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Date : 20110728

Dossier : IMM‑5917‑10

Référence : 2011 CF 958

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

CHONG LI SHU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie, sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 9 septembre 2010 (la décision contrôlée) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande visant à faire reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine. Il a commencé en juin 2007 à participer aux activités d’une maison‑église non enregistrée. En octobre 2007 et une autre fois le 13 décembre de la même année, il a distribué avec d’autres membres de sa maison‑église des tracts promouvant la foi chrétienne dans les boîtes aux lettres de maisons d’habitation. Ceux‑ci formaient des groupes de trois ou quatre, chaque groupe étant chargé d’un secteur déterminé.

 

[3]               La distribution d’octobre s’est faite sans incident, mais, au cours de celle de décembre, deux membres d’un groupe de trois ont été arrêtés par le Bureau de la sécurité publique (BSP), à qui ils ont par la suite révélé l’identité de tous les adhérents de leur maison‑église. Le demandeur est alors entré dans la clandestinité.

 

[4]               Des agents du BSP se seraient présentés chez lui environ une dizaine de fois pour l’arrêter. Ils ont fouillé le logement où il habitait avec ses parents et ils ont avisé son père des accusations qui pesaient sur lui, soit celles d’avoir adhéré à une organisation religieuse interdite et d’avoir distribué des tracts religieux illégaux afin de pervertir les esprits.

 

[5]               Le demandeur s’est enfui au Canada, où il est arrivé le 14 avril 2008. Il soutient que le BSP continue de le rechercher, que des agents de cet organisme se sont présentés trois fois chez lui depuis son départ pour le Canada et que les deux membres de sa maison‑église arrêtés sont encore détenus.

 

[6]               Il a comparu devant la SPR le 4 août 2010. Il était représenté par un conseil, et un interprète était présent à l’audience. Par décision écrite, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, ayant conclu qu’il n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

            Les doutes sur la crédibilité du demandeur

 

[7]               La SPR a relevé deux aspects de la preuve du demandeur qui l’incitaient à douter de sa crédibilité. Le premier aspect concerne la délivrance d’un mandat d’arrestation, et le deuxième le fait que le BSP n’ait pas interrogé le père du demandeur au sujet de sa propre participation aux activités chrétiennes.

 

[8]               Le demandeur a déclaré que son père ne l’avait pas informé qu’un mandat d’arrestation ou une assignation avait été lancé contre lui. La SPR n’a pas jugé cette affirmation crédible. Elle a rappelé que, aux dires du demandeur, le BSP continuait de s’intéresser à lui. Si cela était vrai, selon la SPR, les agents du BSP auraient vraisemblablement laissé un mandat d’arrestation dressé contre lui aux soins de ses parents au cours de l’une de leurs treize visites. Selon la preuve documentaire, « en Chine, les policiers laissent très souvent les assignations auprès de membres de la famille [...] en les avisant de remettre l’assignation à la personne dont le nom est inscrit sur cette dernière »; ce n’est pas la procédure régulière, « mais cela se produit tout le temps, notamment lorsque la personne visée par l’assignation est difficile à trouver ».

 

[9]               Le demandeur a aussi déclaré qu’il n’avait jamais été question dans ses conversations avec son père d’un quelconque interrogatoire que ce dernier aurait subi sur sa propre participation aux activités de la maison‑église non enregistrée. La SPR a conclu qu’il était peu vraisemblable que la police n’ait pas interrogé le père à ce sujet. Étant donné que le BSP, aux dires du demandeur, avait arrêté deux membres de sa maison‑église pour distribution de tracts chrétiens, et l’avait accusé d’en avoir distribué lui‑même et d’avoir perverti les esprits, il était raisonnable de penser qu’il chercherait à savoir si les membres de la famille du demandeur étaient eux aussi des chrétiens. Toujours selon la SPR, il était également raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur sache si le BSP avait ou non posé de telles questions, puisqu’il avait été en communication avec son père au sujet des visites du BSP et du sort de ses coreligionnaires arrêtés.

