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Date : 20110811

Dossier : IMM-146-11

Référence : 2011 CF 985

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 août 2011

En présence de Monsieur le juge Mandamin

 

 

Entre :

 

AHMAD YASEEN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Ahmad Yaseen demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agente d’immigration désignée, Mme Carole Smith-Mekkaoui (l’agente), a refusé sa demande de résidence permanente au motif qu’il ne répondait pas aux exigences pour pouvoir immigrer au Canada.

 

[2]               Monsieur Ahmad Yaseen n’a obtenu aucun point pour sa compétence dans les langues officielles, étant donné qu’il n’a pas fourni les résultats de l’examen de lInternational English Language Testing System (IELTS) dans les délais requis, comme il avait été demandé. Sans ces résultats, l’agente affirme qu’il n’y a aucun fondement en fonction duquel elle aurait pu évaluer la compétence du demandeur dans les langues officielles; elle a donc rejeté la demande.

 

[3]               Le demandeur explique que la date la plus rapprochée disponible pour l’examen était après l’expiration du délai et que son représentant avait informé l’agente que ces résultats seraient soumis dès que possible. Il allègue que l’agente l’a privé de son droit à l’équité procédurale en rejetant la demande sans attendre les résultats, plutôt que de lui accorder une prorogation de délai. Monsieur Ahmad Yaseen fait également valoir que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte d’autres éléments de preuve prouvant ses capacités linguistiques.

 

[4]               Je conclus que l’agente n’a pas commis d’erreur en n’accordant pas au demandeur une prorogation du délai, mais qu’elle a commis une erreur en ne tenant pas compte d’autres éléments de preuve sur les aptitudes linguistiques de M. Ahmad Yaseen. Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

 

Contexte

 

[5]               Le demandeur, M. Ahmad Yaseen, est un citoyen de la Jordanie qui habite aux Émirats arabes unis. Il a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés en octobre 2006. Sa femme et sa fille ont été incluses dans la demande à titre de personnes à charge.

 

[6]               Le représentant du demandeur a transmis des documents le 11 février 2009 auxquels était jointe une note [traduction] : « Le client s’est inscrit pour passer l’examen de l’IELTS et les résultats de cet examen seront fournis dès qu’ils seront disponibles puisque vous les exigez. »

 

[7]               Le 10 mars 2009, l’agente a affirmé que le demandeur disposait de 60 jours pour fournir toute documentation additionnelle au soutien de la demande, y compris les résultats du test linguistique évaluant ses compétences en anglais. Selon l’affidavit du demandeur, ce dernier n’a pas été en mesure de s’inscrire à l’examen de l’IELTS avant l’expiration du délai.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

 

[8]               Le 29 juin 2009, l’agente a informé le demandeur qu’il n’avait pas respecté les exigences pour immigrer au Canada. L’agente a fourni un tableau indiquant les points attribués pour chaque critère. Le demandeur a obtenu le maximum de points pour l’âge et l’expérience, 20/25 pour la scolarité, 4/10 pour la capacité d’adaptation et aucun point pour la compétence dans les langues officielles et l’exercice d’un emploi réservé. Au total, le demandeur a obtenu 55 points sur 100, ce qui est inférieur à l’exigence minimale qui est de 67 points. Il lui manquait 12 points. La compétence dans les langues officielles aurait pu lui donner un maximum de 16 points supplémentaires.

 

[9]               L’agente a écrit ceci :

 

[traduction]

Le 10 mars 2009, vous avez été avisé que les documents que vous avez fournis pour appuyer vos compétences linguistiques ont été jugés non concluants et on vous a demandé de fournir les résultats de l’examen de l’International English Language Testing System (IELTS). Dans la lettre de demande, on vous a averti que si les résultats n’étaient pas reçus dans les 60 jours, votre demande risquait d’être refusée. Or, vous n’avez pas fourni vos résultats de l’IELTS. En conséquence, il n’y a aucun fondement me permettant d’évaluer vos connaissances en anglais et je ne vous ai donc accordé aucun point pour ce critère.

