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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20110729

Dossier : IMM-244-11

Référence : 2011 CF 933

Ottawa, Ontario, le 29 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

DANIEL GRATINI SANTANA ET YUDELKA MARGARI RAMIREZ HENRIQUEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

A.           INTRODUCTION

 

[1]               Les demandeurs requièrent la révision judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut des réfugiés (la Commission) rendue le 6 décembre 2010, aux termes de l’article 72(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) (la Loi). Dans cette décision, la Commission rejette la demande d’asile des demandeurs et conclut qu’ils n’ont ni la qualité de réfugiés, ni de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

B.        LES FAITS

 

[2]               Les demandeurs sont des conjoints et citoyens de la République Dominicaine. Leur relation conjugale et maritale débute en mars 2006.

 

[3]               Le père de la demanderesse les persécute parce que le demandeur est mulâtre et la demanderesse blanche. Il aurait fait tant des pressions psychologiques que physiques afin que les demandeurs mettent un terme à leur relation.

 

[4]               Le 24 juin 2006, le père de la demanderesse convainc un de ses employés, un dénommé Pedro, d’attaquer le demandeur. Le demandeur subit alors une lacération à son rein droit et essuie un coup de fusil à sa main. Hospitalisé, il porte plainte à la police dès son congé. La police reçoit sa plainte mais ne fait rien parce que le père de la demanderesse jouit de beaucoup d’influence financière dans la ville.

 

[5]               La demanderesse tombe enceinte par la suite. Quand son père le découvre, il la force à prendre des médicaments afin qu’elle avorte. Elle aurait subi une césarienne d’urgence au cinquième mois de sa grossesse, soit en mai 2007.

 

[6]               Les demandeurs quittent la République Dominicaine pour Antigua en août 2007. Ils partent pour le Canada en septembre, se sachant découverts par le père de la demanderesse. Ils arrivent au Canada le 8 septembre 2007.

 

[7]               Le 15 juillet 2008, la demanderesse donne naissance à une fille, citoyenne canadienne de par sa naissance au pays.

 

C.        LA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

[8]               La Commission conclut que les demandeurs ne sont pas crédibles. Conséquemment, elle considère que ce ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger. Interrogé par la Commission, le demandeur ne peut expliquer l’occupation du père de la demanderesse. De plus, la Commission constate que son récit des faits entourant son attaque et son hospitalisation varie. Le demandeur ne peut expliquer pourquoi il y a deux versions contradictoires de l’attaque par Pedro. La Commission note les divergences entre ce qu’il est indiqué à l’audience et ce qui est relaté dans le rapport de police. Le formulaire de renseignements personnels du demandeur omet de mentionner le suivi qu’il aurait assuré auprès de la police pour s’enquérir des suites de sa plainte. De plus, la Commission considère que le témoignage du demandeur au sujet de ses antécédents de travail est évasif et qu’il s’est contredit.

 

[9]               La Commission n’accorde aucune valeur probante au rapport de police produit par le demandeur parce qu’il ne contient ni de numéro d’identité, ni de plainte ou de dossier, ni de signature, et aussi parce qu’il ne mentionne pas la date ou l’endroit de l’attaque.

 

[10]           Dans sa décision, la Commission ne fait aucune mention du rapport du médecin qui décrit les blessures du demandeur suite à l’attaque.

 

[11]           La Commission conclut également que la demanderesse n’est pas crédible parce que son témoignage fluctue quant aux circonstances entourant sa grossesse et son avortement. La Commission rejette aussi la déclaration écrite par la mère de la demanderesse et le rapport de son médecin parce qu’ils diffèrent.

 

[12]           La Commission conclut que les demandeurs n’ont pas établi les éléments essentiels pour lui permettre d’accueillir leur demande d’asile.

 

D.        LE DROIT APPLICABLE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

 

Définition de « réfugié »

 

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

E.         LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

 

[13]           Dans cette demande on retrouve trois questions en litige :

a)      Les conclusions quant à la crédibilité des demandeurs sont-elles raisonnables?

b)      La Commission tient-elle compte correctement des éléments de preuve documentaires déposés par les demandeurs?

c)      La Commission applique-t-elle correctement les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (les Directives)?

