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Date : 20110726

Dossier : IMM‑4746‑10

Référence : 2011 CF 935

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

AI PING RU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie, sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 16 juillet 2010 (la décision contrôlée) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande tendant à faire reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse affirme être une ressortissante de la République populaire de Chine. Elle a été mariée, et elle a donné naissance à un fils en 1996. Son mariage n’était pas heureux. Elle et son mari ont commencé à vivre avec les parents de ce dernier en 2003.

 

[3]               En février 2007, un ami l’a initiée au christianisme et à la Bible et, le 25 mars 2007, elle a commencé à participer aux activités d’une Église domestique clandestine dans sa province d’origine, le Guangdong. Le jour de Noël 2007, la maison‑église où se réunissait ce groupe a fait l’objet d’une rafle du Bureau de la sécurité publique (le BSP). La demanderesse a pu s’enfuir et s’est cachée à partir de ce moment.

 

[4]               Deux jours plus tard, des agents de la BSP se sont présentés chez elle à sa recherche. Ils ont avisé son mari qu’elle devait se constituer prisonnière. Le BSP est revenu chez elle de plus en plus souvent, de sorte que, en fin de compte, elle a décidé de s’enfuir de Chine. Avec l’aide d’un passeur de clandestins qu’elle avait engagé, elle est arrivée au Canada le 8 février 2008.

 

[5]               La demanderesse a comparu devant la SPR les 14 avril et 14 juillet 2010. Elle était représentée par un conseil, et un interprète était présent à l’audience. Dans une décision écrite en date du 16 juillet 2010, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait « pas fourni suffisamment d’éléments de preuve et de documents crédibles prouvant son identité en tant que ressortissante de la Chine, comme elle était tenue de le faire aux termes de l’article 106 de la LIPR et de la règle 7 des Règles de la SPR ». Étant donné l’échec de la demanderesse sur cette question préjudicielle, la SPR a estimé qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si elle était une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. Sa demande d’asile a en conséquence été rejetée, et c’est ce rejet qui forme la décision contrôlée.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

 

[6]               La SPR a rappelé que, aux fins de l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse, il lui incombait, sous le régime de l’article 106 de la Loi et de l’article 7 des Règles, de déterminer si elle était munie de papiers d’identité acceptables et, dans la négative, si elle avait donné une explication raisonnable de leur défaut ou avait pris les mesures voulues pour s’en procurer. La SPR a invoqué la décision Rasheed c. Canada, 2004 CF 587 [Rasheed], au soutien du principe qu’elle doit accepter comme preuve de leur contenu les documents apparemment délivrés par un fonctionnaire étranger compétent, à moins qu’elle n’ait une bonne raison de douter de leur authenticité. La SPR a également cité Sertkaya c. Canada, 2004 CF 734, qui confirme qu’elle a la faculté de prendre en considération l’authenticité des documents et la possibilité pour le demandeur d’asile de s’en procurer de frauduleux. Elle a fait observer que, en l’occurrence, des documents frauduleux de toutes sortes sont à la disposition des demandeurs d’asile chinois.

 

[7]               La question déterminante en la présente espèce est la crédibilité du témoignage oral de la demanderesse, de l’exposé circonstancié donné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), des modifications apportées à cet exposé, et de son dossier d’admission à CIC. La SPR a conclu que les pièces d’identité produites par la demanderesse n’établissaient pas sa qualité de ressortissante chinoise.

 

Les difficultés relatives à la CIR

 

[8]               La SPR a relevé quatre difficultés concernant la carte d’identité de résident (CIR) de la demanderesse. Premièrement, lorsque la demanderesse a demandé une nouvelle CIR au BSP en 2005, elle a produit comme preuve d’adresse un hukou périmé, qui donnait pour son domicile un endroit où elle n’habitait plus depuis 2003 (le hukou est le livret sur lequel se fonde le système chinois d’enregistrement des ménages). La SPR a conclu que la production par la demanderesse de ce hukou non valable justifiait une inférence défavorable sur sa crédibilité. Deuxièmement, la SPR affirme avoir dû guider la demanderesse par des questions pour qu’elle rectifie son témoignage concernant le nombre de CIR qu’on lui avait délivrées et les moments de leur délivrance, ce qui justifiait une inférence défavorable. Troisièmement, la demanderesse a hésité dans sa description de la procédure d’obtention de la CIR, et cette description ne concordait pas avec la preuve documentaire, ce qui a aussi déterminé une inférence défavorable de la SPR. Quatrièmement, fait observer la SPR, la demanderesse ne pouvait se rappeler facilement ou entièrement les renseignements et les dessins figurant sur sa CIR, alors qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’un ressortissant chinois les « connaisse clairement », étant donné que cette carte est nécessaire « pour presque toutes les fonctions en Chine ». La SPR a aussi tiré de ce fait une inférence défavorable. Elle a ajouté que, s’il était vrai que la CIR de la demanderesse paraissait authentique, il était possible de se procurer de fausses CIR.