 

[10]           La SPR a apprécié la preuve du demandeur en fonction de la preuve documentaire et a conclu que cette dernière avait moins de poids. Selon la preuve documentaire, les groupes chrétiens, bien qu’ils ne soient pas protégés par la loi, continuent d’augmenter en nombre et se font de plus en plus connaître. En fait, la plupart n’opèrent plus dans la stricte clandestinité, et exercent des activités publiques et caritatives.

 

La preuve documentaire

 

[11]           La SPR a examiné la preuve documentaire relative aux persécutions religieuses en Chine. Elle a conclu de cet examen que, s’il arrive effectivement que les maisons‑églises soient persécutées dans ce pays, « cette persécution n’est pas généralisée ».

 

[12]           La SPR note que l’on compte en Chine de 50 à 70 millions de chrétiens appartenant à des églises protestantes non reconnues par l’État. On constate des écarts notables dans le traitement des maisons‑églises d’une région à l’autre du pays. À certains endroits, en particulier dans de petites villes et des zones rurales, des maisons‑églises non enregistrées comptant chacune des centaines de membres se réunissent ouvertement au vu et au su des autorités locales, tandis qu’ailleurs, ceux qui participent à des assemblées de telles églises réunissant plus qu’une poignée de parents et d’amis risquent l’emprisonnement et les violences policières.

 

[13]           De « nombreuses » sources rapportent que les autorités interrompent régulièrement les offices des maisons‑églises, sous prétexte que les fidèles dérangent leurs voisins, troublent l’ordre public ou pratiquent un « culte du mal ». On lit cependant dans l’une des sources qu’il est permis de tenir des assemblées religieuses entre parents et amis sans devoir s’enregistrer auprès des autorités. Ce fait était confirmé par une autre source, qui portait que la loi oblige à enregistrer auprès de l’État les rassemblements de plus de 40 personnes.

 

[14]           La SPR a aussi examiné la preuve documentaire concernant les persécutions religieuses dans la province où habitait le demandeur, soit le Guangdong. Elle conclut de cet examen qu’« aucun renseignement convaincant ne laisse croire [que la persécution religieuse y] touche des groupes similaires [à celui du demandeur] ». Elle reconnaît la China Aid Association (CAA) comme étant « une source importante de comptes rendus à jour et de descriptions détaillées du harcèlement et de la répression touchant les maisons‑églises protestantes en Chine ». Selon la CAA, les principales cibles de la persécution sont les dirigeants des maisons‑églises, les églises de cette nature opérant dans les régions urbaines, les publications chrétiennes, ainsi que les missionnaires et autres chrétiens étrangers qui vivent et travaillent en Chine. La SPR reconnaît que, selon le président de la CAA, « [c]ertaines formes de répression échappent à [l’attention de cette organisation], dont les avertissements, les amendes et le harcèlement ».

 

[15]           La SPR conclut que, si les arrestations en question s’étaient produites au Guangdong (comme l’affirme le demandeur), elles seraient considérées comme si graves qu’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que non seulement la CAA les signale, mais aussi les « nombreuses sources différentes qui s’efforcent de renseigner le monde entier sur la répression religieuse en Chine ». Or le seul incident signalé pour le Guangdong s’est produit en 2008 : il s’agissait d’une descente à l’église Liangren. Le pasteur de cette communauté a depuis intenté une action administrative, dont le tribunal a accepté le dépôt. On ne rapporte la survenue d’aucun autre incident au Guangdong. Par conséquent, la SPR conclut qu’« aucun autre élément convaincant [de la preuve produite] ne permet d’établir que les protestants faisant partie d’églises non enregistrées font l’objet de persécution dans la province du Guangdong ».

 

[16]           La SPR se dit consciente « des limites liées au fait que le nombre de cas de persécution déclarés est probablement bien inférieur à la réalité, étant donné la censure des communications », et consciente aussi de la possibilité « que les commentateurs n’aient pas accès à tous les renseignements pertinents ». Cependant, comme on a connaissance d’un nombre élevé de cas précis de persécution religieuse de divers degrés de gravité dans des régions beaucoup plus éloignées que le Guangdong, il lui semblait raisonnable d’exiger du demandeur qu’il produise des éléments propres à la convaincre que des personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne sont emprisonnées ou font l’objet d’autres formes de persécution dans cette province. Comme le demandeur n’a pas présenté de tels éléments et que la preuve documentaire donnait à penser le contraire, la SPR a conclu, suivant la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’avait pas été arrêté pour avoir distribué des tracts et que les autorités ne le recherchaient pas.