 

[14]           La norme de contrôle applicable aux  trois questions que soulèvent cette demande de révision judiciaire est celle de la raisonnabilité (Kar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 143 au para 31; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 53 [Dunsmuir]).

 

[15]           La Cour doit donc examiner la justification, la transparence et l’intelligibilité de la décision, « ainsi qu[e] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir précité, au para 47).

 

F.         L’ANALYSE

 

a) Les conclusions quant à la crédibilité des demandeurs sont-elles raisonnables?

 

La position des demandeurs

 

[16]           Les demandeurs soutiennent que la Commission pose des questions déraisonnables eu égard aux faits qu’ils allèguent. La conclusion de la Commission portant sur leur crédibilité devient donc arbitraire, voir capricieuse. Selon eux, la Commission doit s’adresser au père de la demanderesse si elle veut connaître sa profession. De même, devrait-elle s’enquérir auprès de la mère de la demanderesse si elle veut savoir pourquoi celle-ci écrit un curetage plutôt qu’une césarienne, dans sa déclaration assermentée.

 

[17]           Dans leur réplique, les demandeurs ajoutent que les circonstances entourant leur situation ne sont pas normales. Ils ne peuvent donc confirmer l’occupation du père de la demanderesse. La Commission est déraisonnable puisqu’elle doute de leur crédibilité parce qu’ils ne connaissent pas l’occupation du père de la demanderesse.

 

[18]           Les demandeurs plaident aussi que les conclusions d’invraisemblance et de crédibilité doivent être tirées d’une manière claire et précise. Dans leur cas, elles sont erronées parce que lacunaires et vagues. Les demandeurs citent deux décisions à l’appui : Isakova c Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 149 et Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, 208 FTR 267.

 

[19]           Dans leur réplique, les demandeurs prétendent  aussi que la Commission aurait du vérifier dans quel contexte le mot « curetage » est employé dans la République Dominicaine avant d’en tirer une conclusion négative sur leur crédibilité. Les demandeurs soutiennent que la Commission ne peut les pénaliser parce qu’elle n’a pas fait l’effort de rechercher cette question « cruciale ». Les demandeurs prétendent aussi que la Commission ignore les représentations de leurs avocates sur l’usage du mot « curetage », et que même l’interprète de la Commission ne savait pas comment traduire le mot « curetage », utilisé dans un des éléments de preuve documentaires déposés devant la Commission.

 

[20]           Les demandeurs rappellent aussi que l’emploi du demandeur est périphérique à leur demande d’asile. La Commission devient déraisonnable lorsqu’elle utilise le témoignage du demandeur à ce sujet pour décider qu’il n’est pas crédible.

 

La position du défendeur

 

[21]           Le défendeur soutient que les demandeurs présentent maintenant de nouvelles explications qui n’étaient pas devant la Commission.

 

[22]           Le défendeur prétend qu’il est normal pour les demandeurs de connaître l’occupation du père de la demanderesse, leur persécuteur. Puisque les demandeurs doivent établir le bien-fondé de leur demande, la Commission peut poser une telle question. Le défendeur cite plusieurs décisions au soutien, notamment Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1498, 148 ACWS (3d) 297 au para 25 et Samseen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 542, 148 ACWS (3d) 780 au para 14.

 

[23]           Le défendeur rappelle que la demanderesse affirme, dans son témoignage, avoir subi l’intervention médicale à 3 ou 4 semaines de grossesse. La Commission peut alors rejeter son explication car elle contredit son propre rapport médical.

 

[24]           Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur invoque que les demandeurs ne se sont jamais plaints de la qualité de l’interprétation à l’audience. Ils ne peuvent maintenant faire valoir un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Le défendeur rappelle la décision de la Cour d’appel fédérale dans Geza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, 267 DLR (4th) 54, qui précise, au paragraphe 66, que « Les parties ne peuvent généralement pas se plaindre d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale par un tribunal administratif si elles n’en ont rien dit à la première occasion raisonnable. » De plus, le défendeur questionne pourquoi la demanderesse utilise deux termes différents pour décrire son intervention chirurgicale si elle ne connaît pas la signification des termes utilisés.

