Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110630

Dossier : IMM-5447-10

Référence : 2011 CF 813

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

PARWINDER SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, visant une décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi a rejeté la demande de résidence permanente que le demandeur avait présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.

CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur est citoyen de l’Inde. Il est entré au Canada muni d’un faux passeport le 17 août 2003 et a demandé l’asile le 13 septembre 2003. Sa demande d’asile a été refusée le 5 octobre 2004. Il a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, mais l’autorisation lui a été refusée le 3 mars 2005.

 

[4]               Le demandeur a ensuite présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 8 avril 2005 en raison du risque qu’il courrait s’il était renvoyé en Inde et de son degré d’établissement au Canada. À peu près à la même époque, il a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi. Le 29 juin 2008, il a présenté des observations mises à jour dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[5]               L’agent a déterminé que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve additionnels qui lui auraient permis d’aller à l’encontre des conclusions de fait tirées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Puisque la Commission avait déterminé que le demandeur ne risquait pas sérieusement d’être persécuté s’il devait rentrer en Inde, l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que le demandeur serait exposé en Inde à un risque qui pourrait être assimilé à des difficultés.

 

[6]               L’agent a ensuite examiné la question de l’établissement du demandeur au Canada et fait un résumé des éléments de preuve corroborant l’emploi stable, l’indépendance financière et la participation dans la communauté du demandeur. L’agent a aussi tenu compte du chapitre IP 5 du Guide de l’immigration, selon lequel le degré d’établissement au Canada peut justifier l’approbation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire si l’incapacité du demandeur à quitter le Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté se prolonge pendant une longue période. L’agent a déclaré que, si le demandeur était demeuré au Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, les éléments de preuve corroborant son établissement auraient eu un certain poids. Cependant, étant donné que le demandeur avait choisi de demeurer au Canada même s’il était frappé d’une mesure d’interdiction de séjour, l’agent n’a accordé aucun poids au degré d’établissement du demandeur après le rejet de la demande d’autorisation.

 

[7]               Puis, l’agent a examiné le degré d’établissement du demandeur avant le rejet de la demande d’autorisation, mais il a conclu que le demandeur ne ferait pas face à des difficultés qui justifieraient l’approbation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[8]               La présente demande ne soulève qu’une seule question :

a.       L’agent a‑t‑il entravé son pouvoir discrétionnaire en omettant de prendre en considération le degré d’établissement du demandeur après le rejet de la demande d’autorisation?

 

ANALYSE

 

Norme de contrôle

 

[9]               La question de savoir si l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire est une question d’équité procédurale. Aucune analyse de la norme de contrôle n’est nécessaire lorsque l’équité procédurale est en cause. La bonne façon de procéder consiste à se demander si les exigences de l’équité procédurale et de la justice naturelle ont été respectées dans les circonstances particulières de l’espèce. La question de la retenue judiciaire envers le décideur ne se pose pas en l’espèce. Voir Ontario (Commissioner Provincial Police) c. MacDonald, 2009 ONCA 805, 3 Admin L.R. (5th) 278, au paragraphe 37, et Bowater Mersey Paper Co. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 141, 2010 NSCA 19, 3 Admin L.R. (5th) 261, aux paragraphes 30 à 32.

 

a.      L’agent a‑t‑il entravé son pouvoir discrétionnaire en omettant de prendre en considération le degré d’établissement du demandeur après le rejet de la demande d’autorisation?

 

 

[10]           L’agent n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire ni omis d’examiner le degré d’établissement du demandeur après le rejet de la demande d’autorisation. L’agent a bel et bien examiné ce facteur, mais a décidé de ne lui accorder aucun poids parce qu’il découlait du choix que le demandeur avait fait de demeurer au Canada sans statut, et non de circonstances indépendantes de la volonté de celui‑ci. Comme l’avocat du demandeur l’a honnêtement reconnu, les motifs de l’agent ont le mérite d’être clairs sur ce point.

 

[11]           Le demandeur entend se fonder sur la décision Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 316, 2011 CarswellNat 661. Toutefois, cette décision n’est pas très utile en l’espèce. Les motifs, fort brefs, consistent en trois paragraphes seulement. Dans ces trois paragraphes, le juge Campbell souligne que le délai qui s’était écoulé entre la demande et la décision était inhabituel (sept années, en l’occurrence) et que, pendant ce temps, Mme Lin s’était « solidement établie » au Canada. Le juge ne précise pas sur quel élément de preuve il s’était fondé pour conclure à ce solide degré d’établissement. En outre, il ressort de la décision que Mme Lin n’a jamais été visée par une mesure de renvoi pendant la période de son établissement.