 

[10]           L’agente a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur.

 

Les dispositions applicables

 

[11]           Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), prévoit ce qui suit :

 

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

Qualité

 

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité;

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

(i) les études, aux termes de l’article 78,

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

b) le travailleur qualifié :

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1).

 

 

 

 

 

 

79. (1) Le travailleur qualifié indique dans sa demande de visa de résident permanent la langue — français ou anglais — qui doit être considérée comme sa première langue officielle au Canada et celle qui doit être considérée comme sa deuxième langue officielle au Canada et :

a) soit fait évaluer ses compétences dans ces langues par une institution ou organisation désignée aux termes du paragraphe (3);

b) soit fournit une autre preuve écrite de sa compétence dans ces langues.

75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

Skilled workers

 

 

(2) A foreign national is a skilled worker if

(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full-time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part-time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.

 

 

 

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

(i) education, in accordance with section 78,

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

(iii) experience, in accordance with section 80,

(iv) age, in accordance with section 81,

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

(b) the skilled worker must

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

(ii) be awarded the number of points referred to in subsection 82(2) for arranged employment in Canada within the meaning of subsection 82(1).

 

79. (1) A skilled worker must specify in their application for a permanent resident visa which of English or French is to be considered their first official language in Canada and which is to be considered their second official language in Canada and must

 

(a) have their proficiency in those languages assessed by an organization or institution designated under subsection (3); or

(b) provide other evidence in writing of their proficiency in those languages.

 

(emphasis added)

 

Les questions en litige

 

[12]           Le demandeur formule les questions de la façon suivante :

i)          Quelle est la norme de contrôle?

 

ii)         La décision est-elle injuste parce que l’agente aurait dû prolonger le délai pour fournir les résultats de l’IELTS jusqu’à ce que le demandeur ait passé l’examen et reçu les résultats?

 

iii)         L’agente a-t-elle commis une erreur de droit ou rendu une décision déraisonnable en n’accordant aucun point au demandeur pour aptitudes linguistiques compte tenu des autres éléments de preuve sur ses compétences en anglais fournis dans la demande?

 

Analyse

 

Norme de contrôle

 

[13]           Je suis d’accord avec les parties que la norme de contrôle applicable pour les questions relatives à l’équité procédurale est la norme de la décision correcte, tandis que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit commandent l’application de la norme de la décision raisonnable Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Kuhathasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 457.

 

Prorogation du délai

 

[14]           Le demandeur souligne qu’il n’était pas possible de fournir les résultats de l’IELTS avant l’expiration du délai étant donné que la date la plus rapprochée disponible pour l’examen était après l’expiration du délai. Le demandeur précise que le 12 février 2009, son représentant a avisé l’agente que les résultats seraient fournis dès qu’ils seraient disponibles.

 

[15]           Le demandeur soutient que l’agente l’a privé de son droit à l’équité procédurale en refusant la demande sans attendre les résultats. Le demandeur cite la décision Gakar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 189 FTR 306 (Gakar) pour faire valoir qu’une agente doit examiner toute demande de prorogation de délai raisonnable. En l’espèce, l’agente a donné au demandeur 30 jours pour prouver que ses études universitaires avaient été faites à temps plein. Neuf jours avant l’expiration du délai, le représentant du demandeur a demandé de proroger le délai de 30 jours, étant donné que ce dernier n’avait pas été en mesure d’obtenir les documents nécessaires. L’agente a refusé et a rejeté la demande. Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision, le juge Teitelbaum a statué qu’il y avait eu manquement à l’obligation d’équité lorsque l’agente a refusé de proroger le délai, en affirmant ce qui suit aux paragraphes 32 et 39 de ses motifs :

Un agent des visas doit faire preuve de souplesse et de compréhension dans son entrevue avec un demandeur. En l’espèce, l’agente des visas ne donne aucune explication valide de son refus d’accorder au demandeur la prorogation de délai qu’il demandait. Celui-ci s’est vu donner un délai de 30 jours pour administrer la preuve qu’il était un étudiant à temps plein pour son baccalauréat en commerce de l’université Osmania. Selon l’affidavit de l’agente des visas, elle trouvait qu’il était fort inusité que des études poursuivies à temps plein comprennent pour toute l’année trois sujets majeurs et deux cours de langue. Je ne vois rien qui justifie pareille conclusion.