 

Les difficultés relatives aux hukous

 

[9]               La demanderesse a produit, pour prouver qu’elle résidait en Chine à l’époque pertinente, trois hukous appartenant respectivement à elle‑même, à son mari et à son beau‑père. Selon la preuve documentaire, le BSP exige de tout résident de Chine qu’il fasse mettre son hukou à jour chaque fois qu’il change d’adresse ou que change le nombre des personnes habitant à son adresse. Le conseil de la demanderesse a fait valoir que, en pratique, on ne se conforme pas toujours à cette règle. La SPR a fait observer que l’examen comparatif des pièces produites révélait de « nombreuses incohérences » concernant les adresses et les dates. Elle a accepté l’argument du conseil selon lequel les administrés ne se conforment pas nécessairement à la règle qui les oblige à faire mettre à jour leurs hukous, mais a néanmoins conclu que la demandeure d’asile n’avait pas rempli ses obligations légales touchant les hukous en Chine et que, selon la prépondérance des probabilités, les pièces produites par elle et son témoignage ne constituaient pas des preuves crédibles de sa qualité de résidente de ce pays.

 

[10]           Pour ce qui concerne le propre hukou de la demanderesse, qui formait l’objet principal de son analyse de la question des hukous, la SPR ne lui a accordé aucune valeur probante pour établir que la demanderesse avait résidé en Chine. L’adresse de la demanderesse selon ce hukou était bien la même que celle qui figurait sur sa CIR, mais différait de l’adresse déclarée dans son FRP et à l’audience. La demanderesse a expliqué que le hukou portait son adresse permanente, tandis que l’autre adresse était provisoire : elle n’y avait vécu que quatre ans. La SPR a rejeté cette explication et en a tiré une inférence négative, estimant qu’une adresse où l’on réside durant quatre ans n’a rien de « temporaire » et qu’il était raisonnable de penser que la demanderesse aurait dû produire en preuve un hukou faisant état d’une adresse de quatre années. La demanderesse a aussi produit des baux pour prouver qu’elle avait effectivement habité à cette adresse « temporaire », mais la SPR ne leur a pas attribué de force probante parce qu’ils n’indiquaient pas qui habitait à l’adresse en question ni le but de la location, et parce que les reçus de loyer n’étaient pas numérotés consécutivement. En fin de compte, la SPR a conclu que les hukous produits étaient tous les trois frauduleux en ce qu’ils n’attestaient pas que la demandeure d’asile résidait effectivement en Chine de 1999 à 2008, année de son départ pour le Canada.

 

Le rejet des certificats de mariage et de naissance

 

[11]           La SPR a écarté les certificats produits par la demanderesse comme preuves de son mariage et de la naissance de son fils au motif qu’ils étaient dépourvus des éléments de sécurité qui auraient permis de confirmer leur authenticité et « [a]u vu des problèmes soulevés précédemment quant à la crédibilité de [ladite demanderesse] ». Il est facile de se procurer des documents frauduleux en Chine. La SPR a admis que les renseignements figurant sur le certificat de naissance du fils de la demanderesse « sembl[aient] être exacts », mais ce certificat prouvait seulement selon elle que la demanderesse se trouvait en Chine à la naissance de son fils, et non qu’elle y avait résidé pendant la période pertinente ou qu’elle avait qualité de ressortissante chinoise.

 

Conclusion

 

[12]           L’identité de la demanderesse était la question déterminante. Elle n’a produit ni preuve documentaire digne de foi ni preuve orale crédible établissant qu’elle était une ressortissante chinoise aux moments déclarés dans son FRP et dans son témoignage oral. La SPR a conclu que, comme l’établissement de l’identité est la première étape de la procédure de demande d’asile et que la demanderesse n’avait pas établi la sienne, il n’était pas nécessaire de déterminer si elle craignait avec raison d’être persécutée ou avait qualité de personne à protéger.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[13]           La demanderesse soulève la question suivante : en concluant qu’elle n’avait pas établi sa qualité de ressortissante chinoise, la SPR a‑t‑ elle commis les erreurs consistant à :

 

i.         fonder sa décision sur des éléments de preuve n’ayant qu’un rapport secondaire avec la demande d’asile;

ii.       omettre de prendre en considération les renseignements relatifs à la nationalité de la demanderesse qui étaient en la possession de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC);

iii.      confondre la question de la qualité de ressortissante chinoise de la demanderesse avec la question de la période où elle avait résidé en Chine;

iv.     ne pas apprécier valablement la preuve documentaire de l’identité de la demanderesse;

v.       omettre de prendre dûment en considération des éléments de preuve pertinents tendant à établir cette identité.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

[…]

 

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

[…]

 

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

[15]           Les dispositions suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles), sont aussi applicables à la présente instance :

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

 

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[16]           La Cour suprême du Canada a posé en principe dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse pour déterminer la norme de contrôle qui convient. Lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie, la cour de révision peut l’adopter sans autre examen. C’est seulement lorsque sa recherche dans la jurisprudence se révèle infructueuse qu’elle doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui définissent la norme de contrôle appropriée.

 

[17]           Ce sont les conclusions de fait de la SPR, ses conclusions sur la crédibilité et son appréciation de la preuve qui sont en litige dans la présente demande. Ces questions relèvent de la norme du caractère raisonnable. Voir Elmi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, paragraphes 19 à 21.

