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Date : 20110708

Dossier : IMM-6855-10

Référence : 2011 CF 851

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

CLAUDIA ELENA OSORIO MEJIA

KAREN LORENA MUNERA OSORIO

BRANDON MUNERA OSORIO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relativement à la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 29 septembre 2010, selon laquelle les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Claudia Elena Osorio Mejia, la demanderesse principale, est la mère des deux demandeurs mineurs. Les trois demandeurs sont des citoyens de la Colombie. En septembre 2001, la demanderesse principale est retournée dans ce pays après avoir vécu aux États‑Unis pendant plus d’un an en vertu d’un visa de visiteur. À son retour, elle s’est installée dans la maison de ses parents avec ses sœurs, son neveu et ses deux enfants. Elle dit qu’elle a immédiatement commencé à recevoir des appels téléphoniques d’une personne qui s’est présentée comme un membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et qui lui a demandé la somme d’un million de pesos pour la protection de sa famille, sans toutefois fixer un délai pour le paiement de cette somme. La demanderesse a pensé qu’on cherchait à lui extorquer de l’argent parce que des membres de sa famille vivaient aux États‑Unis et qu’ils semblaient ainsi avoir des ressources à leur disposition. En octobre de la même année, les FARC sont entrées de force dans la maison de ses parents, qu’elles ont terrorisés, ainsi que ses sœurs et son neveu.

 

[3]               La demanderesse a quitté la Colombie le 15 février 2002 et est retournée aux États‑Unis. Ses enfants sont allés la rejoindre quatre mois plus tard, soit le 8 juin 2002. Lorsque son visa de visiteur a expiré, la demanderesse a conclu un mariage de convenance en échange d’une somme d’argent. Son mari a disparu avant que ses documents relatifs à la résidence permanente soient prêts. Les autorités de l’Immigration des États‑Unis ont alors révoqué sa résidence permanente conditionnelle. C’est à ce moment qu’elle est venue au Canada et a demandé l’asile.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[4]               La Commission n’a pas jugé que les aspects importants du récit de la demanderesse principale étaient crédibles, ni que sa crainte était fondée. Elle a considéré que le moment auquel la demanderesse avait reçu l’appel des FARC n’était pas crédible parce que cet appel avait eu lieu trop peu de temps après son retour en Colombie. En outre, la demanderesse a reconnu qu’aucune échéance n’avait été fixée pour le paiement de la somme exigée par les FARC. La Commission ne croyait pas non plus, selon la prépondérance des probabilités et sur la foi de son cartable national de documentation sur la Colombie, que la demanderesse et ses enfants seraient la cible des FARC s’ils retournaient en Colombie huit ans après le départ de la demanderesse de ce pays.

 

[5]               En outre, la demanderesse principale n’a pas demandé l’asile pendant les sept ans et sept mois qu’elle a vécu aux États‑Unis parce que, selon ce qu’elle a dit, elle avait un visa de touriste valide pendant cinq ans. La Commission a conclu que, si la demanderesse craignait réellement d’être expulsée de manière imminente à la fin de la cinquième année, elle aurait envisagé de demander l’asile afin d’éviter l’expulsion. Enfin, la Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que, lorsque ses parents et ses deux sœurs ont quitté la Colombie pour les États‑Unis en novembre 2001, la demanderesse principale a décidé de son plein gré de rester en Colombie afin de trouver quelqu’un pour s’occuper de leurs biens. Elle a quitté le pays trois mois plus tard. Selon la Commission, une personne qui craint réellement d’être persécutée serait partie à la première occasion.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[6]               La question déterminante en l’espèce consiste à déterminer si la Commission a eu raison de conclure que le récit de la demanderesse principale n’était pas crédible ou ne reposait pas sur une crainte fondée de persécution.

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle

 

[7]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est un tribunal administratif spécialisé à l’égard duquel la Cour doit faire preuve de déférence, en particulier dans la mesure où ses conclusions concernent la vraisemblance des témoignages et la crédibilité d’un récit : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886. Les questions de vraisemblance et de crédibilité sont de nature factuelle (Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17) et l’intervention de la Cour n’est justifiée que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

 

La Commission a-t-elle eu raison de conclure que le récit de la demanderesse principale n’était pas crédible ou ne reposait pas sur une crainte fondée de persécution?

