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Date : 20110727

Dossier : IMM-5323-10

Référence : 2011 CF 942

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

LIAN BO JIANG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à une décision rendue en date du 3 août 2010. La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a alors décidé que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour fausse déclaration et que rien ne justifiait la prise de mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Chine. En décembre 2001, elle a épousé un citoyen canadien en Chine. Il s’agissait de son deuxième mariage. La demanderesse a une fille d’âge adulte, née de son premier mariage, qui réside avec elle au Canada. Elle a aussi un fils, né en Chine de son deuxième mariage en novembre 2002, qui réside avec elle et sa fille au Canada. L’identité du père du fils, qui est contestée, est le sujet de la fausse déclaration en cause en l’espèce.

 

[3]               En janvier 2002, le mari canadien de la demanderesse a déposé une demande afin d’être autorisé à la parrainer à titre de membre de la catégorie « regroupement familial ». La fille de la demanderesse a été inscrite dans la demande à titre de personne à charge qui l’accompagnait.

 

[4]               La demanderesse prétend qu’elle a été violée en février 2002. Elle n’a rien dit de l’incident au répondant ni à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC); elle l’a révélé plus tard, lors d’une enquête tenue en 2007. La demanderesse a découvert qu’elle était enceinte en mars ou en avril 2002.

 

[5]               La demande de parrainage a été accueillie et la demanderesse et sa fille ont obtenu le droit d’établissement en avril 2003. Comme la demanderesse avait prétendu que son fils était le fils biologique du répondant, un citoyen canadien, l’enfant a pu immigrer au Canada en qualité de citoyen canadien, avec sa mère et sa demi‑sœur.

 

[6]               En mai 2003, le répondant a prélevé lui‑même des échantillons (devant aucun témoin) et a pris des dispositions pour qu’un test de paternité soit effectué. Ce test a démontré qu’il n’était pas le père biologique du fils de la demanderesse. La relation entre lui et la demanderesse s’est dégradée et le couple a divorcé en avril 2004.

 

[7]               La demanderesse a rencontré CIC le 15 juin 2006. CIC a demandé les résultats de l’analyse d’ADN confirmant la filiation de l’enfant. Le répondant a remis à CIC les résultats du test de paternité ainsi qu’un affidavit dans lequel il affirmait ne pas être le père.

 

[8]               La Section de l’immigration (la SI) a tenu des enquêtes en mai, en septembre et en novembre 2007. Des mesures de renvoi ont été prises contre l’appelante et sa fille en avril 2008, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Ces mesures de renvoi étaient fondées sur la conclusion selon laquelle la demanderesse avait intentionnellement fait une fausse déclaration en affirmant que le répondant était le père de son fils et sur la conclusion selon laquelle la fille avait fait indirectement la même fausse déclaration.

 

[9]               La demanderesse et sa fille ont interjeté appel des mesures de renvoi prises contre elle en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi. Les appels de la demanderesse et de sa fille ont été entendus ensemble, à quatre dates différentes entre août 2009 et juin 2010. L’appel de la fille a été accueilli, mais celui de la demanderesse a été rejeté. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[10]           La SAI n’a pas jugé crédible le témoignage de la demanderesse à l’audience concernant les faits entourant la conception de son fils. Bien qu’elle ait témoigné sans se faire prier au sujet de certains faits, elle semblait « à la fois ambivalente et résolument fermée à l’idée de confirmer l’identité du père de [son fils] » et ses réponses aux questions concernant cette identité n’étaient pas satisfaisantes. Elle a fait valoir que la SAI ne devait pas s’appuyer sur la preuve génétique produite par le répondant, mais elle a refusé de se soumettre à une analyse d’ADN. Dans les circonstances, la SAI a conclu que les résultats de l’analyse d’ADN établissaient de manière fiable que le répondant n’était pas le père biologique.

 

[11]           La SAI a reconnu que les fausses déclarations et le fait de retenir des renseignements importants compromettent l’intégrité du processus d’immigration. La demanderesse avait l’obligation, pendant tout le traitement de la demande de son époux, de répondre véridiquement à toutes les questions qui lui étaient posées afin de démontrer qu’elle et les membres de sa famille satisfaisaient aux exigences de la Loi et d’informer un agent de tout changement relatif à un fait important influant sur la délivrance d’un visa de résident permanent, conformément à l’article 51 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227. En ne révélant pas aux agents d’immigration qu’elle avait été violée et que son fils pouvait être né de ce viol, elle a fait une fausse déclaration concernant l’identité du père de son fils et elle a fait obstacle à toute enquête plus poussée.

