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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20110622

Dossier : IMM-6897-10

 

Référence : 2011 CF 746

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

 

LUIS HUBER CAMACHO PENA

ANA CECILIA CARDENAS DUARTE

LINA VANESA CACERES CARDENAS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. 

 

[2]               Bien qu’il ait été démontré que la Commission a commis quelques erreurs et tiré des conclusions déraisonnables, les demandeurs n’ont pas prouvé que la Commission a eu tort de conclure qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

Le contexte

[3]               Les demandeurs forment une famille et sont citoyens de Bogota, en Colombie : l’époux, Luis Huber Camacho Pena, son épouse, Ana Cecilia Cardenas Duarte, et leur fille adulte, Lina Vanesa Caceres Cardenas.  La crainte des demandeurs est liée aux expériences vécues par Ana, l’épouse.

 

[4]               La persécution que la famille élargie d’Ana connaît aux mains des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) a débuté il y a très longtemps. Avant de rencontrer Luis en 1993, Ana était mariée à Pedro Fernando Caceres. La famille de Pedro entretenait des liens étroits avec le Parti libéral colombien, et son père était conseiller pour la municipalité d’El Penon. Ana est devenue membre du Parti libéral au milieu des années 1980.

 

[5]               À l’époque, un grand nombre de camions étaient incendiés par les FARC. Pedro, qui travaillait pour une compagnie d’assurances, avait la responsabilité d’enquêter. Il a commencé à recevoir des menaces des FARC, et il a finalement été assassiné en février 1986, vraisemblablement par les FARC.

 

[6]               Le beau‑frère d’Ana, Jairo Hernan Caceres Escobar, était également une cible des FARC parce qu’il était un membre actif du Parti libéral. Il a reçu des menaces de mort et a été sommé de verser une contribution financière aux FARC, ce qu’il a refusé de faire. Jairo a été tué par les FARC en août 1993.

[7]               Malgré le décès de son époux et de son beau‑frère, Ana a poursuivi son implication au sein du Parti libéral, participant à des [traduction] « brigades santé » qui offraient des soins médicaux de base dans les communautés défavorisées tout en ralliant des appuis pour le parti.

 

[8]               En mai 1995, le père d’Ana, Ramon Cardenas Daza, a été frappé mortellement par un véhicule devant le domicile familial. Deux semaines plus tard, Ana a reçu un appel téléphonique d’une personne qui disait être membre des FARC et qui a menacé de tuer tous les membres de sa famille faisant partie de la « corruption » du pays. Ana a engagé un avocat pour faire enquête, et il a été découvert que le conducteur du véhicule était un agent de police travaillant comme informateur pour les FARC.

 

[9]               Après le décès de Ramon, la famille d’Ana a dû se séparer et déménager, et Ana a cessé ses activités pour le Parti libéral. En février 1996, Luis et elle ont ouvert une entreprise de consultation en TI. Ana a eu besoin de l’aide d’un professionnel pour surmonter les tragédies qu’elle a vécues, et elle n’est pas encore entièrement rétablie. C’est son époux, Luis, qui a témoigné à l’audience.

 

[10]           En 1999-2000, Ana a repris ses activités avec les brigades santé du Parti libéral. À la fin d’octobre 2001, un membre des FARC a téléphoné chez elle. Il lui a dit qu’elle avait intérêt à quitter le Parti libéral corrompu, que les FARC savaient qu’elle avait une entreprise et qu’elle devait fournir un soutien financier aux FARC pour ne pas être tuée. Il a ajouté que les modalités de paiement lui seraient communiquées plus tard, et il a averti Ana de ne pas prévenir la police, sinon les demandeurs seraient assassinés sur‑le‑champ. L’auteur de l’appel l’a également avertie que si elle refusait de coopérer, les demandeurs seraient considérés comme des cibles militaires des FARC. Les demandeurs ont par la suite reçu d’autres appels des FARC pour leur extorquer deux millions de pesos et les prévenir qu’ils étaient surveillés.

