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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20110802


Dossier : IMM-739-11

Référence : 2011 CF 971

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 août 2011

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

 

WAI HUEN WONG et

SHUK YING JULIA CHAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[2]               Les demandeurs contestent la Canada en tant que visiteurs en novembre 2008, que les mesures de renvoi ont été prises validement et qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier d’annuler les mesures de renvoi.

 

[3]               Aujourd’hui, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision au motif que : (1) le tribunal a commis une erreur de droit ou a autrement agi déraisonnablement en concluant que les mesures de renvoi avaient été validement prises; (2) le tribunal a manqué à l’équité procédurale en ne délivrant pas d’assignations à comparaître (notamment à l’agente Sunger); et (3) le tribunal a agi déraisonnablement en n’examinant pas adéquatement l’intérêt supérieur de l’enfant. Le défendeur prétend le contraire et invite la Cour à rejeter la présente demande.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande doit être accueillie. La question de la validité des mesures de renvoi est déterminante, et la Cour estime que la conclusion du tribunal à cet égard est contraire au droit et déraisonnable. Par conséquent, il ne sera pas nécessaire d’examiner les deux autres motifs de contestation soulevés par les demandeurs à l’encontre de la décision contestée.

[5]               L’article 28, les paragraphes 44(1) et (2) et 63(3) ainsi que l’article 67 de la Loi sont pertinents et prévoient ce qui suit :

28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

 

 

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

 

 

 

(i) il est effectivement présent au Canada,

 

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

 

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

 

 

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

 

 

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

 

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

 

 

 

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

 

 

 

 

(3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

 

 

 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

[Je souligne.]

28. (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

 

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

 

(i) physically present in Canada,

 

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent,

 

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

 

(iv) outside Canada accompanying a permanent resident who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent and who is employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province, or

 

(v) referred to in regulations providing for other means of compliance;

 

(b) it is sufficient for a permanent resident to demonstrate at examination

 

(i) if they have been a permanent resident for less than five years, that they will be able to meet the residency obligation in respect of the five-year period immediately after they became a permanent resident;

 

(ii) if they have been a permanent resident for five years or more, that they have met the residency obligation in respect of the five-year period immediately before the examination; and

 

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

 

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

(3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

[Emphasis added.]

 

 

[6]               D’emblée, il est important de noter que le libellé du paragraphe 44(1) de la Loi semble permettre à un agent de choisir à son gré de rédiger un rapport circonstancié. Toutefois, le pouvoir discrétionnaire qui consiste à ne pas préparer un rapport est extrêmement limité et rare, car autrement, les agents auraient un pouvoir discrétionnaire d’un niveau que même le ministre responsable n’a pas (Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782, par. 20). De plus, le paragraphe 44(1) de la Loi indique clairement que l’agent établit le rapport. Si le ministre estime que le rapport est bien fondé, il peut prendre d’autres mesures suivant le paragraphe 44(2), y compris une mesure de renvoi contre un résident permanent qui n’a pas respecté l’obligation de résidence prévue au paragraphe 28(2) de la Loi.

 

[7]               Comme le veut l’adage, le législateur n’a pas parlé pour ne rien dire. L’utilisation des mots « agent » et « ministre » aux paragraphes 44(1) et (2) de la Loi signifie que deux tâches distinctes doivent être accomplies par deux personnes différentes. De plus, la disposition établit clairement une chronologie des événements : le rapport doit être examiné avant de prendre une mesure de renvoi. Lorsque le ministre a dûment délégué son pouvoir en vertu du paragraphe 44(2), le délégué du ministre doit examiner le rapport établi par l’agent en application du paragraphe 44(1). L’agent doit tenir compte du fait que l’alinéa 28(2)c) prévoit expressément qu’il doit examiner si des circonstances d’ordre humanitaire rend inopposable l’inobservation de l’obligation de résidence précédant le contrôle.

 

[8]               Les faits pertinents ne sont pas vraiment contestés en l’espèce.

