus de deux mois après le rejet de son appel à la SAI, le demandeur a épousé sa conjointe actuelle (DR, acte de mariage, à la p. 111),

 

[36]           Le 10 mars 2011, la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur a été rejetée.

 

[37]           Le 12 avril 2011, le demandeur s’est présenté aux bureaux de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et a reçu la réponse négative à sa demande d’ERAR. Il a également reçu un avis de se présenter pour son renvoi le 25 juin 2011.

 

[38]           Dans une lettre datée du 30 mai 2011, le demandeur a sollicité un sursis administratif à la mesure de renvoi.

 

[39]           Le 31 mai 2011, sa demande a été refusée. La lettre envoyée par l’agent de renvoi et ses notes révèlent qu’il a tenu compte des éléments suivants :

-     tous les documents produits par le demandeur;

-     l’intérêt supérieur des enfants touchés;

-     les motifs invoqués, qui ne justifiaient pas un report du renvoi;

-     le fait que la mère des enfants (l’ex-épouse du demandeur) avait la garde légale de ces derniers;

-     les circonstances invoquées par le demandeur, à savoir que son épouse actuelle ne pouvait pas aller en Grèce et que ce pays traversait une crise économique, circonstances qui ne justifiaient pas le report;

-     l’opinion exprimée par le psychologue concernant le préjudice que le renvoi du demandeur causerait aux membres de sa famille, lequel n’a pas suffi à justifier le report.

(DR, lettre de refus datée du 31 mai 2011, à la p. 12; DRD, notes de l’agent de renvoi, à la p. 73).

 

IV. La question en litige

[40]           Le demandeur a-t-il démontré qu’il satisfaisait au critère à trois volets établi dans l’arrêt Toth, précité?

 

V. Analyse

[41]           Puisque le demandeur n’a pas de statut juridique au Canada, que sa demande d’ERAR a récemment été rejetée et que l’agent de renvoi a refusé de surseoir à son renvoi, le seul recours qui s’offre à lui est de demander un sursis judiciaire au titre de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

QUESTION SÉRIEUSE

a)   Le demandeur n’a pas établi l’existence d’une question sérieuse

L’agent de renvoi n’a pas manqué à l’équité procédurale en refusant de reporter la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande CH

[42]           Dans ses observations écrites, le demandeur soutient que l’agent de renvoi a manqué à l’équité procédurale en refusant de surseoir au renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande CH.

 

[43]           Dans l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311, la Cour d’appel fédérale a confirmé, au paragraphe 25, qu’à défaut de considérations spéciales, comme c’est le cas en l’espèce, le dépôt d’une demande CH ne justifiait pas de surseoir au renvoi à moins que la demande ne soit fondée sur une menace à la sécurité personnelle du demandeur (Turay c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1090, au paragraphe 15; Baron, au paragraphe 51).

 

[44]           En l’espèce, la demande de protection présentée par le demandeur dans le cadre de l’ERAR a récemment été rejetée, ce qui démontre que sa sécurité personnelle ne sera pas menacée s’il retourne dans le pays dont il a la citoyenneté (DRD, affidavit de Josée Pelletier, décision relative à l’ERAR, aux p. 61 à 68).

 

[45]           La Cour a maintes fois répété que l’agent de renvoi disposait d’un pouvoir discrétionnaire très restreint en matière de sursis aux renvois (Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1430, 242 F.T.R. 295, au paragraphe 37).

 

[46]           Ce principe a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 25. La Cour d’appel fédérale a également confirmé que, même si les agents de renvoi détiennent une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain (Turay, précitée, au paragraphe 15; Baron, précité, au paragraphe 51).

 

[47]           Il ne fait par conséquent aucun doute que l’argument du demandeur voulant que l’agent ait manqué à l’équité procédurale en refusant de différer son renvoi de façon à permettre que soit tranchée sa demande CH est sans fondement.

