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Date : 20110727

Dossier : IMM-444-11

Référence : 2011 CF 939

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

JESICA JANNETTE VALENCIA

GUTIERREZ ET JUAN MANUEL SANTAMARIA CERVANTES

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, Mme Jesica Jannette Valencia Gutierrez et son époux, M. Juan Manuel Santamaria Cervantes, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger.

 

[2]               Mme Valencia, la demanderesse principale, a expliqué au cours de son témoignage qu’elle avait reçu des menaces de mort de la part de membres du gang Los Zetas après s’être heurtée à l’inaction de la police locale par suite des efforts qu’elle a déployés pour signaler le meurtre de son beau-frère, qui était policier.

 

[3]               La SPR a conclu que les demandeurs étaient généralement crédibles, mais qu’il était peu vraisemblable que la police ait refusé de mener une enquête sur l’incident étant donné que, d’après les documents sur le pays, les forces policières enquêtaient activement sur les meurtres de policiers. La SPR a conclu qu’il n’existait pas de lien suffisant entre la situation des demandeurs, qui étaient victimes de criminalité, et l’un ou l’autre des motifs énumérés dans la Convention relative au statut des réfugiés [la Convention] et que les demandeurs avaient des possibilités de refuge intérieur [PRI] à Mexico et à Guadalajara. Pour en arriver à cette conclusion, la SPR a souligné que la protection de l’État pourrait raisonnablement être assurée dans les deux villes, compte tenu de la preuve documentaire montrant que le gouvernement déployait de sérieux efforts pour régler les problèmes touchant la police.

 

[4]               Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en concluant à l’existence d’une PRI à Mexico ou à Guadalajara, parce qu’il appert de la preuve que le gang criminel Los Zetas est un groupe très sophistiqué et actif un peu partout au Mexique. Les demandeurs contestent l’analyse que la SPR a faite de la protection de l’État. Enfin, ils contestent la conclusion d’invraisemblance que la SPR a tirée et font valoir que leur expérience personnelle démontrait que la protection de l’État ne pourrait raisonnablement être assurée.

 

[5]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’en arrive à la conclusion que la SPR a rendu une décision erronée au sujet de l’accessibilité de la protection de l’État dans les PRI et je fais droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

Les faits à l’origine du litige

 

[6]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique. Le beau-frère de la demanderesse principale, qui était agent de police, avait été approché par le gang Los Zetas pour travailler avec eux, mais il a refusé. Il a ensuite été muté de l’État de Michoacan à celui de Mexicali, mais il a à nouveau été confronté par des membres des Los Zetas et a été assassiné après avoir refusé une fois de plus de collaborer avec eux.

 

[7]               Lors des funérailles de son beau-frère, la demanderesse principale a parlé de son intention de signaler le meurtre à la police. Les efforts qu’elle a faits à cette fin ont été ignorés.

 

[8]               La demanderesse principale croit que les remarques qu’elle a formulées aux funérailles ont été entendues par des membres du gang et que c’est pour cette raison qu’elle a reçu des menaces de mort. En septembre 2007, des membres du gang ont tenté d’enlever la demanderesse principale; le père de celle-ci est intervenu pour les en empêcher, mais il a été blessé. La demanderesse principale a tenté de signaler la tentative d’enlèvement, mais la police locale n’a pas donné suite à la plainte.

 

[9]               La demanderesse principale et son époux ont quitté le Mexique en novembre 2007 et ont déposé des demandes d’asile en janvier 2008.

 

La décision contestée

 

[10]           La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile des demandeurs en janvier 2011.

 

[11]           La SPR a jugé que les demandeurs étaient crédibles en ce qui concerne les événements ayant entouré le meurtre du beau-frère et les menaces que la demanderesse principale a reçues. Cependant, elle a jugé qu’il était invraisemblable que la police de tous les paliers ait refusé d’enquêter sur l’incident parce que, d’après les documents sur le pays, les services de police enquêtaient activement sur les meurtres de policiers.

 

[12]           La SPR a également jugé que la crainte des demandeurs d’être persécutés par des criminels n’était pas visée par la Convention, parce que la crainte de la criminalité n’équivalait pas à l’appartenance à un groupe social au sens de la Convention.