 

[12]           La SAI a résumé la situation dans les termes suivants :

 

La mère appelante a déclaré qu’elle n’avait pas menti ou fait de fausses déclarations concernant la paternité de [son fils] pour être admise au Canada. Toutefois, son témoignage et sa façon d’agir pendant toute la période portent à croire que [le répondant] n’est pas le père. Un défaut crucial dans l’appel de la mère appelante est qu’elle n’a pratiquement rien fait pour confirmer la paternité de [son fils] alors que c’était là le motif du refus. Des mesures raisonnables auraient pu être prises pour confirmer que [le répondant] était le père […] ou en avoir le cœur net. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, le tribunal conclut que la mère appelante savait que les faits ne concordaient pas avec la paternité [du répondant], qu’elle a fermé les yeux délibérément sur la possibilité qu’il y ait un autre père et qu’elle n’a pas mentionné ces autres possibilités pour qu’elle‑même et sa fille obtiennent un statut au Canada et que Kevin soit admis en qualité de citoyen canadien.

 

 

[13]           La SAI a reconnu que l’appel doit être accueilli lorsqu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Elle a reconnu également que la demanderesse avait peu de liens familiaux et de liens avec la collectivité au Canada, qu’elle avait de la famille immédiate et une maison en Chine et qu’elle était préoccupée par le fait qu’elle aurait de la difficulté à trouver du travail en Chine. En ce qui concerne l’enfant, celui‑ci a passé la plus grande partie de sa vie au Canada. Il n’a aucun rapport avec le deuxième mari de sa mère, mais il a la possibilité de demeurer au Canada avec sa sœur. Il apprend le chinois et, bien qu’il puisse rencontrer des difficultés s’il retourne en Chine, celles‑ci ne sont pas suffisamment graves pour justifier la prise de mesures spéciales à l’égard de sa mère. La SAI a conclu que le renvoi de sa mère en Chine n’irait pas à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[14]           Ayant examiné la preuve et les observations des parties, la SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que son appel justifiait la prise de mesures spéciales en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi. Elle a donc rejeté l’appel. Par ailleurs, la SAI a conclu que la fille de la demanderesse avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son appel justifiait la prise de mesures spéciales et elle l’a accueilli.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[15]           La demanderesse soulève la question suivante :

La SAI a-t-elle commis une erreur en déterminant que la demanderesse avait fait une fausse déclaration importante?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES

 

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Obligation du demandeur

 

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

[…]

 

Fausses déclarations

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

 

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile;

 

 

 

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

 

 

[…]

Inadmissibilité familiale

 

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

 

[…]

Droit d’appel : mesure de renvoi

 

63. (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

 

Fondement de l’appel

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

Obligation — answer truthfully

 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

[…]

 

Misrepresentation

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

 

(c) on a final determination to vacate a decision to allow the claim for refugee protection by the permanent resident or the foreign national; or

 

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

 

[…]

Inadmissible family member

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

[…]

 

Right to appeal — removal order

63. (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

Appeal allowed

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 


[17]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce :

Contrôle : résident permanent

 

 

51. L’étranger titulaire d’un visa de résident permanent qui cherche à devenir un résident permanent doit, lors du contrôle :

 

 

a) le cas échéant, faire part à l’agent de ce qui suit :

 

(i) il est devenu un époux ou conjoint de fait ou il a cessé d’être un époux, un conjoint de fait ou un partenaire conjugal après la délivrance du visa,

 

(ii) tout fait important influant sur la délivrance du visa qui a changé depuis la délivrance ou n’a pas été révélé au moment de celle-ci;

 

 

b) établir que lui et les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement.

 

Examination — permanent residents

 

51. A foreign national who holds a permanent resident visa and is seeking to become a permanent resident must, at the time of their examination,

 

(a) inform the officer if

 

 

(i) the foreign national has become a spouse or common-law partner or has ceased to be a spouse, common-law partner or conjugal partner after the visa was issued, or

(ii) material facts relevant to the issuance of the visa have changed since the visa was issued or were not divulged when it was issued; and

 

(b) establish that they and their family members, whether accompanying or not, meet the requirements of the Act and these Regulations.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[18]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle vaine que la cour de révision doit examiner les quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[19]           La juge Judith Snider, de la Cour, a statué dans Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452 (Bellido), au paragraphe 27, qu’une personne est interdite de territoire en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi si les deux éléments suivants existent : cette personne a fait de fausses déclarations et ces fausses déclarations étaient importantes de sorte qu’elles auraient pu entraîner une erreur dans lapplication de la LIPR. La juge Snider a déterminé que la norme de contrôle applicable à ces éléments était le caractère manifestement déraisonnable et le caractère raisonnable simpliciter, respectivement. À la lumière de Dunsmuir, précité, c’est la norme de la raisonnabilité qui doit s’appliquer à ces deux éléments. Voir ma décision dans Bodine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848 (Bodine), au paragraphe 17.