 

Les motifs de l’agent de renvoi étaient adéquats et il a tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants touchés par le renvoi

 

[48]           Le demandeur prétend que les motifs de l’agent sont insuffisants et, en particulier, que ce dernier a omis de motiver pleinement sa décision par écrit ainsi qu’il est tenu de le faire lorsque l’intérêt supérieur d’enfants est en jeu.

 

[49]           Dans la lettre de refus qu’il a rédigée en date du 31 mai 2011, l’agent de renvoi déclare en termes non équivoques : [traduction] « Après examen de tous les documents présentés, et compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants touchés, j’ai conclu que les raisons exposées ne justifient pas de surseoir au renvoi. » (DR, à la p. 12).

 

[50]           Dans ses notes datées du 31 mai 2011 et traitant des questions soulevées par le demandeur dans sa lettre du 30 mai 2011, l’agent de renvoi fait aussi allusion aux enfants touchés (DRD, notes de l’agent, à la p. 73).

 

[51]           En particulier, l’agent de renvoi constatait que le demandeur s’inquiète du fait qu’il sera séparé de ses enfants et soutient que ceux-ci subiront des difficultés psychologiques considérables s’il est renvoyé du pays. En revanche, l’agent a observé qu’un juge avait accordé la garde légale des enfants à leur mère, et non au demandeur.

 

[52]           Dans le cas présent, la preuve indique que la mère des enfants restera en mesure de s’occuper d’eux après le renvoi du demandeur.

 

[53]           Il importe aussi de souligner que dans les notes prises par l’agent de renvoi relativement à l’entretien qu’il a eu avec le demandeur le 12 avril 2011, il est question des enfants (DRD, notes de l’agent, à la p. 72). L’agent de renvoi a avisé le demandeur que la date de son départ serait fixée. Le demandeur a informé l’agent qu’il veillait à prendre les dispositions nécessaires pour ses enfants d’âge scolaire. Il a demandé si le renvoi pouvait avoir lieu après la fin de l’année scolaire. Il s’est ensuite entendu avec l’agent sur la date du 25 juin 2011.

 

[54]           La Cour, ainsi que la Cour d’appel fédérale dans Baron, précité, au paragraphe 50, ont essentiellement statué que l’agent de renvoi, s’il doit tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants touchés par le renvoi, n’a ni l’obligation ni la compétence nécessaire pour effectuer un examen approfondi de cette question.

 

[55]           Dans la décision Turay, précitée, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent de renvoi de ne pas reporter le renvoi. Dans cette affaire, l’agent s’était limité à mentionner qu’il s’était penché sur la question de l’intérêt supérieur des enfants et avait conclu que la demande de report devait être refusée. La Cour a récemment examiné la jurisprudence récente et pertinente et a confirmé, notamment, que « […] les immigrants illégaux ne peuvent se soustraire à l’exécution d’une mesure de renvoi valide simplement parce qu’ils sont les parents d’enfants nés au Canada »; en outre, « […] l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi ». (Non souligné dans l’original). En conséquence, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

 

[56]           Dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur ne disposait pas du droit d’en appeler de la mesure de renvoi à la SAI; par conséquent, il ne pouvait même pas faire valoir que des motifs d’ordre humanitaire, dont l’intérêt supérieur des enfants touchés, justifiaient l’octroi d’un sursis par la SAI, et ce, parce qu’il avait commis des infractions criminelles graves.

 

[57]           Le dossier de l’affaire contenait un « rapport » daté du 25 mai 2011 et rédigé par Emmanuel Aliatas, psychologue (rapport du psychologue). Apparemment, ce psychologue effectuerait un suivi du demandeur et de ses enfants.

 

[58]           Sauf preuve contraire, on doit présumer que l’agent de renvoi a tenu compte du rapport du psychologue.

