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Date : 20110707

Dossier : T‑275‑10

Référence : 2011 CF 832

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

SHELLY ANN GRAVEL

 

 

 

demanderesse

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Shelley Ann Gravel (la demanderesse) a été fonctionnaire fédérale pendant de nombreuses années. En janvier 2005, alors qu’elle était en congé de maladie, elle a pris sa retraite de la fonction publique. En février 2006, elle a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. Elle alléguait que son ancien employeur, la Commission de la fonction publique du Canada, avait fait montre de discrimination à son égard sur la base de son âge et de sa déficience, et ce, en contravention avec les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 [la LCDP]. Dans une décision datée du 3 février 2010, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a rejeté sa plainte.

 

[2]               La demanderesse a saisi notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Elle se représente elle‑même. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je tiens à souligner que je suis arrivée à ma conclusion après avoir examiné en entier la transcription de l’audience qui s’est déroulée devant le Tribunal ainsi que les documents déposés par les deux parties.

 

I. Question préliminaire

 

[3]               Au départ, la présente demande de contrôle judiciaire visait trois défendeurs : le procureur général du Canada, le Tribunal canadien des droits de la personne et la Commission de la fonction publique du Canada.

 

[4]               Le défendeur a demandé que l’intitulé de la cause soit modifié de manière à mettre hors de cause le Tribunal canadien des droits de la personne ainsi que la Commission de la fonction publique du Canada.

 

[5]               Étant donné que l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, précise que le demandeur désigne à titre de défendeur « toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande » [non souligné dans l’original], et que le Tribunal canadien des droits de la personne est l’office fédéral visé par la présente demande, c’est de façon irrégulière que le Tribunal canadien des droits de la personne a été désigné à titre de défendeur; il sera donc mis hors de cause (voir également le jugement Akladyous c. Conseil canadien de la magistrature, 2008 CF 50, au paragraphe 37, 325 FTR 240).

 

[6]               De plus, les ministères gouvernementaux ne constituent pas des entités juridiques, de sorte qu’ils ne peuvent régulièrement être désignés comme parties (Mahmood c. Canada (1998), 154 FTR 102, au paragraphe 14, 82 ACWS (3d) 898). La Commission de la fonction publique du Canada a donc été irrégulièrement désignée comme défenderesse et elle sera donc également mise hors de cause, de sorte que le procureur général du Canada demeure le seul défendeur en l’espèce.

 

II. Genèse de l’instance

 

[7]               La demanderesse a occupé plusieurs postes au cours de sa carrière au sein de la fonction publique. Elle a travaillé plusieurs années au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI), où elle était principalement chargée d’apporter un soutien administratif à de hauts fonctionnaires. En 2001, elle a été déclarée « employée excédentaire » par ce ministère, ce qui l’a amenée à accepter un poste permanent au sein de l’Unité des programmes internationaux (l’UPI) de la Direction de l’apprentissage pour les cadres (la DAC) de la Commission de la fonction publique du Canada (la CFP). Le poste qu’elle a occupé au sein de l’UPI a été classifié dans le groupe et au niveau CR‑05.

 

[8]               En 2003, la CFP a fait l’objet d’une réorganisation dans la foulée de la restructuration et de la modernisation générales des ressources humaines de la fonction publique. Cette réorganisation a entraîné la fermeture de l’UPI où la demanderesse travaillait, puis la fermeture totale de la Direction de l’apprentissage pour les cadres. Les employés de l’UPI ont été informés que cette réorganisation ne constituait pas une réduction des effectifs et qu’on les aiderait à se trouver d’autres postes, à leur niveau et dans le même groupe, au sein de la CFP.

 

[9]               Les parties ont donné des versions différentes des faits qui se sont déroulés à la suite de la restructuration de la CFP et de la fermeture de l’UPI.

 

A. Version de la demanderesse

 

[10]           On peut résumer comme suit la version de la demanderesse. Pour environ un an, on ne lui a offert aucun poste permanent et la CFP l’a totalement ignorée, alors que ses autres collègues ont pris leur retraite ou se sont trouvé un nouveau poste. Ceux de ses collègues qui ont réussi à se trouver du travail dans d’autres postes étaient tous plus jeunes qu’elle. En particulier, lorsque la DAC a été fermée et que son vice‑président a été muté à Industrie Canada, on a offert un poste d’adjointe administrative à une employée qui était beaucoup plus jeune que la demanderesse. La demanderesse soutient qu’en vertu de la Directive sur le réaménagement des effectifs du Conseil du Trésor (la DRE), c’est elle qui aurait dû bénéficier de cette priorité, et que, le cas échéant, elle aurait obtenu un poste permanent qui lui convenait. Elle affirme en outre qu’on aurait dû l’informer qu’on lui accordait néanmoins une priorité informelle au sein de la CFP, ce qui aurait facilité ses démarches en vue d’obtenir un nouveau poste.

 

[11]           Le 19 janvier 2004, la demanderesse a quitté le travail pour cause de maladie. On avait diagnostiqué chez elle une dépression. Peu de temps après avoir commencé son congé de maladie, Léo Daniels, le directeur du ressourcement des cadres à la CFP, a communiqué avec elle pour lui offrir un poste permanent de niveau CR‑05 en tant que coordonnatrice des programmes au sein de cette direction. La demanderesse a jugé que ce poste ne correspondait pas à ses compétences et à ses qualifications et que ce genre de travail ne respecterait pas certaines limites fonctionnelles avec lesquelles elle devait composer en raison de ses antécédents médicaux. La demanderesse a informé M. Daniels qu’elle avait déjà fait l’objet d’un diagnostic de fibromyalgie et qu’elle ne pouvait passer de longues heures devant un ordinateur. Elle a demandé des mesures d’accommodement, mais M. Daniels a refusé. M. Daniels aurait plutôt exercé des pressions sur la demanderesse pour qu’elle accepte le poste de coordonnatrice des programmes, lui expliquant que si elle refusait cette offre, elle risquait d’être déclarée employée excédentaire et d’être par la suite mise en disponibilité.