 

[13]           Après avoir conclu que les demandeurs ne respectaient pas les exigences de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], la SPR a examiné l’article 97 et l’existence d’une PRI au Mexique.

 

[14]           La SPR a conclu que les demandeurs avaient une PRI à Mexico ou à Guadalajara. Elle a examiné l’allégation des demandeurs selon laquelle ceux-ci ne seraient nulle part au Mexique à l’abri de l’action des membres du gang Los Zetas, mais elle a jugé que la preuve documentaire montrait qu’une protection de l’État adéquate pourrait leur être raisonnablement assurée dans l’une ou l’autre de ces villes.

 

[15]           La SPR s’est fondée sur des documents nationaux montrant que le Mexique déployait de sérieux efforts en vue de rendre la force policière professionnelle et de lutter contre la corruption des fonctionnaires, lesquels sont punis en cas de mauvaise conduite. La SPR a énuméré quelques-unes des sources vers lesquelles il était possible de se tourner dans les deux villes pour obtenir la protection de l’État, notamment la Federal Investigative Agency (agence fédérale d’investigation), également appelée l’AFI. La SPR en est donc arrivée à la conclusion qu’il n’était pas possible que les demandeurs soient persécutés ou subissent un préjudice à Mexico ou à Guadalajara en raison de l’accessibilité de la protection de l’État.

 

[16]           La SPR a également jugé qu’il ne serait pas trop pénible pour les demandeurs de déménager à Mexico ou à Guadalajara, soulignant que le demandeur avait déjà de l’expérience comme ébéniste et qu’il pourrait se trouver du travail dans l’une ou l’autre des deux villes sans problème majeur.

 

[17]           La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger et a rejeté leurs demandes.

 

Les dispositions législatives

 

[18]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, prévoit ce qui suit :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

      a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

      b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

      (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

      (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

      a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

      b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

            (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

      (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

      (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

            (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

            (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country…

 

 

Les questions en litige

 

[19]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

i.                     La SPR a-t-elle commis une erreur en rejetant l’allégation des demandeurs selon laquelle la police de tous les paliers avait refusé d’enquêter sur le meurtre du beau‑frère?

 

ii.                   La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur?

 

iii.         La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État?

 

[20]           Le défendeur soutient que les conclusions étaient appuyées par la preuve et qu’elles n’étaient pas déraisonnables.

 

La norme de contrôle

 

[21]           La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à une PRI est la décision raisonnable : Esquivel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 468, et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[22]           La décision raisonnable est également la norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR sur la protection de l’État : Hidago c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 707, au paragraphe 30; Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029, au paragraphe 25.

 

Analyse

 

Conclusion d’invraisemblance

[23]           Les demandeurs s’opposent à la conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable que la police ait refusé de donner suite au signalement qu’ils avaient fait du meurtre de leur parent, eu égard à un document dans lequel il était mentionné que la police enquêtait sur les meurtres de policiers, alors qu’elle a refusé de croire le témoignage sous serment des demandeurs au sujet de l’absence d’enquête policière ainsi que des éléments de preuve documentaire appuyant l’existence de la corruption au sein de la police.

 

[24]           Le défendeur répond que la SPR peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité au motif que la preuve est tout simplement invraisemblable : Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (C.A.F.), au paragraphe 4.

 

[25]           Le défendeur souligne que, même si la demanderesse principale a déclaré, sur son formulaire de renseignements personnels [FRP], que la famille avait été mise au courant du meurtre par suite du rapport d’enquête de la police, elle affirme avoir été prévenue qu’elle se ferait tuer si elle signalait le crime à la police. De l’avis du défendeur, il semble qu’il y ait là contradiction, étant donné qu’il y avait déjà un rapport d’enquête de la police au sujet du meurtre lors des funérailles.

 

[26]           La Cour ne devrait pas soupeser à nouveau les éléments de preuve. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61, le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la majorité, a souligné que le fait de conclure qu’il était déraisonnable de la part du décideur d’accorder plus d’importance à un facteur qu’à un autre constitue une façon de soupeser à nouveau la preuve.