 

[17]           La SPR a conclu que le demandeur est un chrétien, qui serait en mesure de pratiquer sa religion au Guangdong s’il y retournait. Elle a donc rejeté sa demande d’asile.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           Le demandeur soulève un certain nombre de questions qui peuvent se résumer ainsi :

i.         les conclusions de la SPR concernant sa crédibilité sont‑elles entachées d’erreur?

ii.       la SPR a‑t‑elle commis des erreurs en omettant de prendre en compte des éléments de preuve pertinents, en se fondant sur des éléments de preuve non pertinents, en interprétant mal la preuve et en tirant des conclusions de fait erronées?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[20]           La Cour suprême du Canada a posé en principe dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse exhaustive pour déterminer la norme de contrôle applicable. Lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie, la cour de révision peut l’adopter sans autre examen. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse qu’elle doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs permettant d’arrêter la norme de contrôle appropriée.

 

[21]           L’évaluation de la crédibilité aussi bien que le traitement de la preuve appartiennent au domaine d’expertise de la SPR et, à ce titre, commandent la retenue judiciaire. Ces aspects de la décision sont donc susceptibles de contrôle suivant la norme de la raisonnabilité. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.); Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, paragraphe 14; Dunsmuir, précité, paragraphes 51 et 53; et Ched c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1338, paragraphe 11.

[22]           La cour qui contrôle une décision suivant la norme de la raisonnabilité doit prendre en compte dans son appréciation que le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigrationc. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision contrôlée se révèle déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            Le demandeur

Les doutes sur la crédibilité découlant du fait que le BSP n’a pas délivré de mandat d’arrestation sont injustifiés

 

[23]           Le demandeur rappelle que la Réponse à une demande d’information (RDI) CHN42444.EF contient les renseignements suivants. Un attaché supérieur de recherches de l’Open Society Institute a déclaré que les autorités chinoises délivrent presque toujours un mandat d’arrestation à la personne qu’il vise (plutôt qu’à un membre de sa famille). Cette opinion est corroborée par un professeur de droit de l’Université de Washington. Cependant, selon un représentant de Human Rights in China (HRIC), il arrive « très souvent » que les autorités remettent le mandat d’arrestation à un membre de la famille de la personne visée en lui enjoignant de le remettre à cette dernière, bien que ce ne soit pas là « la procédure adéquate ».

 

[24]           Le demandeur soutient que la SPR aurait dû fonder sa décision sur la preuve corroborée et non sur les autres éléments non confirmés. Elle a commis une erreur en écartant la preuve corroborée, lui préférant la preuve défavorable au demandeur. Comme la Cour le fait observer au paragraphe 28 de Mui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1020, « on ne peut, au détriment de l’intéressé, retenir certaines preuves et en rejeter d’autres ». Il est vrai qu’il faut présumer que la SPR a pris en considération la totalité de la preuve, mais il faut aussi se rappeler les remarques formulées par le juge Yves de Montigny aux paragraphes 33 et 34 de Saraci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005  CF 175 :

 

[...] plus la preuve qui n’est pas expressément mentionnée et analysée est importante, plus il est probable qu’une cour de révision tire de l’omission d’avoir mentionné cette preuve la conclusion qu’on l’a écartée [...]

 

La lecture attentive de la décision du tribunal révèle que celui‑ci a écarté de nombreux aspects du témoignage du demandeur ou n’en a pas tenu compte. Il est également troublant de constater que la Commission a omis de formuler des observations concernant des éléments de preuve matériels importants ou pertinents.

 

 

[25]           Le témoignage sous serment du demandeur est présumé véridique, sauf motif de douter de sa véridicité. Voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 C.F. 302, [1979] A.C.F. no 248 (QL) [C.A.F.].

