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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110708

Dossier : IMM-5599-10

Référence : 2011 CF 860

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

JANET GRACIELA JARA GUERRERO

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, citoyenne du Pérou, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 18 août 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’elle n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               La demanderesse a fondé sa demande d’asile sur la persécution dont elle était victime du fait de son orientation sexuelle. Elle déclare qu’en décembre 1999, un collègue de travail de sexe masculin l’a vue sortir d’un bar gai, situé au centre-ville de Lima. À cause de cela, elle a été perçue comme lesbienne et ostracisée à son lieu de travail.

 

[4]               En mars 2003, la demanderesse est venue rendre visite à sa famille au Canada. Lors de son séjour, elle a eu un accident et a subi une grave blessure qui l’a obligée à rester ici jusqu’en septembre 2006. Durant ce temps, elle a commencé à vivre plus ouvertement comme lesbienne. Elle a sollicité le statut de résident permanent en septembre 2006 et est rentrée au Pérou en attendant que l’on traite sa demande. Cette dernière a été rejetée en mars 2007. La même année, au Pérou, elle a commencé à fréquenter davantage des femmes qui avaient la même orientation qu’elle. En décembre 2007, des hommes qui ne se sont pas identifiés ont commencé à lui faire des appels téléphoniques menaçants. Elle a signalé ces appels à la police, mais cette dernière l’a orientée vers la compagnie de téléphone. Elle dit avoir été aussi harcelée au travail par son supérieur.

 

[5]               Le 29 juin 2008, la demanderesse a été agressée par quatre hommes en rentrant chez elle après une fête où elle avait célébré une petite parade de la Fierté gaie. Ses agresseurs l’ont qualifiée de « gouine » et ont essayé de la violer afin de lui [traduction] « apprendre comment être une femme ». Ils ont proféré des menaces contre sa sœur et son neveu. Elle a tenté de signaler l’incident à la police le lendemain matin, mais l’agent avec lequel elle s’est entretenue s’est esclaffé et n’a rien voulu faire. Le lendemain, elle est retournée au poste de police et a fait part de l’incident au commandant. Lui aussi a refusé de prendre sa déposition. Elle a communiqué avec un avocat, qui l’a informée qu’elle allait gaspiller son temps et son argent parce que les tribunaux étaient homophobes. La demanderesse avait un visa des États-Unis et sa sœur l’a aidée à acheter un billet d’avion pour Buffalo. Elle est ensuite entrée de nouveau au Canada et a demandé l’asile le 29 juillet 2008.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[6]               La Commission a statué que, dans cette affaire, la question déterminante était la protection de l’État. En examinant la preuve documentaire, elle a conclu que le Pérou était en mesure d’offrir une protection de l’État et que la demanderesse aurait pu explorer d’autres possibilités, mais qu’elle avait décidé de quitter le pays un mois après s’être adressée à la police. Tout en reconnaissant qu’il y avait dans le dossier un certain nombre de preuves contradictoires sur la façon dont les homosexuels sont traités au Pérou, elle a conclu que la Cour constitutionnelle tente de s’attaquer à ces problèmes et que, au Pérou, l’homophobie est un problème auquel font face tous ses citoyens.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Les questions que la demanderesse a soulevées sont les suivantes :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la crainte qu’éprouve la demanderesse découle uniquement d’un incident survenu le 29 juin 2008?
  2. L’analyse fondée sur l’article 97 qu’a effectuée la Commission était-elle raisonnable?
  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de traiter des éléments de preuve contradictoires en faveur de la demanderesse, de les analyser et de faire à leur égard une distinction?
  4. La Commission a-t-elle commis une erreur dans l’application convenable des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?
  5. La conclusion que la Commission a tirée au sujet de la protection de l’État était-elle raisonnable?

 

 

 

[8]               À mon sens, les questions déterminantes sont les suivantes : la Commission a-t-elle omis de tenir dûment compte de la preuve documentaire concernant la persécution des homosexuels au Pérou, et sa conclusion au sujet de la protection de l’État est-elle raisonnable?

 

ANALYSE

 

[9]               Les questions liées à la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit qu’il faut trancher selon la norme de contrôle de la raisonnabilité : Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 R.C.F. 237, au paragraphe 10.