[11]           Les demandeurs ont déclaré que les appels téléphoniques les avaient mis dans un état de panique. Ils ont refusé de donner de l’argent aux FARC, ont emménagé avec des parents et ont fermé leur entreprise. Ils disent qu’ils savaient que les autorités ne pourraient pas les protéger, et ils ont décidé que leur seule option était d’aller demander l’asile à l’étranger. Ils se sont enfuis aux États‑Unis en janvier 2002. Leur demande d’asile dans ce pays a été refusée, et l’appel interjeté contre cette décision a été rejeté en mai 2009, moment où les demandeurs sont venus demander l’asile au Canada.

 

[12]           Les demandeurs disent que des gens ont téléphoné à la mère d’Ana pour savoir où ils se trouvaient et qu’elle a été forcée de déménager.

 

[13]           La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. On trouve le commentaire suivant de la Commission sous la rubrique « Lien » : « Puisqu’il ne croit pas que les demandeurs d’asile sont pris pour cible par les FARC, ni qu’ils l’ont été, le tribunal ne voit aucun lien avec l’un ou l’autre des motifs prévus dans la Convention ».

 

[14]           La Commission a conclu que la crédibilité était une question déterminante dans cette affaire. Elle a souligné qu’aucun des demandeurs n’avait été personnellement mêlé à des affrontements avec les FARC. La Commission a jugé que l’absence d’affrontements personnels et le manque de documents à l’appui ne rendaient pas crédible leur allégation de persécution, surtout que les FARC, comme elle l’a fait remarquer, ont la réputation de pourchasser et d’affronter leurs cibles avec acharnement.

 

[15]           La Commission a reconnu que le témoignage d’un demandeur d’asile doit être présumé véridique, à moins qu’il n’y ait une raison de douter de sa véracité. Elle a cependant ajouté que, comme le récit des demandeurs ne l’avait pas « convaincue », elle ne croyait pas qu’ils aient réellement reçu des appels téléphoniques.

 

[16]           La Commission a conclu que la protection offerte par l’État était une autre question déterminante. Elle a jugé que les demandeurs n’avaient pas prouvé d’une manière claire et convaincante qu’il n’existe pas une protection de l’État pour des personnes comme eux en Colombie. Ils n’ont pas fait de déclaration à la police ou à la GAULA (unité antiterroriste du gouvernement responsable de la lutte contre l’extorsion et les enlèvements) parce que les FARC les avaient avertis de ne pas le faire. La Commission a donc conclu que les demandeurs n’avaient fait aucune démarche raisonnable pour tenter d’obtenir la protection de l’État avant de chercher à obtenir la protection d’un État étranger.

 

[17]           S’appuyant sur la preuve documentaire, la Commission a formulé une série d’observations au sujet de la Colombie, soulignant, entre autres, l’existence d’organismes d’exécution de la loi et les efforts déployés pour offrir une protection de l’État, la démocratie et la tenue d’élections impartiales, l’existence d’un programme de protection des témoins, les procédures mises en place pour promouvoir la primauté du droit, les enquêtes et les poursuites contre les auteurs de violation des droits de la personne, le taux de condamnation en hausse et le renforcement de la sécurité en Colombie. Cet examen a amené la Commission à conclure que la Colombie est une démocratie fonctionnelle au sein de laquelle les citoyens peuvent recourir aux forces de sécurité lorsqu’ils veulent être protégés contre des actes criminels, et que les personnes accusées d’actes criminels sont tenues responsables en vertu de la primauté du droit.

 

[18]           La Commission s’est intéressée ensuite aux FARC, remarquant que, depuis 2002, le gouvernement a engagé des ressources considérables pour protéger les citoyens contre les FARC et d’autres groupes paramilitaires. Elle a ajouté qu’il s’est écoulé huit ans et demi depuis que les demandeurs avaient quitté la Colombie, et elle a réitéré que les demandeurs n’avaient jamais eu de démêlés avec les FARC outre les appels téléphoniques. La Commission en a conclu que même si les FARC ont pris les demandeurs pour cible dans le passé, il est peu probable qu’elles cherchent à les retrouver des années plus tard dans une métropole comme Bogota, surtout que les FARC ont été affaiblies et que les demandeurs n’ont pas un profil susceptible d’attirer encore l’attention. 