 

[59]           Le rapport renferme des déclarations qui, dans ce genre de document et venant d’un psychologue, ont étonné la Cour, par exemple : [traduction] « M. Tsiavos (Mike) est un homme de 38 ans qui a passé 32 mois en prison pour avoir hébergé un criminel. Lui-même n’est pas un criminel; il a simplement commis une erreur parce qu’il est né et a grandi dans un autre pays et qu’il ne saisissait pas totalement la portée du crime qu’il était en train de commettre. » (DR, aux p. 25 et 26)

 

[60]           Dans son rapport, le psychologue ne donne aucune précision quant aux dates et à la durée des entretiens avec le demandeur, ses enfants et aussi, vraisemblablement, d’autres individus concernés, avant d’exposer ses conclusions.

 

[61]           Les constatations faites au sujet des enfants sont exposées en termes vagues et généraux et ne sont pas accompagnées d’exemples précis des difficultés que vivent ou que pourraient vivre ceux-ci en raison de leur situation familiale.

[62]           Il est précisé que les enfants du demandeur sont actuellement âgés de dix et de sept ans. Déjà, pendant cinq années de leur vie, ils ont été séparés du demandeur qui était incarcéré.

 

[63]           L’ex-épouse du demandeur a signé une lettre; elle dit estimer qu’il est important que son ex‑époux continue d’être présent dans la vie de ses enfants.

 

[64]           La façon dont l’agent de renvoi a traité l’intérêt supérieur des enfants n’était pas déraisonnable vu la preuve dont il disposait.

 

[65]           Aucun des arguments du demandeur ne démontre que la décision de l’agent de renvoi était déraisonnable ou que ses motifs écrits étaient insuffisants.

 

Le demandeur minimise sa responsabilité à l’égard de ses activités criminelles

[66]           Le demandeur soutient que l’agent de renvoi a commis une erreur en se concentrant sur le fait qu’il est interdit de territoire pour criminalité.

 

[67]           L’examen de la lettre de refus de l’agent de renvoi et de ses notes montre qu’il a bel et bien tenu compte de toutes les questions soulevées par le demandeur.

 

[68]           Le demandeur a perdu son statut de résident permanent par l’effet de la loi pour cause de grande criminalité.

 

[69]           Le demandeur n’avait pas le droit de saisir la SAI d’une demande d’appel afin que cette dernière examine des motifs d’ordre humanitaire, dont l’intérêt des enfants touchés par son renvoi.

 

[70]           C’est à l’intérieur de ce cadre légal que l’agent de renvoi a examiné la demande de report du renvoi présentée par le demandeur.

 

[71]           La preuve dont la Cour est saisie tend à indiquer que le demandeur n’a toujours pas accepté la responsabilité de ses crimes (DR, rapport du psychologue, aux p. 25 et 26).

 

[72]           Par conséquent, la preuve n’a pas été faite que l’agent de renvoi s’est « concentré » à tort sur la criminalité du demandeur.

 

L’agent n’a pas commis d’erreur en omettant d’évaluer le degré d’établissement du demandeur au Canada

[73]           Le degré d’établissement au Canada est l’un des facteurs à considérer dans le cadre de la demande CH du demandeur. Il ne s’agit pas d’un facteur dont l’agent de renvoi doit tenir compte.

 

Le demandeur n’a pas fourni de preuve convaincante de son incapacité à voyager pour des raisons de santé

 

[74]           Au paragraphe 56 de son mémoire, le demandeur écrit que son médecin lui a interdit de voyager par avion jusqu’à ce qu’une nouvelle évaluation soit faite de sa santé cardiaque.

 

[75]           Dans son affidavit, le demandeur ne fait nulle part mention de ses problèmes cardiaques.

 

[76]           En fait, même dans la lettre du 30 mai 2011, dans laquelle le demandeur sollicite le report de son renvoi, il n’est aucunement question de problèmes cardiaques.

 

[77]           Si le demandeur croit que sa santé l’empêche de voyager, on serait en droit de s’attendre à ce qu’il mentionne ce problème à l’agent de renvoi dans la demande de report de son renvoi.