 

[10]           En l’espèce, la demanderesse a tenté d’obtenir une protection en s’adressant à deux reprises à la police, mais elle n’a reçu aucune aide et a été traitée avec dérision. Elle a poussé l’affaire plus loin, en téléphonant à un avocat et en lui relatant son récit. Dans son témoignage oral, elle a dit avoir appelé l’avocat parce qu’elle voulait obtenir plus d’information sur ce qu’elle pouvait faire dans sa situation et savoir comment protéger ses droits. Comme elle n’avait pas fait de déposition à la police, l’avocat lui a conseillé de ne pas gaspiller son temps et son argent. En plus de dire que les tribunaux étaient homophobes, il a dit hésiter à la représenter à cause de la nature de la plainte et de l’effet que cela aurait sur sa réputation professionnelle.

 

[11]           La Commission a pris acte des efforts faits par la demanderesse pour contacter la police mais elle a conclu que « d’autres solutions s’offraient à elle ». La Commission a précisément nommé le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense, le ministère public et l’ombudsman. Elle a signalé aussi qu’il existait de nombreuses organisations non gouvernementales qui luttaient contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Cela, en soi, est un facteur révélateur lorsqu’on examine les conditions qui règnent dans le pays. Le Pérou semble avoir fait des progrès pour ce qui est de reconnaître la place des homosexuels au sein de sa société, mais il ressort de la preuve que la discrimination demeure un problème sérieux.

 

[12]           Il est difficile de saisir la conclusion de la Commission selon laquelle l’homophobie est un problème auquel sont confrontés tous les Péruviens, par opposition à ceux qui font partie de la catégorie des homosexuels. La Commission ne semble pas avoir tenu compte de la réaction des autorités face aux plaintes de la demanderesse à titre d’exemple de l’ampleur du problème et de la façon dont ce problème peut limiter l’accès à la protection de l’État.

 

[13]           En examinant la preuve documentaire, la Commission a fait remarquer, au paragraphe 35 de ses motifs, qu’au sein du pays « [l]a corruption et l’impunité sont des problèmes persistants ». Elle reconnaît plus particulièrement que le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense recourent à des mécanismes internes pour faire enquête sur les abus que commettent les forces de sécurité et qu’ils reçoivent des demandes de renseignements de la part du ministère public et de l’ombudsman. Elle fait remarquer que, dans ces enquêtes, l’accès aux éléments de preuve n’est pas toujours chose facile.

 

[14]           La raison pour laquelle la Commission a jugé nécessaire de citer ces exemples pour illustrer les efforts faits pour lutter contre la corruption n’est pas claire, car la question en litige consistait à savoir s’il était possible d’obtenir une protection de l’État auprès d’institutions censément homophobes. Quoi qu’il en soit, il s’agit là des mêmes institutions auxquelles, selon la Commission, la demanderesse pouvait s’adresser pour obtenir de l’aide. Au vu de ses conclusions, il était déraisonnable que la Commission juge que de telles options étaient viables pour obtenir une protection de l’État.

 

[15]           Même si le défendeur a raison de dire que la Commission n’est pas obligée de faire référence au moindre élément de preuve contraire (Gavoci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 207), il n’aurait pas fallu qu’elle mentionne simplement en passant les lettres émanant de l’amie et de la sœur de la demanderesse, de même que le rapport du psychologue. La décision n’indique pas clairement pourquoi la Commission a fait abstraction de ces éléments de preuve; aucune analyse ne permet de l’expliquer. Voir : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, où le juge John Evans, qui siège maintenant à la Cour d’appel fédérale, a infirmé la décision du tribunal parce que celui-ci n’avait pas pris en compte des preuves psychologiques. Cela est d’autant plus vrai qu’elles corroboraient la prétention de la demanderesse et donnaient une description de la situation au Pérou qui était contraire à celle qui figurait dans certains des éléments de preuve documentaires. Ces éléments de preuve n’étaient pas tous forcément convaincants, mais ils étaient néanmoins pertinents. Cela étant, la Commission aurait dû expliquer pourquoi elle n’accordait aucun poids à ces éléments de preuve.

 

[16]           Aucune question à certifier n’a été proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l’affaire renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5599-10

 

INTITULÉ :                                       JANET GRACIELA JARA GUERRERO

                                                            ET

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 MAI 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DANIEL M. FINE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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