 

[20]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse portera sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour devrait intervenir seulement si la décision n’est pas raisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

            La demanderesse

                        Elle n’a fait aucune fausse déclaration importante

 

[21]           La demanderesse affirme que la SAI a considéré à tort que la fausse déclaration qu’elle avait faite était importante au regard de son admissibilité. Comme la demanderesse a immigré à titre d’épouse du répondant et que la relation entre elle et son répondant n’a jamais été remise en question au moment où la demanderesse a obtenu la résidence permanente, l’existence de l’enfant n’était pas pertinente au regard de la délivrance du visa.

 

[22]           Une fausse déclaration n’est plus importante lorsqu’on son sujet n’existe plus. La demanderesse s’appuie sur Bellido, précitée, où la juge Snider a dit au paragraphe 30 :

Ayant conclu que le caractère mensonger des déclarations est démontré par la preuve dont disposait lagent des visas, jexaminerai maintenant la question de la pertinence et de limportance (Baseer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [2004] A.C.F. no 1239; 2004 CF 1005 (CFPI). Certaines des fausses déclarations alléguées portent sur loffre demploi dEastern Packinghouse qui a été retirée. Je reconnais que la demanderesse a menti concernant cette offre demploi mais je ne crois pas quil sagisse dun fait important. Dans des circonstances normales, je ne vois pas en quoi une fausse déclaration à propos dune offre demploi qui nexiste plus puisse être considérée comme étant « importante » ou comme entraînant une erreur dans lapplication de la LIPR.

 

[23]           La demanderesse soutient que Bellido, précitée, est un exemple d’un cas où une fausse déclaration n’est pas importante parce que la source de la fausse déclaration n’existe plus. De même, la fausse déclaration constatée en l’espèce, même si on peut raisonnablement considérer qu’elle existe, n’est pas pertinente. En outre, comme l’alinéa 40(1)a) de la Loi l’indique, seules de fausses déclarations importantes peuvent entraîner l’interdiction de territoire selon la Loi.

 

Le défendeur

La fausse déclaration de la demanderesse a entraîné une erreur dans l’application de la Loi

           

[24]           Le défendeur conteste l’affirmation de la demanderesse selon laquelle sa fausse déclaration n’a pas entraîné une erreur dans l’application de la Loi. Le fait que la demanderesse a déclaré que son fils était le fils biologique d’un citoyen canadien a fait en sorte que l’enfant a été admis au Canada à titre de citoyen canadien et non à titre de résident permanent. Dans ces circonstances, les vérifications de l’admissibilité qui sont habituellement effectuées lorsqu’un étranger sollicite un statut au Canada n’ont pas eu lieu. La demanderesse aurait pu aussi être interdite de territoire selon l’article 42 de la Loi si son fils, qui était un étranger, avait été interdit de territoire. Cette fausse déclaration est précisément le genre de fausse déclaration qui est visée au paragraphe 40(1) de la Loi.

 

[25]           Les affaires invoquées par la demanderesse sont différentes de l’espèce. Dans ces affaires, les fausses déclarations faites par les demandeurs n’auraient pas eu d’incidence sur le traitement de leurs demandes. Or, ce n’est clairement pas le cas ici.

 

[26]           En outre, la façon dont la demanderesse interprète l’article 40 va à l’encontre de l’approche décrite par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, [1998] A.C.S. no 2 (QL), selon laquelle il faut lire les termes d’une loi [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Le juge John O’Keefe, de la Cour, a statué au paragraphe 25 de Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512 (Khan), qu’il faut donner une interprétation large de l’article 40 et que cette disposition s’applique lorsqu’un demandeur adopte une fausse déclaration, même s’il la clarifie avant qu’une décision soit rendue. De plus, la Cour a répété à maintes reprises que l’objet de l’alinéa 40(1)a) de la Loi est « de veiller à ce que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada ». Voir Bodine, précitée, au paragraphe 44. L’interprétation donnée par la demanderesse de l’alinéa 40(1)a) est contraire à cet objet et mène à un résultat absurde.

 

[27]           Enfin, le demandeur d’un visa qui veut entrer au Canada doit faire preuve de sincérité, conformément au paragraphe 16(1) de la Loi. S’il ne le fait pas, l’agent des visas est tenu de rejeter sa demande. Voir Lan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 770, au paragraphe 10.

 

ANALYSE

 

[28]           La demanderesse conteste la décision pour une seule raison. Elle reconnaît avoir fait une fausse déclaration, mais elle soutient que cette fausse déclaration n’était pas importante au sens du paragraphe 40(1) de la Loi.