[…]

En outre, l’agente des visas a donné au demandeur 30 jours pour produire les documents demandés au sujet d’un baccalauréat ès lettres, alors que le celui-ci n’a jamais prétendu avoir un tel diplôme.

 

[16]           Le demandeur soutient qu’il n’y avait aucune explication quant à savoir pourquoi l’agente n’aurait pas pu donner au demandeur le temps nécessaire pour passer l’examen et rien dans les motifs ne démontrait que l’agente avait même envisagé de proroger le délai. Le demandeur soutient que le défaut d’avoir examiné la demande de prorogation de délai constitue une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et un manquement à l’équité.

 

[17]           Toutefois, le demandeur n’a donné aucune indication à l’agente quant au délai supplémentaire requis et n’a fourni aucune preuve confirmant qu’il s’était inscrit à l’examen. C’est environ un mois plus tard que le demandeur a été informé des lacunes de sa demande et qu’on lui a demandé de fournir les résultats de l’IELTS.

 

[18]           Le demandeur admet qu’il n’a demandé aucun délai de prorogation précis, comme cela avait été le cas dans l’affaire Gakar.

 

[19]           Le défendeur souligne que l’agente n’a pas refusé la preuve écrite supplémentaire portant sur les compétences linguistiques en anglais du demandeur, mais a plutôt donné au demandeur une échéance précise et l’a avisé qu’aucun avis supplémentaire ne lui serait envoyé.

 

[20]           Selon les renseignements figurant dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), l’agente a noté ce qui suit le 10 mars 1999 :

[traduction]

Demande envoyée aujourd’hui – 60 jours pour répondre :

a.       Examen de l’IELT (le consultant note l’inscription à l’examen)

 

 

[21]           L’agente n’a pas reçu de réponse à la demande ci-dessus et a ensuite inscrit ceci dans le STIDI :

[traduction]

Le demandeur a affirmé avoir un niveau de compétences élevé en anglais. Après examen du dossier, il devait fournir les résultats de tests linguistiques. Le 10 mars 2009, on lui a demandé de fournir les résultats d’un examen d’anglais dans les 60 jours suivants. Le demandeur a été avisé que le défaut de respecter cette exigence entraînerait le rejet de la demande.

 

 

[22]           Le demandeur a répondu que l’agente n’a pas expliqué pourquoi elle ne pouvait pas attendre les résultats de l’IELTS, tandis que le demandeur devait attendre deux ans simplement pour que sa demande puisse être examinée.

 

[23]           Je suis d’accord avec le défendeur. Le fait que le demandeur a dû attendre deux ans avant que l’agente des visas se penche sur sa demande n’a aucune incidence importante sur la présente question. Si le demandeur avait officiellement demandé une prorogation de délai, il aurait été possible de conclure que l’agente aurait commis une erreur en ne tenant pas compte de sa demande, comme le souligne la jurisprudence citée par le demandeur. Dans l’affidavit du demandeur, il est indiqué que [traduction] « les autorités ont confirmé qu’une copie du reçu de paiement pour l’examen de l’IELTS serait suffisante pour obtenir une prorogation de délai auprès du Haut-commissariat du Canada dans le but de soumettre les résultats de l’IELTS après l’expiration du délai ». Toutefois, il n’y a rien au dossier établissant qu’il y a effectivement eu une demande de prorogation de délai ou indiquant une date précise à laquelle les résultats de l’examen seraient fournis.

 

[24]           Il est insensé à mon avis de s’attendre à ce que l’agente attende indéfiniment que les résultats demandés soient fournis. De plus, j’estime que l’agente n’est pas tenue de communiquer avec le demandeur hormis la demande et l’avertissement qui lui ont été envoyés. Dans les présentes circonstances, j’estime que l’agente n’a pas commis d’erreur en n’accordant aucune prorogation de délai pour les résultats de l’IELTS.