 

 

[9]               Les demandeurs, Wai Huen Wong et Shuk Ying Julia Chan, sont mari et femme et viennent de Hong Kong. Madame Chan a obtenu le statut de résidente permanente en 1994. Elle a ensuite parrainé son mari, qui a obtenu le statut de résident permanent en 1997. Leur fils est né au Canada en 1996 et est citoyen canadien. Toute la famille est retournée à Hong Kong en 2000. Apparemment, M. Wong a acheté une propriété chère à Hong Kong et lorsque la bulle immobilière a éclaté en 1998 et 1999, ils ne pouvaient plus se permettre de vivre au Canada.

 

[10]           La famille a tenté de retourner au Canada en novembre 2008, prétendant initialement être des visiteurs. Lorsqu’on a découvert que les demandeurs étaient en réalité des résidents permanents qui n’avaient pas respecté leur obligation de résider au Canada pendant au moins 730 jours par période quinquennale (paragraphe 28(2) de la Loi), des mesures de renvoi (d’interdiction de séjour) ont été prises contre eux et signées le 28 novembre 2008. La signature figurant sur les mesures de renvoi est celle de l’agente Sonia Sunger, au nom du chef par intérim J. Leger, le délégué du ministre. De plus, le 28 novembre 2008, l’agente Julie Théberge a établi et signé le rapport prévu au paragraphe 44(1) de la Loi contre les demandeurs.

 

[11]           Trois mois plus tard, le 26 février 2009, l’agente Théberge a rempli le formulaire intitulé « PARAGRAPHE L44(1) – FAITS SAILLANTS – CAS AUX POINTS D’ENTRÉE (sommaire) » (les faits saillants), tant en son nom, à titre d’agente, qu’au nom du chef par intérim Leger, à titre de délégué du ministre. Dans la colonne réservée à l’examen et à la décision du ministre, il est écrit ce qui suit : [traduction] « Rapport valide. Mesure d’interdiction de séjour prise. Droits d’appel accordés. Motifs d’ordre humanitaire insuffisant ». Sous la rubrique à l’attention du ministre ou de son représentant, le nom de l’agente Sunger est raturé et remplacé par le nom du chef par intérim Leger.

 

[12]           Les faits saillants susmentionnés constituent l’examen obligatoire qui doit précéder la prise d’une mesure de renvoi. Le manuel ENF 5 du ministre indique ce qui suit à la page 15 :

Renvoi d’un rapport au délégué du ministre

 

Tous les rapports en vertu du L44(1) concernant des résidents permanents doivent être déférés au délégué du ministre responsable de rendre la décision finale de déférer ou non la question à la Section de l’immigration, en même temps qu’une note de service détaillée ou qu’un formulaire sur les points saillants du cas L44(1) [IMM 5084B], qui doit comprendre :

 

•        l’identité de la personne, avec nom, pseudonymes, date et lieu de naissance et citoyenneté; l’état matrimonial, le statut actuel en ce qui concerne l’immigration et les détails apparaissant sur les passeports et les documents de voyage de la personne;

 

•        les détails des infractions et la première date de libération conditionnelle ou de mise en liberté si la personne purge une peine de prison;

 

•        l’avis de l’agent fondé sur l’évaluation des critères énoncés au ENF 6, section 19.2, et ses recommandations; les renseignements reçus de la personne ou les notes prises lors de l’entretien, s’il y a lieu; l’explication des délais encourus pour la présentation du rapport, le cas échéant.

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Il est à noter qu’un rapport établi en application du paragraphe 44(1) de la Loi doit être accompagné d’une notre de service « détaillée » ou des faits saillants. Cette directive démontre clairement que le rapport doit être écrit. De plus, le rapport doit comprendre des « détails » suffisants parce que la portée du pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre en vertu du paragraphe 44(2) d’examiner différents facteurs est plutôt large. Les considérations d’ordre humanitaire doivent être incluses dans un rapport pour un résident permanent, conformément à l’alinéa 28(2)c) de la Loi.

 

[14]           En effet, dans la décision Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, madame la juge Judith Snider a conclu que le pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre en vertu du paragraphe 44(2) est plutôt général et lui permet d’examiner les considérations d’ordre humanitaire :

[42] En dépit de cette préoccupation réelle, je conclus que l’agent d’immigration, sous le régime du paragraphe 44(1), et le représentant du ministre, sous celui du paragraphe 44(2), jouissent d’un pouvoir discrétionnaire suffisant pour leur permettre d’examiner les facteurs énumérés dans les sections applicables du Guide de CIC en matière de procédure. Dans la mesure où ces facteurs peuvent faire intervenir des questions d’ordre humanitaire, je ne vois pas de problème.

