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Date : 20110728


Dossier : IMM-6826-10

Référence : 2011 CF 955

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

KOBIKRISHNA KANAGASINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Kanagasingam est un jeune homme tamoul du nord du Sri Lanka. Il est venu au Canada afin de demander l’asile sur le fondement de sa race, de son opinion politique et de son appartenance à un groupe social en particulier. Il craint les forces de sécurité sri lankaises et tous les groupes militaires et paramilitaires qui travaillent en collaboration avec elles.

 

[2]               Le membre de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) ayant instruit sa demande l’a rejeté pour les quatre motifs suivants :

a.       il n’a pas démontré qu’il avait été pris pour cible à titre de personne d’intérêt particulier ou de quelque intérêt que ce soit pour l’armée ou la police sri lankaise;

b.      il n’a pas démontré qu’il avait une crainte subjective de persécution puisque son long voyage au Canada comprenait des haltes dans quatre pays, dont les États‑Unis;

c.       suivant la défaite des TLET (Tamil Tigers), et compte tenu de l’amélioration de la sécurité dans le nord du Sri Lanka, il ne devrait pas être considéré comme étant exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté, comme c’était peut-être le cas par le passé;

d.      même s’il était déconseillé de retourner dans le nord du Sri Lanka, il existe une possibilité de refuge intérieur pour lui à Colombo.

La présente espèce porte sur la demande de contrôle judiciaire de cette décision. Il n’est pas nécessaire de déterminer si tous les quatre motifs sont raisonnables. Il suffit de n’en examiner qu’un seul.

 

Les faits

 

[3]               Monsieur Kanagasingam est enseignant dans le domaine de la technologie informatique. Il vient de Jaffna, dans le nord. Il s’est fait connaître de l’armée pour la première fois en février 2007 à la suite d’un attentat à la bombe. Lui et plusieurs autres jeunes hommes tamouls ont été arrêtés, mais il a été libéré deux jours plus tard après avoir été interrogé, giflé et bousculé.

 

[4]               Le deuxième incident est survenu en septembre 2007, lorsque de jeunes hommes tamouls ont été arrêtés. Le demandeur a été interrogé et agressé, mais libéré le lendemain.

 

[5]               En juin 2008, le demandeur a été arrêté chez lui et accusé d’avoir participé à des activités des Tamil Tigers. Il a été livré au Parti démocratique populaire de l’Eelam (l’EPDP), le groupe militaire qui l’a battu mais qui l’a libéré deux jours plus tard après avoir payé un pot-de-vin. On lui a également dit de quitter la région.

 

[6]               C’est effectivement ce que le demandeur a fait. Il s’est enfui à Colombo. Il a été arrêté par la police sri lankaise en janvier 2009 et libéré sur paiement d’un autre pot-de-vin. Deux mois plus tard, il a quitté le Sri Lanka et il est arrivé au Canada après un voyage de six mois.

 

[7]               Il est à noter que le membre a conclu que M. Kanagasingam était crédible en général, mais qu’il a donné des renseignements vagues concernant certains événements, dont des exemples ont été donnés.

 

La norme de contrôle

 

[8]               La seule question en l’espèce est celle de savoir si la décision du membre était raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). Au paragraphe 52 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, monsieur le juge Binnie a repris la mise en garde formulée dans l’arrêt Dunsmuir :

Suivant l’arrêt Dunsmuir, « [l]orsqu’elles s’acquittent de leurs fonctions constitutionnelles de contrôle judiciaire, les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité non seulement de maintenir la primauté du droit, mais également d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur » (par. 27).

 

 

[9]               Il a continué aux paragraphes 59 et 60 :

 [59] La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[60] Compte tenu de la déférence considérable due à la SAI et de la portée étendue du pouvoir discrétionnaire conféré par la LIPR, je crois que rien ne permettait à la Cour d’appel fédérale d’annuler le refus de la SAI de prendre des mesures spéciales en l’espèce.

 

Analyse

 

[10]           L’avocat de M. Kanagasingam soutient que son client n’était pas tenu de démontrer qu’il avait été pris pour cible à titre de personne d’intérêt particulier, ou de quelque intérêt que ce soit, pour les autorités. Il s’appuie sur l’arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250, [1990] A.C.F. no 454 (QL), de la Cour d’appel fédérale. Cet arrêt établit qu’un demandeur d’asile n’est pas tenu de démontrer qu’il a été lui-même persécuté ou serait lui‑même persécuté à l’avenir, dans la mesure où des actes répréhensibles ont été commis, ou étaient susceptibles d’être commis, à l’égard des membres d’un groupe auquel il appartenait.

 

[11]           Bien que cette affirmation soit indubitablement vraie, en l’espèce, elle a été supplantée par la conclusion précise du membre selon laquelle les événements vécus par M. Kanagasingam au Sri Lanka démontrent, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’était pas et ne serait pas personnellement ciblé.

 

[12]           Selon le membre, le fait que le demandeur a été en mesure de soudoyer les autorités pour sortir de détention laisse supposer qu’il n’était pas une personne d’intérêt pour les forces de sécurité. Il se peut très bien que les policiers corrompus libèrent une personne en échange d’un pot-de-vin, malgré les soupçons à son égard, et qu’ils l’arrêtent de nouveau par la suite (Eledchumanasamy c. Canada (MCI), 87 ACWS (3d) 533, [1999] A.C.F. no 378 (QL)). Il est également fort possible qu’une série d’arrestations puisse, en soi, constituer de la persécution. En revanche, le demandeur n’était peut-être pas une personne d’intérêt, et les pots‑de‑vin n’étaient peut‑être que des pots-de-vin.

 

[13]           Le membre était peut-être fondé à penser que M. Kanagasingam serait considérablement en danger s’il devait retourner au Sri Lanka, mais on m’a demandé d’apprécier à nouveau les conditions du pays. Au paragraphe 14 de la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, [1998] A.C.F. no 1425, le juge Evans a affirmé ce qui suit :

Il est bien établi que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n’autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l’espèce à celle de la Commission, qui a l’avantage non seulement de voir et d’entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l’allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d’enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l’intervention de la Cour en vertu de l’alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu’elle en est venue à cette conclusion « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » : voir, par exemple, Rajapakse c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993] A.C.F. no 649 (C.F. 1re inst.); Sivasamboo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.).

 

 

[14]           Lord Wright a aussi tenu des propos empreints de sagesse aux pages 213 et 214 de la décision Grant c. Australian Knitting Mills,Ltd., [1935] ALL ER Rep 209 (CJCP), [1935] UKPC 2 :

[traduction]

Cependant, cet élément ne rend justice ni au raisonnement par inférence probable, qui intervient fréquemment dans les affaires en matière de droit de la personne, ni à la nature de la preuve indirecte dans les tribunaux judiciaires. Une démonstration mathématique ou purement logique est généralement impossible : en pratique, on exige des jurys qu’ils agissent selon la prépondérance raisonnable des probabilités, tout comme le ferait un homme raisonnable pour prendre une décision dans une situation sérieuse. Les éléments de preuve, insuffisants lorsque présentés individuellement, peuvent constituer un tout significatif lorsqu’ils sont mis ensemble et justifier une conclusion par leur effet combiné […]

 

[15]           Je dois me demander si la décision du membre appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, précité, paragraphe 47). À mon avis, la réponse est oui.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6826-10

 

INTITULÉ :                                       KANAGASINGAM  c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 juillet 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Viken G. Artinian

 

POUR LE DEMANDEUR

Charles Junior Jean

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allan et associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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