 

[29]           Elle s’appuie à cet égard sur le fait que, [traduction] « [c]omme elle a immigré en tant qu’épouse d’un répondant et que la relation entre elle et le répondant n’a jamais été remise en question au moment où elle est devenue résidente permanente, l’existence de l’enfant n’était pas pertinente au regard de la délivrance du visa ».

 

[30]           La réponse simple à cette prétention a été donnée par le défendeur.

 

[31]           Aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi, une fausse déclaration peut porter notamment sur un fait qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

 

[32]           La demanderesse affirmait que le père de son fils était un citoyen canadien et que ce dernier était donc aussi un citoyen canadien. En conséquence, il pouvait immigrer au Canada à titre de citoyen canadien et il n’avait pas à obtenir le statut de résident permanent. Comme on a supposé que le fils de la demanderesse était un citoyen canadien, les vérifications de l’admissibilité qui sont normalement effectuées lorsqu’un étranger cherche à obtenir un statut au Canada n’ont pas eu lieu. Conformément à l’article 42, la demanderesse aurait pu aussi être interdite de territoire si son fils, qui était un étranger, était interdit de territoire. La fausse déclaration de la demanderesse a donc entraîné une erreur dans l’application de la Loi. Dans les décisions invoquées par la demanderesse, les fausses déclarations faites par les demandeurs n’auraient pas eu d’incidence sur le traitement des demandes. Or, ce n’est clairement pas le cas en l’espèce. En conséquence, la jurisprudence citée par la demanderesse n’est pas vraiment utile.

 

[33]           La manière dont la demanderesse interprète l’article 40 de la Loi va à l’encontre de l’approche exposée par la Cour suprême du Canada. La Cour fédérale a conclu à de nombreuses reprises qu’un demandeur de visa qui veut entrer au Canada doit faire preuve de sincérité. Cette obligation est prévue au paragraphe 16(1) de la Loi :

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

[34]           En outre, la Cour a statué qu’un agent des visas est tenu de refuser de délivrer un visa si le demandeur ne se conforme pas au paragraphe 16(1). Voir Lan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 770, au paragraphe 10.

 

[35]           En ce qui concerne l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, la Cour a déjà donné une interprétation libérale et solide de l’article 40. Dans Khan, précitée, le juge O’Keefe a statué que le libellé de la Loi doit être respecté et qu’il faut donner de l’article 40 l’interprétation large que son libellé exige. Il a dit aussi que l’article 40 s’applique lorsque le demandeur adopte une fausse déclaration, mais la clarifie ensuite avant qu’une décision soit rendue. Dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, la Cour a statué que l’article 40 s’applique à un demandeur lorsque la fausse déclaration a été faite par une autre partie à la demande et que le demandeur ignorait cette fausse déclaration. La Cour a affirmé qu’une lecture initiale de l’article 40 n’étayait pas cette interprétation, mais que la disposition devait être interprétée de cette façon pour éviter un résultat absurde.

 

[36]           La Cour a affirmé à maintes reprises que l’objet de l’alinéa 40(1)a) de la Loi est de faire en sorte que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada. La manière dont la demanderesse interprète l’alinéa 40(1)a) de la Loi est contraire à cet objet et entraîne donc un résultat absurde. Voir Bodine, précitée, au paragraphe 44; De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436; Khan, précitée; Wang, précitée.

 

[37]           Lors de l’audition de la présente demande à Toronto, la demanderesse a soutenu en outre que la fausse déclaration n’était pas importante parce qu’elle n’avait pas entraîné une erreur sous le régime de la Loi. Le fils a été admis au Canada en vertu de la Loi sur la citoyenneté plutôt qu’en vertu de la LIPR.

 

[38]           Dans la réalité, il me semble que la fausse déclaration a entraîné une erreur sous le régime des deux lois. En effet, le fils a obtenu, sous le régime de la Loi sur la citoyenneté, un avantage auquel il n’avait pas droit et il a pu éviter les procédures et les vérifications auxquelles il aurait dû se soumettre en vertu de la LIPR si la fausse déclaration n’avait pas été faite. Comme le défendeur l’a mentionné, la fausse déclaration a notamment permis au fils d’échapper aux vérifications médicales au terme desquelles lui et la demanderesse auraient pu être interdits de territoire.

 

[39]           Les deux parties ont convenu qu’aucune question ne devait être certifiée. La Cour est aussi de cet avis.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question ne doit être certifiée.

 

     « James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5323-10

 

INTITULÉ :                                                   LIAN BO JIANG

                                                           

                                                                        et

                                                           

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

                                                           

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Chaudhary

 

POUR LA DEMANDERESSE

Neal Samson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Chaudhary

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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