 

[18]           La cour qui contrôle une décision suivant la norme du caractère raisonnable doit se rappeler dans son analyse que ce caractère « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigrationc. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision contrôlée se révèle déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            La demanderesse

                        La décision contrôlée se fonde sur des éléments de preuve n’ayant qu’un rapport secondaire avec la demande d’asile

 

[19]           La demanderesse fait valoir que les pièces d’identité qu’elle a produites ne présentaient à première vue absolument aucun signe de fraude et que, de fait, la SPR n’a rien trouvé à redire aux documents physiques mêmes. Les conclusions de la SPR concernant l’identité de la demanderesse se fondaient sur des renseignements accessoires, glanés dans son témoignage et dépourvus de valeur déterminante en ce qui a trait à l’authenticité. La SPR connaissait le principe formulé par la Cour dans Rasheed, précitée, selon lequel les documents étrangers sont présumés valides sauf motif de douter de leur validité.

 

[20]           Dans l’affaire Bouyaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1042 [Bouyaya], la SPR avait invoqué des motifs semblables à ceux de la présente espèce à l’appui de sa conclusion que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité : il était facile de se procurer des documents frauduleux dans son pays d’origine; le demandeur avait donné des récits non concordants de la manière dont il avait obtenu ses pièces d’identité; et certaines de celles‑ci étaient dépourvues d’éléments de sécurité. Or, le juge James O’Reilly a conclu au paragraphe 11 de la décision Bouyaya que, s’il était vrai que la SPR avait « des motifs suffisants pour douter de l’authenticité des documents », il n’y avait aucune preuve que ces derniers étaient frauduleux :

[L]a Commission a commis une erreur quand elle a omis de respecter la présomption selon laquelle les documents d’identité étrangers sont valides. La Commission était en droit de conclure que certains des documents fournissaient une faible preuve de son identité, mais elle n’avait aucun fondement pour rejeter toute la preuve fournie par M. Bouyaya concernant son identité, particulièrement ces éléments qui comportaient la photographie de M. Bouyaya, qui paraissaient réguliers et qui fournissaient une preuve solide de son identité [...]

 

 

[21]           De même, aux paragraphes 18 et 19 de Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 877 [Zheng], la juge Danièle Tremblay‑Lamer a posé en principe que, s’il est vrai que l’appréciation de la preuve relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal saisi, celui‑ci doit s’efforcer « de vérifier l’authenticité [des] documents » :

[L]a Commission a déclaré de façon générale qu’aucun des documents présentés ne comportait d’éléments de sécurité, alors qu’en réalité, ils en avaient sous forme de cachets officiels. Même si ces cachets officiels ne sont peut‑être pas aussi sûrs que d’autres éléments d’authenticité, il était d’autant plus important en l’espèce d’examiner attentivement les documents d’identité présentés, compte tenu de la déclaration faite à l’audience par l’agente de protection des réfugiés, selon laquelle elle n’avait aucune réserve à l’égard de ces documents.

 

 

Certes, la production de documents frauduleux en Chine a de quoi susciter des doutes; toutefois, étant donné l’obligation qu’avait la SPR de tirer ses conclusions relatives à l’identité en se fondant sur la totalité de la preuve y afférente, il n’était pas raisonnable de sa part d’en écarter tous les éléments sans examiner les pièces particulières en question pour établir si elles étaient en fait des faux.

 

La SPR a omis de prendre en considération des éléments d’appréciation objectifs établissant l’identité de la demanderesse

 

[22]           La demanderesse fait en outre valoir que la SPR disposait d’éléments de preuve objectifs provenant de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qui établissaient sa qualité de ressortissante chinoise. Trois de ses parents résident légalement au Canada, et elle a présenté en 1996 une demande d’immigration dans notre pays sous le parrainage de sa mère. Les notes du SSOBL, produites devant la SPR, attestent le fait de ce parrainage et la qualité de ressortissante chinoise de la demanderesse. Cette dernière soutient que, si l’on avait douté à l’époque qu’elle était qui elle affirmait être, ce doute aurait été exprimé dans les notes du SSOBL. Il est vrai que celles‑ci ne suffisaient pas à établir qu’elle résidait en Chine en 2007, mais elles prouvaient sa qualité de ressortissante chinoise.

 

La SPR a confondu la question de l’identité avec celle de la période de résidence en Chine

 

[23]           La demanderesse avance cet autre argument que la SPR s’est concentrée sur l’examen du point de savoir si elle se trouvait en Chine à l’époque pertinente plutôt que de se demander si elle était une ressortissante chinoise. Ce sont là deux questions différentes. Les documents que produit un demandeur d’asile peuvent établir son identité même s’ils ne prouvent pas qu’il se trouvait dans son pays d’origine à un moment déterminé. En outre, de ce que les documents en cause ne prouvent pas ce dernier fait, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’ils sont frauduleux.

 

[24]           Qui plus est, si la SPR voulait établir que la demanderesse ne résidait pas en Chine au moment des événements allégués auxquels elle attribue sa crainte de persécution, il lui aurait été loisible d’essayer de le faire et d’invoquer des éléments de preuve au dossier à l’appui de cette conclusion relative à la crédibilité. Cependant, une telle conclusion exigeait un examen au fond de la demande d’asile de la demanderesse, examen que la SPR n’a pas effectué.

 

[25]           Les conclusions de la SPR sur la période de résidence ne justifient pas son refus de reconnaître à la demanderesse la qualité de ressortissante chinoise.

 

La SPR n’a pas valablement apprécié les documents d’identité

 

[26]           La demanderesse soutient subsidiairement que, quand bien même la SPR n’aurait pas commis les erreurs exposées ci‑dessus, il resterait qu’elle s’est trompée dans son appréciation des pièces d’identité.