 

 

[8]               Pour savoir si la Commission a eu raison de conclure que le récit de la demanderesse principale n’était pas crédible et ne reposait pas sur une crainte fondée de persécution, la Cour doit analyser les conclusions tirées par la Commission relativement : a) à la crédibilité de la demanderesse; b) au retard de la demanderesse à demander l’asile; c) à la probabilité que les FARC continuent de s’intéresser à la demanderesse; d) à l’appréciation que la Commission a faite de la preuve documentaire.

 

a)      La crédibilité

 

[9]               Il est bien établi que, pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile, la Commission peut se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens : Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1994] A.C.F. no 415 (QL), au paragraphe 2; Kabuyamulamba‑Kabitanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 351, [2002] A.C.F. no 462, aux paragraphes 28 et 29.

 

[10]           La demanderesse alléguait qu’elle avait reçu, en septembre 2001, un appel de menace des FARC au cours duquel on lui avait réclamé la somme d’un million de pesos. La Commission a trouvé curieux que cet appel ait eu lieu presque tout de suite après que la demanderesse a quitté les États‑Unis pour retourner en Colombie. Compte tenu du moment où la demanderesse aurait reçu cet appel, il était raisonnable que la Commission ait des doutes au sujet de la crédibilité de cette allégation. De plus, la demanderesse a admis à l’audience que les FARC ne lui avaient pas imposé un délai pour le paiement de la somme. Il était raisonnable que la Commission conclue qu’un délai pour le paiement de la somme exigée est un « élément crucial du concept d’extorsion » car c’est lui qui déclenche l’exécution de la menace. Cette conclusion était fondée sur le bon sens et la raison.

 

[11]           L’absence d’éléments de preuve matériels corroborants au sujet de la prétendue tentative d’extorsion affaiblit aussi la crédibilité du récit de la demanderesse. Celle‑ci prétend que l’absence de preuve corroborante n’aurait dû être prise en compte qu’au regard de la question de la protection de l’État. Je conviens que la preuve documentaire concernant une plainte à un service de police constitue simplement une preuve de la déclaration faite par la demanderesse à la police. Elle ne corrobore pas les faits allégués. Toutefois, une telle preuve est à tout le moins un compte‑rendu contemporain qui démontrerait dans une certaine mesure que les faits allégués sont survenus. En l’espèce, la Commission a cherché des éléments de preuve de ce type.

 

[12]           La Commission peut tirer une conclusion défavorable si le demandeur ne parvient pas à corroborer des aspects importants de son récit quand sa crédibilité est déjà mise en doute : Karadeniz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1246, au paragraphe 32; Muchirahondo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 546, au paragraphe 18; Oritz‑Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, au paragraphe 7. En l’espèce, la demanderesse n’a produit aucune preuve matérielle à l’appui de ses affirmations concernant les appels téléphoniques ou l’entrée forcée des FARC dans la maison de ses parents.

 

[13]           La demanderesse a produit une lettre notariée de l’épouse de son oncle avec qui la famille vivait lorsque les problèmes seraient survenus. La lettre indiquait que la demanderesse était partie vivre aux États‑Unis à cause des menaces qu’elle avait reçues en Colombie. Des lettres de ce genre proviennent souvent de membres de la famille et d’amis proches des personnes touchées par les faits allégués car ce sont les seuls qui peuvent avoir une connaissance personnelle de ce qui s’est passé. Dans les circonstances de l’espèce cependant, et compte tenu du fait que la crédibilité de la demanderesse est déjà mise en doute, il n’était pas déraisonnable que la Commission exclue la lettre.