 

[78]           On trouve, à la page 209 du dossier de requête du demandeur, la copie d’un « Certificat médical d’incapacité de travail » daté du 15 juin 2011. Sous l’inscription « Limitations », il ne semble y avoir aucune mention de l’incapacité du demandeur à voyager.

 

[79]           À la page 210 du dossier de requête du demandeur, on trouve la copie d’un document intitulé « Demande de consultation en cardiologie ». Ce document semble indiquer que le demandeur ressent une douleur depuis environ une année et que cette douleur se manifeste plus fréquemment depuis deux à trois mois. Il n’est écrit nulle part que cette situation revêt une urgence particulière sur le plan médical et qu’il est impossible au demandeur de prendre l’avion en raison de problèmes cardiaques précis de nature immédiate.

 

[80]           Le demandeur sera renvoyé en Grèce. Il n’a pas fourni de preuve établissant que les traitements médicaux dont il a besoin ne sont pas offerts dans ce pays.

 

[81]           Le demandeur cite les décisions rendues par la Cour dans les affaires Tobin, Prasad et Ramada pour faire valoir qu’elle a déjà sursis au renvoi de demandeurs ayant invoqué des problèmes de santé (Tobin c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 325, 156 ACWS (3d) 671; Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 614, 123 ACWS (3d) 533; Ramada c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112, 141 ACWS (3d) 1016).

 

[82]           Il importe de souligner que toutes les affaires mentionnées par le demandeur confirment que l’agent de renvoi dispose, en matière de report d’un renvoi, d’un pouvoir discrétionnaire extrêmement limité.

 

[83]           Dans Tobin, notamment, le juge Sean Harrington a conclu, au paragraphe 15, que la demanderesse s’exposait à un préjudice irréparable car sans traitement, elle risquait de souffrir d’un handicap fonctionnel sur le plan visuel. Il n’était pas non plus certain qu’elle pourrait obtenir des traitements dans son propre pays.

 

[84]           Dans la présente affaire, le demandeur ne semble pas exposé à un risque imminent pour sa santé. De plus, il n’a pas prouvé qu’il serait incapable d’obtenir des traitements en Grèce.

 

[85]           Dans Dia c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 859, 160 ACWS (3d) 325, la Cour a refusé la demande de sursis parce qu’elle avait conclu que la demanderesse pourrait être traitée pour le VIH dans son propre pays.

 

[86]           En l’espèce, ce n’est que onze jours avant son renvoi que le demandeur a soulevé ses problèmes de santé. Il sait depuis décembre 2008 au moins, moment où il a été condamné à une peine par le tribunal pénal, qu’il risquait d’être renvoyé du Canada; et il sait que son renvoi est imminent depuis le 12 avril 2011, au minimum, lorsqu’il a rencontré l’agent de renvoi et a reçu un avis d’interdiction de séjour. Malgré cela, il n’a pas parlé de ses problèmes de santé, ni à cette occasion, ni dans la lettre du 30 mai 2011 dans laquelle il demandait le report de son renvoi.

 

[87]           Compte tenu de toutes ces circonstances, la preuve ne permet pas de soutenir que le demandeur subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé, malgré les problèmes de santé dont il dit souffrir présentement.

 

[88]           Pour tous les motifs qui précèdent, le demandeur n’a pas soulevé de question sérieuse concernant la façon dont l’agent de renvoi a exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce.

 

[89]           Étant donné que tous les éléments du critère à trois volets doivent être établis, la requête devrait être rejetée, le demandeur n’ayant pas soulevé de question sérieuse.

 

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[90]           La jurisprudence de la Cour établit que la notion de « préjudice irréparable » sous-entend un « risque grave de quelque chose qui met en cause la vie ou la sécurité d’un requérant » (Calderon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995) 92 FTR 107, 54 ACWS (3d) 107; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358; Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 FTR 93, 32 ACWS (3d) 621 (CF 1ère inst.); Simpson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993) 63 FTR 77, 40 ACWS (3d) 481).

 

[91]           En l’espèce, le demandeur n’a pas établi qu’il existait un risque de préjudice irréparable.