 

Les doutes sur la crédibilité découlant du fait que le BSP n’a pas interrogé le père du demandeur au sujet de sa propre participation à des activités chrétiennes sont injustifiés

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il n’était pas raisonnable que la SPR s’attende à ce que le BSP interroge son père sur la participation de leur famille à des activités chrétiennes. Selon la preuve du demandeur, ses coreligionnaires arrêtés en décembre avaient révélé au BSP les noms des autres membres de l’église clandestine. Par conséquent, fait valoir le demandeur, les agents du BSP n’avaient aucune raison d’interroger son père, puisqu’ils connaissaient déjà l’identité de tous les autres membres du groupe.

 

[27]           Lorsque la SPR conclut à l’absence de crédibilité en se fondant sur des inférences, la preuve doit contenir des éléments qui les étayent. Voir Frimpong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 183, [1989] A.C.F. no 441 (QL) [C.A.F.].

 

La SPR a commis une erreur dans le traitement de la preuve documentaire

 

[28]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur dans le traitement de la preuve documentaire pour les raisons suivantes.

 

[29]           Depuis 1999, la Chine est considérée par le Département d’État américain comme un [traduction] « pays particulièrement préoccupant » selon les termes de l’International Religious Freedom Act (loi américaine sur la liberté de religion dans le monde), en raison de [traduction] « graves violations à la liberté de religion ».

 

[30]           La SPR, quand elle évoque la plus grande liberté dont jouiraient les chrétiens chinois, omet de prendre en compte la lutte que se livrent les membres du mouvement des maisons‑églises et l’État. La CAA a publié en 2010 un rapport indiquant que les membres des maisons‑églises chrétiennes peuvent prêcher l’Évangile et exercer leurs autres activités en public, mais que cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas persécutés quand ils le font. Il est abusif de prétendre le contraire. En outre, comme on l’a vu plus haut, les publications chrétiennes comptent parmi les quatre principales cibles de l’État. Or le demandeur a été accusé de distribuer des publications chrétiennes, ce qui le rend particulièrement vulnérable.

 

[31]           Pour ce qui concerne l’intensité de la persécution dans la province d’origine du demandeur, le Guangdong, la SPR [traduction] « se méprend complètement » sur les faits, comme le montrent les documents de la CAA. Le demandeur formule les observations suivantes à ce sujet :

 

[traduction] Il est acquis que les statistiques les plus récentes pour le Guangdong font état de 8 cas, concernant plus de 300 personnes. De plus, le Guangdong est la seule région visée dans l’ensemble du Sud de la Chine. Tous les incidents de persécution signalés en Chine méridionale se sont produits au Guangdong, ce qui fait de cette province un foyer de persécution. Le Guangdong se classe au troisième ou au quatrième rang, dans l’ensemble de la Chine, pour le nombre des cas de persécution [...] La [SPR] reconnaît que le demandeur est chrétien, mais se dit d’avis qu’il n’a rien à craindre puisqu’il vit au Guangdong, où les protestants seraient selon elle bien traités. Elle a mal interprété la preuve documentaire. Le Guangdong est l’une des régions de la Chine où les chrétiens sont le plus persécutés [...] Comme le tribunal le fait lui‑même remarquer, ces données publiées sur les persécutions pourraient bien ne représenter que la partie émergée de l’iceberg, étant donné le contrôle étroit que l’État exerce sur les médias.

 

 

[32]           Le demandeur rappelle en outre que les autorités chinoises ont ordonné en décembre 2008 qu’une descente soit effectuée à l’église Liangren, une maison‑église du Guangdong, et ont accusé ses membres d’avoir organisé une assemblée illégale. Il est donc évident que, contrairement aux conclusions de la SPR, les chrétiens tels que le demandeur sont durement persécutés non seulement sur le territoire chinois en général, mais aussi au Guangdong.