[27]           Les doutes de la SPR concernant la CIR reposaient sur une preuve [traduction] « purement circonstancielle » et n’étayent pas la conclusion que cette carte est un faux. La SPR a insisté sur le fait que l’adresse inscrite sur la CIR était périmée. La demanderesse répond qu’il n’est pas important que l’adresse figurant sur la CIR soit actuelle. Cette déclaration se trouve corroborée par la preuve documentaire, selon laquelle la personne qui déménage pendant la période de validité de sa CIR n’est pas tenue de faire modifier celle‑ci.

 

[28]           La demanderesse soutient de plus que la SPR a mal interprété son témoignage pour ce qui concerne sa capacité à se rappeler les renseignements figurant sur sa CIR. Elle n’a pas dit qu’elle ne s’en souvenait pas. Elle a en un premier temps répondu que la carte portait sa photographie et son adresse et, quand on lui a demandé s’il y avait d’autres éléments au recto, elle a d’abord répondu qu’elle n’arrivait pas à s’en souvenir, pour immédiatement ajouter : l’adresse, la date et la photographie. On lui a ensuite demandé quelle était cette date, et elle a répondu : [traduction] « ma date de naissance, et aussi mon numéro d’identité ».

 

[29]           Quant à la différence entre son lieu de résidence effectif et l’adresse inscrite dans son hukou, la demanderesse fait valoir que la preuve documentaire confirme son explication selon laquelle une telle différence n’a rien d’inhabituel en Chine. La demanderesse s’interroge aussi sur le fait que la SPR n’ait pas ajouté foi à son explication de la non‑actualisation de son hukou, alors qu’elle avait déjà accepté l’argument du conseil selon lequel, en pratique, les ressortissants chinois ne font pas nécessairement mettre ce document à jour quand ils changent d’adresse. La conclusion défavorable tirée par la SPR sur la crédibilité de la demanderesse paraît vouloir la pénaliser de n’avoir pas fait mettre à jour son hukou, alors qu’aucun élément ne tend à établir que ce soit là en Chine une infraction grave ou punissable d’une quelconque sanction. La SPR a agi de manière déraisonnable en tirant de cette omission une inférence défavorable sur la crédibilité de la demanderesse.

 

[30]           La demanderesse soutient aussi que la SPR a commis une erreur en écartant comme non valables le certificat de mariage et le certificat de naissance simplement parce qu’ils étaient dépourvus d’éléments de sécurité et qu’elle avait déjà attribué un caractère frauduleux à d’autres documents d’identité. L’inexpérience de la SPR dans l’évaluation de l’authenticité des certificats de mariage et de naissance ne l’autorise pas en soi à conclure que ceux produits par la demanderesse sont des faux. Dans Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84 [Lin], la juge Carolyn Layden‑Stevenson a conclu qu’il incombe à la SPR de déterminer l’authenticité de tous les documents tendant à établir l’identité du demandeur même après avoir conclu à la nature frauduleuse de la CIR, ce qu’elle n’a pas fait dans la présente espèce.

 

[31]           La demanderesse soutient en outre que la SPR a commis une erreur en écartant le bail et les reçus de loyer parce que, même si ces documents indiquent que son mari a loué l’appartement en question de 2003 à 2010, ils ne précisent pas le but de la location ni ne désignent nommément les corésidents du locataire, et que les dates des reçus ne se suivent pas dans l’ordre. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que de tels documents spécifient nécessairement le but de la location et les noms des résidents; la preuve documentaire n’offre aucun fondement à cette exigence. De plus, en tirant une conclusion défavorable de l’ordre des reçus, la SPR présume de manière déraisonnable qu’on les a délivrés à partir d’un seul carnet dont on aurait détaché les formules dans leur ordre consécutif. Ces conclusions se fondent sur de pures conjectures.  

 

[32]           La demanderesse fait enfin valoir qu’elle a produit des éléments établissant son lieu de résidence permanent (dont elle était propriétaire) et son lieu de résidence provisoire (que son mari louait) : elle voit mal ce qu’elle aurait pu présenter de plus comme preuve de résidence.

 

Le défendeur

            La demanderesse n’a pas établi son identité

 

[33]           Le défendeur rappelle que la demanderesse supportait la charge d’établir son identité au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi. La SPR a examiné chacun des documents d’identité de la demanderesse, aussi bien physiquement qu’en fonction des explications proposées de leurs défauts de concordance. Elle n’était pas tenue d’accepter ces explications de la demanderesse. Voir Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 581, paragraphe 8. La conclusion de la SPR que ces documents ne prouvaient pas l’identité de la demanderesse et que le témoignage de celle‑ci n’était pas crédible se fondait sur la preuve. L’expertise de la SPR en matière d’évaluation de la crédibilité est un principe bien établi dans la jurisprudence de la Cour. Même si elle reconnaît la plausibilité de telle ou telle explication prise isolément, la SPR a le droit de fonder ses conclusions relatives à la crédibilité sur le poids cumulé de l’ensemble des explications. Voir Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, paragraphe 23. La demanderesse invite en fait la Cour à apprécier à nouveau la preuve.

