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Date : 20110630

Dossier : IMM-6480-10

Référence : 2011 CF 808

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 30 juin 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

 

JOSE DAVID URREA BOHORQUEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Jose David Urrea Bohorquez est un évaluateur de biens immobiliers, originaire de Bogota, en Colombie. Il a affirmé avoir été la cible de certains membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) parce qu’il avait refusé d’augmenter la valeur d’une propriété qu’il évaluait. Le commissaire Lim, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a rejeté sa demande d’asile; il a conclu qu’il y avait des aspects essentiels de son récit qui n’étaient pas crédibles.

 

[2]               Je reconnais que je dois faire preuve d’une certaine retenue en ce qui concerne les conclusions de fait de la Commission au sujet de la crédibilité; cependant, pour les motifs suivants, je suis convaincue que la décision de la Commission est déraisonnable.

 

Analyse

 

[3]               Il y a trois points sur lesquels les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité ne sont tout simplement pas raisonnables.

 

i)          La conclusion que la famille de M. Bohorquez n’a pas été ciblée.

 

[4]               L’une des raisons mentionnées par la Commission pour expliquer pourquoi elle ne croyait pas que les FARC recherchaient M. Bohorquez était parce qu’aucun membre de sa famille en Colombie ne s’était fait harceler par des membres des FARC après le départ de M. Bohorquez.

 

[5]               Il est vrai que M. Bohorquez a affirmé que son père, son frère et sa sœur n’avaient pas été approchés par les FARC après qu’il eut quitté la Colombie. Cependant, il y avait devant la Commission des éléments de preuve qui montraient qu’en mai 2010, la mère de M. Bohorquez avait reçu un appel téléphonique de menaces qui serait provenu de la part d’un membre des FARC, lesquelles recherchaient M. Bohorquez. La mère de M. Bohorquez avait été effrayée à un point tel qu’elle avait également fui la Colombie et demandé l’asile au Canada. La Commission semble avoir omis de prendre en considération cet élément de preuve.

 

ii)         La conclusion du commissaire en ce qui concerne le régime d’enregistrement foncier de la Colombie.

 

[6]               Une autre raison mentionnée par la Commission pour avoir rejeté la demande de M. Bohorquez est l’allégation prêtée au demandeur que les FARC avaient besoin de son aide parce qu’elles auraient eu de la difficulté à trouver à qui appartenait la propriété qu’il évaluait. Selon la Commission, les FARC auraient pu tout simplement se fier au régime d’enregistrement foncier pour savoir qui était propriétaire des terres en question si elles voulaient en prendre possession.

 

[7]               Premièrement, il n’y avait aucune preuve devant la Commission concernant le fonctionnement du régime d’enregistrement foncier de la Colombie, et cela n’était pas quelque chose que la Commission pouvait connaître d’office.

 

[8]               Un problème encore plus fondamental de la conclusion de la Commission est le fait que le commissaire a soit écarté, soit mal compris l’explication de M. Bohorquez, selon laquelle le propriétaire des terres avait déclaré faillite et que la gestion de la propriété en question revenait à la banque. Par conséquent, savoir à qui appartenait légalement la propriété n’aurait pas été utile aux FARC.

 

iii)        La capacité des FARC à trouver M. Bohorquez à Bogota.

 

[9]               La Commission a également conclu que les FARC n’auraient pas « l’envie de retrouver le demandeur d’asile si ce dernier retournait à Bogota. »

 

[10]           Dans la mesure où la conclusion de la Commission en ce qui concerne l’« envie » des FARC était basée sur le fait que la Commission croyait que le groupe n’avait fait aucun effort pour communiquer avec la famille de M. Bohorquez après son départ de la Colombie, cette conclusion est entachée par l’omission de la Commission de tenir compte de la menace reçue par la mère de M. Bohorquez en 2010.

 

[11]           En ce qui concerne la « capacité » des FARC, il est évident que cette conclusion est basée sur une lecture sélective de la documentation sur les conditions du pays. Par exemple, les Réponses aux demandes d’information par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, publiées en février 2010, affirment que les FARC sont [traduction] « absolument capables » de retrouver quelqu’un, si cette personne a attiré l’attention du groupe.

 

[12]           Le document affirme également que [traduction] « [l]es groupes armés illégaux de la Colombie […] ont accès à des dossiers bancaires privés ainsi qu’aux opérations faites à l’aide de cartes de crédit; ils arrivent alors à retrouver quelqu’un grâce à sa trace documentaire. Ils peuvent écouter secrètement les conversations des membres de la famille d’une personne qu’ils recherchent afin de découvrir où elle se trouve, ou soutirer des renseignements à des connaissances et à des voisins en leur offrant des pots-de-vin. »

 

[13]           Il est vrai que la Commission n’est pas tenue de référer à chaque élément de preuve présent au dossier et qu’il est supposé qu’elle tient compte de la preuve dans sa totalité. Cependant, dans la présente affaire, il s’agit d’une situation où la Commission n’a pas fait référence à un élément de preuve qui portait directement sur un point examiné par la Commission et qui contredisait sa conclusion. Dans les circonstances, la Commission devait le mentionner et l’analyser : voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 15 à 17.

 

Conclusion

 

[14]           Chacune des erreurs que j’ai relevées dans les motifs de la Commission a influé de façon importante sur la conclusion de la Commission, selon laquelle M. Bohorquez ne serait pas en danger en Colombie. Lorsque ces erreurs sont prises en tant qu’ensemble, il est évident qu’il ne serait pas prudent de maintenir la décision de la Commission. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Certification

 

[15]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR statue comme suit :

 

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un tribunal de la Commission différemment constitué.

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6480-10

 

 

INTITULÉ :                                       JOSE DAVID URREA BOHORQUEZ c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 juin 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christina M. Gural

POUR LE DEMANDEUR

 

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CHRISTINA M. GURAL

Avocate

Vaughan (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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