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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110714

Dossier : IMM-6476-10

Référence : 2011 CF 889

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

ALI ZAREE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision rendue le 13 octobre 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) et statuant que le demandeur n’a pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention », ni celle de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[3]               Le demandeur, qui est citoyen iranien, craint d’être persécuté dans son pays à cause de sa participation, tant en Iran qu’au Canada, à des activités politiques contre le gouvernement en place.

 

[4]               Au soutien de sa demande d’asile, le demandeur raconte qu’il a été introduit en 2005 au Parti Communiste Iranien (WPI) (le parti) par l’entremise de son ami Vahid. Il devient membre du parti et distribue des pamphlets, dont à un ami, Amir, qui s’intéresse également au parti. Le 17 avril 2007, Amir est arrêté. Deux jours plus tard, les autorités iraniennes se rendent chez le demandeur, qui est alors absent, et arrêtent sont père qui sera détenu pendant trois jours. C’est apparemment Amir qui l’a dénoncé. Ayant fuit son pays en mai 2007, le demandeur revendique le statut de réfugié un mois plus tard. Depuis, il s’implique au sein du Worker Communist Party – Hekmatist, un parti politique engagé au Canada contre le régime iranien, et en 2009, après les élections présidentielles, il participe à des manifestations à Montréal contre le régime iranien; sa photo apparait sur le site YouTube distribué sur l’internet.

 

[5]               Le rejet de la demande d’asile par le tribunal se fonde tant sur l’absence de crédibilité du récit du demandeur, que sur la nature et l’ampleur de ses activités politiques au Canada, qui n’établissent pas objectivement selon le tribunal, qu’il y a un danger à la vie ou risque de persécution advenant le retour du demandeur en Iran. En l’espèce, tout en contestant la raisonnabilité des conclusions du tribunal, le demandeur fait toutefois porter le plus gros de son attaque sur le fait que la mauvaise qualité de la traduction lors de l’audition devant le tribunal a eu un impact négatif sur l’évaluation de sa crédibilité, de sorte qu’il y a lieu de casser la décision et retourner l’affaire à un autre décideur.

 

[6]               Il va sans dire que l’évaluation de la crédibilité du demandeur d’asile est au cœur de l’expertise du tribunal et que la Cour doit traiter ce genre de détermination avec une grande déférence (Zheng c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 673 au para 1). Notamment, il s’agit de se demander si la conclusion du tribunal à l’effet que le demandeur n’est pas un réfugié en raison de ses activités politiques en Iran, puis au Canada (réfugié sur place), constitue une issue acceptable en regard de la preuve au dossier et du droit applicable (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

 

[7]               Mais encore faut-il, en premier lieu, que le demandeur d’asile ait été entendu, et que son récit ait été compris par le tribunal. La qualité même de la traduction devant le tribunal peut donc soulever une question d’équité procédurale, et c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique en pareil cas (Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). À ce chapitre, tel qu’il a été décidé dans l’affaire Mohammadian v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2000] 3 CF 371, confirmée en appel 2001 FCA 191, un demandeur d’asile a droit à une interprétation continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante.

 

[8]               Aux termes de l’arrêt Mohammadian, si les problèmes d’interprétation peuvent raisonnablement être soulevés par le demandeur d’asile à l’audience, il existe une obligation de le faire plutôt que de réserver la question pour une procédure de contrôle judiciaire. Par contre, s’ils ne peuvent être soulevés que lors du contrôle judiciaire, le demandeur d’asile n’a pas à démontrer qu’il a subi un préjudice réel suite à la violation de ce droit. Aussi, je ne m’estime pas lié par toute décision de cette Cour pouvant s’écarter de ce qui a été clairement décidé par la Cour d’appel fédérale en 2001 dans Mohammadian, précité. Voir notamment Nsengiyumva c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 190 au para 16; Sherpa c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 267 au para 57; Umubyeyi c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2011 CF 69 au para 9.

 

[9]               En pratique, les problèmes de traduction peuvent être apparents et facilement détectables lors de l’audience; c’est le cas où les erreurs commises surviennent en amont, c’est-à-dire lorsqu’ils se manifestent dans la langue maternelle du demandeur d’asile, ce qu’il est à même de déceler lorsqu’il communique avec l’interprète. Par contre, des problèmes de traduction peuvent se produire en aval : l’interprète peut très bien comprendre et parler la langue maternelle du demandeur d’asile, mais mal traduire son histoire dans la langue de l’audience. Une telle situation est plus pernicieuse et les problèmes de traduction ne peuvent pas être détectés à l’audience par un demandeur d’asile qui ne parle pas ou comprend très peu la langue de l’audience (anglais ou français). En pareil cas, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il se plaigne à l’audience d’une traduction déficiente.

