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 Date : 20110712

Dossier : IMM-6744-10

Référence : 2011 CF 856

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2011

En présence de Monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

GUNARATNAM NAVARATNAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Le demandeur qui se joue de la vérité dans des poursuites judiciaires ne peut s’attendre à connaître le succès; ainsi, il se pourrait que le tribunal écarte même les déclarations qui sont vraies, ignorant comment départager le vrai du faux, ce qui crée alors un climat d’incertitude.

 

II.  La procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) a rendue le 30 octobre 2010 et dans laquelle elle a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], parce qu’il n’était pas crédible.

 

[3]               En résumé, la Commission a conclu que le témoignage du demandeur était truffé d’incohérences et d’omissions et que ses déclarations « ne peuvent être considérées comme véridiques ».

 

[4]               Selon la Commission, [traduction] « les éléments de preuve fournis dans le témoignage, les documents du point d’entrée et l’exposé circonstancié contenu dans le FRP ne peuvent être considérés comme véridiques, à plus forte raison comme toute la vérité » (au paragraphe 9). La Commission reproche ainsi au demandeur de manquer de crédibilité.

 

III.  Les faits à l’origine du litige

[5]               Le demandeur, M. Gunaratnam Navaratnam, est un citoyen du Sri Lanka. Il soutient qu’il a qualité de personne à protéger et qu’il craint avec raison d’être persécuté par des forces de sécurité du gouvernement et des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET].

 

[6]               Selon les allégations, les problèmes du demandeur ont débuté il y a plus de vingt ans. Les événements qui l’ont traumatisé et qui l’ont incité à fuir son pays sont survenus en avril et en juin 2008, après quoi il a commencé à se cacher et a quitté le Sri Lanka pour aller en France en juillet 2008, où il est resté environ trois mois avant de pouvoir prendre des dispositions pour venir au Canada en octobre 2008.

 

[7]               Le demandeur a peur du Patri démocratique populaire de l’Eelam [PDPE], en raison des opinions politiques qui lui sont imputées, parce qu’il serait considéré comme un adepte des TLET. Le demandeur soutient également qu’il est exposé à des menaces de la part de ceux-ci.

 

[8]               La décision défavorable de la Commission repose sur une panoplie de points pertinents qui sont au coeur de la demande du demandeur et qui ont miné de façon irréparable la crédibilité de celui-ci : il « a souvent répondu aux questions de manière évasive et sa connaissance des faits présentait des lacunes, ce que le tribunal a interprété comme une façon d’éviter de répondre aux questions » (au paragraphe 9).

 

IV.  La question en litige

[9]               La Commission a-t-elle commis une erreur de droit ou rendu une décision déraisonnable quant aux faits?

 

V.  Analyse

[10]           La question à trancher en l’espèce en est une de fait et aucun élément de preuve visant à démontrer que la décision de la Commission est déraisonnable ou arbitraire n’a été présenté.

 

[11]           Dans ses conclusions, la Commission relève des omissions importantes ainsi que des incohérences majeures entre les déclarations que le demandeur a faites au point d’entrée (PDE) et celles qui figurent dans le témoignage verbal et écrit qu’il a présenté à la Commission, notamment en ce qui concerne le fait qu’il possédait une entreprise de camionnage et l’itinéraire qu’il a emprunté pour venir au Canada.

 

[12]           Il est bien établi dans la jurisprudence que la Commission peut tenir compte des déclarations faites aux autorités de l’Immigration au PDE afin d’évaluer la crédibilité du demandeur.

 

[13]           Si le demandeur avait voulu contester l’exactitude des documents fournis au PDE, il aurait pu envoyer une assignation à l’agent d’immigration afin que celui-ci témoigne à l’audience. Or, au contraire, rien ne prouve qu’une objection a été formulée à l’égard de l’admission des documents fournis au PDE (Yontem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 41, 136 ACWS (3d) 891; Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 101 FTR 192, 58 ACWS (3d) 288; Abdoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 382 (QL/Lexis), 54 ACWS (3d) 350).

 

[14]           Dans  Rrukaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 605, 130 ACWS (3d) 1012, le juge Michael Kelen s’est exprimé comme suit :

[10]      La Commission est notamment chargée d’évaluer la crédibilité. L’une des façons de le faire est de comparer trois éléments de preuve recueillis à différentes étapes du processus de détermination du statut de réfugié :

 

(1)        les notes prises au PDE;

 

(2)        le FRP;

 

(3)        le témoignage rendu à l’audience.

 

Si les notes prises au PDE contiennent des erreurs, le demandeur a suffisamment de temps, avant l’audience, pour rassembler des éléments de preuve les expliquant et les corrigeant. Le demandeur ne peut ignorer les prétendues erreurs figurant dans les notes prises au PDE et, lorsqu’elles sont portées à son attention à l’audience, il ne peut s’attendre à ce que la Commission ajourne l’audience afin de lui permettre d’obtenir des éléments de preuve soi-disant manquants mais disponibles. La Commission entend environ 25 000 cas par année et a un arriéré gigantesque. Le demandeur doit être prêt à présenter sa preuve le jour fixé pour son audience.

 

[15]           Il est bien reconnu en droit que la Commission peut tenir compte des déclarations faites aux autorités de l’Immigration au PDE pour évaluer la crédibilité du demandeur et que le premier récit d’une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi (Mongu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 86 FTR 59, 52 ACWS (3d) 391 (C.F. 1re inst.)).