 

[25]           En réponse à l’argument des demandeurs voulant que la Commission fasse de la recherche pour éclaircir l’usage du mot « curetage » en République Dominicaine, le défendeur soutient que cette obligation n’appartient pas à la Commission. Le défendeur cite l’arrêt El Jarjouhi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] FCJ no 466, 48 ACWS (3d) 790, 1994 CarswellNat 2253, qui précise que les requérants ne doivent pas compter sur la Commission pour faire leur preuve pour eux.

 

[26]           Le défendeur prétend que les motifs énoncés dans la décision de la Commission pour conclure au manque de crédibilité  des demandeurs sont clairs, précis et bien articulés. Selon lui, les allégations des demandeurs ne sont pas prouvées. Les demandeurs ne sont pas crédibles parce qu’ils se contredisent. Le défendeur invoque l’arrêt  Hossain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 160, 102 ACWS (3d) 1133 au para 6 et Tcheremnykh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1310, 99 ACWS (3d) 306 au para 9, voulant qu’en présence d’une preuve contradictoire et d’explications invraisemblables, la Commission ne peut accorder aucune valeur probante à certains éléments de preuve et conclure à un manque de crédibilité.

 

[27]           Le défendeur soutient que la Commission peut douter de l’histoire du demandeur sur son suivi auprès de la police parce que ces déclarations sont omises dans son formulaire de renseignements personnels. L’arrêt Hammoud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 251, 1999 CarswellNat 970, appui cette conclusion.

 

[28]           Même si l’emploi du demandeur ne constitue pas un enjeu dans sa demande d’asile, selon le défendeur, la Commission peut quand même considérer la qualité de son témoignage à ce sujet. Compte tenu des autres défaillances dans le dossier des demandeurs, il devient raisonnable pour la Commission de considérer ce témoignage comme étant évasif et contradictoire et de conclure à l’absence de crédibilité des demandeurs (Qasem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1182, 118 ACWS (3d) 705).

 

L’analyse

 

[29]           La Commission doit porter un jugement et apprécier à leur juste valeur les témoignages et autres éléments de preuve déposés devant elle pour soutenir une demande d’asile aux termes de la Loi. La Commission en l’instance fonde sa conclusion voulant que les demandeurs manquent de crédibilité à même plusieurs incohérences et invraisemblances dans leurs témoignages.

 

[30]           Les demandeurs décortiquent et analysent isolément les invraisemblances constatées et les reproches que la Commission formule dans sa décision. Or, la Commission ne fonde pas sa décision sur la crédibilité des demandeurs par rapport à chacun des éléments pris isolément mais plutôt sur un constat d’ensemble. Les arguments des demandeurs s’appuient sur une  fausse lecture de la décision de la Commission. Cette dernière ne se préoccupe pas la profession du père de la demanderesse, mais plutôt du fait que le demandeur ne peut expliquer pourquoi il ne connaît pas la profession de son persécuteur même après plusieurs mois de cohabitation avec la demanderesse. Il en va de même pour l’utilisation du mot curetage. Ce n’est pas l’utilisation de ce mot qui amène la Commission à conclure à l’invraisemblance du récit de la demanderesse mais plutôt les contradictions dans son témoignage quant au moment et à la nature de l’intervention subie.

 

[31]           La Cour ne peut souscrire à l’argument des demandeurs voulant qu’il y ait eu manquement aux principes de l’équité procédurale parce que leur avocate n’a pas eu l’occasion d’expliquer pourquoi elle utilisait le mot curetage. Les demandeurs sont représentés par avocate tout au cours de l’audience, même si c’était par deux avocates différentes. Les demandeurs ont choisi de changer d’avocate après la première journée et avant que l’avocate explique son choix de vocabulaire. La Commission n’a rien à voir avec cette situation.

 

[32]           Les motifs de la décision sont clairs et les conclusions voulant que les demandeurs manquent de crédibilité sont raisonnables dans les circonstances.

 

b)         La Commission tient-elle compte correctement des éléments de preuve documentaires déposés par les demandeurs?

 

La position des demandeurs

 

[33]           Les demandeurs prétendent que la Commission commet une erreur en rejetant le rapport de police parce qu’on y explique que le demandeur s’est présenté sans carte d’identité. Dans leur réplique, les demandeurs ajoutent que la Commission doit les aviser si elle n’accorde pas de valeur probante au rapport. Ils affirment que l’absence d’avis de la Commission les empêche de répondre adéquatement au questionnement de la Commission.