 

[34]           Aucun des documents produits ne corroborait les renseignements relatifs à la résidence qui figuraient dans le FRP de la demanderesse, et aucun non plus n’établissait qu’elle se trouvait en Chine au moment de la rafle dans la maison‑église qui l’aurait amenée à s’enfuir de ce pays. Toutefois, contrairement aux affirmations de la demanderesse, ce n’est pas sur cette base que la SPR a conclu au caractère frauduleux des documents. La SPR a conclu que ceux‑ci étaient des faux au motif que la demanderesse s’était révélée mal connaître la procédure d’obtention de la CIR, document nécessaire « pour presque toutes les fonctions en Chine ». Cette conclusion s’est trouvée confortée par le fait que les trois hukous ne corroboraient pas les renseignements de la CIR. La demanderesse faisait bonne impression à l’audience et a neuf années de scolarisation. Il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle ait pu rendre compte avec exactitude et clarté de la manière dont elle avait obtenu sa CIR et du contenu de celle‑ci.

 

[35]           La SPR s’est légitimement fondée sur la preuve documentaire selon laquelle les citoyens chinois ont l’obligation de tenir le hukou à jour, et la demanderesse n’a pu donner d’explication satisfaisante du fait qu’elle n’ait pas rempli cette obligation.

 

[36]           Le défendeur fait observer que la SPR n’a pas tiré ses conclusions relatives aux certificats de mariage et de naissance isolément du contexte, mais en tenant compte aussi des autres documents, dont elle avait conclu au caractère frauduleux, et du manque de crédibilité de la demanderesse. Même dans l’hypothèse où la SPR reconnaîtrait la validité de ces certificats, la décision contrôlée en resterait inchangée, puisqu’ils n’établissent pas que la demanderesse était une ressortissante chinoise au moment de sa fuite en 2008. La SPR avait le droit de conclure à la non‑crédibilité de la demanderesse en se fondant sur les contradictions et défauts de concordance de sa version des faits, et entre cette version et la preuve documentaire, ainsi que sur l’absence de plausibilité de son témoignage. Voir Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 112 N.R. 61, [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.).

 

[37]           La demanderesse fait valoir que la Commission a omis de prendre en considération les notes du SSOBL de CIC. Or, le fait qu’une personne portant le nom de la demanderesse ait été parrainée par sa famille au Canada en 1996 ne prouve pas de manière concluante que ladite demanderesse avait qualité de ressortissante chinoise à l’époque pertinente.

 

[38]           La demanderesse n’a pas démontré le caractère déraisonnable des inférences défavorables de la SPR sur sa crédibilité. Il ne suffit pas que la demanderesse propose une autre inférence ou un autre raisonnement possibles : elle doit citer une conclusion de la SPR non étayée par la preuve, ce qu’elle n’a pas fait.

 

ANALYSE

 

[39]           La question qui est au cœur de la présente demande est celle de savoir s’il est permis d’écarter des documents authentiques à première vue en raison des contradictions ou du défaut de plausibilité dont sont entachées les déclarations du demandeur quant à la manière dont il les a obtenus.

 

[40]           Essentiellement, la SPR écarte des documents importants produits par la demanderesse – carte d’identité de résident (CIR), hukous, certificat de mariage et certificat de naissance – soit en raison d’inférences défavorables qu’elle tire de la version donnée par cette dernière des faits y afférents, soit, dans le cas des certificats de mariage et de naissance, au motif de l’absence de dispositif de sécurité.

 

[41]           Les doutes de la SPR sur les documents d’identité étaient déterminés par sa constatation (incontestée) qu’il est facile de se procurer des pièces frauduleuses en Chine.

 

[42]           Comme la SPR le reconnaît, la décision Rasheed, précitée, rappelle la présomption de validité des documents étrangers; la SPR n’a le droit de mettre leur validité en doute que si elle a un motif valable de le faire. Dans la présente espèce, la SPR a conclu que le récit donné par la demanderesse de la manière dont elle s’était procuré les documents d’identité, leurs défauts de concordance avec d’autres pièces et l’absence d’éléments de sécurité constituaient des motifs valables de nier l’authenticité de ces documents.

 

[43]           La SPR a formulé une série de conclusions défavorables sur la crédibilité de la demanderesse, fondées sur la connaissance lacunaire que manifestait celle‑ci du contenu de la CIR et des modalités de sa délivrance :

 

a.       La demanderesse n’avait pas habité depuis 2003 à l’adresse figurant sur sa CIR et elle n’avait produit aucun document à jour propre à confirmer qu’elle résidait en Chine au moment de sa fuite supposée.

b.      La demanderesse n’avait pas témoigné spontanément au sujet du nombre de CIR qui lui avaient été délivrées : ses déclarations n’avaient pris forme qu’en réponse aux questions de la SPR.

c.       La demanderesse avait hésité dans ses déclarations concernant la démarche qu’elle avait suivie pour obtenir la CIR produite devant la SPR. Elle avait décrit cette procédure de manière inexacte et non sans que la SPR ait dû la guider par ses questions. En outre, son témoignage à ce sujet ne concordait pas avec la preuve documentaire dont disposait la SPR.

d.      La demanderesse s’était montrée incapable de se rappeler les renseignements figurant au recto de sa CIR et les dessins du verso. La SPR a tiré une inférence défavorable de cette ignorance au motif que l’on exige en Chine la production de la CIR dans le cadre de presque toutes les activités.

