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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110719

Dossier : IMM-7563-10

Référence : 2011 CF 905

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 19 juillet 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

KHORAM SHAHZAD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 22 novembre 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a fait droit à une demande d’annulation d’une décision antérieure dans laquelle le demandeur s’était vu accorder le statut de réfugié, en application de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

1.         Une question préliminaire – l’intitulé

 

[2]               Au début de l’audience, j’ai soulevé la question de la différence entre le défendeur en l’espèce et le demandeur qui avait sollicité l’ordonnance d’annulation prévue à l’article 109 de la LIPR. La demande d’ordonnance d’annulation avait été déposée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (aujourd’hui, le ministre de la Sécurité publique), mais seul le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait été inscrit comme défendeur. Les parties ont convenu qu’il fallait modifier l’intitulé et ajouter le ministre de la Sécurité publique comme défendeur.

 

2.         Le contexte

 

[3]               Le demandeur, né le 4 décembre 1978, est citoyen du Pakistan et de confession shiite.

 

[4]               Il est arrivé au Canada en septembre 2002 et a demandé l’asile, disant craindre d’être persécuté par un groupe extrémiste sunnite, le Sipah-e-Sahaba Pakistan (le SSP), qui l’avait attaqué dans le passé et menacé de mort. Le demandeur avait sollicité la protection de la police au Pakistan, mais cette dernière, soutenait-il, en plus de refuser de lui prêter assistance l’avait, en fait, faussement accusé d’enlèvement.

 

[5]               À l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a fourni une copie d’un premier rapport d’information (PRI) et d’un mandat d’arrestation. Le PRI faisait état d’une plainte, censément déposée auprès de la police le 20 juillet 2002, qui alléguait que le demandeur était responsable de l’enlèvement d’une fille de l’endroit. Le mandat d’arrestation portait la date du 30 août 2002 et était délivré contre le demandeur en rapport avec les incidents allégués dans le premier rapport d’information.

 

[6]               Le 10 mars 2004, la Commission a entendu la demande d’asile du demandeur. Le 1er avril suivant, elle a fait droit à sa demande, concluant qu’il avait la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR.

 

[7]               La Commission a motivé par écrit sa décision le 26 avril 2004. Dans ses motifs, elle a reconnu que, selon la preuve relative à la situation du pays, il régnait une violence sectaire constante entre les groupes sunnite et chiite au Pakistan. La Commission était d’avis que les efforts faits par le gouvernement pakistanais pour mettre fin à la violence et assurer une protection cadraient avec le critère de la suffisance et de l’efficacité, mais elle a néanmoins décidé d’accorder le bénéfice du doute au demandeur d’asile surtout « en l’absence de divergences importantes dans son témoignage ». Elle a reconnu qu’il n’était pas encore tout à fait clair si le fait de frapper d’interdiction le SSP avait été une mesure efficace.

 

[8]               Toujours en avril 2004, des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ont tenté de vérifier l’authenticité du PRI et du mandat d’arrestation que le demandeur avait fournis. Des agents de l’ASFC en poste à Islamabad sont entrés en contact avec le poste de police indiqué dans le PRI. On les a informés que le numéro de PRI inscrit sur le document fourni par le demandeur était, en fait, enregistré contre une personne différente, en rapport avec une série différente d’allégations. Après avoir demandé si un PRI avait été enregistré au poste de police le 20 juillet 2002, les agents de l’ASFC ont appris que le seul PRI qui avait été enregistré à cette date‑là l’avait été à la demande d’un certain « Khurram Shahzad », qui avait signalé l’enlèvement de sa sœur. Les agents de l’ASFC ont conclu, sur la foi de cette information, que le PRI du demandeur était faux et que le mandat d’arrestation l’était donc aussi.

 

[9]               Le 21 août 2008, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a présenté une demande à la Commission, en application de l’article 109 de la LIPR, en vue de faire annuler la décision d’avril 2004 par laquelle le demandeur s’était fait accorder le statut de réfugié. Selon le ministre, le demandeur avait fait une fausse déclaration importante sur un fait important, à savoir qu’il était recherché par la police pakistanaise pour enlèvement. Le fondement de l’allégation du ministre était la décision de l’ASFC sur l’authenticité du PRI et le mandat d’arrestation fondé sur ce document. Il a fait valoir que, si la Commission avait été au courant de la fausse déclaration en question, sa décision aurait été différente.

