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Date : 20110708

Dossier : IMM-6992-10

Référence : 2011 CF 849

[TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

YOANY ALEXANDER ROJAS

YOWELL MARIETY ZARATE GRANDA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 3 novembre 2010, selon laquelle ils n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

 

[2]               Il est bien établi que les conclusions de fait et les conclusions relatives à la crédibilité sont l’affaire des tribunaux administratifs. Ce sont les membres de ces tribunaux qui entendent les témoins et observent leur attitude pendant qu’ils témoignent, qui évaluent leurs réactions aux questions du contre‑interrogatoire et qui entendent leurs explications concernant les invraisemblances ou les incohérences qui leur sont signalées. Ces facteurs, entre autres, justifient l’application de la norme de la raisonnabilité aux décisions des organismes administratifs dans le cadre d’un contrôle judiciaire et la déférence qui doit être démontrée à leur égard dans ces domaines : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339. Aussi, le critère qui doit être rempli pour qu’une cour de justice intervienne est rigoureux.

 

[3]               En l’espèce, les motifs de la décision ne satisfont pas à ce critère. La Commission a jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison, notamment, de « l’absence totale d’éléments de preuve à l’appui ». La Commission disposait de documents corroborants, dont des déclarations de l’employeur du demandeur principal (Yoany Alexander Rojas, le demandeur), de sa mère, de son frère et d’un ami. Même s’il est vrai qu’on pourrait leur accorder moins de poids en raison de leur provenance, ces déclarations corroboraient le témoignage du demandeur. La Commission n’a pas précisé quelle preuve corroborante manquait. Elle n’a pas non plus fait part au demandeur de ses préoccupations concernant la teneur de la preuve corroborante (ce qui soulève une question relative l’équité procédurale, sur laquelle je reviendrai brièvement) et ne lui a pas demandé d’expliquer pourquoi certains documents qu’elle aurait pu juger corroborants n’avaient pas été produits.

 

[4]               Il est utile de faire une distinction entre ce qui s’est passé en l’espèce et la situation en cause dans Reyna Flores c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 874, où le juge Roger Hughes a écrit :

Quant à la première question soulevée, la confrontation du demandeur à son témoignage, j’ai examiné le dossier du tribunal, notamment la transcription de l’audience. J’estime qu’on a donné au demandeur amplement l’occasion d’expliquer son témoignage, et que le commissaire lui a posé des questions sur les points importants de son témoignage afin de lui permettre de s’expliquer. Quant à la corroboration, l’avocat des demandeurs a soutenu que, particulièrement depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi en 2001, la corroboration n’est pas essentielle. Cependant, lorsqu’il y a des doutes sur les éléments de preuve soumis, la Commission peut demander une corroboration ou de tenir compte d’un manque de corroboration dans le cadre de l’évaluation de la crédibilité. J’estime que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans son appréciation de la preuve, et que les conclusions qu’elle a tirées étaient raisonnables.

 

 

[5]               On ne peut pas dire la même chose en l’espèce. On ne s’est guère intéressé, voire pas du tout, à la provenance des documents, au rôle du demandeur dans leur préparation ou aux incidences de leur contenu.

 

[6]               Des conclusions négatives ne peuvent être tirées du seul fait que le demandeur n’a pas produit de documents corroborants : Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12. Il est possible que la Commission ait cherché à effectuer son analyse de façon à ce que l’exception à ce principe s’applique, à savoir que le défaut de produire des documents corroborants doit être pris en compte lorsqu’elle rejette les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’a pas produit cette preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse. Si c’est le cas, elle aurait dû préciser la nature des documents qu’elle s’attendait à recevoir et tirer une conclusion à cet effet.

 

[7]               De plus, la Commission a rejeté un document provenant du bureau du procureur général, qui a été produit par la demanderesse, au motif qu’il s’agissait d’un document de complaisance qui « ne visa[it] qu’à appuyer sa demande, mais qui n’[était] pas fondé sur la vérité ». Ce sont ces préoccupations, qui n’ont pas été communiquées au témoin, qui soulèvent une question relative à l’équité procédurale. Il suffit toutefois en l’espèce de dire que rien dans le dossier, ni, à première vue, le document lui‑même ne soulève de doutes quant à l’intégrité de celui‑ci. De plus, la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle était parvenue à la conclusion que le document avait été fabriqué et, par conséquent, que la demanderesse n’était pas crédible.

 

[8]               Enfin, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible parce que rien n’était arrivé à sa famille en Colombie depuis son départ. Or, ce n’est pas ce que la preuve révèle. En effet, le demandeur a déclaré dans son témoignage que sa mère avait été contactée et avait reçu des menaces pendant qu’elle se trouvait à Medellín. Comme la Commission s’est fondée en partie sur cette conclusion pour statuer que le demandeur n’était pas crédible, sa conclusion relative à la crédibilité n’est pas étayée par la preuve.

 

[9]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission.

 

[10]           Aucune question n’est certifiée.

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’elle fasse l’objet d’un nouvel examen. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et la Cour estime que l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-6992-10

 

INTITULÉ :                                                  YOANY ALEXANDER ROJAS

                                                                       YOWELL MARIETY ZARATE GRANDA

                                                                       c.

                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                       ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 21 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard Eisenberg

POUR LES DEMANDEURS

 

Bradley Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Howard P. Eisenberg
Avocat
Hamilton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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