 

[44]           Dans la présente espèce, la SPR, conformément à l’article 106 de la Loi et à l’article 7 des Règles, a pris en considération les explications données par la demanderesse du fait que l’adresse de sa CIR et les hukous produits ne concordaient pas avec ses autres éléments de preuve. Cependant, la SPR a décidé de se fonder sur la preuve objective selon laquelle les résidents de Chine doivent aviser le BSP des modifications de leurs hukous. La demanderesse affirme avoir obtenu une CIR en 1996 ou 1997. Elle a obtenu sa CIR suivante en 2005 et, entre‑temps, le lieu de sa résidence et la situation de son ménage avaient changé. Cependant, elle a omis de faire en sorte que le hukou qu’elle a utilisé pour obtenir sa CIR en 2005 rende compte de ces changements et elle n’a pu fournir d’explication satisfaisante de cette omission. En outre, le hukou du beau‑père de la demanderesse, avec qui celle‑ci affirme avoir habité à partir de 2003, ne confirme pas qu’elle ait effectivement habité avec lui de 2003 jusqu’au moment où elle serait entrée dans la clandestinité en 2007.

 

[45]           La SPR a formulé une autre série de conclusions défavorables sur la crédibilité de la demanderesse, fondées cette fois sur les aspects suivants de son témoignage concernant les trois hukous produits en preuve :

a.       La demanderesse a produit seulement un hukou à son propre nom, délivré le 12 juillet 1999. Les résidents qui y sont inscrits sont elle‑même et son fils. On y trouve une note selon laquelle celui‑ci est allé vivre chez son grand‑père (le beau‑père de la demanderesse) à partir de novembre 1999. Cependant, le hukou du beau‑père de la demanderesse n’indique pas que le fils de cette dernière habitait effectivement chez lui.

b.      La demanderesse a déclaré dans son témoignage que l’adresse inscrite dans son hukou était une adresse permanente et que son lieu de résidence de 2003 à 2007 était provisoire. Cette explication n’a pas convaincu la SPR, au motif que la demanderesse avait vécu à cette adresse durant quatre années, d’où il suivait que celle‑ci n’avait rien de provisoire.

c.       À la première séance de l’audience de la SPR, la demanderesse n’a pas produit de documents confirmant qu’elle ait résidé dans un appartement de location. À la seconde séance, elle a produit des reçus de loyer et une copie du bail, selon lequel son mari louait l’appartement. Elle n’a pas produit de hukou énumérant les personnes qui résidaient à cette adresse.

d.      La demanderesse a ensuite déclaré que ses beaux‑parents habitaient à l’appartement de location, mais l’adresse inscrite dans le hukou du beau‑père de la demanderesse ne correspond pas à celle qui figure dans le bail et sur les reçus de loyer.

e.       Le hukou du mari de la demanderesse ne le présente pas comme résidant à la même adresse qu’elle et leur fils. Le conseil de la demanderesse a produit des documents selon lesquels les conjoints vivant à la même adresse pouvaient avoir des hukous distincts, l’un qualifié de rural et l’autre d’urbain. La SPR a cependant décidé de se fonder plutôt sur la preuve documentaire selon laquelle les citoyens chinois ont l’obligation de signaler à la police des hukous tout changement d’adresse et toute modification – qu’il s’agisse d’une arrivée ou d’un départ – de la liste de leurs corésidents.

 

[46]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur donnant lieu à révision en [traduction] « fondant ses conclusions relatives à l’identité sur des renseignements constituant une preuve circonstancielle ne permettant pas de conclure à l’authenticité des documents produits devant elle, alors que ces documents ne présentaient à première vue absolument aucun signe de falsification ».

 

[47]           Il est évidemment de droit constant que l’évaluation du poids à accorder à des documents relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal qui apprécie la preuve. Voir par exemple le paragraphe 18 de Zheng, précitée.

 

[48]           La lecture de la décision ici contrôlée m’amène à penser que, dans son travail d’évaluation, la SPR a presque entièrement omis de tenir compte de l’authenticité apparente des documents. Les seules pièces dont elle ait mis l’authenticité en doute sur la base d’un examen à première vue sont le certificat de mariage et le certificat de naissance, auxquels elle reproche d’être dépourvus d’éléments de sécurité.

 

[49]           Selon mon propre examen du certificat de mariage, sa traduction en anglais dit que l’original porte en fait un sceau ou cachet officiel. De même, le certificat de naissance paraît lui aussi marqué d’un cachet officiel. Or, ainsi que le fait remarquer la juge Tremblay‑Lamer aux paragraphes 18 et 19 de Zheng, précitée, les cachets officiels sont reconnus comme éléments de sécurité :

Il est vrai que l’évaluation du poids à accorder à des documents relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal qui apprécie la preuve (Aleshkina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 589, [2002] A.C.F. no 784 (QL), au paragraphe 13), mais à mon avis, la Commission n’a fait aucun effort en vue de vérifier l’authenticité de ces autres documents (Lin, précitée, au paragraphe 12). Plus particulièrement, la Commission a déclaré de façon générale qu’aucun des documents présentés ne comportait d’éléments de sécurité, alors qu’en réalité, ils en avaient sous forme de cachets officiels. Même si ces cachets officiels ne sont peut‑être pas aussi sûrs que d’autres éléments d’authenticité, il était d’autant plus important en l’espèce d’examiner attentivement les documents d’identité présentés, compte tenu de la déclaration faite à l’audience par l’agente de protection des réfugiés, selon laquelle elle n’avait aucune réserve à l’égard de ces documents.