 

 

 

[15]           S’agissant de la légalité des mesures de renvoi, les demandeurs ont remis en question le pouvoir de l’agente Sunger de signer les mesures de renvoi et ont affirmé que la procédure adéquate n’a pas été suivie lorsque les mesures de renvoi ont été prises.

 

[16]           En revanche, le défendeur a fait valoir que l’agente Sunger avait le pouvoir de signer les mesures de renvoi, tout comme le chef par intérim Leger; il n’est donc pas important de savoir si l’agente Sunger a signé les mesures de renvoi en son propre nom ou au nom du chef par intérim Leger.

 

[17]           Le tribunal s’est rallié au défendeur et a conclu que l’agente Sunger et le chef par intérim Leger étaient tous deux autorisés à prendre les mesures de renvoi. Le doute quant à savoir qui les a véritablement signées n’est pas un facteur déterminant. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas prouvé selon la prépondérance de la preuve que les mesures de renvoi n’étaient pas valides en droit.

 

[18]           Dans l’ensemble, après un examen approfondi des dispositions applicables de la loi, des motifs du tribunal et de l’ensemble de la preuve, la Cour conclut que le raisonnement du tribunal est vicié pour plusieurs raisons. Sa conclusion selon laquelle les mesures de renvoi sont valides en droit est tout simplement contraire au droit et, de plus, n’appartient pas aux issues acceptables au regard du droit et des faits pertinents en l’espèce.

 

 

l est un principe juridique fondamental selon lequel chacun est tenu d’obéir aux lois et tous ont droit à la protection de la loi, même les plaideurs qui semblent indignes d’indulgence »

 

[20]           Les demandeurs avaient l’obligation d’épuiser tous les mécanismes d’appel avant de se résoudre à demander à la Cour de déclarer les mesures de renvoi illégales (Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 284, 2003 CFPI 196. Si la validité des mesures de renvoi et de la décision prise à ce moment par l’agente et le délégué du ministre a été soulevée par les demandeurs dans l’appel interjeté devant le tribunal, c’est parce qu’un droit d’appel est accordé aux demandeurs en tant que résidents permanents en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi.

[22]           Les commentaires suivants formulés par la Cour suprême du Canada au paragraphe 29 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, sont édifiants :

Les décideurs administratifs exercent leurs pouvoirs dans le cadre de régimes législatifs qui sont eux‑mêmes délimités. Ils ne peuvent exercer de pouvoirs qui ne leur sont pas expressément conférés. S’ils agissent sans autorisation légale, ils portent atteinte au principe de la primauté du droit. C’est pourquoi lorsque la cour de révision se penche sur l’étendue d’un pouvoir décisionnel ou de la compétence accordée par la loi, l’analyse relative à la norme de contrôle vise à déterminer quel pouvoir le législateur a voulu donner à l’organisme en la matière. Elle le fait dans le contexte de son obligation constitutionnelle de veiller à la légalité de l’action administrative : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220, p. 234; également, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 21.

 

 

[23]           Un agent, en l’espèce l’agente Théberge, a effectivement établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1). La controverse concerne ce qui s’est passé après, un élément qui aurait pu être clarifié si le défendeur avait choisi de faire témoigner toutes les personnes impliquées dans le processus de prise de décision devant le tribunal. Compte tenu des doutes sérieux soulevés par les demandeurs, et comme il a notamment refusé de permettre aux demandeurs d’assigner l’agente Sunger comme témoin, le tribunal ne pouvait affirmer que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de preuve. Comme il a conclu qu’il ne saurait « déterminer, en fonction des éléments de preuve […] laquelle de ces deux personnes [l’agente Sunger ou le chef par intérim Leger] a assumé [la] fonction [de délégué du ministre le 28 novembre 2008] », le tribunal n’était pas autorisé à conclure que les mesures de renvoi contre les demandeurs étaient valides, et sa conclusion est déraisonnable (Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 541, par. 40).