 

[27]           La SPR a conclu que les services de police du Mexique enquêtaient activement sur les meurtres de policiers et d’agents de sécurité. Le document sur lequel elle s’est fondée pour en arriver à cette conclusion est un article que Benjamin Nelson Reames a écrit en 2007 et qui est intitulé « Profile of Police Forces in Mexico » (profil des services de police au Mexique). Dans cet article, les commentaires suivants sont formulés au sujet des meurtres de policiers :

[traduction]

[…] au début de l’année 2005, Fox a réorganisé et restructuré de son propre chef l’appareil de sécurité publique fédéral, par suite de trois incidents : le lynchage de plusieurs agents de police, un massacre survenu à Cancún (lequel massacre était lié à la corruption de la police) et les meurtres d’agents de prison pour des motifs liés à la drogue (page 117).

 

Le remaniement de l’appareil de sécurité publique fédéral par le président Fox a été largement perçu comme une réaction au lynchage de policiers fédéraux dans la périphérie de la ville de Mexico (page 125).

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[28]           Je souligne que la SPR a été saisie d’éléments de preuve faisant état d’un rapport d’enquête de la police au sujet du meurtre du beau-frère. La demanderesse principale avait déclaré ce qui suit sur son formulaire de renseignements personnels [FRP] : « La famille a été mise au courant de cet événement par suite du rapport d’enquête de la police ». En conséquence, il y avait des éléments de preuve (notamment le FRP de la demanderesse principale et les documents sur le pays) qui permettaient à la SPR de juger invraisemblable l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle la police refusait d’enquêter sur le meurtre d’un policier. La SPR a tenu compte du témoignage des demandeurs et de la preuve documentaire.

 

Possibilité de refuge intérieur

[29]           L’existence d’une PRI est expliquée au paragraphe 13 de l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.) :

Pour savoir si c’est raisonnable, il ne s’agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d’un tel déménagement. Il ne s’agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu’un nouveau pays. Il s’agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s’attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l’étranger?

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[30]           De l’avis des demandeurs, il n’était pas raisonnable de la part de la SPR de conclure à l’existence d’une PRI à Mexico ou à Guadalajara. Les demandeurs soulignent qu’ils avaient déclaré ce qui suit au cours de leur témoignage :

-                   le gang Los Zetas est partout au Mexique;

 

-                   ils avaient entendu dire que des membres du gang Los Zetas étaient présents à Mexico et à Guadalajara;

 

-                   ils ne pourraient déménager ailleurs au Mexique, car la criminalité était répandue partout au pays.

 

[31]           Les demandeurs ajoutent que la preuve documentaire appuie leur position. Les commentaires suivants figurent dans la réponse à la demande d’information [RDI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié :

[traduction]

Le gang Los Zetas constitue le « cartel le plus sophistiqué et le plus avancé technologiquement » du Mexique [...] Los Zetas seraient présents dans 13 États du Mexique ainsi que dans 43 villes des États-Unis [...] Ce territoire serait situé entre la ville d’El Paso à la frontière du Mexique et des États-Unis, et la péninsule du Yucatan, et passerait par les États de Veracruz, au sud, et du Tabasco, à l’est (ibid.). D’après la NPR, leur territoire passerait par l’État du Chiapas et s’étendrait jusqu’au Guatemala [...]

 

[32]           Les demandeurs reprochent à la SPR de ne pas avoir expliqué pourquoi elle croyait que les membres du gang ne pourraient les atteindre dans les deux PRI, même si le gang Los Zetas est considéré comme un groupe dont le réseau et la présence sont étendus au Mexique et comme un cartel avancé au plan technologique, sophistiqué et violent. De l’avis des demandeurs, la SPR a mis l’accent sur les possibilités d’emploi du demandeur plutôt que sur la menace que représentait le gang Los Zetas dans les PRI.

 

[33]           Le défendeur répond que les éléments de preuve disponibles n’allaient pas à l’encontre des conclusions de la SPR. À son avis, la SPR a analysé avec soin les allégations des demandeurs, mais a conclu que les éléments de preuve présentés ne suffisaient pas à réfuter la présomption selon laquelle l’État pourrait les protéger dans les PRI.

