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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110627

Dossier : IMM-6136-10

Référence : 2011 CF 782

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2011

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

ENTRE :

 

KAREN ADELINE KNIGHTS

R'KEEM JESAIAH KNIGHTS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 16 septembre 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent que la décision de la Commission soit annulée et l’affaire, renvoyée pour réexamen par un autre commissaire de la Commission.

 

Le contexte

 

[3]               Karen Adeline Knights (la demanderesse) est une citoyenne de Trinité-et-Tobago (Trinité).

 

[4]               En octobre 2007, la demanderesse a été victime d’un viol et de vol chez elle, à Trinité. Elle a porté plainte auprès de la police, qui a appréhendé et détenu son agresseur le jour suivant. La police a également pris la déposition de la demanderesse.

 

[5]               Plusieurs membres de la communauté ont pressé la demanderesse de ne pas témoigner contre son agresseur. Elle a témoigné lors d’une enquête en avril 2008, et l’affaire a été déférée à la haute cour de justice.

 

[6]               L’agresseur de la demanderesse a été accusé et placé en détention préventive jusqu’à sa libération sous caution en août 2008. Alors qu’elle visitait sa sœur au Canada, la demanderesse a été informée du fait que son agresseur avait été libéré sous caution. Plutôt que de retourner à Trinité, elle est restée au Canada et a présenté une demande d’asile.

 

La décision de la Commission

 

[7]               La Commission a examiné les Directives du président no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe et a fait remarquer que les femmes qui présentent une demande concernant la persécution fondée sur leur sexe peuvent faire face à des obstacles particuliers lorsqu’elles témoignent sur des sujets délicats.

 

[8]               La question décisive selon la Commission concernait la protection de l’État.

 

[9]               La Commission a examiné la jurisprudence de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale, tout en faisant remarquer que l’asile est une protection de substitution et qu’il existe une présomption qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens, présomption qui ne peut être réfutée qu’avec des éléments de preuve clairs et convaincants qui montrent l’incapacité de l’État à les protéger.

 

[10]           La Commission a conclu que Trinité était un pays démocratique où les droits de la personne étaient généralement respectés. Bien qu’elle ait reconnu que la preuve montre que la violence au foyer est un problème grave, la Commission a tenu compte du fait qu’il existait des services de soutien pour les femmes victimes de violence au foyer, y compris des refuges et la formation des forces policières.

 

[11]           La Commission s’est concentrée sur la situation de la demanderesse. Son agresseur a été appréhendé et détenu au cours de la même journée où elle avait porté plainte, il a été accusé des infractions et renvoyé à son procès. Il a par la suite été libéré sous caution. La Commission a conclu que la demanderesse avait reçu une protection adéquate de l’État.

 

[12]           La Commission a évalué la réputation de l’agresseur et a conclu qu’il était un criminel local que la demanderesse ne pouvait rattacher à aucun gang ni montrer qu’il avait de l’influence sur les autorités de l’État.

 

[13]           La Commission a fait remarquer que la demanderesse avait abordé la police quelques fois auparavant afin d’obtenir de l’aide concernant des menaces et du harcèlement. Une fois, elle a choisi de ne pas suivre les conseils de la police et elle n’a pas obtenu l’ordonnance de non-communication suggérée. Une autre fois, elle n’a pas fourni suffisamment d’information d’identification pour que les autorités puissent l’aider.

 

[14]           La Commission a reconnu que, en raison d’activités criminelles de gang, les témoins d’un crime sont davantage en danger de violence à Trinité. La Commission a également fait référence à la preuve documentaire selon laquelle le système pénal ne fonctionnait qu’avec peu de ressources. Cependant, la Commission a conclu que la demanderesse avait reçu une protection de l’État adéquate et qu’elle pourrait se prévaloir de cette protection si elle retournait à Trinité.

 

[15]           La Commission a également rejeté l’argument présenté par l’avocat de la demanderesse relativement aux raisons impérieuses. La Commission a conclu que cela ne s’appliquait que lorsqu’il y avait eu un changement dans la situation et que le demandeur aurait obtenu l’asile s’il n’y avait pas eu ce changement. La Commission a conclu que ce n’était pas le cas.

 

Les questions en litige

 

[16]           Les questions sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle erré dans son analyse de la protection de l’État?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[17]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle on avait fait feu sur six témoins à charge l’année dernière à Trinité, en plus de la preuve que le système pénal était en effondrement. La conclusion selon laquelle la protection de l’État est accessible, que la Commission a tirée malgré cette preuve, est déraisonnable. La Commission n’a pas évalué la situation personnelle de la demanderesse en tant que femme retournant à Trinité pour être une témoin à charge dans le procès concernant son viol.

 

[18]           La demanderesse soutient également que la conclusion de la Commission selon laquelle elle aurait pu épuiser d’autres ressources pour obtenir la protection ne pouvait pas être tirée.

