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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20110706

Dossier : T-1954-10

Référence : 2011 CF 829

Ottawa, Ontario, le 6 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

CARL ROSS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

A.           INTRODUCTION

 

[1]               Le demandeur dépose une demande de contrôle judiciaire aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Il veut que la Cour révise la décision rendue le 12 octobre 2010 par la section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (section d'appel) confirmant la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (Commission) du 26 mai 2010, d’assortir sa libération d’office d’une assignation à résidence et de plusieurs autres conditions spéciales.

 

B.         LES FAITS

 

[2]               Depuis février 2005, le demandeur purge une première peine sous le ressort de la compétence fédérale, pour une période de huit ans et ce, pour quatre chefs d’accusation d’agression sexuelle commis à l’endroit de quatre victimes âgées entre 6 et 19 ans, dont deux sont les enfants de sa conjointe et les deux autres leurs amies. Même s’il s’agit d’une première condamnation criminelle du demandeur, on rapporte plusieurs incidents à son sujet, incluant une plainte d’inceste commise contre sa fille biologique en 1989 et d’autres accusations d’agression sexuelle et de sodomie datant de 1991 pour lesquelles il y aurait eu un arrêt des procédures.

 

[3]               Le demandeur a droit à une libération d’office le 5 juin 2010. En prévision de cette dernière, le Service correctionnel du Canada (le Service) recommande à la Commission d’imposer plusieurs conditions spéciales soit :

·               l’assignation à résidence;

·               l’interdiction de communiquer avec les victimes;

·               l’interdiction de se trouver en présence de mineurs;

·               l’obligation de suivre un programme externe en délinquance sexuelle; et

·               l’obligation d’informer son surveillant de toute nouvelle relation affective passagère ou stable avec la gente féminine.

 

[4]               Son avocat dépose des représentations écrites à la Commission le 21 mai 2010, on y précise que le demandeur s’oppose à son assignation à résidence mais consent aux autres conditions. Il propose alors, dans son projet de sortie, de passer quelques semaines avec des amis, après quoi il entend retourner à sa maison en Gaspésie pour y vivre seul. Le demandeur demande aussi à la Commission si elle décide d’imposer une assignation à résidence, d’en restreindre la durée à six mois. Quant aux autres conditions, le demandeur suggère qu’elles se limitent à 24 mois plutôt que le terme entier de sa libération d’office, qui s’étend sur 32 mois.

 

C.        LA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

[5]               Le 26 mai 2010, la Commission décide d’imposer toutes les conditions suggérées par le Service. Dans sa décision, elle rappelle les accusations déposées contre le demandeur en 1991 et l’élimination de toute possibilité de contact avec ses enfants biologiques. La Commission souligne également que le demandeur continue à minimiser la portée de ses actions sur ses victimes et tente toujours de les justifier.

 

[6]               La Commission considère les statistiques qui indiquent que quatre détenus sur cinq qui présentent des caractéristiques comparables à celles du demandeur ne récidivent pas après leur libération. Elle conclut néanmoins que ces données ne reflètent pas adéquatement le risque que présente le demandeur. La Commission tient compte également des trois évaluations psychologiques contenues dans le dossier du demandeur. Elle considère que les séances avec l’aumônier au cours de l’incarcération du demandeur lui ont permis de cheminer vers une reconnaissance accrue de la gravité de ses délits. La Commission constate par ailleurs que le demandeur est suspendu du programme en délinquance sexuelle à cause de son manque d’effort et de son attitude défensive.

 

[7]               La Commission conclut que le demandeur présente un risque élevé de récidive vu son manque total de motivation à changer son mode de vie et ce, durant toute son incarcération. La Commission fonde sa décision, entre autres, sur le projet de sortie présenté par le demandeur qu’elle considère peu structuré. La Commission croit que la seule façon d’amenuiser le risque que pose le demandeur est de lui imposer une assignation à résidence. Elle souligne toutefois que l’imposition de cette condition demeure circonstancielle et qu’elle peut être revue à l’avenir. Elle ne fixe pas un terme différent pour les conditions spéciales qu’elle attache à la libération d’office du demandeur.