 

[19]           Selon la Commission, si les FARC n’ont pas pourchassé, traqué ou affronter les demandeurs lorsqu’elles en avaient la possibilité, on peut supposer qu’ils ne sont plus des personnes d’intérêt pour ce groupe (si les FARC les avaient même pris pour cible au départ). Par conséquent, la Commission ne croyait pas que les demandeurs seraient pris pour cible par les FARC s’ils retournaient à Bogota.

 

[20]           Soulignant que la protection offerte par l’État doit être suffisante sans être nécessairement parfaite, la Commission a conclu que les demandeurs peuvent obtenir une protection suffisante de l’État en Colombie et à Bogota en particulier. Elle a ajouté que les demandeurs n’ont pas prouvé de manière claire et convaincante qu’il n’y a pas de protection de l’État en Colombie, et elle a conclu qu’il n’existe pas une possibilité sérieuse que les demandeurs soient victimes de persécution ou d’une menace à leur vie s’ils retournent dans ce pays. Leurs demandes d’asile ont donc été refusées.

 

Les questions en litige

[21]           Les demandeurs soulèvent quatre questions :

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention?

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité?

3.                  La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions erronées au sujet de la protection de l’État et de la possibilité de refuge intérieur?

4.                  La Commission a‑t‑elle eu tort de ne pas effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 et d’intégrer dans une conclusion générale fondée sur l’article 97 des considérations liées à la crédibilité et à la crainte subjective?

 

Analyse

1.  Lien

[22]           Les demandeurs ont raison de dire que la conclusion suivante de la Commission au sujet du lien est déficiente : « Puisqu’il ne croit pas que les demandeurs d’asile sont pris pour cible par les FARC, ni qu’ils l’ont été, le tribunal ne voit aucun lien avec l’un ou l’autre des motifs prévus dans la Convention ». La difficulté tient au fait que, contrairement à la logique suivie par la Commission, la véracité du récit des demandeurs et l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention sont deux questions distinctes. S’agissant du lien, il faut déterminer si l’allégation de crainte fondée de persécution correspond à l’un des motifs visés à l’article 96 de la Loi. Quant à la crédibilité, il s’agit de déterminer si la persécution alléguée a réellement eu lieu. Si le témoignage des demandeurs avait été crédible, il aurait été possible d’établir un lien avec un motif reconnu par la Convention, en l’occurrence les opinions politiques.

 

[23]           Bien que la Commission ait manifestement amalgamé les notions de crédibilité et de lien, l’essence de sa décision n’est pas déraisonnable. Le commentaire de la Commission repose sur deux conclusions déterminantes dans cette affaire : les demandeurs n’étaient pas crédibles et ils pouvaient obtenir une protection de l’État. Son commentaire au sujet du lien ne constitue pas une erreur justifiant qu’il soit fait droit à la présente demande.

 

2.  Appréciation de la crédibilité

[24]           La Commission a eu tort de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité. Elle n’a pas, comme elle a prétendu le faire, présumé que le témoignage des demandeurs était véridique. Elle a statué sur la crédibilité en s’appuyant sur une conclusion d’invraisemblance et une attente manifeste d’éléments de preuve corroborants.

 

[25]           Dans Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 81 FTR 303 (1ère inst.), le juge en chef adjoint Jerome a formulé le commentaire suivant aux paragraphes 14 et 15 :

[…] la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.

 

Cette obligation devient particulièrement importante dans des cas tels que l’espèce où la Commission a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur des "invraisemblances" présumées dans les histoires des demanderesses plutôt que sur des inconsistances et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage. Les conclusions d’invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l’idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l’à-propos d’une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions.

 

[26]           En l’espèce, la conclusion d’invraisemblance est étayée par une information générale tirée du Cartable national de documentation sur la Colombie de la CISR, selon laquelle les FARC ont la réputation de pourchasser et d’affronter leurs cibles avec acharnement.

 

[27]           Soulignons que l’énoncé d’un fait allégué, étayé seulement par un Cartable national de documentation de la CISR et sans renvoi à un document ou à une page en particulier, n’est d’aucune utilité à la Cour ou à quiconque tente de juger du bien‑fondé de cet énoncé. En l’espèce, même l’avocat du Ministre n’a pas trouvé dans ces nombreuses pages un passage reflétant ou appuyant ce simple exposé de fait du commissaire. Si l’information se trouve dans le Cartable national de documentation, aucune des parties aux présentes ne l’a vue, sauf, semble‑t‑il, le commissaire Lim.

