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Date : 20110804

Dossier : IMM‑2348‑10

Référence : 2011 CF 975

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2011

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

GNANAMALAR SIVABALASUNTHARAMPILLAI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision datée du 21 août 2009 par laquelle un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (l’agent) a déterminé que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque de persécution, à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou son intégrité physique ni à un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités si elle retournait au Sri Lanka.

 

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire à un autre commissaire pour nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               Gnanamalar Sivabalasuntharampillai (la demanderesse) est une Tamoule du Sri Lanka âgée de 67 ans. La demanderesse a trois enfants qui vivent tous au Canada.

 

[4]               La demanderesse a quitté le Sri Lanka en décembre 1999 et est demeurée au Royaume‑Uni pendant un mois avant de passer par les États‑Unis pour demander l’asile au Canada en janvier 2000.

 

[5]               La demande d’asile de la demanderesse a été rejetée en mai 2001.

 

[6]               La demanderesse a déposé une demande d’évaluation des risques de retour avant renvoi (« ERAR ») en juin 2008.

 

Décision de l’agent

 

[7]               L’agent a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit exposée à un risque personnel et objectif si elle devait retourner au Sri Lanka

 

[8]               L’agent a conclu que la preuve présentée par la demanderesse ne permettait pas de conclure en sa faveur. Bien qu’une imposante documentation ait été soumise au stade de l’ERAR, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant en quoi les risques dont il y était fait état concernaient la demanderesse. La preuve révèle que les veuves de guerre sont exposées au harcèlement et que [traduction] « des actes de violence [sont] commis la nuit » dans les régions rurales, mais la demanderesse n’a pas établi qu’elle résidait dans une région rurale ou qu’elle était une veuve de guerre.

 

[9]               La demanderesse a également produit des éléments de preuve concernant de façon générale les mauvais traitements infligés par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (« TLET ») ainsi que des éléments de preuve concernant des cas d’arrestations policières et les inquiétudes que soulève le conflit armé entre les forces gouvernementales et les TLET en matière de droits de la personne. L’agent a conclu que ces documents concernaient pour une large part la situation qui existait avant que les forces gouvernementales n’envahissent les territoires des TLET en mai 2009, et il a estimé que la preuve de la demanderesse n’étayait pas la thèse d’un risque sérieux de préjudice ou de persécution si elle était renvoyée au Sri Lanka à ce moment.

 

[10]           L’agent a également conclu que la crainte de la demanderesse d’être la cible d’un enlèvement ou d’extorsion se fondait sur des hypothèses.

 

[11]           Enfin, l’agent a estimé que le fait que la demanderesse n’ait pas présenté de demande d’asile au Royaume‑Uni ou aux États‑Unis l’empêchait de conclure qu’elle craignait subjectivement d’être persécutée ou de subir un préjudice si elle retournait au Sri Lanka.

 

Questions en litige

 

[12]           La demanderesse soutient que :

            1.         l’agent d’ERAR n’a pas donné de motifs écrits adéquats ni étayé clairement chacune de ses importantes conclusions;

            2.         l’agent d’ERAR a commis une erreur en mettant en question la crédibilité de la demanderesse et sa crainte subjective du retourner au Sri Lanka sans l’avoir convoquée à une entrevue.

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[13]           La demanderesse fait valoir que l’agent ne se réfère aucunement à la preuve pour justifier ses conclusions relatives à l’ERAR. La demanderesse se plaint plus particulièrement du fait que l’agent n’a pas indiqué quels documents, s’il en est, ont été consultés au cours du processus décisionnel. De plus, l’agent ne précise pas, le cas échéant, quels passages de la documentation soumise par la demanderesse ont été pris en compte.

 

[14]           L’agent a souligné que le document RDI LKA102249 n’avait pas été fourni par la demanderesse. La demanderesse soutient qu’il faut en déduire qu’il n’en a pas tenu compte pour rendre sa décision, et ce, bien qu’il s’agisse d’un document émanant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

 

Observations écrites du défendeur

 

[15]           Le défendeur soutient qu’il est clair que l’agent a examiné tous les éléments de preuve produits par la demanderesse et qu’il n’était pas tenu de consulter des sources externes.

 

[16]           Le défendeur fait valoir que l’agent n’était pas tenu d’examiner le document RDI LKA102249, car celui‑ci était daté de décembre 2006 et portait sur les mauvais traitements infligés par les TLET, ce que l’agent n’estimait plus pertinent après la défaite des TLET aux mains des forces gouvernementales en mai 2009. En outre, il incombait à la demanderesse de fournir ce document à l’agent si cette dernière souhaitait qu’il l’examine de plus près.

 

[17]           Le défendeur prétend que l’agent s’est également demandé s’il existait une preuve de harcèlement ou de mauvais traitements suffisante pour étayer la demande de la demanderesse, mais il a conclu par la négative. Les allégations de la demanderesse étaient de nature spéculative de sorte que l’agent a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit exposée à un risque personnel et objectif.

 

Analyse et décision

 

Norme de contrôle

 

[18]           Lorsque la jurisprudence établit la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une question donnée, la cour de révision peut sans autre analyse appliquer cette norme (voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 57).

 

[19]           La Cour a confirmé que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions tirées par un agent d’immigration saisi d’une demande d’ERAR est celle de la décision raisonnable (voir l’arrêt Hnatusko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 18, paragraphes 25 et 26). Cependant, les questions d’équité procédurale, dont le droit d’être entendu et l’absence de motifs suffisants, sont assujetties à la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 43).

 

Question en litige

            L’agent d’ERAR n’a pas donné de motifs écrits adéquats ni étayé chacune de ses conclusions essentielles

[20]           L’agent a conclu que les craintes de la demanderesse étaient des craintes généralisées. L’agent a estimé que puisque la guerre entre les TLET et le gouvernement a pris fin en mai 2009, les craintes de la demanderesse n’avaient plus leur raison d’être en août 2009, au moment de rendre sa décision. La situation de la demanderesse avait changé par rapport à ce qu’y était indiqué dans sa documentation datant de 2006 et de 2007.

 

[21]           J’ai de la difficulté avec cette conclusion parce que l’agent ne renvoie, dans sa décision, à aucun élément de preuve susceptible de l’étayer. La preuve au dossier montre que les craintes de la demanderesse étaient fort probablement objectivement fondées compte tenu des éléments de preuve datant de 2006 et de 2007.

 

[22]           La conclusion de l’agent sur les conditions existantes en août 2009 est peut‑être étayée, mais il m’est impossible de le déterminer, car les motifs de l’agent ne me permettent pas de savoir sur quelle preuve il appuie sa conclusion.

 

[23]           Par conséquent, je suis d’avis que les motifs de l’agent, à cet égard, sont inadéquats étant donné qu’il n’y est fait mention d’aucun élément de preuve justifiant la conclusion susmentionnée.

 

[24]           Vu ma conclusion sur ce point, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les autres points.

 

[25]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[26]           Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale pour certification.


JUGEMENT

 

[27]                         LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont les suivantes :

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

. . .

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

. . .

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

 

Les dispositions pertinentes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, sont les suivantes :

 

161.(1) Le demandeur peut présenter des observations écrites pour étayer sa demande de protection et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

 

 

(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

161.(1) A person applying for protection may make written submissions in support of their application and for that purpose may be assisted, at their own expense, by a barrister or solicitor or other counsel.

 

(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2348‑10

 

INTITULÉ :                                                   GNANAMALAR SIVABALASUNTHARAMPILLAI

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DU JUGEMENT :                             Le 4 août 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert I. Blanshay

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Canadian Immigration Lawyers

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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