 

[24]           En l’espèce, les demandeurs s’étaient acquittés de leur fardeau de prouver que les mesures de renvoi n’étaient pas valides en présentant de la preuve documentaire établissant que l’examen avait été effectué après les mesures de renvoi. Le tribunal n’a pas mis en doute cette preuve. Les demandeurs ont également contesté le pouvoir de l’agente Sunger sur le fondement du dossier. À la lumière de ces contestations, il incombait au ministre de réfuter. Le ministre ne l’a pas fait même s’il en avait la capacité.

 

[25]           Aux paragraphes 1 à 3 de la décision Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 509, le juge Michel Shore a énoncé les principes de droit quant aux conclusions défavorables :

[1]        Les principes de droit quant aux conclusions défavorables sont bien établis. L’énoncé clé à cet égard se trouve dans l’ouvrage Wigmore, « Evidence in Trials at Common Law », 1979 (Chadbourn Rev.), volume 2, page 192, paragraphe 285 :

 

[traduction]

[…] L’omission de présenter au tribunal une circonstance, un document, ou un témoin, alors que la partie elle-même ou son adversaire allègue que les faits seraient ainsi éclaircis, sert à montrer – ce qui est la déduction la plus naturelle – que la partie craint de le faire, et cette crainte prouve d’une certaine façon que la circonstance, le document ou le témoin, s’ils avaient été présentés, auraient mis à jour des faits défavorables à la partie. Ces déductions ne peuvent être faites à juste titre qu’à certaines conditions; de plus, il est toujours possible qu’elles s’expliquent par des circonstances qui rendent plus naturelle une autre hypothèse que la crainte de divulgation. Cependant, le bien-fondé de pareille déduction en général n’est pas remis en question. [Souligné dans l’original.]

 

[2]        En ce qui concerne le tribunal de l’immigration et du statut de réfugié (et toutes ses sections), la raisonnabilité veut, bien que les règles de la preuve à cet égard soient souples, que l’on puisse tirer une conclusion défavorable lorsqu’une preuve est accessible, qu’elle pourrait devenir accessible, mais qu’elle n’est pas produite, ou lorsqu’une personne peut témoigner, qu’on lui a offert la possibilité de témoigner, mais qu’elle ne témoigne pas.

 

 

[3]        La conclusion défavorable ne naît pas de la seule omission de produire une preuve, mais [traduction] « de la non‑production [d’une telle preuve] lorsqu’il serait naturel pour la partie de la produire » : Wigmore, vol. 2, p. 199; un renvoi est fait également à la décision Barnes c. Union Steamships Ltd. (1954), 13 W.W.R. 72, conf. par 14 W.W.R. 673 (C.A. C.-B.), où l’on a cité et suivi Wigmore :

 

[traduction]

L’affirmation selon laquelle tout élément de preuve doit être soupesé en fonction de la preuve qu’une partie avait le pouvoir de produire et que l’autre partie avait le pouvoir de contredire, constitue certainement une maxime.

 

 

[26]           Au lieu de tirer une conclusion défavorable à partir de l’absence du témoignage direct et pertinent des agents qui avaient apparemment signés et examinés le rapport fondé sur l’article 44 (il n’y a aucune note actuelle dans le STIDI dans le dossier du tribunal), le tribunal a simplement souligné qu’« il [est] troublant que le ministre n’ait pas décidé de dissiper ce doute en appelant l’agente Sunger ou le chef par intérim Leger à présenter des éléments de preuve ». Ayant remarqué plus tôt dans sa décision qu’« [i]l existe un certain nombre de scénarios qui expliqueraient pourquoi les documents portent ces annotations », mais qu’il se livrerait « à des conjectures » s’il en tenait « un pour vrai », le tribunal ne pouvait accorder de poids au contenu des documents en question en l’absence d’une preuve corroborante. Il ne s’agit pas d’un cas où la présomption de validité rattachée aux documents est utile au ministre (Branigan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 245).