 

[16]           De plus, les contradictions entre les déclarations verbales et écrites du demandeur justifient une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité (Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 720, 124 ACWS (3d) 161; Muanza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1121, 117 ACWS (3d) 956).

 

[17]           Par ailleurs, il était entièrement loisible à la Commission de conclure que l’omission du demandeur de mentionner des faits importants sur son formulaire de renseignements personnels [FRP] constituait le fondement d’une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de celui‑ci, étant donné, surtout, qu’il avait eu la possibilité de modifier le formulaire en question à l’audience et qu’il a déclaré que le formulaire était complet et exact (Chavez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 738, 118 ACWS (3d) 877; Kabengele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 197 CFPI 73, 104 ACWS (3d) 166; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 536 (QL/Lexis), 98 ACWS (3d) 1265 (C.F. 1re inst.)).

 

[18]           L’audience permet au demandeur de compléter sa preuve et non d’ajouter à sa version des faits nouveaux et importants (Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (QL/Lexis), 52 ACWS (3d) 165 (C.F. 1re inst.); Hammoud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 251 (QL/Lexis) (C.F. 1re inst.); Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (QL/Lexis), 70 ACWS (3d) 1059 (C.F. 1re inst.); décision Sanchez, susmentionnée).

 

[19]           Dans les circonstances de la présente affaire, il est évident que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur possédait étonnamment très peu de renseignements au sujet de l’itinéraire qu’il a emprunté pour venir au Canada, étant donné, surtout, qu’il travaillait dans le domaine du transport.

 

[20]           Dans Akhtar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1319, le juge Yvon Pinard a conclu que le fait d’agir suivant les directives d’un agent ne constitue pas une excuse valable :

[5]        La Commission a également pris en compte dans son évaluation de la crédibilité du demandeur le fait qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve, tels que des billets d’avion ou un passeport. La Commission a estimé que le demandeur n’avait fait aucun effort pour se procurer ces documents. L’article 7 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, prévoit que : « Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer ». En l’espèce, la Commission s’est penchée sur l’explication du demandeur qui affirmait que les passeurs exigent habituellement que les documents de voyage leur soient rendus dès l’arrivée à destination. Compte tenu du fait que la Commission a conclu que de nombreux aspects de la demande n’étaient pas crédibles, il est tout à fait raisonnable de sa part d’accorder une grande importance aux documents qui auraient soutenu les allégations du demandeur et de tirer une conclusion défavorable à partir du fait que le demandeur n’avait pas soumis ces documents (voir Elazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 212 (C.F. 1re inst.) (QL) …). [Non souligné dans l’original.]

 

(Il y a également lieu de consulter Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1030, au paragraphe 8.)

 

[21]           La Commission pouvait raisonnablement tirer les conclusions qu’elle a formulées au sujet de la vraisemblance, car les motifs qu’elle a invoqués sont nettement appuyés par la preuve dont elle était saisie (Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 140 FTR 264, 76 ACWS (3d) 1169 (C.F. 1re inst.)).

 

[22]           Il est bien reconnu en droit que la Commission est mieux placée pour apprécier la crédibilité du demandeur, puisqu’elle peut le voir à l’audience, observer ses manières et entendre son témoignage.

 

[23]           L’évaluation de la formation semble nettement reposer, du moins en partie, sur l’observation et l’audition du témoin; étant donné que la Commission a eu la possibilité et la capacité de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il a répondu et la cohérence et l’uniformité de son témoignage, ses conclusions au sujet de la valeur de celui-ci doivent faire l’objet d’une grande retenue judiciaire (Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 288, 202 FTR 233 (C.F. 1re inst.); Grinevich, susmentionnée; Boye c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1994) 83 FTR 1, 150 ACWS (3d) 643 (C.F. 1re inst.)).

 

[24]           Contrairement à ce que le demandeur a fait valoir, il était tout à fait raisonnable de la part de la Commission de tenir compte du fait que la preuve documentaire n’appuyait pas les allégations qu’il a formulées au sujet de la situation qui régnait au Sri Lanka. Il était également loisible à la Commission, qui est un tribunal spécialisé, de puiser dans la preuve qui se conjugue le mieux avec la réalité et de préférer les documents émanant de plusieurs sources objectives au témoignage du demandeur (Adu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (QL/Lexis), 53 ACWS (3d) 158 (CA); Oppong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1187 (QL/Lexis), 57 ACWS (3d) 821 (C.F. 1re inst.); Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL/Lexis), 49 ACWS (3d) 558 (CA)).

 

[25]           Selon les décisions rendues par la Cour fédérale, il est indéniable que les articles 96 et 97 de la LIPR exigent que le risque soit personnalisé, c’est-à-dire qu’il concerne la personne qui demande l’asile (Sathivadivel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 863, [2010] A.C.F. no 1070, au paragraphe 28). À cet égard, la Commission a conclu que le profil et les circonstances propres au demandeur ne l’exposaient pas à un risque.

 

[26]           Étant donné que le demandeur n’a pas prouvé qu’il avait le profil des personnes décrites dans la preuve documentaire, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de conclure comme elle l’a fait; par conséquent, lorsque le demandeur n’a pas le profil d’une personne exposée à un risque, la Cour n’interviendra pas (Appu c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 780, [2010] A.C.F. no 992, aux paragraphes 48 et 68).

 

VI.  Conclusion

[27]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6744-10

 

INTITULÉ :                                                   GUNARATNAM NAVARATNAM c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 6 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

DATE DU JUGEMENT :                             Le 12 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Viken G. Artinian

Nilufer Sadeghi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis

Thomas Cormie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allen & Associés

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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