 

[34]           Essentiellement, il semble que la SPR ait reconnu les problèmes de criminalité répandus un peu partout au Mexique, mais qu’elle ait conclu que les demandeurs pourraient se prévaloir de la protection de l’État à l’encontre de la criminalité dans les PRI nommées, soit les villes de Mexico et de Guadalajara. Les membres du gang qui ont formulé des menaces à l’endroit de la demanderesse principale étaient des membres locaux et ne trouveraient probablement pas les demandeurs dans les PRI, qui étaient de grandes régions métropolitaines. À cet égard, la conclusion de la SPR est raisonnable, abstraction faite des renseignements concernant l’étendue de la présence du gang Los Zetas.

 

Protection de l’État

[35]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en mettant l’accent uniquement sur les efforts que déploie le gouvernement mexicain pour lutter contre le crime et la corruption au moment de trancher la question de la protection offerte par l’État. De l’avis des demandeurs, le critère à appliquer à cet égard réside, non pas dans l’existence de « sérieux efforts », mais plutôt dans « l’efficacité réelle de la protection » : Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 1176 [Lopez].

 

[36]           Le défendeur rappelle qu’il appartient aux demandeurs de démontrer par une preuve claire et convaincante que l’État est incapable de les protéger : M.P.C.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 772, au paragraphe 45, et qu’il ne faut pas fixer une norme trop élevée en ce qui concerne la protection de l’État : Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1212, au paragraphe 7.

 

[37]           Dans Rovirosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la juge Snider a souligné, au paragraphe 8, que la conclusion déterminante tirée dans la décision Lopez n’était pas fondée sur la question de savoir si M. Lopez avait fait des efforts suffisants pour se prévaloir de la protection offerte par l’État. L’affaire a plutôt été décidée en tenant compte du fait que la Commission n’avait pas adéquatement apprécié la preuve documentaire dont elle disposait. Étant donné que la SPR est réputée posséder une compétence spécialisée pour analyser la situation qui règne dans un pays, elle doit examiner adéquatement la documentation connexe.

 

[38]           La SPR est réputée avoir examiné l’ensemble des documents dont elle a été saisie, même si elle ne fait pas mention de tous ceux-ci : Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 83. Lorsque la SPR renvoie explicitement à un document portant sur la situation qui règne dans un pays, je présume qu’elle se fonde sur ce document.

 

[39]           Dans sa décision, la SPR mentionne explicitement deux documents sur la situation qui règne dans le pays. En plus de l’article de 2007 intitulé « Profile of Police Forces in Mexico » dont il est fait mention plus haut au paragraphe 27, la SPR renvoie à un article de 2010 qui a été rédigé par Daniel Sabet et qui est intitulé « Police Reform in Mexico : Advances and Persistent Obstacles » (réforme policière au Mexique : progression et obstacles persistants).

 

[40]           Au cours de son évaluation de l’article de 2007, la SPR formule les commentaires suivants : « Puisque les documents sur le pays contenus à la pièce 5 indiquent que les services de police enquêtent activement sur les meurtres de policiers et d’agents de sécurité, j’estime qu’il est invraisemblable que la police de tous les paliers ait refusé de prendre quelque mesure que ce soit en vue d’enquêter sur ce meurtre ».

 

[41]           Cependant, dans ce même article, il est question de l’AFI, organisme de police vers lequel les demandeurs pourraient, selon la SPR, se tourner pour obtenir de l’aide. Voici ce qui est écrit dans l’article de 2007 :

[traduction]

Le PGR a reconfiguré et renommé la police judiciaire fédérale, dont la corruption et l’inefficacité étaient largement reconnues. La police d’enquête fédérale a remplacé la police judiciaire fédérale et pouvait se comparer, du moins en théorie, au Federal Bureau of Investigation (FBI) des États-Unis. En 2004, l’AFI avait un budget de 2,62 milliards de pesos, ce qui représentait environ le tiers des dépenses du PGR. Pendant cette même année, les forces de l’AFI comptaient plus de 5 000 agents de police judiciaire, 1 600 enquêteurs et 450 spécialistes.

 

[42]           Dans sa décision de 2010, la SPR s’exprime comme suit :

Si, par hasard, les personnes de l’État de Michoacan craintes par les demandeurs d’asile réussissaient à les retrouver, une protection de l’État adéquate pourrait leur être raisonnablement assurée à Mexico ou à Guadalajara, comme le montre la preuve documentaire.