 

[19]           De plus, la demanderesse soutient que la Commission a erré en se concentrant sur les efforts de l’État plutôt que sur l’efficacité de ces efforts. La Commission a erré en concluant que la volonté de l’État de fournir sa protection aux victimes de la violence fondée sur le sexe établit l’efficacité d’une telle protection. La demanderesse soutient que l’efficacité de la protection de l’État doit faire partie de l’analyse de la Commission au sujet du caractère adéquat.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[20]           Le défendeur soutient que la Commission a appliqué le bon critère juridique pour évaluer la protection de l’État. La Commission a conclu que la protection offerte par un État n’a pas besoin d’être parfaite, mais que l’État doit faire preuve d’efforts sérieux pour protéger ses citoyens. Le défendeur souligne que le critère établi pour évaluer la protection de l’État est son caractère adéquat et non son efficacité. Il n’est également pas suffisant pour la demanderesse de montrer que l’État n’a pas toujours été en mesure de protéger adéquatement ses citoyens dans sa situation.

 

[21]           La Commission a conclu, raisonnablement, que la protection de l’État était accessible à la demanderesse dans sa situation. La Commission a également fait remarquer qu’elle avait reçu une protection adéquate en ce qui concerne l’agression avant qu’elle vienne au Canada. Dans le cas de la demanderesse, la police et le système judiciaire ont agi par suite de sa plainte.

 

[22]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas omis de tenir compte de la preuve de la crainte de la demanderesse d’être témoin lors de son procès. La Commission a reconnu le fait que les activités criminelles de gang sont violentes et que les témoins sont davantage en danger. Toutefois, la Commission a examiné la réputation de l’agresseur et a fait remarquer qu’il était un criminel local qui n’était rattaché à aucun gang. La Commission a analysé la preuve qui contredisait sa position, mais a conclu raisonnablement que les lacunes des autorités policières n’étaient pas généralisées.

 

Analyse et décision

 

[23]           Question en litige 1

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Là où la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable à une question en particulier, la cour qui effectue le contrôle peut faire l’application de la norme établie (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57).

 

[24]           L’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit et est également contrôlée selon la raisonnabilité (voir Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38).

 

[25]           Question en litige 2

      La Commission a-t-elle erré dans son analyse de la protection de l’État?

            Pour les motifs suivants, je conclus que la Commission n’a pas erré dans son analyse de la protection de l’État.

 

[26]           La Commission a correctement appliqué le critère d’évaluation de la protection de l’État. La Commission a conclu qu’elle devait évaluer le caractère adéquat de la protection offerte par Trinité (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Flores Carrillo, 2008 CAF 94, aux paragraphes 18, 19 et 30; Cosgun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400). Bien que la Commission doive évaluer si la protection était adéquate, plutôt qu’efficace, elle doit également tenir compte de la qualité de l’organisme qui donne cette protection (Kumar Katwaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 612, au paragraphe 21). La Commission a bel et bien tenu compte de tout cela.

 

[27]           La Commission a évalué la situation personnelle de la demanderesse. Elle a noté que cette dernière s’était fait violer et voler dans sa maison. La Commission a tenu compte des actions de la police au sujet de son agression en plus des actions de la magistrature. La Commission a noté l’observation de l’avocat de la demanderesse, selon qui « puisque la demandeure d’asile avait témoigné au cours de l’enquête et serait assignée à comparaître devant la haute cour, le risque auquel était exposée la demandeure d’asile était encore plus important ». La Commission a alors tenu compte de l’identité de l’agresseur de la demanderesse et a conclu qu’il était un criminel local dans une petite communauté et qu’il ne faisait partie d’aucun gang. La Commission a conclu qu’il était peu probable que l’agresseur de la demanderesse ait une forte influence sur les autorités de l’État et qu’il puisse ainsi demeurer impuni. Cela était une analyse raisonnable de la situation personnelle de la demanderesse.

 

[28]           De plus, la Commission n’a pas omis d’évaluer la preuve qui lui était présentée, comme le soutenait la demanderesse. La Commission a reconnu que la violence faite aux femmes est un problème grave à Trinité. Elle a évalué comment la police réagissait face à la violence fondée sur le sexe, a tenu compte du fait qu’il y avait de la formation offerte aux policiers pour qu’ils apprennent comment intervenir lors de ces situations, qu’il existait de l’aide juridique, des refuges et des centres de crise et qu’il y avait un ministère du gouvernement qui consacrait ses activités à la condition féminine. La Commission a clairement affirmé qu’elle reconnaissait que « [l]a plus grande partie des crimes violents commis à Trinité sont liés aux gangs, et les témoins des crimes sont davantage en danger ». Elle a également clairement noté qu’un article décrivait le système pénal comme étant en état d’« effondrement virtuel ». Toutefois, la Commission a décidé que, bien qu’il y eût des lacunes rapportées par les sources documentaires, il existe une protection de l’État adéquate pour les victimes de violence fondée sur le sexe. Elle a également conclu que la preuve montre que la corruption de la police et ses lacunes ne sont pas généralisées et que le gouvernement a pris des mesures correctrices.

 

[29]           Vu les commentaires précédents, je ne peux conclure que l’évaluation de la Commission au sujet de la disponibilité de la protection de l’État à Trinité n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », selon la norme de raisonnabilité, établie dans Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

[30]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[31]           Ni l’une ni l’autre des deux parties n’a présenté de question grave de portée générale pour certification.


 

JUGEMENT

 

[32]           LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


 

ANNEXE

 

Dispositions légales applicables

 

Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6136-10

 

INTITULÉ :                                       KAREN ADELINE KNIGHTS

                                                            R’KEEM JESAIAH KNIGHTS

 

                                                            c.

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul VanderVennen

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Khatidja Moloo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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