 

Certes, la fabrication de documents frauduleux en Chine est préoccupante. Cependant, comme il incombe à la Commission de tirer ses conclusions relatives à l’identité en tenant compte de l’ensemble de la preuve quant à l’identité, il ne lui était pas raisonnable de rejeter tous les éléments de preuve relatifs à l’identité sans examiner ces documents pour vérifier s’ils étaient réellement frauduleux.

 

 

[50]           Pour ce qui concerne la CIR et les hukous produits par la demanderesse, la SPR admet qu’ils paraissent à première vue authentiques : « La CIR soumise en preuve ne semble pas frauduleuse, mais d’après la documentation dont dispose le tribunal, il est possible d’obtenir frauduleusement des CIR. »

 

[51]           La présente espèce offre à mon avis de nombreuses ressemblances avec l’affaire ayant donné lieu à la décision Bouyaya, précitée, aux paragraphes 10 et 11 de laquelle le juge O’Reilly formulait les conclusions suivantes :

Cette preuve donnait à la Commission des motifs suffisants pour douter de l’authenticité des documents fournis par M. Bouyaya. Toutefois, la Commission n’était saisie d’aucune preuve qui établissait réellement que les pièces d’identité étaient fausses. Bien au contraire. Par exemple, la carte d’identité nationale de M. Bouyaya était en tous points identique à la description officielle. Et pourtant, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait accorder que [traduction] « peu de fiabilité » aux documents de M. Bouyaya.

 

À mon avis, la Commission a commis une erreur quand elle a omis de respecter la présomption selon laquelle les documents d’identité étrangers sont valides. La Commission était en droit de conclure que certains des documents fournissaient une faible preuve de son identité, mais elle n’avait aucun fondement pour rejeter toute la preuve fournie par M. Bouyaya concernant son identité, particulièrement ces éléments qui comportaient la photographie de M. Bouyaya, qui paraissaient réguliers et qui fournissaient une preuve solide de son identité [...]

 

[52]           En outre, dans la présente espèce, la SPR a entièrement omis de tenir compte des éléments de sécurité que comportent les certificats de mariage et de naissance sous la forme de cachets officiels.

 

[53]           La SPR a déclaré frauduleux les principaux documents d’identité produits par la demanderesse, non pas du fait de doutes que lui aurait inspirés leur apparence, mais en raison d’incohérences contextuelles et parce qu’elle estimait que le récit donné par la demanderesse des démarches par lesquelles elle les avait obtenus ne cadrait pas avec sa propre interprétation de la preuve objective expliquant comment on se procure habituellement de telles pièces. Les conclusions défavorables relatives à la crédibilité sur lesquelles la SPR se fonde pour écarter entièrement des documents à première vue authentiques se révèlent parfois douteuses. Par exemple, la SPR voit une raison de se méfier de la demanderesse dans le fait que l’adresse inscrite dans son hukou diffère de celle de son lieu de résidence effectif. Or, la demanderesse a expliqué qu’elle avait habité à une adresse différente de celle de son hukou et que cela n’avait rien d’inhabituel en Chine. On peut lire à ce sujet ce qui suit au paragraphe 7.2 du document 3.7 du Dossier sur des questions d’intérêt national :

À l’exception du hukou des personnes qui effectuent leur service militaire, le hukou est délivré par le BSP du lieu d’enregistrement permanent du hukou (consulat général du Canada à Hong‑Kong 9 déc. 2004) qui, quelquefois, n’est pas le lieu de résidence (Wang 9 janv. 2005).

 

Ce passage étaye solidement la position de la demanderesse, mais la SPR n’en a tenu aucun compte.

 

[54]           Je pense aussi comme la demanderesse que la SPR a commis des erreurs donnant lieu à révision dans son appréciation des documents pris un à un. Je peux certes comprendre la méfiance de la SPR, étant donné le récit donné par la demanderesse de la manière dont elle a obtenu sa CIR. Mais l’un des hukous, la CIR et le FRP portent tous que la demanderesse a habité au 8 de la rue Jiang. Autrement dit, on constate une cohérence là où la SPR semble croire qu’il n’y en a pas, ce qui jette le doute sur sa conclusion qu’il convient de n’attribuer aucune valeur probante aux documents dans la mesure où qu’ils tendent à établir le lieu de résidence de la demanderesse. En outre, je suis d’accord pour dire que la SPR rend dans la décision contrôlée un compte erroné de ce qu’elle a dû souffler à la demanderesse touchant le contenu de sa CIR. La demanderesse ne se rappelait pas tout, mais elle a pu citer un bon nombre des caractéristiques importantes de sa carte.

 

[55]           Pour ce qui concerne la question des adresses, la SPR disposait d’éléments de preuve objectifs qui étayaient les déclarations de la demanderesse expliquant pourquoi elle ne résidait pas à l’adresse inscrite dans son hukou. La SPR a même reconnu qu’il arrive parfois en Chine, dans les faits, que le lieu de résidence effectif ne soit pas celui qui est indiqué dans le hukou. Quelle que soit la loi, les gens ne l’appliquent pas nécessairement. Ces éléments de preuve conféraient de la plausibilité à la version de la demanderesse, et pourtant la SPR paraît n’en avoir tenu aucun compte dans l’évaluation de sa crédibilité et de l’authenticité de son hukou.