 

[12]           La demanderesse a officiellement accepté le poste de coordonnatrice des programmes le 21 janvier 2004. Elle a commencé à travailler le 8 mars 2004. Toutefois, le 14 avril 2004, elle a de nouveau quitté le travail pour cause de dépression sévère. En mai 2004, la demanderesse a présenté une demande de prestations d’invalidité de longue durée (les prestations d’ILD). Le 15 octobre 2004, elle a reçu une lettre de son assureur l’informant que sa demande de prestations d’ILD avait été acceptée pour la période du 28 juillet 2004 au 31 octobre 2004. Les prestations réclamées pour la période postérieure au 31 octobre 2004 n’ont cependant pas été approuvées.

 

[13]           Le 8 novembre 2004, comme elle ne recevait plus de prestations d’ILD et qu’elle se sentait un peu mieux, la demanderesse a communiqué avec M. Daniels pour lui demander de revenir au travail de façon progressive. Elle s’est proposée pour le poste de téléphoniste alors occupé par une employée temporaire. M. Daniels lui a opposé un refus catégorique. N’ayant pas réussi à obtenir un retour graduel au travail, la demanderesse a ensuite décidé de demander à son assureur de réviser sa décision de refuser de lui verser des prestations d’ILD après le 31 octobre 2004. Elle a soumis à son assureur un rapport médical du docteur Gillis, un psychiatre, qui confirmait qu’elle n’allait pas mieux.

 

[14]           En janvier 2005, la demanderesse était aux prises avec des difficultés financières. Elle attendait toujours une réponse de son assureur au sujet du versement de ses prestations d’ILD. Le 10 janvier 2005, elle a adressé à M. Daniels une lettre l’informant qu’elle souhaitait prendre sa retraite à compter du 13 janvier 2005. Elle précisait dans cette lettre que sa décision de prendre sa retraite s’expliquait par le refus de son assureur de prolonger sa période de versement de prestations d’ILD. La retraite de la demanderesse a pris effet à la fin de la journée, le 13 janvier 2005, qui était un jour ouvrable.

 

B. Version du défendeur

 

[15]           La version des faits du défendeur diffère de celle de la demanderesse. Le défendeur affirme que la demanderesse a été traitée de la même manière que les autres employés touchés par la restructuration de la CFP. La Directive sur le réaménagement des effectifs mentionnée par la demanderesse ne s’appliquait pas. Suivant le défendeur, cette directive n’aurait joué que dans l’hypothèse où les services d’un ou de plusieurs employés nommés pour une période indéterminée n’auraient plus été requis après une date précise et, le cas échéant, seulement si les employés visés étaient informés par écrit de la situation. En pareil cas, l’employé visé deviendrait un employé excédentaire et se verrait accorder une priorité d’emploi formelle au sein de la fonction publique pour une période de temps déterminée. Or, en l’espèce, aucune mise en disponibilité n’a été envisagée, de sorte que la Directive sur le réaménagement des effectifs ne s’appliquait pas et qu’aucun employé n’a été déclaré excédentaire.

 

[16]           La demanderesse a néanmoins bénéficié d’une priorité informelle au sein de la CFP pour les postes CR‑05. La demanderesse n’était pas intéressée à obtenir un poste CR‑05 et voulait plutôt obtenir un poste au sein du groupe des services administratifs (SA) pour effectuer du travail semblable à celui qu’elle avait déjà effectué au MAECI. Une telle mesure aurait constitué une promotion, de sorte que le défendeur a décidé d’accorder à la demanderesse du temps pour essayer d’obtenir un poste de niveau SA. Toutefois, en janvier 2004, constatant que la demanderesse n’avait pas réussi à obtenir ce genre de poste, la CFP a décidé d’accélérer le processus lui permettant d’obtenir un poste permanent, et elle a offert en janvier 2004 à la demanderesse un poste CR‑05 permanent au sein de la Direction du ressourcement des cadres. M. Daniels a informé la demanderesse qu’elle risquait d’être déclarée excédentaire puis d’être mise en disponibilité si elle refusait cette offre. Il estimait qu’il avait l’obligation de mettre la demanderesse au courant des conséquences éventuelles du refus d’une offre de poste permanent correspondant à son groupe et à son niveau. La demanderesse a accepté l’offre.

 

[17]           Le défendeur nie que la demanderesse ait demandé des mesures d’accommodement pour tenir compte de sa fibromyalgie lorsqu’on lui a offert le poste de coordonnatrice des programmes. Le défendeur nie également que la demanderesse ait demandé et se soit vu refuser de reprendre progressivement le travail en novembre 2004. En tout état de cause, le défendeur affirme que tous les éléments de preuve médicaux démontrent qu’en novembre 2004 la demanderesse n’était pas apte à reprendre le travail, même à temps partiel, et qu’elle est demeurée inapte au travail jusqu’à sa retraite, en janvier 2005.

 

III. Plainte de la demanderesse

 

[18]           Le 28 février 2006, la demanderesse a déposé une plainte contre la CFP auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Voici les principales allégations de la demanderesse :

  • La CFP a défavorisé la demanderesse en raison de son âge, contrairement à l’article 7 de la LCDP, en ne lui trouvant pas une affectation permanente à la suite de la fermeture de l’UPI en juin 2003 et lorsque la DAC a cessé ses activités en octobre 2003.
  • La CFP a défavorisé la demanderesse en raison de son âge, contrairement à l’article 7 de la LCDP, en accordant le poste d’adjointe administrative à une collègue de la demanderesse qui était plus jeune qu’elle.
  • La CFP a défavorisé la demanderesse en raison de sa déficience (fibromyalgie), contrairement à l’article 7 de la LCDP, et a manqué à son devoir d’accommodement, contrairement à l’article 15 de ladite loi, dans la façon dont elle a offert le poste de coordonnatrice des programmes à la demanderesse et dont elle lui a demandé d’exécuter ses fonctions alors qu’elle occupait ce poste.
  • La CFP a défavorisé la demanderesse en raison de sa déficience (dépression), contrairement à l’article 7 de la LCDP, et a manqué à son devoir d’accommodement, contrairement à l’article 15 de la LCDP, en refusant sa demande de retour graduel au travail en novembre 2004.
  • La CFP a, par ses agissements, nui aux chances d’emploi de la demanderesse, contrairement à l’article 10 de la LCDP.