 

[10]           Le 25 août 2010, la Commission a entendu les observations orales de l’avocat du demandeur et de l’avocate du ministre. Le demandeur a fait valoir qu’il était entré en contact avec son avocat au Pakistan, qui avait vérifié auprès de la police pakistanaise que le PRI et le mandat d’arrestation étaient bel et bien authentiques.

 

[11]           La Commission a été confrontée à des preuves documentaires contradictoires.

 

[12]           D’une part, il y avait le rapport de l’agent d’intégrité des mouvements migratoires adjoint de l’ASFC (l’agent) qui avait fait les recherches sur l’authenticité du PRI et du mandat d’arrestation. Ce rapport contenait ce qui suit :

[traduction]

Nous avons téléphoné au poste de police de Khatiala Sheikhan et avons appris de M. Muhammad Arshad Maikkher que le numéro de premier rapport d’information indiqué sur le document est enregistré contre une autre personne, impliquée dans un crime tout à fait différent (PPC 363) de celui qui est indiqué sur le mandat d’arrestation.

[…]

 

J’ai également vérifié si un PRI avait été enregistré au poste de police le 20 juillet 2002, soit la date indiquée sur le document, et j’ai appris que le seul PRI enregistré à cette date porte le numéro de référence 258/2002 et a été enregistré à la demande de M. Khurram Shahzad S/o. Muhammad Ashraf, R/o. Mohalla Sufipura, Mandi Bahauddin, en vertu du Code pénal pakistanais 11-7/89, et fait état de l’enlèvement de sa sœur nommée Kishwas Sultana. Cette affaire a été abandonnée en cours d’enquête, car on a découvert qu’elle était fausse.

 

En fonction de ce qui précède, nous pouvons conclure de manière positive que le mandat d’arrestation qui vous a été présenté est un faux, car le numéro de PRI qui y est indiqué s’est révélé être faux.

 

[13]           D’autre part, le demandeur a présenté à la Commission un affidavit daté du 28 juillet 2010, dans lequel son avocat au Pakistan déclarait sous serment qu’un [traduction] « mandat d’arrestation non susceptible de caution » avait été délivré contre le demandeur en rapport avec un PRI qui avait été enregistré auprès de la police pakistanaise le 20 juillet 2002. Le dossier contenait également l’affidavit du premier avocat du demandeur, lequel avait déclaré que son client était accusé d’enlèvement et qu’un mandat d’arrestation avait été délivré contre lui le 30 août 2002.

 

3.         La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[14]           Dans une décision datée du 22 novembre 2010, la Commission a fait droit à la demande du ministre et annulé la décision d’avril 2004.

 

[15]           La Commission a conclu que la preuve du ministre avait plus de valeur probante que celle du demandeur parce que ce dernier n’avait pas « établi de façon crédible que les documents [étaient] authentiques et que l’expertise [était] erronée ». Elle a fait remarquer que le demandeur avait indiqué que le PRI était authentique « parce que son avocat pakistanais le lui [avait] confirmé après avoir vérifié auprès de la police ». Cependant, elle a aussi souligné que le demandeur avait déclaré que son avocat lui avait dit que « la police pakistanaise ne dit jamais la vérité ».

 

[16]           La Commission a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la police pakistanaise était au courant que l’ASFC faisait des recherches sur lui. Elle a rejeté aussi les allégations du demandeur selon lesquelles : son nom avait été mentionné lors d’une conversation téléphonique entre la police et l’agent de l’ASFC à Islamabad, la police pakistanaise avait fourni à cet agent de fausses informations et elle l’avait fait dans l’espoir que le demandeur soit renvoyé au Pakistan. La Commission a conclu que l’agent s’était renseigné sur le PRI sans donner le nom du demandeur. Elle a fait remarquer que, d’après la preuve, l’agent s’était renseigné sur le PRI par son numéro, sans indiquer de nom, et que lorsqu’il s’était informé des PRI déposés le 20 juillet 2002, là encore il n’avait donné aucun nom.

 

[17]           La Commission a conclu également qu’il aurait été illogique que la police pakistanaise parle à l’avocat du demandeur des accusations portées contre son client tout en fournissant de fausses informations aux autorités canadiennes. Elle n’a pas cru que les autorités pakistanaises savaient que le demandeur faisait l’objet d’une enquête de la part des autorités canadiennes. Elle a rejeté les arguments du demandeur.