 

b)      Le retard

 

[14]           La Cour a statué que le retard dans la présentation d’une demande d’asile est un facteur important qui doit être pris en compte dans le cadre de l’examen de cette demande : Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 330 (C.A.F.) (QL); Gamassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 F.T.R. 178. Un retard révèle une absence de crainte subjective de persécution ou de crainte fondée de persécution car une personne ayant une crainte véritable demanderait l’asile à la première occasion : Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 16.

 

[15]           La Cour a récemment conclu, dans Jeune c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 835, au paragraphe 15, que le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile à la première occasion avait miné davantage sa crédibilité. On peut en dire autant en l’espèce. La demanderesse principale est demeurée aux États‑Unis durant sept ans. Pendant cinq de ces sept ans, elle avait un visa de touriste. Après l’expiration de celui‑ci, elle n’a rien fait pour demander l’asile aux États‑Unis. Il était raisonnable pour la Commission de s’attendre à ce que la demanderesse, si elle « craignait réellement » d’être expulsée, se renseigne au sujet de la présentation d’une demande d’asile dès que possible. Aucun motif raisonnable n’a été donné pour expliquer pourquoi elle ne l’a pas fait, outre ses efforts pour conclure un mariage de convenance.

 

[16]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en relatant chronologiquement les faits survenus pendant ses séjours aux États‑Unis. Je conviens que la Commission a fait une erreur en disant que l’expiration du visa de visiteur de la demanderesse et ses efforts pour conclure un mariage de convenance étaient survenus non pas en 2005 et en 2006, mais plus tôt. La Commission a relaté les faits au début de la décision, avant d’en faire la synthèse un peu plus loin. Cette erreur n’a pas eu d’incidence sur sa décision.

 

[17]           La demanderesse a retardé son départ de la Colombie. Elle a affirmé, dans son témoignage à l’audience, qu’elle était restée après le départ de ses parents et de sa sœur parce qu’elle devait trouver quelqu’un pour s’occuper de leurs biens et trouver un endroit à Medellin où ses enfants seraient en sécurité car ils n’avaient pas de documents de voyage. La Commission s’est appuyée sur la déclaration de la demanderesse au sujet des biens pour tirer une conclusion défavorable concernant sa crainte subjective. Si cette partie de la décision aurait pu être mieux rédigée pour qu’il y soit fait état de la préoccupation additionnelle de la demanderesse concernant ses enfants, la décision n’était pas erronée dans l’ensemble puisque le témoignage de la demanderesse allait effectivement en ce sens. Il était loisible à la Commission de déduire de ce témoignage que la demanderesse avait retardé son départ principalement parce qu’elle devait s’occuper des trois appartements.

 

c)      L’absence d’intérêt des FARC envers la demanderesse

 

[18]           Bien que cet élément ne soit pas déterminant, il convient de mentionner que la demanderesse a été absente de la Colombie pendant huit ans et qu’aucune preuve n’a été produite pour expliquer pourquoi les FARC s’intéresseraient encore à elle si elle retournait dans ce pays. Lorsqu’on lui a posé la question à l’audience, elle a répondu qu’on pourrait la retrouver au moyen du nom et des documents de son père. Il n’était pas clair de quels documents il s’agissait. Cependant, aucun document n’a été produit et la demanderesse a admis que son nom de famille était très courant en Colombie.

 

 

d)      L’appréciation de la preuve documentaire

 

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en examinant toute la preuve documentaire et en extrayant délibérément certains éléments de cette preuve qui étaient défavorables à la demanderesse. Cette prétention est sans fondement car il ressort clairement de la décision que la Commission a examiné la preuve dans son ensemble.

 

[20]           En fin de compte, la demande ne saurait être accueillie en raison de l’absence de crainte subjective révélée par le retard de la demanderesse à demander l’asile, de son manque de crédibilité et de son défaut de produire une preuve corroborant son récit. Cette décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[21]           La demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et aucune ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6855-10

 

INTITULÉ :                                                   CLAUDIA ELENA OSORIO MEJIA

                                                                        KAREN LORENA MUNERA OSORIO

                                                                        BRANDON MUNERA OSORIO

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 8 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Terry S. Guerriero

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Terry S. Guerriero

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

                                                                                                                                                                

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