 

D.        LA SECTION D’APPEL

 

[8]               Le 27 juillet 2010, le demandeur présente sa position à la section d’appel de la Commission. Il allègue que la Commission erre en droit en ne fixant pas de durée pour les conditions spéciales et en ne donnant pas de motifs pour expliquer la durée qu’elle fixe à ses conditions spéciales. Le demandeur prétend aussi que l’imposition d’une assignation à résidence est déraisonnable et ne concorde pas avec les faits au dossier. Le demandeur soutient également que la Commission ne tient pas compte de ses représentations, et qu’il en résulte une violation des principes d’équité procédurale.

 

[9]               Le 12 octobre 2010, la section d’appel confirme la décision de la Commission. Elle estime que cette décision de la Commission est raisonnable en ce qu’elle tient compte de toutes les informations qui se retrouvent au dossier du demandeur, mais qu’elle « ne pouvait pas ignorer la nature et la gravité de vos infractions criminelles, vos facteurs de risque ayant contribué à votre délinquance et votre plan de libération inadéquat. »

 

[10]           La section d’appel est convaincue que la Commission a pris en considération les représentations du demandeur. D’ailleurs elle souligne que l’évaluation psychologique sur laquelle le demandeur s’appuie conclut qu’une assignation à résidence « pourrait être envisagée afin de permettre une meilleure gestion du risque. »

 

E.         LA LOI QUI S’APPLIQUE

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 :

Conditions automatiques

 

133. (2) Sous réserve du paragraphe (6), les conditions prévues par règlement sont réputées avoir été imposées dans tous les cas de libération conditionnelle ou d’office ou de permission de sortir sans escorte.

 

Conditions of release

 

133. (2) Subject to subsection (6), every offender released on parole, statutory release or unescorted temporary absence is subject to the conditions prescribed by the regulations.

 

Conditions particulières

 

(3) L’autorité compétente peut imposer au délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

[…]

 

 

Conditions set by releasing authority

 

(3) The releasing authority may impose any conditions on the parole, statutory release or unescorted temporary absence of an offender that it considers reasonable and necessary in order to protect society and to facilitate the successful reintegration into society of the offender.

 

Assignation à résidence

 

(4.1) L’autorité compétente peut, pour faciliter la réinsertion sociale du délinquant, ordonner que celui-ci, à titre de condition de sa libération d’office, demeure dans un établissement résidentiel communautaire ou un établissement psychiatrique si elle est convaincue qu’à défaut de cette condition la commission par le délinquant d’une infraction visée à l’annexe I avant l’expiration légale de sa peine présentera un risque inacceptable pour la société.

[…]

 

Residence requirement

 

(4.1) In order to facilitate the successful reintegration into society of an offender, the releasing authority may, as a condition of statutory release, require that the offender reside in a community-based residential facility or in a psychiatric facility, where the releasing authority is satisfied that, in the absence of such a condition, the offender will present an undue risk to society by committing an offence listed in Schedule I before the expiration of the offender’s sentence according to law.

 

Période de validité

 

(5) Les conditions particulières imposées par l’autorité compétente sont valables pendant la période qu’elle fixe.

 

Duration of conditions

 

(5) A condition imposed pursuant to subsection (3), (4) or (4.1) is valid for such period as the releasing authority specifies.

 

Dispense ou modification des conditions

 

(6) L’autorité compétente peut, conformément aux règlements, soustraire le délinquant, avant ou après sa mise en liberté, à l’application de l’une ou l’autre des conditions du présent article, modifier ou annuler l’une de celles-ci.

Relief from conditions

 

(6) The releasing authority may, in accordance with the regulations, before or after the release of an offender,

 

(a) in respect of conditions referred to in subsection (2), relieve the offender from compliance with any such condition or vary the application to the offender of any such condition; or

(b) in respect of conditions imposed under subsection (3), (4) or (4.1), remove or vary any such condition.

 

 

F.         LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

 

[11]           Le demandeur présente ainsi les questions en litige :

a.      La Commission  erre-t-elle en droit en ne fixant pas une durée pour les conditions spéciales imposées à la libération d’office du demandeur ?

b)   La décision de la Commission d’imposer une assignation à résidence est-elle raisonnable ?

 

[12]           Le procureur du défendeur cite l’arrêt Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, plus précisément le paragraphe 26, pour soutenir que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission et de sa section d’appel est celle de la raisonnabilité. La Cour en convient (Olenga c Canada (Procureur Général), 2010 CF 931, [2010] ACF no 1129 au para 14). Ainsi, la Cour doit examiner la justification, la transparence et l’intelligibilité de la décision, « ainsi qu[e] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

 

G.        L’ANALYSE

 

a)         La Commission erre-t-elle en droit en ne fixant pas une durée pour les conditions spéciales imposées à la libération d’office du demandeur ?

