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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110624

Dossier : IMM-2625-10

Référence : 2011 CF 772

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

DAMIAN FLORES ROMERO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 31 mars 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité; elle a plutôt rejeté la demande d’asile pour absence de lien entre la persécution exercée contre le demandeur, ou la menace de persécution pesant contre lui, et les motifs énoncés dans la Convention.

 

Les faits pertinents

[2]               Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il craint Los Zetas (les Zetas), une organisation criminelle qui exerce de nombreuses activités et qui, notamment, s’adonne à la corruption de la police. Le demandeur était vendeur ambulant à Tepito, un quartier de Mexico. Il prétend que trois agents de police lui extorquaient de l’argent – 300 pesos par semaine. Deux mois après la première demande d’argent faite au demandeur, le montant extorqué est passé à 500 pesos par semaine. Le demandeur a refusé de payer et il a signalé les agissements des agents à la police, qui a procédé à leur arrestation. Le demandeur a appris plus tard que les agents arrêtés étaient censés être membres des Zetas. On a abordé le demandeur quelques semaines plus tard pour lui extorquer encore davantage d’argent. Le demandeur ayant refusé de payer, il a été roué de coups. Le demandeur prétend également qu’il a plus tard été frappé par une camionnette et agressé par trois personnes qui avaient sauté de ce véhicule. Selon ce qu’a déclaré le demandeur à son audience, les Zetas lui auraient dit que lui et les membres de sa famille seraient tués. Ils lui auraient également dit qu’il n’aurait [traduction] « aucun endroit où se cacher ».

 

[3]               Le demandeur est entré au Canada le 7 mai 2009 et il y a demandé l’asile deux jours plus tard, soit le 9 mai 2009. Une fois le demandeur arrivé au Canada, son épouse lui a dit que les Zetas l’avaient également retrouvée et qu’elle aussi allait fuir le Mexique. L’élément de la demande jugé déterminant par la Commission en regard de l’article 96 a été l’absence de lien avec un motif prévu dans la Convention et, en regard de l’article 97, l’absence de risque personnalisé.

 

[4]               Selon les avocats, les questions en litige dans la présente demande sont celles de savoir, premièrement, si la Commission a conclu erronément que l’article 96 de la LIPR ne s’appliquait pas à la demande d’asile et, deuxièmement, si elle a interprété erronément l’article 97 en concluant que le demandeur n’était exposé à aucun risque personnalisé.

 

Absence de lien

 

[5]               Le demandeur est la victime d’un crime :

L’activité que redoute le demandeur d’asile est de nature criminelle. Même si les agents de persécution appartiennent à la police, le fait d’exiger un pot-de-vin constitue un acte criminel et un acte de corruption. Aucune preuve convaincante ne démontre que le demandeur d’asile a été victime d’extorsion ou de représailles pour un motif prévu dans la Convention. La Cour fédérale a statué que les victimes de crimes, de la corruption ou de vendettas ne parviennent généralement pas à établir un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs prévus dans la Convention et la conclusion de la Commission voulant qu’il n’y ait pas de lien a été confirmée lorsque le demandeur d’asile est la cible d’une vendetta personnelle ou victime d’un crime, même lorsque les agents de persécution sont des agents de police.

 

Le demandeur d’asile redoute des criminels et des actes criminels. Sa crainte en l’espèce n’est pas liée à la race, à la religion, à la nationalité, aux opinions politiques ou à l’appartenance à un groupe social en particulier. Par conséquent, je conclus qu’il est victime d’un crime, situation sans lien avec les motifs prévus dans la Convention. Sa demande d’asile en vertu de l’article 96 de la LIPR est donc rejetée.

 

Même s’il y a en jurisprudence quelques cas où des victimes d’actes criminels ont pu établir l’existence d’un lien avec un motif visé par la Convention, le demandeur, avec les seuls éléments présentés, n’y est pas parvenu en l’espèce.

 

[6]               L’article 96 prévoit en outre expressément ce qui suit : « A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques […] ». Le demandeur n’a pu démontrer à la Commission qu’il satisfaisait à ces critères, ni qu’il craignait avec raison d’être persécuté.

 

[7]               Le fait que les personnes qui ont extorqué de l’argent au demandeur et qui l’ont battu aient été des agents de police justifierait qu’on procède à un examen très attentif de la question dans le cadre d’une demande d’asile. En l’espèce, toutefois, les agents ont dit être membres d’un gang de criminels s’adonnant à des activités criminelles, plutôt qu’ils ne visaient des objectifs politiques, religieux ou raciaux. Les actions des agents, en outre, n’étaient manifestement pas sanctionnées par l’État. Et lorsque le demandeur a signalé leur comportement à la police, les agents ont été arrêtés. En règle générale, les victimes de crimes et de vendettas ne peuvent établir l’existence d’un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu à la Convention. Je souscris à cet égard au commentaire suivant du juge Lagacé dans la décision Starcevic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1370 :

[…] la criminalité, de même que les représailles associées à une vengeance ou une vendetta, ne peuvent servir de fondement pour justifier une crainte de persécution visée par la Convention parce que de telles persécutions ne sont reliées à aucun des motifs cités par la Convention.