 

[92]           De plus, le demandeur affirme que son ex‑épouse en sera réduite à élever seule les deux enfants, sans pouvoir compter sur un soutien financier de sa part.

 

[93]           Aucun renseignement n’a été produit concernant les moyens financiers de l’ex-épouse du demandeur. La lettre qu’elle a signée en date du 29 juin 2010 indique que le demandeur lui verse cent dollars par semaine à titre de pension alimentaire pour les enfants (DR, à la p. 60).

 

[94]           Le demandeur affirme qu’il a travaillé d’arrache-pied pendant qu’il était Canada. Au paragraphe 13 de son mémoire, il est écrit qu’il n’a jamais reçu d’aide sociale.

 

[95]           Or, la déclaration de revenus produite par le demandeur en 2009 et déposée à l’appui de la présente requête indique qu’en 2009, il a perçu comme unique source de revenus des prestations d’aide sociale s’élevant à un peu plus de 7 000 dollars (DR, déclaration de revenus de 2009, aux p. 71 à 74, à la p. 72, 3e ligne à partir du bas de la page).

 

[96]           La déclaration de revenus produite par le demandeur pour 2010 indique des revenus totaux d’un peu plus de 13 000 dollars (DR, déclaration de revenus de 2010, aux p. 189 à 196, à la p. 190, dernière ligne).

 

[97]           Par ailleurs, le demandeur fait valoir qu’en raison de son renvoi, il perdra la somme qu’il a investie dans une entreprise canadienne, ce qui, en définitive, signifie qu’il aura moins d’argent à donner à son ex-épouse pour ses enfants. Il invoque aussi le fait que la situation économique en Grèce est en déclin. De plus, il affirme que son épouse actuelle ne peut l’accompagner en Grèce puisqu’elle ne parle pas le grec et qu’elle ne pourra pas trouver d’emploi dans ce pays.

 

[98]           Le demandeur et son épouse se sont mariés en décembre 2010 alors qu’il risquait déjà d’être renvoyé du Canada.

 

[99]           Les difficultés soulevées par le demandeur sont regrettables, mais ce sont des conséquences prévisibles de son renvoi.

 

[100]       La jurisprudence de la Cour établit que le « préjudice irréparable » doit être « quelque chose de très grave, c’est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ ». (Calderon, Legault, Kerrutt et Simpson, précitées)

 

[101]       Dans l’arrêt Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 427, 136 ACWS (3d) 109, le juge en chef John D. Richard, de la Cour d’appel fédérale, a confirmé que le « préjudice irréparable » devait correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion.

 

[102]       Le préjudice que subiront le demandeur et sa famille fait partie, sans plus, des conséquences normales d’un renvoi, surtout pour une personne qui a vécu au Canada pendant un certain temps.

 

[103]       Le demandeur a pris part à des activités criminelles très graves. Il a lui-même causé la situation malheureuse dans laquelle sa famille et lui se trouvent désormais.

 

[104]       Aucun des arguments du demandeur ne démontre qu’il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé avant qu’il ne soit statué sur la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

 

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[105]       Les mesures de renvoi doivent être appliquées dès que les circonstances le permettent. Il est bien établi en droit que la Cour doit tenir compte de l’intérêt public lorsqu’elle évalue si la prépondérance des inconvénients joue en faveur du demandeur ou du ministre. En l’espèce, compte tenu de l’ensemble des arguments qui précèdent, y compris les graves activités criminelles imputées au demandeur, il est dans l’intérêt public que celui-ci soit renvoyé comme prévu le 25 juin 2011.

 

[106]       Le critère de la prépondérance des inconvénients favorise par ailleurs le ministre. Pour tous ces motifs, la requête en sursis est rejetée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit rejetée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3880-11

 

INTITULÉ :                                       MICHAIL TSIAVOS c.

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

AUDIENCE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 21 JUIN ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 juin 2011

 

 

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

 

Maria Stamatelos

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waïce Ferdoussi, Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.