 

[18]           La Commission a conclu son analyse de la preuve relative au PRI en disant ce qui suit :

Pour ces raisons, j’accorde une plus grande valeur probante aux documents présentés par le demandeur qu’au témoignage de l’intimé, car j’estime que, de façon générale, ce dernier n’est pas crédible. En conséquence, je suis d’avis que l’intimé a fait de fausses déclarations importantes au premier tribunal et que ces fausses déclarations sont liées à un objet pertinent.

 

[19]           La Commission a conclu aussi que les fausses déclarations importantes du demandeur touchaient à l’essence même de sa crainte présumée de persécution, en ce sens qu’elles minaient sa prétention selon laquelle il était recherché par le gouvernement pakistanais. Si le tribunal initial avait su que l’ASFC avait analysé le PRI, a conclu la Commission, il aurait évalué différemment la crédibilité du demandeur et ne lui aurait pas accordé le « bénéfice du doute ». S’il n’avait pas été conclu qu’il était digne de foi au sujet de ses allégations de persécution, a expliqué la Commission, la seule preuve restante aurait été la preuve objective sur les conditions dans le pays, ce qui n’aurait pas été suffisant pour justifier en soi la décision d’avril 2004.

 

[20]           En fin de compte, la Commission a conclu que le demandeur avait fait de fausses déclarations importantes dans sa demande d’asile initiale et qu’aucune autre preuve suffisante avait été examinée à ce moment-là pour qu’il soit justifié d’accorder l’asile.

 

4.         Les questions en litige

 

[21]           Il y a deux questions à examiner dans le cadre de la présente demande :

 

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que la première décision accordant l’asile a été obtenue à la suite de fausses déclarations importantes?

b)      La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant qu’il n’y avait pas d’autres preuves suffisantes pour qu’il soit justifié d’accorder l’asile?

 

5.         La norme de contrôle applicable

 

[22]           Les deux questions en litige dans la présente demande sont des questions mixtes de fait et de droit et, cela étant, elles seront contrôlées en fonction de la norme de la raisonnabilité (Waraich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1257, aux paragraphes 19 et 20 (Waraich); Ghorban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 861, au paragraphe 3, 374 FTR 8). La Cour vérifiera la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

 

 

 

6.         Le cadre légal applicable

 

[23]           Le paragraphe 109(1) de la LIPR autorise la Commission à annuler une décision ayant accueilli une demande d’asile si elle conclut que cette décision a été obtenue à la suite de présentations erronées sur un fait important quant à un objet important, ou de réticence sur ce fait. En même temps, le paragraphe 109(2) de la LIPR indique que la Commission peut rejeter une demande d’annulation si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve parmi ceux qui ont été pris en compte lors de la décision initiale pour justifier l’asile.

Demande d’annulation

 

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

Rejet de la demande

 

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

Vacation of refugee protection

 

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

Rejection of application

 

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

[24]           Dans ce contexte, la Commission, lorsqu’elle étudie une demande d’annulation en vertu de l’article 109 de la LIPR, doit d’abord conclure que la décision accordant l’asile a été obtenue à la suite d’une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou d’une réticence sur ce fait. Le fardeau de la preuve incombe au ministre à cet égard (Nur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 636, au paragraphe 21, 150 ACWS (3d) 455). Si la Commission conclut qu’il y a bel et bien eu présentation erronée ou réticence, elle peut quand même rejeter la demande d’annulation si, parmi les éléments de preuve qui ont été pris en compte lors de la décision initiale, il en reste suffisamment pour justifier l’asile (Ghorban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 861, au paragraphe 5, 374 FTR 8; Mansoor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 420, au paragraphe 23, 157 ACWS (3d) 407).

 

7.         Analyse

 

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que la première décision accordant l’asile a été obtenue à la suite de fausses déclarations importantes?

 

[25]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que le PRI qu’il avait présenté à l’appui de sa demande d’asile était faux et que, de ce fait, elle a commis une erreur en décidant qu’il avait faussement déclaré que la police pakistanaise le recherchait sous de fausses accusations d’enlèvement.