 

Les représentations du demandeur

 

[13]           Le demandeur reprend essentiellement les mêmes arguments qu’il a présentés à la section d’appel. Le demandeur soutient que la Commission erre en droit en n’imposant pas une durée pour les conditions spéciales qu’elle impose. Qu’elle erre également en omettant de motiver sa décision quant à la durée des conditions spéciales, en imposant une assignation à résidence, et en omettant de pondérer les éléments que le demandeur lui présente.

 

[14]           Le demandeur rappelle qu’aux termes du paragraphe 133(5) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], oblige la Commission à imposer une limite temporelle aux conditions spéciales qu’elle attache à sa libération d’office. Ce paragraphe de la Loi mentionne que : « [l]es conditions particulières imposées par l’autorité compétente sont valables pendant la période qu’elle fixe. » Le demandeur cite le Manuel des politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles [le manuel] et explique que « les membres de la Commission doivent garder à l’esprit que si le délinquant croit que l’assignation à résidence demeurera nécessairement en vigueur jusqu’à la date d’expiration du mandat cela peut aussi avoir des conséquences négatives sur sa réinsertion sociale et la sécurité du public.  Le demandeur prétend aussi que la Commission erre en ne fournissant pas de motifs pour la durée qu’elle fixe pour les conditions spéciales aux termes du paragraphe 101(f) de la Loi, lequel oblige la Commission à motiver ses décisions. Dans cette partie de ses représentations, le demandeur reconnaît néanmoins que les conditions spéciales lui sont imposées pour une période de 32 mois, soit le délai prescrit avant sa libération d’office.

 

Les soumissions du défendeur

 

[15]           Le défendeur répond que le demandeur tente de renverser la décision Normandin c Canada (Procureur Général), 2005 CAF 345, 343 NR 246 [Normandin], qui précise que le pouvoir de fixer une durée pour des conditions est un pouvoir discrétionnaire et non pas obligatoire. Le défendeur soutient que lorsque la Commission ne fixe pas de durée différente pour une condition spéciale, elle lie cette dernière à la même durée que la période à écouler avant la libération ou jusqu'au moment où la Commission revoit le dossier de l’individu. Le défendeur reconnaît que l’arrêt Normandin porte sur une condition de surveillance imposée aux termes de l’article 134.1 de la Loi, mais il soutient que cet article est identique à l’article 133, et que la décision de la Cour d’appel fédérale lie cette Cour.

 

[16]           Le défendeur ne répond pas, dans ses représentations écrites, aux allégations du demandeur voulant que la Commission erre en ne précisant les motifs pour lesquels elle fixe la durée des conditions spéciales imposées. Toutefois, à l’audience, le défendeur rappelle à la Cour sa décision dans Hurdle c Canada (Procureur Général), 2011 CF 599 [Hurdle] et soutient que cette dernière s’applique mutadis mutandis dans la présente instance compte tenu de l’analogie entre les dispositions applicables. Selon lui, les conclusions de la Cour devraient être les mêmes quant à la justification de la durée des conditions spéciales.

 

 

 

L’analyse

 

[17]           Le pouvoir de la Commission de fixer la durée des conditions spéciales est un pouvoir discrétionnaire comme nous l’écrivions dans le dossier Hurdle cité ci-haut :

[16] Dans l’arrêt Normandin c Canada (Procureur Général), 2004 CF 1404 au para 19, la juge Tremblay-Lamer a analysé et défini quelle était l’intention du législateur quant au rôle de la Commission dans l’application de la Loi et au regard de cet objectif:

 

[…] Il ne fait aucun doute que l'intention du législateur est que la CNLC emploie son expertise dans la prise de décisions appropriées qui permettront de protéger la société tout en facilitant la réinsertion du délinquant. La Cour devra faire preuve d'une plus grande retenue pour ce type d'expertise.

 

[17] Dans un jugement confirmant la décision de la Juge Tremblay-Lamer, la Cour d’appel fédérale rappelait que la Commission possède un pouvoir discrétionnaire « large et souple » dans l’application de l’article 134.1 de la Loi. Ce pouvoir implique celui de déterminer les conditions de libération du délinquant et d’en fixer la durée (Normandin c Canada (Procureur général), 2005 CAF 345 aux para 44 et 52).