 

[27]           Là encore, la preuve démontre clairement que le rapport a été écrit et signé par l’agente Théberge le 28 novembre 2008, date à laquelle les mesures de renvoi ont été prises par l’agente Sunger; mais ce n’est que trois mois plus tard que le rapport a été vérifié, et même à ce moment‑là, cette tâche avait également été effectuée par l’agente Théberge, là encore au nom du chef par intérim Leger, le délégué du ministre. Dans la décision contestée, le tribunal a indiqué que le « document qui porte sur les points saillants du paragraphe A44(1) », daté du 26 février 2009 et qui « semble avoir été signé au nom du chef par intérim Leger », constitue des « éléments de preuve [qui] permettent de tirer une conclusion selon laquelle un examen a eu lieu longtemps après la prise des mesures de renvoi ». Le membre du tribunal ne s’est pas attardé sur cette erreur fondamentale de procédure dans sa décision lorsqu’il a conclu simplement, et déraisonnablement, qu’une telle preuve « n’aide pas à déterminer la validité des mesures prises le 28 novembre 2008 ».

 

[28]           À l’audience, l’avocat du défendeur a indiqué à la Cour que même si les mesures de renvoi étaient illégales, la demande de contrôle judiciaire devrait néanmoins être rejetée parce que le résultat serait le même. En revanche, l’avocat des demandeurs a prié la Cour d’autoriser la demande et de simplement rendre un jugement déclarant l’illégalité; il serait insensé de renvoyer l’affaire au tribunal, le résultat final étant que les mesures de renvoi ont été prises d’une manière invalide.

 

[29]           Il est très rare que le non‑respect d’une condition à l’exercice de la compétence (ou le manquement à l’équité procédurale) ne mène pas à l’annulation de la décision et, en l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que le résultat serait automatiquement le même à l’avenir. De plus, selon la Cour, la mesure de renvoi était nulle dès le départ; tout ce qui en découlait était donc nul (Bancheri c. Ministre du Revenu national, [1999] TCJ No 22, par. 59).

 

[30]           Il ne fait aucun doute que si les décisions de prendre des mesures de renvoi contre les demandeurs sont invalides en droit, il n’est pas nécessaire qu’un autre membre de la Section d’appel de l’immigration décide si, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision, il y a suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales à la lumière de toutes les circonstances de l’affaire.

 

[31]           Le tribunal aurait dû accueillir l’appel suivant le paragraphe 67(2) de la Loi, mais son seul pouvoir à cet égard aurait été de renvoyer l’affaire au décideur approprié pour nouvel examen. Ainsi, le tribunal aurait dû dans tous les cas renvoyer l’affaire à l’agent et au délégué du ministre pour nouvel examen, puisque la décision du 28 novembre 2008 était nulle et invalide en droit.

 

[32]           En pratique, la procédure à deux étapes prévues à l’article 44 de la Loi devra être appliquée de nouveau, cette fois devant un autre agent et un autre délégué du ministre. S’ils décident de refaire un examen, les décideurs devront rendre leur décision en se fondant sur de nouveaux calculs, étant donné qu’environ deux ans et huit mois se sont écoulés depuis novembre 2008. Tout le processus peut prendre des mois avant que la question de savoir si l’un ou l’autre ou les deux demandeurs ont respecté l’obligation de résidence énoncée au paragraphe 28(2) de la Loi ne soit finalement tranchée de nouveau. Ainsi, il est impossible de prédire le résultat à ce stade.

 

[33]           Par conséquent, la Cour ne voit pas en quoi il serait utile de renvoyer l’affaire à un autre membre de la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen, et il s’agit d’un cas où il convient de rendre un jugement déclarant que les mesures de renvoi sont nulles de nullité absolue.

 

[34]           Pour les motifs qui précèdent, et dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire, annule la décision du tribunal et rendra un jugement déclarant que les mesures de renvoi sont illégales et nulles de nullité absolue.

 

[35]           Les avocats conviennent tous que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. Par conséquent, aucune question de portée générale n’est certifiée par la Cour.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.         La décision rendue le 7 janvier 2011 par le tribunal est annulée;

3.         Les mesures de renvoi prises le 28 novembre 2008 sont illégales et nulles de nullité absolue;

4.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-739-11

 

INTITULÉ :                                       WAI HUEN WONG et SHUK YING JULIA CHAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 juillet 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 août 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

POUR LES DEMANDEURS

 

Caroline Christiaens

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lawrence Wong et associés

Avocats

Richmond (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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