 

[26]           Le demandeur prétend qu’il était déraisonnable que la Commission privilégie le rapport de l’agent plutôt que les affidavits des deux avocats qui l’avaient représenté. Il allègue que le rapport soulève des préoccupations sérieuses et il souligne que ce document n’est pas une déclaration établie sous serment. Premièrement, il note qu’il y a des incohérences, car l’auteur du document parle parfois à la première personne du singulier et, à d’autres occasions, à la première personne du pluriel. Il signale aussi que l’agent a conclu que le mandat d’arrestation était faux, pas que le PRI l’était. Il soutient de plus qu’il ne ressort pas clairement du rapport que l’agent n’a pas mentionné son nom lors de la conversation téléphonique avec la police pakistanaise. Par ailleurs, il allègue qu’il s’agit d’une trop grande coïncidence que le seul PRI déposé le 20 juillet 2002 ait été déposé par lui au sujet d’une sœur inexistante.

 

[27]           Le demandeur allègue par ailleurs que la Commission aurait dû examiner plus en détail son explication quant à la raison pour laquelle la police pakistanaise a pu avoir fourni à l’ASFC des renseignements erronés quand cette dernière a téléphoné pour vérifier le PRI. Il avait fait valoir devant la Commission que, si l’on présumait que la police pakistanaise était véritablement à sa recherche en raison de fausses allégations d’enlèvement, il aurait été dans son intérêt, quand l’ASFC était entré en contact avec elle, de nier l’existence du PRI de manière à forcer le retour du demandeur au Pakistan. Ce dernier soutient qu’il était déraisonnable que la Commission rejette cette explication pour les raisons qu’elle a invoquées.

 

[28]           Le défendeur soutient quant à lui que les conclusions de la Commission étaient raisonnables : cette dernière a pris en considération le rapport de l’agent et les deux affidavits, elle a donné au demandeur une occasion de traiter du rapport de l’agent, elle a entendu l’explication du demandeur, et ses conclusions étaient fondées sur la preuve. Il ajoute que le demandeur conteste l’évaluation que la Commission a faite de la preuve et demande à la Cour de l’évaluer à nouveau. Je suis d’accord avec le défendeur.

 

[29]           Le rôle de la Cour ne consiste pas à évaluer à nouveau la preuve ou à substituer ses opinions à celles de la Commission. Ceci étant dit avec égards, je suis d’avis que les conclusions de la Commission sont raisonnables et étayées par la preuve. La Cour n’interviendra dans l’évaluation que fait la Commission d’éléments de preuve que si ses conclusions reposent sur des constatations de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte de la preuve. Rien ne m’amène à conclure que la Commission a évalué la preuve de façon abusive ou arbitraire. Ses conclusions sont étayées par la preuve et sont raisonnables. Qui plus est, son raisonnement est clair, ses conclusions sont bien expliquées et ces dernières appartiennent aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[30]           Je conviens qu’il aurait été possible en l’espèce d’arriver à une conclusion différente de celle que la Commission a tirée, mais cela n’équivaut pas à conclure que l’analyse de la Commission n’est pas fondée sur la preuve ou que sa conclusion n’est pas justifiable au regard de la preuve. Je considère qu’il n’était pas déraisonnable que la Commission privilégie le rapport établi par l’agent qui avait fait les recherches et qui n’avait aucun intérêt personnel à l’égard des affidavits que le demandeur avait fournis. Je considère aussi que les conclusions de la Commission selon lesquelles l’agent n’a pas donné le nom du demandeur à la police pakistanaise pouvaient être raisonnablement inférées du rapport, quand on lit ce dernier dans son ensemble. En bref, je suis d’avis que la conclusion selon laquelle le PRI et le mandat d’arrestation étaient faux peut être raisonnablement inférée du rapport et que la Commission n’avait aucune raison de mettre en doute la véracité des renseignements contenus dans ce document. Certes, le rapport aurait pu être plus détaillé, mais il est néanmoins concluant et ne renferme que des incohérences très minimes.

 

[31]           Je conclus également que la prétention du demandeur selon laquelle la police pakistanaise a induit l’agent en erreur afin de s’assurer que le demandeur serait renvoyé au Pakistan est, dans le meilleur des cas, de nature conjecturale et non étayée pas une preuve quelconque.