 

[19]           La Commission a ouvert une enquête et a décidé de confier l’examen de la question au Tribunal. Le Tribunal a examiné l’affaire pendant cinq jours entre le 14 et le 18 septembre 2009.

 

IV. Décision à l’examen

 

[20]           Le 3 février 2010, la Commission a rendu la décision par laquelle elle a rejeté la plainte de la demanderesse.

 

[21]           En premier lieu, le Tribunal s’est penché sur l’allégation de la demanderesse suivant laquelle la Commission s’était rendue coupable d’un acte discriminatoire à son égard en ne cherchant pas à lui trouver une réaffectation permanente à la suite de la fermeture de l’UPI et de la DAC. Le Tribunal a conclu que la demanderesse avait établi prima facie qu’elle avait été victime de discrimination à cet égard : elle avait présenté des éléments de preuve montrant que son travail avait, par le passé, été jugé satisfaisant et que des collègues de l’UPI et de la DAC plus jeunes qu’elle avaient été réaffectés et, avait établi qu’elle croyait que ses collègues plus jeunes avaient bénéficié d’un traitement préférentiel.

 

[22]           Toutefois, après avoir examiné les arguments du défendeur, le Tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer qu’elle avait été victime de discrimination fondée sur l’âge. Le Tribunal a accepté l’explication fournie par le directeur des ressources humaines de la CFP, suivant laquelle, comme la demanderesse n’était pas intéressée à continuer à faire du travail de bureau au niveau CR‑05 et qu’elle était davantage intéressée par du travail de niveau administratif, on lui avait accordé un délai supplémentaire pour lui permettre de se trouver ce genre d’affectation. Le Tribunal a fait observer que la demanderesse avait continué de recevoir son salaire et de se voir confier diverses tâches pendant toute la période en question. Tout en soulignant que la CFP n’était pas sans reproche – elle a reproché à la CFP de ne pas avoir communiqué efficacement avec la demanderesse et d’avoir abandonné la demanderesse à son sort en la laissant travailler seule pendant une période de six semaines – le Tribunal a conclu que ces erreurs n’étaient pas délibérées et qu’elles n’étaient pas liées à l’âge de la demanderesse.

 

[23]           Deuxièmement, le Tribunal s’est demandé si la CFP avait agi de façon discriminatoire envers la demanderesse sur le fondement de son âge en ne lui offrant pas le poste d’adjointe administrative du vice‑président de la DAC à la suite de la mutation de ce dernier à Industrie Canada. Le Tribunal a reconnu que la personne à qui le poste avait été attribué était [traduction] « très jeune pour occuper un tel poste ». Il a toutefois expliqué que rien dans la preuve ne permettait de penser que la demanderesse avait soumis sa candidature à ce poste, signalant que, de toute façon, elle ne s’était pas prévalue de son droit d’appel pour contester la décision de l’accorder à quelqu’un d’autre. Le Tribunal a expliqué que la demanderesse n’était pas en mesure d’exiger que ce poste lui soit accordé de façon prioritaire puisqu’il s’agissait d’un poste de niveau plus élevé que son poste CR‑05, de sorte que techniquement il s’agissait d’une promotion. Le Tribunal a finalement conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait été victime de discrimination à cet égard.

 

[24]           Troisièmement, le Tribunal s’est demandé si la CFP avait agi de façon discriminatoire à l’endroit de la demanderesse en ne prenant pas les mesures nécessaires pour tenir compte de sa fibromyalgie lorsqu’on lui avait offert le poste de coordonnatrice des programmes et pendant toute la période au cours de laquelle la demanderesse avait occupé ce poste. Là encore, le Tribunal a conclu que, suivant les éléments de preuve présentés par la demanderesse, celle‑ci avait établi prima facie qu’elle avait été victime de discrimination. S’agissant des éléments de preuve présentés par le défendeur, le Tribunal a constaté que la version des faits de M. Daniels contredisait celle de la demanderesse. Le Tribunal a préféré la version de M. Daniels, c’est‑à‑dire celle suivant laquelle la demanderesse n’avait jamais parlé de sa fibromyalgie ou demandé de mesures d’accommodement étant donné que la preuve de la demanderesse renfermait des incohérences. La demanderesse avait expliqué qu’elle avait parlé à M. Daniels de sa fibromyalgie non seulement lors de leur première conversation téléphonique de janvier 2004, mais une autre fois lors d’un autre appel téléphonique, en février 2004, ajoutant qu’en février, M. Daniels lui avait fait tellement peur qu’elle avait décidé d’accepter l’offre. Le Tribunal a relevé que la demanderesse avait à ce moment‑là déjà accepté le poste étant donné qu’elle avait déjà signé sa lettre d’acceptation en janvier. Le Tribunal a également mentionné que, dans ses notes relatives à la conversation téléphonique de février 2004, la demanderesse faisait mention du nom d’experts médicaux qu’elle n’avait en fait consultés que plusieurs mois plus tard.

 

[25]           Le Tribunal a finalement expliqué que, compte tenu des contradictions relevées et du fait que M. Daniels n’avait aucune raison de refuser une demande d’accommodement ou de mentir, sa version des faits était plus crédible. Le Tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas parlé à M. Daniels de son incapacité d’exécuter les fonctions associées au poste de coordonnatrice des programmes. Le Tribunal a par conséquent estimé qu’elle n’avait été victime d’aucune discrimination à cet égard.

 

[26]           Quatrièmement, le Tribunal a examiné la question de savoir si la CFP avait agi de façon discriminatoire envers la demanderesse en refusant de tenir compte de sa demande de retour progressif au travail en novembre 2004. Là encore, le Tribunal était confronté à des éléments de preuve contradictoires. La demanderesse avait établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination en témoignant qu’elle avait appelé M. Daniels le 8 novembre 2004 pour lui demander de pouvoir reprendre progressivement le travail et qu’elle avait essuyé un refus catégorique. M. Daniels a expliqué, en revanche, qu’il n’avait jamais reçu d’appel de la demanderesse et qu’il avait appris en septembre 2004 que les médecins de la demanderesse croyaient qu’elle n’était pas suffisamment en bonne santé pour pouvoir reprendre le travail.

