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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110627

Dossier : IMM-6142-10

Référence : 2011 CF 781

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2011

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

AJESHNI KUMAR

SANJAY NAND

SARWAN KUMAR

PRAKESH WATI

SUMIT KUMAR

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision d’un agent d’immigration, lequel a décidé que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs réclament :

            1.         l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à un autre commissaire pour nouvelle décision;

            2.         les dépens.

 

Le contexte

 

[3]               Ajeshni Kumar est une résidente permanente du Canada. En 2006, elle a présenté une demande en vue de parrainer les membres de sa famille au titre de la catégorie du regroupement familial en vertu de l’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[4]               Les demandeurs, Sarwan Kumar (son père), Prakash Wati (sa mère) et leur fils à charge, Sumit Kumar (son frère), sont tous inclus dans la demande de résidence permanente. Ils sont citoyens de Fidji.

 

[5]               En 2009, dans le cadre du traitement de la demande, le consulat général du Canada en Australie (le consulat) a envoyé à Sumit Kumar un formulaire IMM 5406 avec des instructions pour remplir correctement et renvoyer le formulaire. Sur le formulaire IMM 5406 signé, Sumit Kumar a inscrit [traduction] « N.D. » dans la section B intitulée « ENFANTS ».

 

[6]               Le consulat a demandé à Sumit Kumar à deux reprises, en mars et en avril 2010, de fournir une déclaration solennelle concernant son état matrimonial.

 

[7]               Le 23 mai 2010, Ajeshni Kumar a envoyé au consulat un courriel indiquant que son frère, Sumit Kumar :

[traduction]

[…] souhaite déclarer qu’il est fiancé à sa petite amie et qu’ils ont une fille ensemble. […] Sumit ne savait pas à quel endroit il devait faire cette déclaration et souhaitait communiquer ces faits à l’honorable consulat afin d’éviter toute confusion future.

 

 

[8]               Le 27 mai 2010, l’agent a reçu une lettre de Sumit Kumar datée du 28 avril 2010, au bas de laquelle on peut lire : [traduction] « oui, je suis présentement fiancé avec ma petite amie ».

 

[9]               Le 3 juin 2010, le consulat a demandé que Sumit Kumar fournisse le certificat de naissance de sa fille et qu’il remplisse un questionnaire relatif à la catégorie du regroupement familial, entre autres.

 

[10]           Le 14 juillet 2010, l’agent a envoyé à Ajeshni Kumar une lettre relative à l’équité procédurale où il explique que, comme les demandeurs n’ont pas déclaré l’existence d’un enfant sur la demande de résidence permanente, il a conclu que Sumit Kumar avait fait une fausse déclaration à son sujet et que tous les demandeurs pourraient possiblement être interdits de territoire.

 

[11]           L’agent a donné aux demandeurs la possibilité de répondre à sa lettre.

 

[12]           Ajeshni Kumar a répondu au nom de son frère par lettre datée du 17 août 2010, indiquant que Sumit Kumar avait été sans nouvelles de son ex‑petite amie pendant quatre ans et n’avait appris l’existence de l’enfant qu’après novembre 2009.

 

La décision de l’agent

 

[13]           Le 19 août 2010, l’agent a décidé que le demandeur, Sumit Kumar, avait fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait, contrairement à l’alinéa 40(1)a) de la Loi et que, en application de l’alinéa 40(2)a), lui et les autres personnes nommées dans la demande de parrainage étaient interdits de territoire au Canada pendant deux ans.

 

[14]           L’agent a tiré cette conclusion parce que sur la demande de résidence permanente datée du 8 septembre 2009, le demandeur, Sumit Kumar, a indiqué [traduction] « N.D. Non disponible » sous la rubrique « ENFANTS ». L’agent s’est rendu compte, grâce au questionnaire relatif à la catégorie du regroupement familial fourni par Sumit Kumar, que ce dernier avait toujours gardé contact avec sa fille depuis sa naissance et qu’il connaissait son existence lorsqu’il a rempli sa demande de résidence permanente.