 

Le défendeur

            Les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité sont raisonnables

 

[33]           Le défendeur s’appuie sur la jurisprudence de la Cour étayant l’idée que les organismes décisionnels tels que la SPR sont le mieux placés pour évaluer la crédibilité et la plausibilité, sur la base de la preuve et du sens commun, et pour tirer les inférences nécessaires. Voir l’arrêt Aguebor, précité, page 316.

[34]           Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR sur la crédibilité ont un fondement solide dans la preuve. La SPR a examiné la preuve documentaire, ainsi que la déclaration du demandeur selon laquelle les agents de la force publique se sont présentés treize fois au domicile de sa famille. Se fondant sur ces éléments de preuve, elle a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les agents du BSP remettent un mandat d’arrestation ou une assignation à la famille du demandeur. La SPR n’a pas dit qu’on pouvait s’attendre à ce que le BSP décerne et signifie des mandats d’arrêt visant les membres de la famille du demandeur. Les observations de la SPR à ce propos s’accordent entièrement avec la preuve documentaire invoquée par le demandeur, où l’on peut lire qu’il arrive « très souvent » aux agents du BSP de remettre un mandat aux membres de la famille de la personne visée.

 

[35]           En outre, il était raisonnable de la part de la SPR de penser que, dans le cadre de leur enquête, les agents du BSP auraient cherché à savoir si d’autres membres de la famille étaient chrétiens, et que le demandeur et son père en auraient ensuite parlé. L’argument du demandeur selon lequel le BSP savait exactement qui appartenait à la communauté chrétienne et par conséquent n’avait pas besoin de poser de telles questions ne s’accorde pas avec le sens commun ni la raison.

 

Le traitement de la preuve par la SPR était raisonnable

 

[36]           Aucun élément du dossier ne donne à penser que la SPR n’a pas pris en considération la totalité de la preuve produite devant elle. Les organismes décisionnels administratifs comme la SPR ont le pouvoir de décider du poids à donner aux éléments de preuve, et ils sont présumés l’avoir appréciée et prise en considération dans sa totalité, jusqu’à réfutation de cette présomption. Voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) [QL]. Le défendeur soutient que le demandeur, en l’occurrence, n’a pas réfuté ladite présomption. En outre, la SPR a le droit de préférer la preuve documentaire à celle du demandeur. Voir Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 49 A.C.W.S. (3d) 558, [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) [QL].

 

Le demandeur a mal compris les statistiques de la CAA

 

[37]           Le défendeur soutient que la SPR a agi raisonnablement en concluant à l’absence d’éléments propres à la convaincre que les églises clandestines semblables à celle à laquelle appartient le demandeur font l’objet de persécution. Le demandeur a mal compris les statistiques de la CAA pour 2010 auxquelles il s’est référé, lesquelles concernent la fréquence des cas de persécution religieuse au Guangdong.

 

[38]           Ces statistiques ne contredisent pas les conclusions de la SPR. Elles établissent sans ambiguïté à zéro le nombre d’arrestations pour – vraisemblablement – l’année de publication (c’est‑à‑dire 2010) et à zéro aussi le nombre d’arrestations de l’année précédente. De plus, sous la rubrique [traduction] « nombre total d’incidents de persécution » on recense 8 cas pour 2010 et 1 cas pour l’année précédente. Quant au [traduction] « nombre total de personnes persécutées », les statistiques le donnent pour inférieur à 300, c’est‑à‑dire – vraisemblablement – moins de 300 pour l’ensemble de la période recensée.

 

[39]           Tout bien considéré, le demandeur est en fait en désaccord avec la conclusion de la SPR, conclusion qu’il était manifestement permis à celle‑ci de tirer de la preuve dont elle disposait. Par conséquent, cette thèse ne peut justifier l’intervention de la Cour.

 

ANALYSE

 

[40]           La SPR conclut que le demandeur ne s’est pas acquitté de la charge de prouver la persécution, ni de celle de prouver qu’il serait personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque d’être soumis à la torture, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, s’il retournait en République populaire de Chine.

 

[41]           La décision contrôlée se fonde sur « plusieurs problèmes de crédibilité », et le demandeur soutient que les motifs et conclusions de la SPR sont déraisonnables.