 

[34]            Selon les demandeurs, la Commission doit tenir compte de tous les éléments de preuve, y compris que les avortements sont illégaux en République Dominicaine, ce qui peut expliquer l’usage du mot « césarienne » dans le rapport médical de la demanderesse. Dans leur réplique, les demandeurs réitèrent le même argument et ajoutent que l’emploi du mot curetage s’explique ainsi puisqu’on ne peut parler d’avortement, une pratique qui serait illégale.

 

[35]           Les demandeurs formulent également un autre reproche à l’endroit de la Commission. Sa décision n’explique pas pourquoi elle écarte le rapport du médecin rédigé après l’attaque contre le demandeur. Selon les demandeurs, cette erreur vicie la décision de la Commission qui devient, de ce fait, déraisonnable. Ils prétendent également que la Commission ignore les éléments de preuve déposés sur la violence et la corruption en République Dominicaine. En réplique au défendeur, les demandeurs affirment qu’il est impossible qu’un médecin puisse déterminer la cause de blessures dans un rapport. La Commission ne peut écarter des éléments de preuve au motif qu’un témoignage n’est pas crédible. Ils invoquent la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, 83 ACWS (3d) 264 [Cepeda-Gutierrez] en appui.

 

La position du défendeur

 

[36]           Le défendeur reconnait l’erreur de la Commission quant au  rapport  police, mais prétend qu’elle ne change pas la raisonnabilité de la décision. Le défendeur rappelle de plus que la description de l’attaque dans le formulaire de renseignements personnels du demandeur contredit la version qui se trouve dans le rapport de police. Dans ces circonstances, ce rapport ne peut pas être déterminant quant à la demande d’asile. Le défendeur plaide également que la Commission est un tribunal spécialisé qui possède une certaine expérience dans l’appréciation  des éléments de  preuves documentaires qui lui sont présentés.

 

[37]           Le défendeur soutient que  la crédibilité de la demanderesse est entachée par la qualité de ses réponses aux questions portant sur la nature de l’intervention médicale subie plutôt que sur l’illégalité de l’avortement en République Dominicaine. Le défendeur ajoute que les demandeurs n’établissent pas le lien entre les éléments de preuve documentaires objectifs et leur situation personnelle, citant Al-Shammari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 364, 23 Imm LR (3d) 66 au para 24. En réponse à l’argument voulant que la nature illégale de l’avortement explique les termes différents utilisés pour décrire l’intervention chirurgicale pratiquée sur la demanderesse, le défendeur soutient que c’est de la spéculation de prétendre que les médecins n’utiliseraient pas le mot « avortement » parce que l’avortement est un crime.

 

[38]           La Commission, selon le défendeur, pouvait rejeter des éléments de preuve à ce sujet parce que la déclaration de la mère de la demanderesse précise qu’il s’agit d’un curetage, alors que le rapport du médecin parle d’une césarienne.

 

[39]           Le défendeur soutient que la Commission tient compte du rapport médical déposé par le demandeur puisqu’elle le mentionne dans sa décision. La Commission ne commet pas d’erreur selon lui, en ne se prononçant pas directement sur sa valeur probante, Il cite l’arrêt Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 471, 122 ACWS (3d) 533. Le défendeur se fie également sur l’arrêt de Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 472, 2001 CarswellNat 971, qui précise qu’une conclusion sur l’absence de crédibilité peut s’étendre à tous les documents liés à un témoignage. Le défendeur rappelle aussi que le rapport ne mentionne pas la cause des blessures. Il s’appuie encore sur l’arrêt Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 426, 2004 CarswellNat 4431, plus précisément au paragraphe 15, où l’on peut lire : « un certificat médical qui fait état de certaines blessures ne prouve pas qu’elles sont le résultat de la persécution décrite par un demandeur. »

 

L’analyse

 

[40]           Une lecture attentive de la décision de la Commission nous convainc qu’elle aurait du tenir compte de tous les éléments de preuve déposés par les demandeurs. À notre avis, la Commission ne pouvait écarter le rapport de police, puisqu’il n’est pas contredit  par les déclarations du demandeur apparaissant dans son formulaire de renseignements personnels. Au contraire, les versions demeurent les mêmes à quelques nuances près. De plus, le demandeur explique pourquoi son numéro d’identité n’apparaît pas. Dans ces circonstances, cette décision de la Commission nous semble déraisonnable.