 

Les questions en litige

 

[15]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

            3.         L’agent a‑t‑il violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[16]           Comme Sumit Kumar a révélé l’existence de son enfant et le fait qu’il était fiancé avant que l’agent rende sa décision, les demandeurs soutiennent qu’il ne peut y avoir eu une erreur dans l’application de la Loi aux termes de l’alinéa 40(1)a). Les demandeurs invoquent Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 268, affaire dans laquelle la juge Johanne Gauthier a établi, selon eux, que le Parlement, en adoptant l’article 40 de la Loi, n’avait pas l’intention de punir le retrait de déclarations inexactes.

 

[17]           Les demandeurs soutiennent également que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne les convoquant pas à une entrevue. Comme la crédibilité de Sumit Kumar était en jeu, ayant déclaré qu’il n’était pas au courant de l’existence de sa fille avant novembre 2009, l’agent avait l’obligation de convoquer le demandeur à une entrevue et de lui soumettre directement ses préoccupations.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[18]           Le défendeur affirme que l’agent disposait d’éléments de preuve plus que suffisants pour juger que le demandeur était interdit de territoire pour avoir fait « directement ou indirectement, […] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi », aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Cette disposition vise la fausse déclaration qui entraîne ou pourrait entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Le défendeur soutient que la disposition s’applique aussi aux situations où un demandeur fait une présentation erronée à son sujet et veut ensuite rétracter ou rectifier les fausses déclarations.

 

[19]           Le défendeur soutient en outre que l’agent n’avait pas l’obligation de tenir une entrevue. L’existence d’un enfant était un fait important et essentiel que le demandeur avait l’obligation d’indiquer sur la demande. L’agent a tenté plusieurs fois d’obtenir des précisions du demandeur, Sumit Kumar. Ce n’est qu’à ce moment‑là qu’il a révélé l’existence de sa fiancée et de sa fille.

 

Analyse et décision

 

[20]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, l’instance révisionnelle peut adopter cette norme (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57).

 

[21]           La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait d’un agent d’immigration est celle de la décision raisonnable (voir Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 et 53; De Luna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 726, au paragraphe 12). Par contre, les questions d’équité procédurale, y compris le droit d’être entendu, seront examinées selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

 

[22]           Deuxième question

            La décision de l’agent était elle raisonnable?

            J’estime que la décision de l’agent était raisonnable pour les motifs suivants.

[23]           Sur le formulaire IMM 5406 « Renseignements additionnels sur la famille » que le demandeur, Sumit Kumar, devait remplir, la section B indique ce qui suit : « ENFANTS (Donner les noms de TOUS vos fils et de TOUTES vos filles, y compris les noms de TOUS les enfants adoptés, les beaux‑fils et les belles‑filles, peu importe leur âge et leur lieu de résidence) ».

 

[24]           Sumit Kumar n’a pas indiqué qu’il avait une fille lorsqu’il a signé le formulaire de demande de résidence permanente en septembre 2009. Il a plutôt inscrit : [traduction] « N.D. Non disponible ».

 

[25]           À la suite d’un échange entre l’agent et Sumit Kumar concernant l’état matrimonial de ce dernier, l’agent avait conclu que le demandeur était au courant de l’existence de son enfant en prenant connaissance du questionnaire relatif à la catégorie du regroupement familial que le demandeur et sa fiancée avaient rempli et signé le 29 juin 2010.

 

[26]           Ce questionnaire contient l’information suivante :

[traduction]

4. Quand avez-vous commencé à vous fréquenter et pendant combien de temps vous êtes‑vous fréquentés avant de décider de vous marier?

 

Six ans, mais pas encore mariés; fiancés et mariage à venir.

 

5. Qui a fait la demande en mariage?

 

Sumit a fait la demande lorsque l’enfant est né.

 

a) Quand et où la demande a‑t‑elle été faite?

 

Chez lui.

 

[…]

 

8. Avez‑vous rencontré les parents de votre partenaire?
Oui [encerclé]

 

a) Décrivez brièvement la première rencontre avec les parents de votre partenaire :

Lorsque l’enfant est né.

 

[…]

 

12. Communiquez-vous régulièrement avec votre partenaire?
Oui [encerclé]

 

a) Dans l’affirmative, par quels moyens (c’est‑à‑dire, téléphone, lettres, courriel) et à quelle fréquence?