 

[28]           Quoi qu’il en soit, cet élément de preuve, s’il existe, n’est pas suffisant en soi pour douter du récit des demandeurs. La Commission n’a souligné aucune incohérence ou contradiction dans la version des événements fournie par les demandeurs, et nulle part dans ses motifs ne laisse‑t‑elle sous‑entendre que le demandeur principal a manqué de franchise et d’honnêteté durant son témoignage. À partir du seul fait que les FARC ont la réputation de pourchasser leurs victimes avec acharnement, on ne peut raisonnablement qualifier d’invraisemblable tout récit s’éloignant de cette caractérisation. Une approche aussi simpliste est totalement incompatible avec la présomption d’honnêteté des demandeurs.

 

[29]           Par ailleurs, dans les circonstances de l’espèce, l’absence de preuve documentaire ne peut pas être utilisée pour attaquer la crédibilité des demandeurs. La Commission souligne l’absence de la « preuve documentaire nécessaire » sans préciser quelle preuve était attendue des demandeurs. Comme les menaces ont été faites par téléphone, on peut se demander quelle preuve documentaire les demandeurs auraient bien pu produire. Le seul document qui vient à l’idée est un rapport de police. Toutefois, comme les demandeurs ont expliqué qu’ils ne se sont jamais adressés aux autorités, l’absence d’un rapport de police ne peut servir à douter de la crédibilité des demandeurs. L’existence d’un rapport de police aurait été, en fait, la preuve que leur témoignage, à cet égard du moins,  était faux. Compte tenu des faits qui ont été présentés à la Cour, l’absence d’un rapport de police peut poser une difficulté dans l’analyse de la protection de l’État, mais pas dans l’appréciation de la crédibilité des demandeurs. 

 

3.  Protection de l’État et possibilité de refuge intérieur

[30]           La Commission a indiqué clairement que sa conclusion au sujet de la protection de l’État était subsidiaire à celle sur la crédibilité et qu’elle était « déterminante ». La Commission a fait reposer son analyse de la protection de l’État sur des documents faisant état de la situation au pays, et non sur la crédibilité des demandeurs. Je n’accorde aucun poids à la prétention des demandeurs selon laquelle la conclusion sur la crédibilité a entaché l’entière décision de la Commission.

 

[31]           Il ne se trouve, dans les observations des demandeurs sur la protection de l’État, aucune explication satisfaisante à savoir pourquoi ils n’ont jamais demandé la protection en Colombie. Les conclusions de la Commission doivent être interprétées dans le contexte où il n’a pas été contesté que les demandeurs « n’ont fait absolument aucune démarche raisonnable pour tenter d’obtenir d’abord la protection de l’État dans leur pays d’origine avant de chercher à obtenir la protection d’un État étranger ».

 

[32]           Le point litigieux dans l’analyse de la protection de l’État consiste à savoir si la preuve documentaire qui n’a pas été citée par la Commission contredit ses conclusions à un point tel que cette dernière a commis une erreur en ne la mentionnant pas expressément. 

 

[33]           L’élément de preuve qui, selon les demandeurs, aurait dû être cité par la Commission n’est pas, à mon avis, d’une telle pertinence que l’on pourrait dire que la Commission, en ne se reportant pas directement à ce document, a rendu sa décision sans en tenir compte. Les demandeurs soulignent le fait que les FARC représentent toujours une menace dans la société colombienne; la Commission a reconnu que les FARC continuent de représenter une menace, précisant que la preuve montre que le pays est encore aux prises avec des problèmes de sécurité et que le crime est toujours un fléau en Colombie. Les demandeurs ont invoqué, à juste titre, le document Operational Guidance Note (2008) du Home Office de la Grande-Bretagne, qui indique que l’État [traduction] « ne peut actuellement offrir une protection suffisante contre les [FARC] », mais cela ne prouve aucunement que la Commission n’a pas évalué ces questions ou qu’elle a fait fi de cet élément de preuve. Cette déclaration du Home Office de la Grande-Bretagne fait référence à la faiblesse du gouvernement dans certaines régions du pays, et la Commission a mentionné plusieurs fois le renforcement de la sécurité dans les régions urbaines, en particulier à Bogota, où elle a conclu que les demandeurs seraient protégés des FARC. La Commission a également fourni une preuve suffisante de l’affaiblissement de la capacité opérationnelle des FARC et de l’efficacité des initiatives gouvernementales.