 

[41]           Le rapport du médecin et les contradictions entre les divers éléments de preuve portant sur la nature de l’intervention chirurgicale subie par la demanderesse permettent à la Commission de pondérer leur valeur probante. Il en va de même du rapport médical portant sur les blessures du demandeur (voir l’arrêt Cepeda-Gutierrez précité). Puisque ces éléments vont directement au cœur de la prétention des demandeurs, la Commission devait expliquer clairement la valeur probante qu’elles y accordaient. Ces erreurs nous suffisent pour accueillir la demande de révision judiciaire.

 

c)         La Commission applique-t-elle correctement les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (les Directives)?

 

La position des demandeurs

 

[42]           Les demandeurs soutiennent que la Commission ne tient pas compte des Directives lorsque la demanderesse témoigne devant elle. Les Directives exigent que la Commission soit particulièrement attentive aux femmes qui souffrent de traumatisme suite à un viol ou à des abus. Dans son affidavit, la demanderesse affirme avoir l’impression que la Commission se fâchait contre elle. Les demandeurs citent aussi l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c Lavallée, [1990] 1 RCS 852, 108 NR 321, qui décrit le syndrome de la femme battue.

 

[43]           Les demandeurs prétendent que la Commission manque de sensibilité à l’égard de la demanderesse, particulièrement lors de son interrogatoire, où elle lui demande la différence entre un curetage et une césarienne, et sur ce que voulait dire sa mère en parlant du curetage. Les demandeurs citent Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1066, 163 ACWS (3d) 444 et soutiennent que, contrairement à ses prétentions, la Commission ne tient pas compte des Directives. De ce fait, la décision de la Commission est déraisonnable.

 

 

 

La position du défendeur

 

[44]           Le défendeur soutient, en réponse, que même si la demanderesse a vécu des expériences traumatisantes, la Commission peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle explique sa condition, l’avancement de sa grossesse et la nature de l’intervention chirurgicale pratiquée.

 

[45]           Le défendeur rappelle que les demandeurs sont représentés par avocate devant la Commission. Il cite l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, 111 ACWS (3d) 240 au para 8, voulant qu’une accusation que la Commission n’était pas impartiale doit s’appuyer sur « des preuves concrètes qui font  ressortir un comportement dérogatoire à la norme. » Le défendeur reproche aux demandeurs de ne citer aucun exemple précis de la transcription de l’audience pour appuyer leurs dires.

 

[46]           Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur souligne également que les demandeurs ne déposent aucun élément de preuve concret pour établir que la demanderesse souffrait de choc post-traumatique. Le défendeur soutient d’ailleurs que les lacunes et contradictions qui entachent la crédibilité de la demanderesse se retrouvent, non seulement dans son témoignage, mais aussi dans les éléments de preuve documentaires déposés devant la Commission. Le défendeur rappelle que les Directives n’ont pas pour objet de pallier aux lacunes dans les éléments de preuve d’une demanderesse d’asile.

 

 

L’analyse

 

[47]           Les décisions citées par les demandeurs ne s’appliquent pas en l’espèce. En effet, une lecture attentive de la transcription du témoignage de la demanderesse ne révèle aucun indice de partialité ou de comportement inacceptable de la part de la Commission. La Commission peut et doit questionner les éléments de preuve qui lui semblent contradictoires. C’est là son devoir. Il n’y a pas de preuve d’un manque de sensibilité de la Commission dans ce dossier.

 

G.        CONCLUSION

 

[48]           Puisque la Commission a commis une erreur dans son appréciation  des éléments de preuve documentaires déposés par les demandeurs, la demande de révision judicaire est accueillie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         Elle accueille la demande de révision judiciaire.

2.         Il n’y a pas de question d’intérêt général à certifier.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-244-11

 

INTITULÉ :                                       DANIEL GRATINI SANTANA et YUDELKA MARGARI RAMIREZ HENRIQUEZ c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               19 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      29 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudia Andrea Molina

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christine Bernard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Molina Inc.

Montréal (Québec)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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