 

L’absence de mandat d’arrestation ou d’assignation

 

[42]           La SPR a tiré la conclusion suivante :

S’il est vrai que les autorités ont arrêté deux membres de la maison‑église et continuent de demander des renseignements sur le demandeur d’asile, il serait raisonnable de s’attendre, compte tenu de la preuve documentaire, à ce que les autorités aient laissé un mandat d’arrestation ou une citation à comparaître à un membre de la famille du demandeur d’asile.

 

Le demandeur soutient que la SPR a retenu arbitrairement certains éléments de preuve plutôt que d’autres pour en tirer cette conclusion et qu’elle [traduction] « aurait dû fonder sa décision sur la preuve prédominante et corroborée, plutôt que sur l’autre opinion non confirmée ». Il fait valoir subsidiairement que la SPR [traduction] « était tenue à tout le moins de prendre en considération la première opinion, corroborée et plus digne de foi, et d’expliquer pourquoi elle lui préférait la seconde ».

 

[43]           On peut lire ce qui suit à ce sujet dans la Réponse à une demande d’information (RDI) sur laquelle la SPR s’est fondée :

 

Information indiquant si les assignations sont données à des personnes ou à des ménages

 

Selon de l’information fournie à la Direction des recherches le 10 décembre 1998 par un attaché supérieur de recherches de l’Institut pour une société ouverte (Open Society Institute), une assignation serait presque toujours délivrée à la personne concernée au lieu du ménage ou d’un membre de la famille. Le professeur de droit de l’université de Washington a corroboré cette information dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, soulignant qu’il n’était pas au courant de modifications apportées à cette pratique en date d’avril 2004 (22 avr. 2004).

 

 

[44]           Il est donc évident que la SPR a effectivement choisi de se fonder sur la partie de la RDI qui étayait une certaine conclusion, plutôt que de se référer à l’ensemble de la preuve pertinente et d’expliquer pourquoi elle retenait de préférence l’opinion du représentant de HRIC à New York.

 

Les activités religieuses de la famille du demandeur

 

[45]           La SPR expose au paragraphe 6 de la décision contrôlée un autre des motifs qu’elle estimait avoir de douter de la crédibilité du demandeur :

Le tribunal s’est renseigné auprès du demandeur d’asile pour savoir si les autorités avaient demandé à son père s’il avait lui‑même participé aux activités de l’église non enregistrée. Le demandeur d’asile a répondu que son père ne lui en avait rien dit lorsqu’il lui avait parlé. S’il est vrai que les autorités ont arrêté deux coreligionnaires qui distribuaient des prospectus faisant la promotion de la foi chrétienne et que le demandeur d’asile est accusé d’avoir cherché à pervertir l’esprit des gens en distribuant des prospectus religieux illégaux, il serait raisonnable de s’attendre à ce que des agents se soient renseignés sur les membres de sa famille et aient cherché à déterminer s’ils adhéraient à la foi chrétienne. Il serait aussi raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile sache si les autorités ont cherché à obtenir ces renseignements, puisque son père l’a informé que des visites avaient eu lieu et lui a dit ce qu’il savait sur les membres de la maison‑église qui avaient été mis en détention.

 

 

[46]           Le demandeur soutient que ce point de vue est déraisonnable puisqu’il avait bien précisé dans son FRP que [traduction] « les agents du BSP [avaient] aussi dit que deux des membres du groupe avaient été arrêtés et avaient révélé ce qu’ils savaient de la participation des autres membres ». Il s’ensuit que [traduction] « le BSP a identifié avec précision tous les membres du groupe » et qu’il sait que « le père n’est pas l’un d’eux, de sorte qu’il n’y a pas lieu de lui demander s’il est mêlé à l’affaire ».