 

[32]           Le demandeur allègue aussi que la Commission a imposé par erreur le fardeau de la preuve au demandeur au paragraphe 13 de ses motifs, où elle indique : « [le demandeur] n’a pas établi de façon crédible que les documents sont authentiques et que l’expertise est erronée ». Le demandeur a raison de dire que c’est au ministre qu’il devrait incomber d’établir l’existence d’une présentation erronée sur un fait important au sens du paragraphe 109(1) de la LIPR (Nur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 636, au paragraphe 21, 150 ACWS (3d) 455; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Gunasingam, 2008 CF 181, au paragraphe 8, 164 ACWS (3d) 847). Mais cela, la Commission l’a reconnu. Au paragraphe 9 de ses motifs, elle écrit : « [i]l incombe au [ministre] de s’acquitter du fardeau de la preuve ».

 

[33]           Quand on lit l’extrait contesté du paragraphe 13 dans son contexte tout entier, il devient évident que la Commission n’a pas déplacé par erreur le fardeau de la preuve vers le demandeur. Plus loin dans ce même paragraphe, elle explique ce qui suit : « [le demandeur] n’a pas présenté une preuve crédible pour réfuter les éléments de preuve du [ministre] » [non souligné dans l’original]. La Commission a simplement indiqué que, compte tenu de la preuve produite par le ministre (c’est‑à-dire, le rapport de l’ASFC sur la validité du PRI et du mandat d’arrestation), le demandeur avait le fardeau tactique d’expliquer pourquoi il fallait faire abstraction de cette preuve ou y accorder peu d’importance.

 

[34]           Le demandeur conteste en outre le fait que la Commission a examiné l’authenticité de ses pièces d’identité. Il soutient que son identité a été prouvée sans l’ombre d’un doute.

 

[35]           Au paragraphe 19 de ses motifs, la Commission indique qu’elle n’allait pas « [poursuivre son] analyse de la question des fausses déclarations importantes liées à l’identité parce que [elle avait] déjà conclu que de fausses déclarations importantes [avaient] été faites à l’égard d’autres questions ». La Commission n’a rien décidé au sujet de la question de l’identité et, cela étant, elle ne peut avoir commis à cet égard une erreur susceptible de contrôle.

 

[36]           Pour tous les motifs qui précèdent, je considère que la conclusion de la Commission selon laquelle la décision initiale ayant accueilli la demande d’asile a été obtenue à la suite de fausses déclarations est raisonnable. Analysons maintenant la seconde question.

 

b)      La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant qu’il n’y avait pas d’autres preuves suffisantes pour qu’il soit justifié d’accorder l’asile?

 

[37]           Le demandeur soutient que la Commission n’a examiné ni le PRI ni le mandat d’arrestation dans sa décision initiale lui accordant l’asile en 2004 et, cela étant, même si ces documents étaient faux, il restait manifestement assez d’éléments de preuve pour justifier l’octroi de l’asile. Il fait remarquer que la Commission n’a mentionné ni le PRI ni le mandat d’arrestation dans ses motifs de 2004 ou au cours de l’audience connexe. Il soutient que la Commission est arrivée à sa décision en se fondant sur la foi de son témoignage, de pair avec la preuve objective sur les conditions dans le pays – deux éléments qui constituent « suffisamment d’éléments de preuve […] pour justifier l’asile », au sens du paragraphe 109 (2) de la LIPR.

 

[38]           Cependant, dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Commission a conclu que si, en 2004, le tribunal avait su que le PRI et le mandat d’arrestation étaient faux, son « évaluation de la crédibilité générale [du demandeur] […] aurait été différente ». Le fait que le demandeur avait produit de faux documents menait à une « conclusion défavorable quant à sa crédibilité générale ». Cette conclusion défavorable a amené essentiellement la Commission à conclure que le témoignage du demandeur à propos de la persécution au Pakistan n’était pas digne de foi et ne pouvait donc pas constituer « suffisamment d’éléments de preuve […] pour justifier l’asile » pour l’application du paragraphe 109(2) de la LIPR.

 

[39]           La Cour reconnaît que lorsqu’un demandeur d’asile a fourni un faux document, le préjudice que cela occasionne pour la crédibilité peut raisonnablement se répercuter sur d’autres aspects de sa demande (Osayande c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 368, au paragraphe 21, 113 ACWS (3d) 492). Dans le contexte du paragraphe 109(2) de la LIPR précisément, la Cour a reconnu qu’il appartient à la Commission de juger de la crédibilité des éléments de preuve résiduels. (Oukacine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1376, au paragraphe 32, 159 ACWS (3d) 569 (Oukacine)).