 

[10]           La présente cause est un exemple classique de la deuxième situation décrite plus haut. Rappelons ici que la langue de l’audience était l’anglais et que le demandeur d’asile s’exprimait en farsi avec l’interprète. L’interprète comprenait et parlait le farsi, même si des fois, elle manquait de vocabulaire en farsi. Certes, l’interprète était certifiée pour faire la traduction farsi-anglais et farsi-français, mais même le demandeur, qui ne parle pas du tout le français, et comprend peu l’anglais, a observé que son anglais n’était pas très bon. Pour remédier à la situation, le demandeur a demandé au tribunal si l’audience pouvait se tenir en français plutôt qu’en anglais, pour que l’interprète puisse mieux traduire. Toutefois, le tribunal a refusé parce que le dossier avait été préparé en anglais, mais a voulu rassurer le demandeur que « we are aware of your concern. If we feel that there is an issue at one point, we will address it. Now, I don’t want you to feel worry for the continuation. We will see if there is an issue, we will intervene. Okay? ».

 

[11]           Suite aux réserves formulées et aux assurances données de part et d’autre, le demandeur n’avait pas d’autre choix que de procéder avec sa demande d’asile; autrement, ceci aurait entrainé l’abandon automatique de celle-ci. En l’espèce, ce n’est qu’en recevant la décision sous étude que le demandeur a pu réaliser jusqu’à quel point la traduction à l’audience n’était pas toujours continue, fidèle ou concomitante. Pour preuve, l’affidavit circonstancié de l’interprète certifié, Abdol Razzagh Goadri, qui comprend 15 paragraphes, ainsi que l’annexe A, sous forme de tableau comparatif comprenant lui-même quelques 918 questions ou réponses, sont concluants et font état de plusieurs différences significatives au niveau de ce qui a été dit en farsi par le demandeur (traduit en anglais dans le tableau comparatif pour les fins de notre compréhension) et ce qui a été traduit à l’audience en anglais par l’interprète. Ceci dit, même si cela n’était pas obligatoire de l’avis de la Cour, le demandeur a en l’espèce démontré que les erreurs de traduction en question ont également eu un impact négatif au niveau de sa crédibilité.

 

[12]           Pour illustrer le point plus haut, le tribunal trouve dans sa décision que le demandeur n’est pas crédible en ce qui concerne son implication politique en Iran au sein du parti, un aspect clé de sa revendication, il va sans dire. Ainsi, il y aurait des contradictions entre les notes prises au point d’entrée (NPE) et le formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur. Le témoignage du demandeur à l’audience ne s’accorderait pas non plus avec la pièce P-5, une lettre du parti venant appuyer son récit. Or, la confusion porte sur le degré d’implication du demandeur (membre ou sympathisant) dans le parti et les dates pertinentes de cette implication (2005, 2006 ou 2007). Pourtant, on voit dans le tableau préparé par l’interprète Abdol Razzagh Goadri, que le mot farsi qui correspond à « member » en anglais, utilisé par le demandeur, a été improprement traduit à l’audience par « supporter », que l’année 2005 a été mal traduite comme l’année 2007, et que « active member » a été traduit par « started activities ». Il est donc manifeste que cela a eu un impact négatif sur la crédibilité du demandeur, sans compter le fait que la mauvaise qualité ou les approximations nombreuses de la traduction à l’audience ont compromis la fluidité des échanges entre le demandeur d’asile et le tribunal.

 

[13]           En soi, les vices relevés plus haut au niveau de la traduction à l’audience suffisent pour casser la décision en cause et renvoyer l’affaire pour qu’elle soit entendue de nouveau par une autre formation du tribunal. Au passage, j’ajouterais que l’analyse très sommaire du tribunal de la question de réfugié sur place (deux courts paragraphes seulement) pêche par un grand manque de rigueur et de profondeur, ce qui va directement à l’encontre des standards de transparence et d’intelligibilité que doivent avoir les motifs du tribunal dans toute affaire de détermination du statut de réfugié, où les enjeux ont trait à la vie et à la sécurité des individus.

 

[14]           Rappelons à ce dernier chapitre (activités politiques au Canada) que la crédibilité du demandeur n’était pas en jeu. Or, selon la preuve documentaire au dossier, les iraniens qui s’impliquent à l’étranger à des activités politiques contre le régime iranien risquent d’être persécutés à leur retour en Iran. La documentation sur l’Iran de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié indique que les familles de manifestants iraniens à l’étranger sont menacées en Iran et qu’aucune clémence n’est exercée envers les manifestants et leurs familles (Document 2.5, p 1 et 3). D’ailleurs, la documentation indique également que les autorités iraniennes surveillent les sites web comme Facebook, Twitter et YouTube (Document 2.1, p 21). En l’espèce, le tribunal ne peut se contenter de suggérer, sans procéder à une analyse de la preuve documentaire à la lumière de la situation personnelle du demandeur et de sa famille en Iran, que l’implication politique du demandeur au Canada n’est pas suffisante pour attirer l’attention du régime iranien, soit envers lui advenant un retour en Iran, soit envers sa famille, alors que la lettre du père du demandeur, en date du 17 août 2010, affirme justement le contraire.

 

[15]           Pour tous ces motifs, la présente demande doit être accueillie. À l’audience, les procureurs ont convenu que cette affaire ne soulevait aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      La décision du tribunal est cassée et l’affaire retournée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin qu’une nouvelle audition ait lieu par un autre décideur;

3.      Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6476-10

 

INTITULÉ :                                       ALI ZAREE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               20 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      14 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annie Bélanger

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bélanger, Fiore, avocats

St-Laurent (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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