 

[12]           À l’audience, le demandeur a soutenu que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 177, 321 D.L.R. (4th) 111, permet d’affirmer que le degré d’établissement jusqu’à la date de la décision de l’agent doit être pris en considération. Le demandeur se fonde sur le paragraphe 40 de l’arrêt Hinzman, où le juge déclare que « l’agente CH devait tenir compte de l’ensemble de la situation des appelants ». Je conviens avec le défendeur que cette déclaration est prise hors contexte : dans Hinzman, l’agente avait omis de tenir compte des croyances religieuses et morales du demandeur au moment d’évaluer s’il ferait face à des difficultés excessives en cas de renvoi aux États‑Unis.

 

[13]           Même si l’agent n’a pas examiné le degré d’établissement du demandeur à la lumière du fait qu’il avait fallu presque cinq ans et demi pour que la demande de celui‑ci soit traitée, cette omission ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle, étant donné que le degré d’établissement après le rejet de la demande d’autorisation ne change rien à la décision. L’agent a déterminé qu’il aurait accordé un certain poids à ce facteur si le demandeur était demeuré au Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. En particulier, l’agent s’est abstenu de dire que le degré d’établissement du demandeur l’aurait amené à tirer une conclusion différente ou qu’il aurait déterminé l’issue de la demande. Quoi qu’il en soit, le degré d’établissement n’est qu’un des facteurs que l’agent doit prendre en considération quand il évalue une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le degré d’établissement du demandeur après le rejet de la demande d’autorisation ne semble pas suffisant pour justifier à lui seul l’approbation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[14]           À mon avis, la décision Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 ACWS (3d) 1057, est déterminante en l’espèce. Dans cette décision‑là, le juge Yves de Montigny a dû trancher la même question que moi : l’agente avait‑elle entravé son pouvoir discrétionnaire en omettant de prendre en compte l’établissement des demandeurs après le prononcé d’une mesure de renvoi contre eux? Aux paragraphes 19 à 24, le juge de Montigny s’est exprimé ainsi :

 

Les demandeurs, sachant très bien que plus longtemps ils resteraient au Canada dans l’attente que le processus judiciaire arrive à son terme, plus il serait difficile de retourner dans leur pays d’origine, et sachant qu’il leur avait été ordonné de quitter le pays, ont choisi de rester malgré tout. Cette situation ne s’apparente pas à une « incapacité prolongée à quitter le Canada », l’une des situations où le niveau d’établissement du demandeur au Canada peut être pris en compte, tel que prévu à la section 11.2 du chapitre IP5 du Guide.

 

L’une des pierres angulaires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est l’obligation, pour les personnes qui souhaitent s’établir de manière permanente au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident permanent et d’obtenir un visa de résidence permanente. L’article 25 de la Loi donne au ministre la possibilité d’autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifient, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure se veut clairement une mesure d’exception […]

 

Il serait clairement à l’encontre de l’objet de la Loi de prétendre que plus un demandeur reste longtemps au Canada en situation illégale, meilleures sont ses chances d’être autorisé à s’établir de manière permanente et ce, même si ce demandeur ne satisfait pas aux critères lui permettant d’obtenir le statut de réfugié ou de résident permanent. Cet argument circulaire a effectivement été examiné par l’agente d’immigration mais il n’a pas été retenu. Cette conclusion ne m’apparaît pas déraisonnable. […]

 

[…] on ne peut pas dire que l’exercice de tous les recours prévus par la LIPR corresponde à des circonstances échappant au contrôle du demandeur. Le demandeur qui se voir refuser le statut de réfugié est parfaitement en droit d’épuiser tous les recours mis à sa disposition par la loi mais il doit savoir que ce faisant, son éventuel renvoi en sera d’autant plus pénible. […]

 

En tout état de cause, l’agente d’immigration n’a pas refusé de prendre en compte l’établissement des demandeurs au Canada mais elle a décidé d’accorder peu de valeur à ce facteur. En conséquence, on ne peut pas dire qu’elle a entravé son pouvoir discrétionnaire; bien au contraire, elle a examiné l’ensemble des circonstances avant de conclure comme elle l’a fait et elle a donc ainsi exercé son pouvoir discrétionnaire.

 

 

[15]           Comme dans Serda, l’agent a examiné le degré d’établissement au Canada du demandeur après le rejet de la demande d’autorisation, mais ne lui a finalement accordé aucun poids. Il était loisible à l’agent de tirer cette conclusion à la lumière du contexte factuel de la demande.

 

CONCLUSION

 

[16]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-5447-10

 

INTITULÉ :                                        PARWINDER SINGH

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 11 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHAEL CRANE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.