 

 

[8]               La conclusion de la Commission relative à l’existence d’un lien entre la persécution et un motif visé par la Convention constitue une question de fait, de sorte que la Cour interviendra uniquement si la Commission l’a tirée de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Aucun pareil motif d’intervention n’est présent en l’espèce.

 

[9]               Ni la crainte du demandeur ni le risque auquel il est exposé n’est lié à un motif prévu dans la Convention. Un demandeur d’asile doit avoir une crainte fondée de persécution se rattachant à un ou des motifs énoncés dans la Convention, soit « à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un groupe social ou aux opinions politiques ». Le demandeur d’asile doit être pris pour cible pour l’un de ces motifs, soit de manière personnelle, soit en raison de son appartenance à un certain groupe ou de son observance d’une religion. On établit clairement dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, ce qu’on peut considérer être un « groupe social », et pour quels motifs. L’article 96 de la LIPR est à cet égard tout aussi clair. Il était raisonnable de conclure que le métier de vendeur ambulant du demandeur échappait à la définition d’un groupe social tel qu’elle a été exposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ward et prévue par le législateur à l’article 96 de la LIPR. Les actes de corruption et d’extorsion, de nature criminelle, ne font pas partie des motifs visés par la Convention. En résumé, la Commission a analysé correctement le principe juridique en jeu et son appréciation des faits était raisonnable.

 

 

[10]           Il demeure toutefois la question de savoir si le demandeur est une personne à protéger parce qu’il a choisi personnellement de signaler des activités des Zetas à la police, et qu’il serait ainsi personnellement exposé à un risque aux termes de l’article 97. C’est cette question que je vais maintenant examiner.

 

 

La Commission a-t-elle interprété l’article 97 erronément?

 

[11]           La Commission a écrit ce qui suit au sujet de l’analyse relative à l’article 97 :

J’estime en outre que le risque redouté par le demandeur d’asile est généralisé et menace tous les citoyens mexicains. Toute personne personnellement exposée au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans son pays n’a pas nécessairement qualité de personne à protéger, parce que le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR exclut précisément les personnes exposées à un risque qui menace « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ».

 

 

[12]           Puis la Commission a résumé comme suit l’état du droit en ce qui concerne le risque généralisé et personnalisé :

L’évaluation du risque aux termes du paragraphe 97(1) se fait en fonction de la personne concernée, et la preuve doit établir un risque de préjudice individualisé précis pour un demandeur d'asile donné. Le risque de préjudice auquel le demandeur d’asile est exposé ne saurait être indéterminé ou aléatoire. Cependant, le fait qu’un demandeur d’asile soit personnellement exposé à un risque ne signifie pas pour autant que ce risque ne menace pas d’autres personnes dans son pays.

 

Pour être généralisé, un risque n’a pas obligatoirement à peser sur chaque citoyen. L’adjectif « généralisé » signifie communément « courant » ou « répandu ». Un risque généralisé pourrait viser un groupe particulier de la population du pays, de sorte que l’appartenance à ce groupe ne suffit pas pour que le risque soit personnalisé. Le fait qu’un groupe de personnes soit pris pour cible de façon répétée ou très fréquemment par des criminels (par exemple, parce que ces personnes sont perçues comme riches ou parce qu’elles vivent dans un quartier dangereux) n’élimine pas le risque découlant de l’exception s’il s’agit d’un risque auquel les autres personnes sont généralement exposées. Qu’un demandeur d’asile soit personnellement exposé à un risque ne signifie pas que ce risque ne puisse menacer généralement d’autres personnes de son pays. Par exemple, dans Acosta, Ventura De Parada et Rodriquez Perez, les demandeurs d’asile craignaient l’extorsion, la violence, les menaces et les représailles de gangs criminels pour n’avoir pas accédé à leurs demandes, et pourtant on a conclu que ces personnes étaient victimes de crimes et de violence généralisés.

