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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110711

Dossier : IMM-6457-10

Référence : 2011 CF 864

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

CHRISTIAN ESTEBAN ROMERO QUIROZ CLAUDIA ELIZABETH HERRERA CALDERON

CLAUDIA ESTEPHANIA ROMERO HERRERA

BRUNO ALEJANDRO ROMERO HERRERA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rendue le 6 octobre 2010, rejetant leur demande d’asile au motif qu’ils n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens mexicains. Le demandeur principal, M. Christian Esteban Romero Quiroz, allègue que Rafael Herrera Ascencio, ainsi que son frère Carlos Herrera Ascencio, un agent du Ministère public de Cuautitlan dans l’État de Mexico (les frères Herrera Ascencio), veulent le tuer car il a dénoncé aux autorités leurs activités de trafic de stupéfiants auprès de jeunes du quartier où les demandeurs habitaient auparavant.

 

[3]               Ayant écarté l’application de l’article 96 de la Loi, et bien que des questions aient été soulevées concernant la crédibilité du demandeur principal, ainsi que les efforts qu’il a faits en vue d’obtenir la protection de l’État, le tribunal rejette la demande de protection en vertu de l’article 97 de la Loi d’abord et avant tout en raison d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mexico, D.F., Puebla et Guadalajara.

 

[4]               D’une part, le tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas établi la volonté des frères Herrera Ascencio de les rechercher partout au Mexique, et en particulier à Mexico, D.F., à Puebla et à Guadalajara. Selon le tribunal, le fait que l’un des frères Herrera Ascencio soit un agent du Ministère public de Cuautitlan ne permet pas de conclure que ce fonctionnaire a la capacité de retrouver les demandeurs partout au Mexique. Le tribunal note à cet égard qu’en vertu de la Loi mexicaine, le public n’a pas accès à la base de données du registre des électeurs de l’Instituto Federal Electoral (Institut fédéral électoral) et que les agents fédéraux ne peuvent la consulter que sur présentation d’une ordonnance de la Cour et d’une permission écrite du Ministère public.

 

[5]               D’autre part, le tribunal note qu’il a demandé au demandeur principal s’il y avait quelque chose qui ferait en sorte que ce serait trop sévère ou déraisonnable de s’attendre à ce que lui et sa famille aillent à Mexico, D.F., Puebla ou Guadalajara. Or, la réponse du demandeur principal a été « Je ne sais pas » et « Ce ne sont pas des endroits pour donner un futur à mes enfants ». Le tribunal conclut donc que le demandeur principal n’a donc rien soulevé autre que sa crainte des frères Herrera Ascencio qui ferait en sorte que ce serait objectivement déraisonnable pour lui et sa famille de vivre à Mexico, D.F., Puebla ou Guadalajara.

 

[6]               Les demandeurs ne contestent pas la légalité de la conclusion du tribunal à l’effet qu’il n’existe aucun lien entre leur demande d’asile et l’un des cinq motifs de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi. Toutefois, ils soumettent que le reste de la décision du tribunal est révisable. S’agissant de questions de crédibilité et de la détermination d’une PRI, la norme de la décision raisonnable s’applique ici. Le défendeur convient que si la conclusion du tribunal au sujet d’une PRI n’est pas une issue acceptable, la conclusion générale doit subir le même sort compte tenu du caractère déterminant de l’existence d’une PRI dans le cas sous étude.

 

[7]               Faut-il rappeler, l’évaluation d’une PRI dans le pays d’origine comporte deux volets : d’abord, le tribunal doit évaluer si le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans les régions suggérées comme présentant une possibilité de refuge interne, et, deuxièmement, le tribunal doit déterminer si, compte tenu des circonstances, il ne serait pas déraisonnable que le demandeur y cherche refuge (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589; Navarro c Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 358 au para 19).

 

[8]               À première vue, les motifs fournis par le tribunal semblent appuyer la conclusion d’une PRI dans les villes mentionnées dans la décision. Toutefois, ces motifs ne résistent pas à un examen poussé.

 

[9]               Premièrement, selon la preuve non-contredite au dossier du tribunal, les demandeurs avaient déjà déménagé dans un autre état du Mexique (Monterrey) et ils avaient malgré tout été retrouvés par leurs agents persécuteurs. Or, la crédibilité du récit des demandeurs sur ces éléments cruciaux ne semble pas être directement questionnée dans les motifs de la décision attaquée. Ces faits viennent donc défaire la conclusion du tribunal, autrement non-motivée, au niveau de l’existence d’une PRI dans d’autres états du Mexique.

 

[10]           Deuxièmement, il incombait au tribunal de vérifier si, dans les faits, la Loi mexicaine, qui restreint l’accès à la base de données du registre des électeurs, est effectivement respectée, et en particulier, dans les cas où l’agent persécuteur est, comme ici, un agent de l’État mexicain impliqué dans le trafic de la drogue. Il s’en suit que la question de la protection de l’État mexicain devenait un élément factuel déterminant, d’autant plus qu’il n’y a aucune conclusion claire et articulée à l’effet que les demandeurs ne sont pas crédibles.

 

[11]           Troisièmement, l’absence de véritable analyse des questions d’ordre factuel touchant notamment la protection de l’État dans des situations similaires à celle des demandeurs font en sorte que la conclusion générale du tribunal – à l’effet que les demandeurs ne sont pas déchargés du fardeau de démontrer qu’ils auraient une probabilité d’être exposés à une menace à la vie ou au risque de traitements ou de peines cruels ou inusités, ou à la torture, s’ils devaient retourner dans leur pays – ne peut constituer l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Flores Carillo c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CAF 94 aux paras 14-15; Cobian Flores c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2010 CF 503 au para 49; Pikulin c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2010 CF 979 aux paras 27-29; Cho c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2010 CF 1299 au para 30).

 

[12]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les procureurs conviennent que la présente ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      La décision rendue le 6 octobre 2010 par le tribunal est cassée et l’affaire est renvoyée pour enquête et examen par une autre formation;

3.      Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6457-10

 

INTITULÉ :                                       CHRISTIAN ESTEBAN ROMERO QUIROZ                                                                               CLAUDIA ELIZABETH HERRERA CALDERON

                                                            CLAUDIA ESTEPHANIA ROMERO HERRERA

                                                            BRUNO ALEJANDRO ROMERO HERRERA c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               20 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      11 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Lebrun

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

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