 

[27]           Compte tenu du fait que les rapports médicaux déposés par divers médecins démontraient que la demanderesse n’était pas en mesure de reprendre le travail au cours de la période comprise entre mai 2004 et mars 2005, le Tribunal a accepté le témoignage de M. Daniels suivant lequel la demanderesse n’avait, en fait, pas demandé de reprendre le travail en novembre 2004. Le Tribunal a également écarté les allégations de discrimination à cet égard.

 

[28]           Enfin, pour ce qui est de la discrimination dont la demanderesse affirmait avoir été victime, en violation de l’article 10 de la LCDP, le Tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré, par une preuve prima facie, que la CFP avait appliqué des politiques ou des pratiques discriminatoires sur le fondement de son âge ou de sa déficience.

 

V. Questions en litige

 

[29]           La présente demande soulève deux principales questions :

(1)     Le Tribunal a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

(2)     Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que la CFP n’avait pas exercé de discrimination à l’égard de la demanderesse sur le fondement de l’âge ou de la déficience?

 

VI. Norme de contrôle

 

[30]           La Cour n’a pas à faire preuve de déférence envers le Tribunal pour ce qui est des questions d’équité procédurale (Canada (Procureur général) c. Davis, 2010 CAF 134, au paragraphe 3, 403 NR 355; Murray c. Canada (Procureur général), 2011 CF 542, aux paragraphes 11‑12 (disponible en ligne sur CanLII); Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, [2006] 3 R.C.F. 392). La première question que nous devrons examiner, en l’occurrence celle de savoir si le Tribunal a manqué à son devoir d’équité procédurale envers la demanderesse, sera examinée en fonction de la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[31]           S’agissant de l’examen au fond, la Cour d’appel fédérale a toutefois expliqué, dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CAF 192, au paragraphe 8, 405 NR 54, que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à la plupart des éléments des décisions du Tribunal canadien des droits de la personne, y compris les questions de droit faisant intervenir l’interprétation de sa loi habilitante par le Tribunal. Comme la question de savoir si le Tribunal a commis ou non une erreur dans son analyse des articles 7 et 10 de la LCDP constitue une question mixte de droit et de fait, la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Pour ce faire, la Cour s’interroge sur les motifs justifiant la décision et sur la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, et se demande si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

VII. Analyse

 

(1)     Le Tribunal a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

 

[32]           La demanderesse affirme que le Tribunal a porté atteinte à ses droits procéduraux de diverses façons. Je vais examiner à tour de rôle chacune des allégations de la demanderesse.

a)      Le Tribunal a alloué une période de temps restreinte à la demanderesse pour faire son exposé introductif

 

[33]           La demanderesse affirme que le Tribunal l’a traitée injustement et a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en limitant le temps alloué à la présentation de son exposé introductif.

 

[34]           La demanderesse a choisi de faire son exposé introductif en lisant un document qu’elle avait intitulé [traduction] « Déclaration de la victime[1] ». L’examen de la « Déclaration de la victime » et de la transcription de l’audience révèle que la demanderesse a dans les faits été en mesure de faire la lecture du texte intégral de sa déclaration pendant la période de temps que le Tribunal lui avait allouée.

 

[35]           Bien qu’il soit vrai que la demanderesse a été interrompue à deux reprises au cours de son exposé, elle n’a jamais été empêchée de poursuivre. Lors de la première interruption, le Tribunal a fait remarquer à la demanderesse qu’il s’agissait d’un exposé, et lui a demandé combien de temps encore celui‑ci durerait. La demanderesse a répondu qu’elle avait chronométré son exposé et qu’il ne durait que sept minutes. On lui a permis de continuer[2]. La demanderesse a poursuivi la lecture, pour ainsi dire mot à mot, de la « Déclaration de la victime » qu’elle avait rédigée.

 

[36]           Alors que la demanderesse approchait de la conclusion de son exposé, l’avocate du défendeur l’a interrompue pour souligner qu’il y avait une distinction à faire entre un exposé introductif et un témoignage[3] :

[traduction]

Me CROWLEY : Excusez‑moi de vous interrompre, Mme Gravel, et je sais que cela est inusité, mais je me demande tout simplement si vous êtes consciente de la distinction à faire entre un exposé introductif et un témoignage.

LE PRÉSIDENT : J’estime également que vous débordez un peu le cadre de ce qu’on fait habituellement. J’ai accepté de vous laisser parler parce que vous m’avez dit que votre exposé ne dépasserait pas sept minutes. Je suppose que vous avez presque terminé?

LA PLAIGNANTE : Oui, il ne me reste plus qu’une demi‑page à lire.

LE PRÉSIDENT : Très bien. Merci.

 

 

[37]           Il ressort de l’examen de la transcription que, bien que la demanderesse ait pour l’essentiel continué à lire mot à mot sa « Déclaration de la victime », elle a alors commencé à en résumer certaines parties.

 

[38]           Bien qu’on puisse comprendre que la demanderesse avait le sentiment que le Tribunal l’obligeait à se dépêcher, la remarque concernant la distinction à faire entre un « exposé introductif » et un témoignage était légitime. Un examen de la transcription révèle que la demanderesse a pu aborder l’essentiel des questions qu’elle voulait exposer. Je ne puis conclure que ses droits à l’équité procédurale ont été violés à cet égard.

 

b)      Attitude du Tribunal

 

[39]           La demanderesse affirme que le président du Tribunal a en cours d’audience adopté une attitude négative. Cette allégation est sans fondement.

 

[40]           Un examen du texte intégral de la transcription de l’audience révèle que le président du Tribunal est demeuré respectueux et patient envers la demanderesse pendant toute la durée de l’audience. Il est vrai que le président a dû intervenir plus souvent lorsque la demanderesse contre‑interrogeait les témoins du défendeur pour lui rappeler qu’elle ne devait pas témoigner en cours de contre‑interrogatoire ou encore pour lui expliquer les règles régissant les contre‑interrogatoires, mais ces interventions ne démontraient aucun signe de manque de respect envers la demanderesse. La demanderesse n’a pas été empêchée de présenter sa preuve, de poser les questions qu’elle souhaitait poser ou de présenter ses arguments. Je conclus que la demanderesse a été traitée équitablement et respectueusement par le Tribunal et je tiens à souligner qu’elle a également été traitée équitablement et respectueusement par l’avocate du défendeur.