 

Visite quotidienne avec notre enfant.

 

 

[27]           Le libellé de l’article 40 de la Loi doit être interprété selon son sens habituel et en accord avec l’objet de la Loi (voir Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l’Agriculture), [1992] 1 RCS 385). Il est clairement stipulé à l’alinéa 40(1)a) qu’une réticence sur un fait important qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi constitue une fausse déclaration. Contrairement à ce que les demandeurs affirment dans leurs observations, la Loi n’exige pas qu’une erreur ait eu lieu. En fait, une réticence sur un fait important qui risque d’entraîner une erreur suffit pour conclure à une fausse déclaration.

 

[28]           Compte tenu des réponses que Sumit Kumar a inscrites sur ce questionnaire, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur avait fait une fausse déclaration aux termes de l’alinéa 40(1)a) en n’indiquant pas qu’il avait une fille sur sa demande de résidence permanente, car cette réticence aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Je souligne également que des explications satisfaisantes n’ont pas été fournies à ce sujet.

 

[29]           Troisième question

            L’agent a‑t‑il violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale?

            L’agent n’a pas violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale.

 

[30]           A plusieurs reprises, l’agent a donné au demandeur, Sumit Kumar, la possibilité de préciser son état matrimonial et d’expliquer la contradiction entre la demande de résidence permanente originale et la déclaration selon laquelle il avait eu un enfant avec sa petite amie.

 

[31]           L’agent n’avait aucunement l’obligation de convoquer le demandeur à une entrevue. 

 

[32]           Il est établi dans la jurisprudence qu’un agent n’a pas l’obligation d’informer le demandeur des questions concernant la demande qui découlent directement des exigences de la Loi ou du Règlement (voir Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, aux paragraphes 23 et 24).

 

[33]           Le paragraphe 10(2) du Règlement stipule ce qui suit :

10. [. . .]

 

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

 

a) les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d’immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille, que ceux-ci l’accompagnent ou non, ainsi que la mention du fait que le demandeur ou l’un ou l’autre des membres de sa famille est l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une autre personne;

 

[Non souligné dans l’original.]

10. [. . .]

 

(2) The application shall, unless otherwise provided by these Regulations,

 

 

(a) contain the name, birth date, address, nationality and immigration status of the applicant and of all family members of the applicant, whether accompanying or not, and a statement whether the applicant or any of the family members is the spouse, common-law partner or conjugal partner of another person;

 

 

[Emphasis added]

 

 

[34]           De fait, l’existence d’un enfant de Sumit Kumar était un fait important qui devait être déclaré sur la demande de résidence permanente aux termes du Règlement. L’agent n’a pas commis d’erreur en ne convoquant pas une entrevue.

 

[35]           Les demandeurs ne souhaitaient pas me proposer une question grave de portée générale pour certification. En raison de mes conclusions, il est inutile que je permette au défendeur de proposer une question puisqu’il souhaitait seulement avoir la possibilité de le faire si ma décision ne reconnaissait pas les termes « risque d’entraîner » stipulés à l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[36]           Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

 

[37]                       LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme           

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


ANNEXE

 

Les dispositions légales pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

[…]

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

 

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

 

 

 

 

[…]

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

 

[…]

 

(2) The following provisions govern subsection (1):

 

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

 

[…]

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

10. […]

 

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

 

a) les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d’immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille, que ceux-ci l’accompagnent ou non, ainsi que la mention du fait que le demandeur ou l’un ou l’autre des membres de sa famille est l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une autre personne;

 

10. […]

 

(2) The application shall, unless otherwise provided by these Regulations,

 

 

(a) contain the name, birth date, address, nationality and immigration status of the applicant and of all family members of the applicant, whether accompanying or not, and a statement whether the applicant or any of the family members is the spouse, common-law partner or conjugal partner of another person;

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6142-10

 

INTITULÉ :                                       AJESHNI KUMAR

                                                            SANJAY NAND

                                                            SARWAN KUMAR

                                                            PRAKASH WATI

                                                            SUMIT KUMAR

 

                                                            - et –

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Marina Stefanovic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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