 

[44] Le pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) est un pouvoir discrétionnaire large et souple et la discrétion s'exerce à trois niveaux. Premièrement, la Commission peut imposer ou ne pas imposer des conditions de surveillance à un délinquant à contrôler. Deuxièmement, c'est aussi la Commission qui est investie du pouvoir de déterminer s'il est raisonnable et nécessaire de le faire pour assurer la protection du public et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. Troisièmement, elle en fixe la durée.

 

[52] Le législateur n'a pas voulu introduire cette limitation dans le cas des délinquants à contrôler qui, eux, débutent leur période de surveillance prolongée alors que le délinquant en libération d'office (statutory release) s'achemine vers la fin de sa sentence. Le risque de récidive étant élevé pour les délinquants à contrôler et la période de surveillance étant de longue durée, il n'est pas déraisonnable de croire que le législateur a voulu laisser intact le vaste pouvoir discrétionnaire qu'il a octroyé à la Commission au paragraphe 134.1(2) de la Loi afin de lui permettre de rencontrer les besoins spécifiques des délinquants à contrôler (et à réinsérer socialement) ainsi que ceux de la collectivité à qui on fait assumer le risque de la libération du délinquant.

 

[18] Il appert donc de la législation et de la jurisprudence que le législateur n’a pas voulu imposer d’obligation légale stricte à la Commission quant à la détermination d’une durée aux conditions imposées, lui laissant un large pouvoir discrétionnaire à cet égard. À l’opposé de la position du demandeur, le fait que la Commission n’ait pas explicitement indiqué de durée aux conditions imposées ne signifie pas qu’elles en sont pour autant dépourvues. Ainsi, les conditions imposées s’éteignent de facto avec l’expiration de l’ordonnance de surveillance. Contrairement aux prétentions du demandeur, toutes les conditions imposées ont une durée déterminée.

 

Notre analyse s’applique mutatis mutandis en l’instance. En effet, le paragraphe 133(3) est analogue au paragraphe 134.1(2), ils se lisent ainsi :

 

Conditions particulières

 

 

133(3) L’autorité compétente peut imposer au délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

 

 

Conditions imposées par la Commission

 

134.1(2) La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

 

 

alors que le paragraphe 133(5) trouve son équivalent dans le paragraphe 134.1(3) :

 

Période de validité

133(5) Les conditions particulières imposées par l’autorité compétente sont valables pendant la période qu’elle fixe.

 

Période de validité

134.1(3) Les conditions imposées par la Commission en vertu du paragraphe (2) sont valables pendant la période qu’elle fixe.

 

 

Comme la Commission ne fixe pas une durée différente pour les conditions qu’elle impose, la durée devient celle de la libération d’office du demandeur soit 32 mois en l’espèce. Compte tenu de la nature discrétionnaire du pouvoir de la Commission et de ses motifs détaillés qui apparaissent à la première page de sa décision pour justifier l’application des conditions spéciales, y compris leur durée de 32 mois, la Cour conclut qu’il n’y a pas d’erreur de la part de la Commission en la matière.

 

b)                  La décision de la Commission d’imposer une assignation à résidence est-elle raisonnable ?

 

Les représentations du demandeur

 

[18]           Le demandeur soutient que la décision d’imposer une assignation à résidence démontre à sa face même que la Commission ne tient pas compte de ses représentations. Selon lui, la déclaration de la Commission voulant qu’elle considère ses soumissions ne satisfait pas son obligation de ce faire. Une lecture attentive de la décision de la Commission démontre qu’elle ne tient pas compte de ses représentations.

 

[19]           Le demandeur prétend que l’imposition d’une assignation à résidence est déraisonnable si on considère les informations contenues dans son dossier. Le demandeur se fonde sur l’évaluation psychologique du 17 mars 2009, qui précise qu’il  collabore bien durant le processus d’évaluation et ne présente pas de symptômes aigus ou un « pattern violent » intégré. Le demandeur rappelle les termes du paragraphe 133(4.1) de la Loi, qui permet à la Commission d’imposer une assignation à résidence « si elle est convaincue qu’à défaut de cette condition la commission par le délinquant d’une infraction visée à l’annexe I avant l’expiration légale de sa peine présentera un risque inacceptable pour la société. » Le demandeur cite le paragraphe 51 de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Normandin, qui précise, quant aux conditions d’assignation à résidence : qu’« il ne suffit pas que la Commission estime qu’il faille imposer des conditions de libération d’office : il faut qu’elle en soit convaincue et qu’elle soit convaincue de la nécessité d’une assignation à résidence vu la nature du risque posé ». Le demandeur conclut que l’assignation à résidence n’est pas justifiée dans son cas parce qu’il a commis aucune offense durant sa période de cautionnement et parce que les évaluations de risque ne sont pas unanimes quant aux probabilités qu’il récidive.