 

c)      Refus d’accorder un ajournement

 

[41]           La demanderesse affirme que le Tribunal a porté atteinte à ses droits procéduraux en refusant sa demande d’ajournement. Après avoir fait son exposé introductif le 14 septembre 2009, la demanderesse a réclamé un ajournement en expliquant que [traduction] « tous les avocats qu’[elle connaissait] » ainsi que [traduction] « deux témoins clés » étaient à l’extérieur du pays, en Europe, jusqu’à la fin d’octobre. Le Tribunal a suspendu l’audience pour examiner la demande d’ajournement. À la reprise des débats, le Tribunal a expliqué qu’il refusait la demande présentée par la demanderesse compte tenu du fait qu’elle avait déjà fait ajourner l’audience [traduction] « plus tôt au cours de l’été » parce qu’elle n’était pas représentée par un avocat, ajoutant que, depuis, elle n’avait toujours pas retenu les services d’un avocat. Le Tribunal a souligné : [traduction] « Il ne faut pas oublier que la présente affaire remonte à plus de six ans. Il faut qu’elle connaisse son dénouement un jour ou l’autre ». Voici ce que le Tribunal a expliqué au paragraphe 16 de ses motifs :

16     Le Tribunal qui, conformément aux exigences de l’article 48.9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui lui exige de procéder à l’instruction des plaintes de façon expéditive, jugea que le délai additionnel de 2,5 mois déjà accordé à la plaignante pour se préparer et pour se constituer un nouveau procureur avait été amplement suffisant et respectait le principe de justice naturelle. Il ordonna donc la poursuite de l’audience sans autre délai.

 

 

[42]           L’audience avait d’abord été fixée au 29 et 30 juin et aux 2 et 3 juillet 2009. Il ressort du dossier que, le 3 juin 2009, la demanderesse a adressé au Tribunal un courriel dans lequel elle réclamait un ajournement « urgent ». Invoquant le fait que son avocat n’était plus [traduction] « dans un état d’esprit lui permettant de [la] représenter ». Au cours d’une conférence préparatoire tenue le 9 juin 2009, la demanderesse a expliqué qu’elle consulterait un avocat dans les 48 heures suivantes. Le Tribunal a accepté d’examiner la demande d’ajournement du nouveau représentant de la demanderesse. Toutefois, le 17 juin 2009, la demanderesse a informé le Tribunal qu’elle n’avait pas réussi à se trouver un avocat et qu’elle réclamait un ajournement pour une période indéterminée. Par courriel daté du 18 juin 2009, le Tribunal a accepté d’ajourner l’affaire, mais non pour une période indéterminée. Il a offert à la demanderesse trois périodes d’audience possibles et, le 19 juin 2009, la demanderesse a accepté les dates du 14 au 18 septembre 2009. Le 23 juin 2009, elle a envoyé au Tribunal un autre courriel dans lequel elle expliquait qu’elle avait toujours de la difficulté à se trouver un avocat :

[traduction]

En ce qui concerne l’avocat, malgré le fait que j’en ai contacté un grand nombre, aucun d’entre eux n’a accepté de me représenter moyennant des honoraires « conditionnels ». J’ai trouvé un avocat junior qui était prêt à le faire, mais les avocats principaux de son cabinet refusaient de le laisser travailler moyennant des honoraires conditionnels. D’autres ne se sont même pas donné la peine de me rappeler.

 

 

[43]           On peut certes éprouver de la sympathie pour la situation difficile dans laquelle se trouvent les plaignants qui se cherchent un avocat pour les représenter, mais qui n’y arrive pas pour des raisons financières. Il est toutefois nécessaire, à un moment donné, que la procédure suive son cours. En l’espèce, la demanderesse avait obtenu un ajournement de deux mois et demi, de sorte qu’elle avait eu plus de trois mois à compter du moment où son premier avocat s’était désisté pour tenter de se trouver un autre avocat, ce qu’elle n’a pas réussi à faire. Bien qu’elle ait expliqué à l’audience qu’il se pouvait que des avocats qui se trouvaient alors en Europe soient prêts à la défendre moyennant des honoraires conditionnels, la demanderesse a convenu avec le Tribunal qu’aucun engagement ferme n’avait été donné à cet égard[4].

 

[44]           Compte tenu du fait que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait fait des progrès concrets dans les démarches qu’elle avait entreprises pour engager un avocat pendant la période d’environ trois mois comprise entre le 3 juin 2009 et le 14 septembre 2009, le Tribunal craignait que la demanderesse ne soit [traduction] « pas plus avancée » en septembre qu’elle ne l’était au début de juin. Cette préoccupation était légitime. Dans ces conditions, je ne puis conclure que le Tribunal a porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en refusant de lui accorder un autre ajournement. Le Tribunal a tenu à préciser qu’il tiendrait compte du fait que la demanderesse se représentait elle‑même et je suis convaincue, après examen de la transcription, que le Tribunal a effectivement respecté cet engagement.

 

d)      Absence de deux témoins clés

 

[45]           Le quatrième argument de la demanderesse est lié au troisième. À l’audience, la demanderesse a expliqué que, comme le Tribunal avait refusé sa demande d’ajournement, elle avait été forcée de présenter sa cause en l’absence de [traduction] « deux témoins clés » qui se trouvaient tous les deux en Europe jusqu’à la fin d’octobre. Elle avait par conséquent demandé au Tribunal de lui accorder la permission d’obtenir des affidavits de ces témoins à leur retour au Canada en novembre 2009. Le Tribunal a refusé cette demande. La demanderesse soutient que ce refus équivaut à une violation de son droit à l’équité procédurale.

 

[46]           Le Tribunal a expliqué que, s’il recevait les affidavits en question en novembre 2009, soit un mois et demi après l’audience, [traduction] « il serait beaucoup trop tard ». En tout état de cause, le Tribunal a souligné que tout affidavit soumis de cette façon aurait peu de poids parce qu’il ne serait pas possible de contre‑interroger le déposant.