 

 

[13]           Passant de commentaires généraux sur le droit à l’examen des faits propres à la demande d’asile du demandeur, la Commission a ajouté ce qui suit :

 

Les crimes auxquels le demandeur d’asile est exposé sont répandus au Mexique et le demandeur d’asile n’en est pas la seule victime. Il fait partie des nombreuses victimes de policiers corrompus et d’organisations criminelles qui se livrent à des activités comme l’extorsion et exercent des représailles contre les victimes qui refusent de collaborer. La crainte qu’il éprouve ne diffère en rien de la crainte que peuvent éprouver les citoyens en général.

 

Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que le risque auquel le demandeur d’asile est exposé menace de manière générale toute la population mexicaine. À partir des faits particuliers de l’espèce, je ne suis pas convaincu que le demandeur d’asile est exposé à un risque particulier de subir un préjudice, aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

 

[14]           Les éléments du critère énoncé au sous-alinéa 97(1)b)(ii) sont conjonctifs : l’intéressé doit démontrer non seulement la probabilité qu’il soit personnellement exposé à un risque, mais aussi que « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ».

 

[15]           Les deux ou trois autres vendeurs ambulants que le demandeur a incités à venir signaler avec lui les activités des Zetas à la police ne constituent pas le groupe de comparaison approprié aux fins de l’analyse de la demande d’asile fondée sur l’article 97; ce groupe est plutôt constitué des personnes exposées à un risque « alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ». Autrement dit, en décidant de ne pas signaler les activités des Zetas, les autres vendeurs ambulants ont probablement pris la même décision que de nombreuses autres personnes menacées par les Zetas. La Commission a écrit ce qui suit à ce sujet :

Les crimes auxquels le demandeur d’asile est exposé sont répandus au Mexique et le demandeur d’asile n’en est pas la seule victime. Il fait partie des nombreuses victimes de policiers corrompus et d’organisations criminelles qui se livrent à des activités comme l’extorsion et exercent des représailles contre les victimes qui refusent de collaborer. La crainte qu’il éprouve ne diffère en rien de la crainte que peuvent éprouver les citoyens en général.

 

[16]           Même si l’on devait admettre que le demandeur, comme vendeur ambulant ayant cherché à échapper à l’extorsion en faisant appel à la police, faisait partie d’un sous-groupe courant un risque accru, il n’était pas visé de manière suffisamment distincte pour qu’on puisse le considérer être  personnellement exposé à un risque. Le commentaire suivant formulé par la juge Tremblay-Lamer dans la décision Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, s’applique par analogie :

Le risque d’être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence.

 

 

[17]           On n’établit pas de distinction dans la jurisprudence de la Cour entre les mieux et les moins bien nantis. Ainsi, selon la juge Johanne Gauthier, dans la décision Acosta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 213, paragraphe 16 :

[…] [i]l n’est pas plus déraisonnable de conclure qu’un groupe particulier, que ce soit les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus ou d’autres victimes d’extorsion qui ne payent pas, est exposé à de la violence généralisée que de tirer la même conclusion à l’égard des riches hommes d’affaires en Haïti qui, selon ce qu’on a clairement conclu, sont exposés à un risque plus important de violence que celle qui sévit dans ce pays.

 

 

[18]           L’avocate du demandeur fait preuve de créativité et soutient que le fait que le demandeur ait tenté d’échapper à l’extorsion en faisant appel à la police lui confère un caractère unique, ou le rend membre d’un sous-groupe unique ou distinct de la population générale, ce qui lui rend applicable le sous-alinéa 97(1)b)(ii). À mon avis, on ne peut analyser le risque ou la menace de représailles séparément de la demande de paiement. La demande de paiement et la menace implicite ou explicite de représailles en cas de refus constitue l’acte criminel. Le fait que la menace soit mise à exécution contre la victime ou que celle-ci signale l’extorsion ne lui rend pas inapplicable le sous‑alinéa 97(1)b)(ii) pour ce qui est du caractère généralisé ou non de la menace.

 

[19]           À cet égard, la juge Judith Snider a fait remarquer comme suit, dans Osorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459, paragraphe 26, que rien dans le libellé du sous-alinéa 97(1)b)(ii) n’obligeait la Commission à interpréter le risque comme devant s’appliquer à tous les citoyens :

Le mot « généralement » est communément utilisé dans le sens de « courant » ou « répandu ». Le législateur a délibérément choisi d'utiliser le mot « généralement » dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition. Si sa conclusion est raisonnable, comme c'est le cas ici, je ne vois pas le besoin d'intervenir.

 

 

[20]           Pour ce motif, j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’en tant que personne ayant signalé l’extorsion à la police, le demandeur n’échappait pas à la portée du mot « généralement » tel qu’il a été défini.

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[22]           Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification, et aucune question n’a à être certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit par la présente rejetée. Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification, et aucune question n’a à être certifiée.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2625-10

 

INTITULÉ :                                       DAMIAN FLORES ROMERO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 mai 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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