 

[56]           Pour ce qui est du certificat de mariage, la SPR ne lui a accordé aucune valeur probante parce que, selon elle, il était dépourvu d’éléments de sécurité, et en raison « des problèmes soulevés précédemment quant à la crédibilité de la demandeure d’asile ». Cette conclusion se fonde sur une erreur de fait fondamentale, puisque le certificat de mariage comporte en réalité un élément de sécurité, sous la forme d’un cachet officiel. De plus, la SPR n’a pas évalué ce certificat en soi, invoquant les conclusions défavorables sur la crédibilité qu’elle avait déjà tirées à propos de la CIR et du hukou. Or, cette démarche est irrégulière, comme le fait observer la juge Layden‑Stevenson au paragraphe 12 de l’arrêt Lin, précité :

Le fait que la première CR a été considérée comme un faux document ne signifie pas nécessairement que la deuxième CR, le certificat de naissance de l’enfant, le certificat d’études et la fiche de ménage le sont également. Comme il a été mentionné précédemment, la SPR a rejeté tous les documents produits au motif que la CR était un faux document et qu’il était facile d’obtenir de faux documents en Chine. Rien n’a été fait pour vérifier l’authenticité des autres documents.

 

[57]           Dans la présente espèce, la SPR n’a rien fait pour évaluer l’authenticité du certificat de mariage.

 

[58]           La SPR commet la même erreur de fait relativement au certificat de naissance du fils de la demanderesse lorsqu’elle déclare qu’« [i]l n’y a aucun dispositif de sécurité sur le certificat de naissance permettant de valider son authenticité ». En effet, le certificat de naissance porte lui aussi un cachet officiel, lequel est à tout le moins une indication d’authenticité. La SPR rejette ensuite ce certificat comme élément portant à croire que la demanderesse aurait qualité de résidente et/ou de ressortissante de Chine, au motif que, « [é]tant donné le manque de crédibilité et les incohérences relevées dans la documentation, aucun élément de preuve valide soumis ne démontre que la demandeure d’asile était une résidente de la Chine au moment où elle le prétend ni qu’elle est une citoyenne de la Chine ». On voit donc que la SPR écarte aussi le certificat de naissance en se fondant sur ses conclusions relatives à d’autres documents. Elle n’évalue pas ce certificat en soi, bien qu’elle ait reconnu que « [l]es renseignements [y] figurant [...] semblent être exacts ».

 

[59]           Il y a aussi lieu de mettre en question l’usage que fait la SPR du bail et des reçus de loyer produits. Ses conclusions à ce propos sont entièrement fondées sur des conjectures. Aucun élément de la preuve ne donnait à penser qu’il fallait écarter ces documents au motif que le bail ne précisait pas le but de la location ni qui habiterait dans l’appartement, pas plus qu’on ne trouve de fondement probatoire au rejet des reçus de loyer motivé par le caractère non consécutif de leur ordre. La SPR ne peut fonder de conclusions sur des conjectures. Voir G.U. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 58, paragraphe 29. Le bail et les reçus de loyer sont des éléments de preuve tendant à établir que la demanderesse a bien habité où elle dit avoir habité. Ici encore, ces documents n’ont pas valeur concluante, mais la SPR ne pouvait omettre entièrement d’en tenir compte et aurait dû les intégrer dans le processus d’évaluation qu’elle a déclaré à bon droit nécessaire dans la présente affaire.

 

[60]           La SPR laisse en outre entièrement de côté les documents, qu’elle a elle‑même versés au dossier, concernant la demande antérieure de parrainage de la demanderesse. La décision contrôlée ne fait pas mention des notes du SSOBL. Or, ces notes et les documents relatifs au parrainage sont pertinents parce qu’ils font état du nom et de l’identité de la demanderesse, et désignent comme mère et sœur de cette dernière les mêmes personnes qu’elle a désignées comme telles dans sa demande d’asile. La SPR n’était pas tenue d’accepter ces éléments comme une preuve concluante d’identité, mais elle avait l’obligation d’en tenir compte.

 

[61]           Pour conclure, j’estime que la SPR a commis plusieurs erreurs donnant lieu à révision dans la décision contrôlée. Les éléments de sécurité que comportent le certificat de mariage et le certificat de naissance lui ont complètement échappé. De plus, dans son évaluation de l’authenticité de la CIR et du hukou et du poids à leur accorder, elle a aussi entièrement laissé de côté le fait que ces documents paraissent authentiques. La SPR semble en outre avoir tiré ses conclusions défavorables sur la crédibilité en négligeant le passage de la documentation objective qui explique que le lieu d’enregistrement permanent du hukou n’est pas toujours le lieu de résidence.

[62]           La demanderesse a porté d’autres questions devant la Cour, mais je n’estime pas nécessaire de les examiner, ayant conclu que la SPR a commis une erreur donnant lieu à révision sur la question fondamentale des documents d’identité.

 

[63]           Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour conclut dans le même sens.


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision contrôlée est annulée, et l’affaire est renvoyée à la SPR pour réexamen par une autre formation.

 

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4746‑10

 

INTITULÉ :                                                   AI PING RU

                                                                       

                                                                        et

                                                                       

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT  

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 26 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elise Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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