 

[47]           En date du 19 juin 2009, la demanderesse était parfaitement au courant que son audience aurait lieu environ trois mois plus tard, entre le 14 et le 18 septembre 2009. Elle était également consciente de l’importance d’être en mesure de soumettre toute sa preuve à cette date. Le 23 juin 2009, la demanderesse a adressé au Tribunal un courriel dans lequel elle l’informait que trois de ses quatre témoins pourraient se présenter au cours de la période d’audience prévue, mais qu’un de ces témoins se trouverait encore en Europe et [traduction] « qu’il [soumettrait] donc un affidavit authentifié »[5]. Aucun « affidavit authentifié » n’était prêt au moment de l’audience et aucune raison n’a été fournie pour expliquer pourquoi les éléments de preuve nécessaires n’avaient pas été obtenus. Il convient toutefois de souligner qu’à l’audience la demanderesse a effectivement affirmé avoir tenté sans succès avant la tenue de l’audience d’obtenir un affidavit des témoins absents.

 

[48]           Le Tribunal a conclu que la situation de la demanderesse ne justifiait pas d’invoquer la « procédure exceptionnelle » réclamée, et il m’est impossible de conclure que le Tribunal a commis une erreur à cet égard. Il ne s’agissait pas d’une preuve nouvelle ou n’ayant pu être obtenue plus tôt. La demanderesse avait, ainsi qu’elle en était parfaitement consciente, l’obligation de faire le nécessaire pour être en mesure de présenter sa preuve au plus tard le 14 septembre 2009. Elle a manqué à cette obligation, et elle ne peut exciper de ce manquement pour faire infirmer la décision du Tribunal.

 

e)      Refus d’admettre en preuve le rapport d’enquête et la Directive sur le réaménagement des effectifs

 

[49]           La demanderesse affirme que le Tribunal l’a traitée injustement en refusant d’admettre en preuve deux documents, à savoir, le rapport d’enquête de la Commission et un document appelé dans ses observations écrites « Directive sur le réaménagement des effectifs, chapitre D ».

 

[50]           En ce qui concerne le Rapport d’enquête de la Commission, il convient de signaler que le Tribunal est un organisme indépendant créé par la loi et qu’il est chargé de mener des enquêtes sur les plaintes que la Commission lui renvoie. Une fois qu’une plainte a été déférée au Tribunal, les parties doivent présenter leurs propres éléments de preuve, et le Tribunal doit reprendre l’examen de l’affaire depuis le début, et ce, indépendamment des conclusions tirées par la Commission (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81, au paragraphe 14, [2004] 2 R.C.F. 581; Milazzo c. Autocar Connaisseur Inc, [2002] C.C.D.P. no 26, au paragraphe 25 (disponible en ligne sur CanLII)). On ne peut donc reprocher au Tribunal d’avoir décidé de ne pas admettre en preuve le rapport d’enquête de la Commission. Ce rapport n’était ni obligatoire ni pertinent, et le Tribunal était tenu de trancher la plainte de novo.

                                                                                                                                          

[51]           Quant au second document mentionné par la demanderesse, il ressort du dossier que la Directive sur le réaménagement des effectifs du Conseil du Trésor a été déposée en preuve. Je ne puis donc conclure qu’un manquement à l’équité procédurale a été commis à cet égard.

 

f)       Admission en preuve de rapports médicaux

 

[52]           La demanderesse affirme en outre que le Tribunal a commis une erreur en admettant en preuve des rapports médicaux contenant des renseignements sensibles qui avaient été obtenus illégalement.

 

[53]           Les trois rapports médicaux en question, qui portaient sur la santé psychologique de la demanderesse, ont été obtenus par l’avocate du défendeur dans le cadre de la communication de la preuve documentaire par la Commission. L’alinéa 6(1)d) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne, 03‑05‑04 [les Règles du Tribunal] oblige chaque partie – ce qui comprend la Commission – à signifier et déposer un exposé des précisions indiquant « les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non‑divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandé en l’occurrence [...] ». Le paragraphe 6(4) des Règles du Tribunal exige que chacun des documents visés par l’alinéa 6(1)d) soit communiqué à toutes les autres parties. Les rapports médicaux constituaient des documents se trouvant en la possession de la Commission et pour lesquels aucun privilège de non‑divulgation n’avait été revendiqué. Ils se rapportaient directement à l’une des déficiences en cause dans la plainte de la demanderesse, de sorte que c’est à bon droit que la Commission les a divulgués et que le défendeur les a reçus.

 

[54]           Le Tribunal a également régulièrement admis en preuve les rapports en question. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, les rapports médicaux se rapportaient directement à l’une des déficiences pour lesquelles la demanderesse affirmait avoir été victime de discrimination, à savoir la dépression sévère dont elle souffrait.

 

[55]           Bien que les trois rapports médicaux en question aient vraisemblablement été soumis à la Commission par la demanderesse ou par son ancien avocat, il est évident, après examen de la transcription de l’audience, que la demanderesse ignorait au départ que ces rapports médicaux avaient été déposés en preuve devant le Tribunal[6]. Lorsque la demanderesse s’est aperçue que les documents avaient été versés au dossier du défendeur, elle a exprimé ses réserves. Elle a expliqué que les rapports contenaient des renseignements médicaux sensibles la concernant ainsi que sa famille et qu’elle ne voulait pas que ces documents deviennent publics[7]. Le Tribunal a proposé que les rapports soient scellés, qu’ils ne soient ouverts qu’après avoir obtenu une autorisation expresse. J’estime que cette mesure était raisonnable dans les circonstances et qu’elle ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

 

g)      Erreurs et omissions dans la transcription

 

La demanderesse affirme en outre que la transcription de l’audience qui s’est déroulée devant le Tribunal renferme diverses erreurs et omissions. Il n’y a tout simplement aucun élément de preuve qui appuie cette allégation.

(2)     Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que la CFP n’avait pas exercé de discrimination à l’égard de la demanderesse sur le fondement de son âge ou d’une déficience?