 

Les représentations du défendeur

 

[20]           Le défendeur soutient  que les conditions imposées par la Commission sont raisonnables. Le défendeur rappelle que la Commission impose ces conditions en tenant compte du comportement du demandeur durant sa période d’incarcération et des informations contenues dans son dossier. La Commission se fonde sur son manque de motivation à changer son mode de vie, ainsi que son attitude de déni et d’indifférence quant à ses délits passés.

 

[21]           Le défendeur note que la Commission demeure convaincue de la nécessité d’imposer l’assignation à résidence. Le demandeur présente un risque inacceptable, il pourrait commettre une infraction. Aux termes du paragraphe 133(4.1) de la Loi, il est justifié de lui imposer une assignation à résidence.

 

[22]           Le défendeur rappelle de plus que l’assignation à résidence peut être levée avant terme si le demandeur démontre suffisamment de progrès.

 

[23]           Le défendeur soutient également que plusieurs informations contenues dans le dossier du demandeur militent en faveur de l’imposition d’une assignation à résidence, soit :

                    i.le nombre et l’âge de ses victimes;

                   ii. la période prolongée au cours de laquelle les délits ont été commis;

                 iii. les autres plaintes et accusations déposées contre le demandeur;

                 iv. son attitude constante de fermeture et de déni et son mépris pour ses victimes; et

                  v. sa suspension du programme en délinquance sexuelle pour manque d’intérêt et d’effort.

 

[24]           Le défendeur souligne également que l’évaluation psychologique du 17 mars 2009, sur laquelle le demandeur s’appuie, envisage aussi une assignation à résidence pour atténuer le risque de récidive.

 

 

 

L’analyse

 

[25]           Les allégations du demandeur voulant que la Commission fasse défaut de considérer ses représentations ou l’information contenue dans son dossier, ce qui rend l’imposition de l’assignation à résidence déraisonnable sont sans fondements.

 

[26]           La Commission possède l’expertise pour interpréter la Loi et pour appliquer les critères qui y sont énoncées aux faits d’un cas particulier. Dans ce dossier, la Commission évalue le risque de récidive en tenant compte, entre autres, des évaluations psychologiques et de toutes les autres informations contenues au dossier du demandeur. La Commission le précise dans sa décision, le demandeur n’accepte pas la responsabilité pour ses délits et il continue à mépriser ses victimes. Les évaluations psychologiques du demandeur ne font pas l’unanimité quant à la probabilité de récidive. Toutefois, l’évaluation du 17 mars 2009, la plus récente au dossier au moment de la prise de décision de la Commission, envisage l’imposition d’une assignation à résidence pour atténuer le risque de récidive que présente le demandeur. Que la Commission passe sous silence, dans ses motifs, un des arguments présentés par le procureur du demandeur soit que son client n’a pas commis d’infraction durant les 31 mois de sa période de cautionnement ne rend pas pour autant la décision déraisonnable.

 

[27]           Les délits commis par le demandeur se déroulent sur une période de 14 ans. Des plaintes sont déposées contre lui depuis plus de trente ans. La Commission justifie sa décision d’imposer l’assignation à résidence par l’insuffisance de son plan de libération et son refus d’assumer la responsabilité pour ses délits. Cette décision nous apparaît raisonnable et correctement motivée dans les circonstances. Par ailleurs, la Commission souligne, dans sa décision, son ouverture à revoir la durée de l’assignation à résidence en fonction des progrès du demandeur.

 

H.        CONCLUSION

 

[28]           Le demandeur ne nous démontre pas que la décision de la Commission est déraisonnable ou qu’elle ne fait pas partie des issues possibles pouvant se justifier compte tenu des faits et du droit en l’instance.

 

Pour ces motifs la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire, le tout sans frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, le tout sans frais.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1954-10

 

INTITULÉ :                                       CARL ROSS c

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               8 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      6 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nadia Golmier

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Nicholas R. Banks

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudrault, Côté & Associés

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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