 

[40]           La Commission a conclu que la prétention du demandeur selon laquelle « la police avait enregistré une affaire sérieuse, mais fausse d’enlèvement » contre lui était un aspect primordial de sa présumée crainte fondée de persécution. En fait, la prétendue fausse accusation et le fait que le demandeur était recherché par les autorités pakistanaises ont joué un rôle important dans la décision qu’a prise le demandeur de quitter le Pakistan; cela ressort clairement de son explication concernant les fausses accusations dans le PRI, de l’entretien qu’il a eu avec des agents de l’immigration au moment d’entrer au Canada, ainsi que du témoignage qu’il a fait à l’audience de 2004.

 

En 2004, la Commission a ajouté foi au récit du demandeur et elle a conclu, essentiellement, que la question déterminante était celle de la protection de l’État. Tout en exprimant l’avis qu’au Pakistan, on bénéficiait en général d’une protection de l’État suffisante et qu’elle « n’avait pas été tout à fait convaincue » par les arguments contraires du demandeur, elle a néanmoins décidé de lui accorder « le bénéfice du doute », surtout « en l’absence de divergences importantes dans son témoignage ». Même si la révélation selon laquelle le PRI et le mandat d’arrestation étaient faux ne constituerait pas une divergence dans le témoignage du demandeur en soi, je conclus néanmoins qu’étant donné que ces documents corroboraient d’importantes allégations du demandeur à propos de la disponibilité d’une protection de l’État, la conclusion selon laquelle ces documents étaient faux met raisonnablement en doute les allégations elles-mêmes et, de façon plus générale, la crédibilité du demandeur.

 

[41]           Le demandeur soutient qu’il n’aurait fallu tirer aucune conclusion défavorable quant à sa crédibilité parce que, même si les documents qu’il avait produits à l’appui de son allégation selon laquelle la police pakistanaise ne le protégerait pas étaient faux, il l’ignorait. Il ajoute que le PRI et le mandat d’arrestation lui avaient été envoyés par son avocat au Pakistan, qui lui avait dit qu’ils étaient légitimes, ainsi qu’en fait foi l’affidavit que cet avocat a fourni. Dans ces circonstances, soutient-il, la fausseté des documents ne peut raisonnablement pas se répercuter sur lui et, cela étant, cela ne devrait pas affecter son témoignage.

 

[42]           La Cour se doit de faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation que fait la Commission de la crédibilité (Oukacine, précitée, au paragraphe 36). Le demandeur demande à la Cour d’admettre que son avocat au Pakistan, unilatéralement, et sans que le demandeur le sache ou y soit mêlé de quelque manière, lui a fourni un faux PRI et un faux mandat d’arrestation qui corroboraient son témoignage par ailleurs valide. Cela paraît invraisemblable. Rien dans le dossier qui m’a été soumis ne donne à penser qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure que le fait d’avoir fourni de faux documents minait la crédibilité du demandeur.

 

[43]           Je suis arrivée à la conclusion que la Commission a rejeté avec raison l’idée que le témoignage du demandeur constituait « suffisamment d’éléments de preuve […] pour justifier l’asile » pour l’application du paragraphe 109(2) de la LIPR. La seule preuve dont disposait le tribunal initial était la preuve objective sur les conditions dans le pays, laquelle faisait état d’une violence sectaire entre les groupes sunnite et chiite. À cet égard, la Commission a indiqué que « la preuve documentaire en soi ne constitue pas une preuve suffisante qui pourrait justifier la décision du tribunal ». La présente Cour a déclaré à maintes reprises que l’existence d’une preuve objective des conditions régnant dans le pays ne suffit pas en soi pour justifier une demande d’asile (Waraich, précitée, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Gunasingam, 2008 CF 181, au paragraphe 18, 164 ACWS (3d) 847; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fouodji, 2005 CF 1327, au paragraphe 20, 149 ACWS (3d) 478). Dans ce contexte, la décision que la Commission a rendue à cet égard était raisonnable.

 

[44]           En fin de compte, je conclus que la décision que la Commission a rendue en vertu du paragraphe 109(2) de la LIPR, à savoir qu’il ne restait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’asile, était raisonnable.

 

[45]           Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7563-10

 

INTITULÉ :                                       KHORAM SHAHZAD ET

                                                            MCI ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 JUILLET 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Blank

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Emilie Tremblay

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Blank

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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