 

[56]           En ce qui concerne le fond de la décision du Tribunal, le principal argument de la demanderesse revient à alléguer de façon générale que le Tribunal a commis une erreur dans son appréciation de la preuve.

 

[57]           La demanderesse affirme que le Tribunal aurait dû préférer son témoignage à celui de M. Daniels, et qu’il aurait dû conclure qu’elle avait demandé et s’était vue refuser des mesures d’accommodement lorsqu’on lui a offert le poste de coordonnatrice des programmes en janvier 2004, qu’on a refusé sa demande de retour progressif au travail le 8 mars 2004 et qu’à la suite de ces deux refus de tenir compte de ses besoins particuliers, elle avait finalement été contrainte de quitter la CFP plus tôt qu’elle ne l’aurait autrement souhaité.

 

[58]           Avec respect, j’estime que les conclusions du Tribunal sont raisonnables et qu’elles sont étayées par la preuve.

 

[59]           Le Tribunal a conclu que la version des faits de la demanderesse renfermait des contradictions et que M. Daniels n’avait aucune raison de mentir. Je suis d’accord avec le Tribunal pour dire que le récit que la demanderesse a fait de la conversation avec M. Daniels au cours de laquelle celui‑ci aurait exercé sur elle des pressions pour qu’elle accepte le poste de coordonnatrice des programmes et aurait refusé de prendre des mesures d’accommodement à son égard contient des contradictions. Par exemple, dans les précisions qu’elle a déposées devant la Commission à l’appui de sa plainte, la demanderesse affirme que la conversation a eu lieu avant qu’elle n’accepte le poste le 21 janvier 2004. Or, à l’audience devant le Tribunal, elle a expliqué qu’il y avait eu deux conversations, et que l’une d’entre elles remontait à février 2004, après qu’elle eut accepté le poste. Elle a produit une note qui, selon ce qu’elle affirmait, avait été écrite tout de suite après et dans laquelle elle résumait la seconde conversation. La note indiquait que la seconde conversation avait eu lieu en février 2004. Toutefois, la demanderesse avait déjà accepté le poste à ce moment‑là. La note mentionne également les rapports médicaux rédigés par des médecins qui n’avaient pas été consultés au sujet du problème de fibromyalgie et qui n’avaient en fait été consultés que quelques mois plus tard. Je considère que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il était raisonnable de la part du Tribunal de relever les contradictions suivantes :

[194] Comment pouvait‑elle dire dans cette même lettre de février que le Directeur du ressourcement des cadres lui fit tellement peur au cours de cette conversation téléphonique qu’elle aurait décidé de retourner au travail et de signer le contrat de travail puisqu’elle avait déjà signé la « Réponse à l’offre de nomination » le 21 janvier précédent?

 

[195] Comment a‑t‑elle pu dans cette même lettre de février, mentionner le nom des docteurs (X et Y), respectivement psychologue et psychiatre, alors qu’on discute d’accommodements reliés à la fibromyalgie de la plaignante? Ce n’est qu’au cours de l’été 2004 que ces deux médecins furent impliqués, une fois que le médecin de famille de la plaignante aura indiqué que sa patiente était alors en dépression.

 

[60]           De plus, l’allégation de la demanderesse suivant laquelle elle se sentait suffisamment bien pour reprendre le travail en novembre 2004 et qu’elle avait, par conséquent, demandé de reprendre progressivement le travail n’est pas appuyée par la preuve médicale, qui contredit cette allégation et qui indique qu’elle était en fait inapte à reprendre le travail à l’époque en cause, même à temps partiel. Le rapport du psychiatre, le docteur Gillis, qui était daté du 10 novembre 2004 (deux jours après que la demanderesse aurait demandé l’autorisation de reprendre le travail) a été soumis par la demanderesse à son assureur pour appuyer sa demande de prorogation de prestations d’ILD. En fait, l’assureur a finalement reconnu, en partie sur le fondement de ces éléments de preuve, que la demanderesse était « invalide » au moment où elle aurait indiqué qu’elle se sentait suffisamment bien pour reprendre le travail. Par conséquent, la décision du Tribunal de préférer la version des faits du défendeur à celle de la demanderesse est appuyée par la preuve et le raisonnement du Tribunal est justifié, transparent et intelligible.

 

[61]           La demanderesse affirme également qu’elle a subi des pressions pour prendre sa retraite plus tôt qu’elle ne l’aurait souhaité. Ces pressions, affirme‑t‑elle, étaient le résultat de la situation dans laquelle le défendeur l’avait placée en refusant ses demandes d’accommodement. La lettre de démission de la demanderesse indique toutefois qu’elle avait décidé de prendre sa retraite en janvier 2005 en raison des difficultés financières avec lesquelles elle était aux prises par suite du refus de son assureur de continuer à lui verser des prestations d’ILD après le 31 octobre 2004 et non en raison d’un acte discriminatoire qu’aurait commis son employeur. Dans cette lettre, elle remerciait d’ailleurs M. Daniels pour l’aide qu’il lui avait fournie et elle se disait satisfaite de la courte période qu’elle avait passée au sein de son équipe. La demanderesse soutient que le ton « diplomatique » de sa lettre avait été choisi pour pouvoir quitter son emploi en bons termes. Cette explication est quelque peu surprenante si l’on tient compte des allégations de la demanderesse mais, en tout état de cause, elle ne diminue en rien la valeur de la preuve, prise dans son ensemble, et ne rend pas déraisonnable la décision du Tribunal.

 

[62]           Deux semaines après sa retraite, la demanderesse a reçu une lettre dans laquelle son assureur l’informait qu’il lui verserait des prestations d’ILD jusqu’au 31 mars 2005. Si elle avait reçu cette lettre avant de demander de prendre sa retraite, je suis convaincue qu’elle ne l’aurait pas prise au moment où elle l’a fait. Ce malheureux concours de circonstances ne change rien au fait que la preuve n’appuie pas l’allégation de la demanderesse voulant qu’elle ait été forcée de prendre sa retraite par suite de pressions discriminatoires qu’elle aurait subies de la part de son employeur.