 

[34]           Par ailleurs, l’élément de preuve qui, aux dires des demandeurs, a été laissé de côté par la Commission brosse un portrait général des conditions dans le pays et ne traite pas expressément de la situation des demandeurs. L’obligation de citer une preuve contradictoire s’applique à la preuve qui est propre au demandeur : voir Shen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] ACF 1301 (1ère inst.), au paragraphe 6; Quinatzin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 937, au paragraphe 29.

 

[35]           Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que la Commission a négligé d’examiner l’élément de preuve en question. Elle a clairement reconnu que les FARC représentent une menace sérieuse pour les citoyens de la Colombie. Au vu de cette conclusion et de la déclaration de la Commission selon laquelle elle a examiné « les observations du conseil, les articles et rapports sur le pays déposés en preuve par les demandeurs d’asile, de même que les éléments pertinents du cartable national de documentation », je suis convaincu que la Commission n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la preuve documentaire traitant de la protection offerte par l’État.

 

[36]           L’allégation des demandeurs selon laquelle la Commission s’est appuyée sur des faits non pertinents est sans fondement. Premièrement, le fait que la Colombie est une démocratie est justement pertinent parce que le fardeau qui incombe au demandeur d’asile de réfuter la présomption de protection par l’État est plus grand lorsque l’État en cause est une démocratie. Plus l’État et ses institutions sont démocratiques, plus le fardeau est grand. Les observations de la Commission au sujet de la structure politique démocratique de la Colombie et de ses efforts fructueux pour éradiquer la corruption servaient directement à établir la norme de preuve requise pour réfuter la présomption de protection par l’État.

 

[37]           Deuxièmement, les conclusions de la Commission au sujet du contrôle accru exercé sur les autorités civiles et militaires sont pertinentes, même si la crainte alléguée par les demandeurs concerne les FARC. La Commission a déterminé que la Colombie dispose d’une force policière, d’une armée et d’un système judiciaire capables d’appréhender et de poursuivre les membres des FARC, un fait pertinent pour juger de la capacité des demandeurs d’obtenir une protection des autorités. Enfin, la mention par la Commission du programme de protection des témoins qui existe en Colombie est particulièrement pertinente.

 

[38]           Par ailleurs, je n’ajoute pas foi à la prétention des demandeurs selon laquelle la Commission s’est intéressée aux initiatives et aux efforts déployés par l’État, mais qu’elle n’a pas évalué si l’État offrait une protection suffisante. Tout au long de ses motifs, la Commission a souligné non seulement les initiatives du gouvernement, mais également leurs retombées directes.

 

[39]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a tiré une conclusion erronée au sujet de la possibilité de refuge intérieur, mais elle n’a manifestement tiré aucune conclusion de la sorte. La Commission a conclu que les demandeurs, qui sont citoyens de Bogota, pourraient obtenir une protection de l’État à Bogota.

 

4.  Défaut d’effectuer une analyse fondée sur l’article 97

[40]           Des analyses distinctes fondées sur les articles 96 et 97 n’étaient pas requises. L’absence de protection de l’État est, comme l’a mentionné le défendeur, un élément essentiel des deux dispositions. En outre, la Commission s’est reportée aux deux articles tout au long de ses motifs, indiquant clairement que son analyse portait à la fois sur la persécution et la menace à la vie. Il était loisible à la Commission d’utiliser cette approche en l’absence d’une preuve justifiant une analyse de la protection de l’État au regard de l’article 97 : voir Sida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 901, au paragraphe 15 et Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, aux paragraphes 17 et 18.

 

 

 

 

Conclusion

[41]           Pour les raisons précitées, et malgré les erreurs de la Commission signalées plus haut, la conclusion sur la protection de l’État est déterminante et était raisonnable. La demande est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question pour certification.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6897-10

 

INTITULÉ :                                       LUIS HUBER CAMACHO PENA ET. AL. c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Grace

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DAVIS & GRACE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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