 

 

[43]           La SPR a ajouté ce qui suit :

Je suis d’accord avec le conseil et les demandeurs d’asile sur le fait que la criminalité et la corruption existent partout au Mexique. Bien que les demandeurs d’asile craignent que les criminels et les fonctionnaires publics commettent impunément des actes criminels et de corruption, la documentation sur le pays montre que le Mexique déploie de sérieux efforts en vue de rendre la force policière professionnelle et de régler les problèmes de corruption au sein des fonctionnaires. Bon nombre d’organismes de l’État luttent contre la criminalité et la corruption en vue d’aider les Mexicains à obtenir la protection de l’État. La preuve documentaire montre également que les fonctionnaires publics, y compris les policiers et les militaires, sont sanctionnés pour leur mauvaise conduite.

 

De plus, il est possible de faire appel à de nombreuses ressources pour déposer une plainte à Mexico et à Guadalajara, comme l’Agence fédérale d’enquêtes (AFI), dont le mandat consiste notamment à lutter contre la corruption au sein des policiers et autres fonctionnaires.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[44]           Cependant, dans l’article de 2010, Police Reform in Mexico : Advances and Persistent Obstacles, que la SPR a cité, il est question des problèmes qui minent l’AFI :

[traduction]

Toutefois, l’élément central de la réforme policière effectuée à l’époque sous le régime de Fox résidait dans la dissolution de la PJF, ébranlée par les scandales, et dans la création de ce qui devait être un nouveau modèle de service de police d’enquête professionnel, l’Agencia Federal de Investigaciones (agence fédérale d’enquêtes – AFI).

 

[…]

 

[…] Les reportages de presse donnent à penser que l’AFI est moins en mesure qu’avant d’exercer ses fonctions, en raison d’une diminution de son personnel, de ses ressources et de son infrastructure. Bon nombre des agents nouvellement recrutés de l’AFI ont été mutés à la SSP, ce qui a permis à certains critiques de soutenir que les agents qui restaient étaient des vestiges de l’ancienne police judiciaire fédérale discréditée. […]

 

En deuxième lieu, lorsque l’AFI a été créée en 2001, elle a été saluée comme un nouveau modèle de service de police et la solution aux problèmes qui rongeaient la police du Mexique. La dissolution subséquente de l’agence a semblé répudier ce message et accroître le scepticisme entourant la création d’un autre organisme de police.

 

[…]

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[45]           L’AFI semblait très prometteuse à ses débuts; cependant, lorsque les demandeurs ont eu besoin de la protection de l’État, l’efficacité de l’agence était fortement réduite. Selon la chronologie des événements, la tentative d’enlèvement à l’endroit de la demanderesse principale est survenue en 2007 et les demandeurs ont fui le Mexique en 2008, parce qu’ils avaient peur du gang Los Zetas et ne croyaient pas qu’ils pourraient avoir recours à la protection de l’État. Ils avaient toujours cette même conviction en 2010, lorsque la SPR a conclu que l’AFI était un service de police vers lequel les demandeurs pouvaient se tourner pour obtenir de la protection. L’article de Reames, publié en 2007, portait sur la création de l’AFI en 2001, mais l’article de Sabet, rédigé en 2010, concernait la « dissolution » de ce même organisme.

 

[46]           Il m’apparaît évident que la SPR a mal interprété les documents qu’elle a invoqués sur la situation au pays dans le cadre de l’examen qu’elle a fait de la protection de l’État au cours de son analyse d’une PRI. Les documents que la SPR a cités appuient les craintes des demandeurs plutôt que son affirmation quant à la disponibilité de la protection de l’État.

 

[47]           J’en arrive à la conclusion que la SPR a mal interprété les documents qu’elle a invoqués sur la situation au pays. Dans ces circonstances, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Conclusion

 

[48]           J’accueille la demande de contrôle judiciaire. L’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

[49]           Ni les demandeurs non plus que le défendeur n’ont proposé de question de portée générale à faire certifier et je ne certifie aucune question.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

2.                  Je ne certifie aucune question de portée générale.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-444-11

 

INTITULÉ :                                                   JESICA JANNETTE VALENCIA GUTIERREZ c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 19 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Simon Yu

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Camille Audain

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Simon K. Yu

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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