 

[63]           La demanderesse affirme également que la décision du Tribunal renferme des contradictions. Elle souligne qu’à plusieurs reprises le Tribunal a conclu qu’elle avait établi prima facie qu’elle avait été victime de discrimination, et qu’il s’est ensuite contredit en concluant qu’elle n’avait finalement pas démontré qu’elle avait été victime de discrimination. Ce raisonnement résulte de sa mauvaise compréhension du critère légal applicable aux allégations de discrimination formulées en vertu de la LCDP.

 

[64]           Aux paragraphes 150 à 156 de ses décisions, le Tribunal a expliqué la démarche en deux temps visant à  statuer sur le bien‑fondé d’allégations de discrimination formulées en vertu de la CCDP. En premier lieu, le Tribunal doit se demander si le demandeur a, dans un premier temps, établi prima facie l’existence d’une discrimination. À cette étape, le Tribunal ne s’intéresse qu’à la preuve du demandeur. Si, à elle seule, la preuve présentée par le demandeur établit l’existence de faits permettant de conclure à la discrimination, le Tribunal est en présence d’une preuve prima facie de discrimination. Toutefois, il ne s’agit là que de la première étape. Une fois qu’une preuve prima facie de discrimination a été fournie, le Tribunal doit passer à la seconde étape, au cours de laquelle le fardeau est inversé et la preuve du défendeur doit alors être appréciée. Lorsque les deux parties ont présenté leur preuve respective, le Tribunal doit décider si l’ensemble de la preuve établit l’existence d’une discrimination. En l’espèce, en cas de conflit avec la preuve de la demanderesse, le Tribunal a préféré la preuve du défendeur, et il a conclu que la demanderesse n’avait pas été défavorisée du fait de son âge ou de sa déficience. La décision du Tribunal ne renferme aucune contradiction.

 

[65]           La demanderesse fait par ailleurs valoir que le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que la CFP l’avait [traduction] « ignorée pendant un an » alors qu’elle avait trouvé à ses collègues plus jeunes des réaffectations permanentes presque immédiatement après la fermeture de l’UPI. Le Tribunal a tenu compte du contexte dans lequel la demanderesse cherchait à se trouver un nouveau poste et a conclu que le défendeur n’était pas sans reproche. Le fait que la demanderesse ait été laissée à elle‑même dans les anciens bureaux de la DRE pendant une période de six semaines a plus particulièrement retenu l’attention du Tribunal. Il a toutefois conclu, de façon raisonnable, qu’aucun élément de preuve n’appuyait l’allégation de la demanderesse voulant qu’il en ait été ainsi en raison de son âge.

 

[66]           La demanderesse affirme également que le Tribunal a commis une erreur en ne reconnaissant pas que la CFP n’avait pas respecté la DRE.

 

[67]           La demanderesse soutient que la fermeture de l’UPI et de la DAC en 2003 avait provoqué une situation de « réaménagement des effectifs », de sorte que la CFP était tenue de respecter les obligations imposées par la DRE. La demanderesse affirme entre autres que la CFP aurait dû la déclarer immédiatement employée « excédentaire ». Pour sa part, le défendeur soutient qu’aucune situation de réaménagement des effectifs n’a été créée à la suite de la restructuration de 2003, ajoutant qu’il ne s’agissait pas d’une réduction des effectifs.

 

[68]           Bien qu’il soit vrai qu’il souligne dans sa décision, au paragraphe 88, que la restructuration opérée au sein de la CFP ne constituait pas un processus de réduction des effectifs en place, le Tribunal n’a pas abordé directement les arguments formulés par la demanderesse au sujet de la DRE. J’estime toutefois que le silence du Tribunal à cet égard ne rend pas sa décision déraisonnable.

 

[69]           Il ressort de la preuve que la DRE n’a été appliquée à aucun des employés de l’UPI ou de la DAC. La DRE n’aurait été pertinente que s’il existait des éléments de preuve laissant penser que la CFP l’avait appliquée de façon discriminatoire, c’est‑à‑dire à l’égard des collègues de la demanderesse mais pas à son égard. À défaut de preuve démontrant que la DRE a été appliquée de façon discriminatoire, le Tribunal n’était pas tenu d’examiner la question de savoir si la DRE aurait dû s’appliquer à la demanderesse ou si la CFP a manqué aux obligations que lui imposait la DRE. D’ailleurs, la DRE prévoit une procédure de règlement des griefs advenant une erreur d’interprétation ou d’application. Cette procédure ne fait pas intervenir le Tribunal canadien des droits de la personne. La seule question à laquelle le Tribunal devait répondre était celle de savoir si la demanderesse avait été victime de discrimination ou non. Il était donc entièrement approprié de la part du Tribunal de se concentrer sur la question principale, soit celle du traitement défavorable.

 

[70]           J’estime également que la conclusion du Tribunal selon laquelle la plaignante n’a pas démontré qu’elle avait été victime de discrimination lorsqu’on ne lui a pas offert le poste d’adjointe administrative à Industrie Canada est raisonnable.

 

[71]           En fin de compte, la Cour n’intervient pour modifier l’appréciation que le Tribunal a faite de la preuve que lorsque les conclusions du Tribunal sont fondées sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Or, rien ne m’amène à conclure que le Tribunal a apprécié la preuve d’une façon abusive ou arbitraire. Ses conclusions sont appuyées par la preuve et elles sont raisonnables. De plus, son raisonnement est clair et ses conclusions sont bien expliquées et elles appartiennent aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 


JUGEMENT

 

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Marie‑Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑275‑10

 

INTITULÉ :                                                   SHELLEY ANN GRAVEL c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MARIE‑JOSÉE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Ann Gravel

 

LA DEMANDERESSE,

pour son propre compte

 

Tatiana Sandler

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Onglet Y du dossier de la demanderesse.

[2] Page 599 du dossier du défendeur, vol. 3.

[3] Page 603 du dossier du défendeur, vol. 3.

[4] Page 615 du dossier du défendeur, vol. 3.

 

[5] Page 104 du dossier du défendeur, volume 1.

[6] Page 1117 et 1118 du dossier du défendeur, vol. 4.

[7] Page 1119 et suivante du dossier du défendeur, vol. 4.

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