 

[47]           À mon sens, la conclusion de la SPR sur ce point est déraisonnable. Elle est fondée sur des conjectures et n’est pas réellement étayée par la preuve. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas déclaré que son père n’avait pas été interrogé mais plutôt, comme la SPR le dit elle‑même dans la décision contrôlée, que « son père ne lui en avait rien dit lorsqu’il lui avait parlé ». On peut imaginer de nombreuses raisons pour lesquelles le père n’aurait pas parlé de ce sujet au téléphone avec son fils qui s’était réfugié au Canada. Or la SPR n’a pas examiné cette question plus avant et s’en est plutôt remise à des conjectures. Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hamdar, 2006 CF 290, paragraphe 41.

 

[48]           Vu le contexte, toute inférence défavorable tirée du silence du père du demandeur me paraît déraisonnable.

 

La preuve documentaire

 

[49]           Le troisième motif invoqué par la SPR pour mettre en doute la crédibilité du demandeur est la preuve documentaire selon laquelle les groupes religieux non enregistrés continuent de se développer et n’exercent plus leurs activités dans une stricte clandestinité.

 

[50]           Le fait que les groupes religieux non enregistrés continuent de se développer et n’exercent plus leurs activités dans une stricte clandestinité ne signifie pas qu’ils soient exempts de persécution. Par conséquent, c’est là un fondement extrêmement précaire pour mettre en question la crédibilité du demandeur en ce qui concerne ce qui lui est arrivé à lui et à son église.

 

[51]           La SPR omet aussi de prendre en compte le fait que le demandeur n’a pas déclaré être recherché par le BSP pour avoir pratiqué sa religion dans une maison‑église : son exposé circonstancié porte en effet qu’il avait distribué des tracts critiquant sévèrement l’église d’État. La SPR n’explique pas en quoi la preuve documentaire sur laquelle elle s’appuie se rapporte aux activités précises du demandeur en Chine dont les conséquences l’ont obligé à s’enfuir au Canada.

 

[52]           La conclusion de la SPR se fonde sur tous les facteurs qui avaient été susmentionnés :

Compte tenu de tout ce qui précède et selon la prépondérance des probabilités, le tribunal estime que le demandeur d’asile n’était pas recherché pour s’être joint à un groupe religieux illégal ou pour avoir distribué des prospectus religieux illégaux et que les autorités ne s’intéressent pas à son cas.

 

 

[53]           Cette conclusion est déraisonnable et doit être infirmée, au motif qu’elle se fonde sur un usage sélectif de la preuve, sur des hypothèses et des conjectures, ainsi que sur un raisonnement défectueux touchant le point de savoir si les églises non enregistrées sont la cible de persécution.

 

[54]           Pour ce qui concerne son usage de la documentation générale, la SPR paraît encore une fois négliger le contenu précis des allégations du demandeur, à savoir qu’il est recherché par le BSP non pour avoir seulement fréquenté une petite maison‑église, mais pour avoir distribué des tracts contestant énergiquement le point de vue de l’État chinois sur les questions religieuses. La SPR disposait d’éléments de preuve selon lesquels l’État chinois utilise diverses formes de persécution pour [traduction] « empêcher la circulation des écrits dissidents » (rapport du Département d’État américain sur les droits de la personne, 2009, page 11), et comme quoi les dirigeants locaux chinois paraissent recourir de plus en plus aux [traduction] « traitements psychiatriques forcés pour faire taire les critiques » (rapport du Service de contrôle des frontières du Royaume‑Uni, janvier 2010, paragraphe 12.10). Le demandeur dit avoir distribué des écrits contestant vigoureusement le point de vue de l’État sur les questions religieuses. Dans son examen de la documentation générale sur la persécution religieuse, la SPR n’évalue pas la crainte de persécution alléguée par le demandeur et les risques visés à l’article 97 en fonction de la cause, celle‑ci ne retenant que ce qui concerne l’attitude des autorités à l’égard des activités des maisons‑églises.

 

[55]           À mon avis, ces erreurs dont la décision contrôlée est entachée la rendent déraisonnable, de sorte que l’affaire doit être renvoyée à la SPR pour réexamen.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision contrôlée est annulée, et l’affaire est renvoyée à la SPR pour réexamen par une formation différemment constituée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5917‑10

 

INTITULÉ :                                                   CHONG LI SHU

                                                                        et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 2 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT  

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marina Stefanovic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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