 

Autres preuves des compétences linguistiques

 

[25]           Le demandeur fait valoir qu’il a produit une preuve écrite démontrant qu’il était très habile en anglais, y compris des renseignements dans son curriculum vitae indiquant ses compétences en anglais et des relevés de notes confirmant la réussite de cours d’anglais dans le cadre d’études secondaires et postsecondaires. Le demandeur soutient que le fait que l’agente n’a jamais examiné la preuve écrite du demandeur constitue une erreur de droit.

 

[26]           Le demandeur souligne que l’agente n’a absolument pas tenu compte de ces autres éléments de preuve relatifs à ses compétences en anglais, et qu’elle a plutôt souligné qu’il n’y avait aucun fondement lui permettant d’évaluer les compétences du demandeur en anglais. Le demandeur fait valoir que le fait que l’agente n’a aucunement évalué ses compétences en anglais est une erreur juridique.

 

[27]           Le demandeur cite la décision Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 424 (Islam), une affaire dans laquelle le demandeur a choisi de soumettre une preuve écrite établissant ses compétences en anglais en vertu de l’al. 79(1)b) du Règlement. Par la suite, l’agente des visas a informé le demandeur que les prétentions écrites fournies n’appuyaient pas le niveau de compétence qu’il avait déclaré avoir et que des prétentions écrites additionnelles ne seraient pas acceptées. On lui a dit qu’il avait la possibilité de présenter des résultats de tests linguistiques, ce qu’il n’a pas fait. Lors de l’entrevue, l’agente lui a fait passer un test écrit. Le juge Campbell a conclu que l’agente des visas n’avait pas le pouvoir de tenir compte de ce test écrit, et qu’elle aurait dû prendre sa décision en se fondant sur les prétentions écrites, comme l’exige le Règlement.

 

[28]           Dans Al-Kassous c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 541 (Al-Kassous), le demandeur, qui a vécu en France pendant 8 ans et qui avait obtenu un diplôme de premier cycle ainsi qu’une maîtrise en français d’un établissement français, a fourni des observations écrites à titre de preuve de ses aptitudes en français. L’agent a conclu que les observations n’étaient pas concluantes et lui a demandé de fournir les résultats d’un test de compétences linguistiques. Le juge Teitelbaum a cité, au paragraphe 16 de ses motifs, le principe établi dans Islam :

 

[…] si une deuxième chance de satisfaire aux exigences de l’article 79 est donnée à un demandeur, il y a manquement si on empêche le demandeur de choisir une des possibilités prévues à l’article 79. En l’espèce, il ressortait clairement de la lettre du 26 novembre 2005 que la décision n’avait pas encore été prise et qu’on donnait au demandeur une deuxième chance de satisfaire aux exigences de l’article 79. Par conséquent, je conclus que l’agent d’immigration ne s’est pas acquitté de son obligation en matière d’équité procédurale.

 

[29]           Le juge Teitelbaum a ensuite lui-même conclu comme suit au paragraphe 24 :

 

Le paragraphe 79(2) du Règlement prévoit que les points sont attribués pour la compétence dans les langues officielles d’après les Standards linguistiques canadiens (Canadian Language Benchmarks pour l’anglais). Dans les notes du STIDI, il est uniquement indiqué que [TRADUCTION] « Je ne suis pas convaincu que l’intéressé a démontré une compétence en français correspondant au niveau 8 ». Cette conclusion semble se fonder entièrement sur le fait que le demandeur a terminé ses études en France il y a 17 ans, puisqu’il n’y a dans les notes du STIDI aucune référence à l’échantillon écrit du demandeur. L’échantillon écrit du demandeur constituait une partie importante de ses prétentions. L’agent était tenu d’évaluer les compétences du demandeur en français en se fondant sur les renseignements concernant l’expérience du demandeur en français, ainsi que sur l’échantillon écrit qu’il avait fourni. À mon avis, en raison de l’omission d’évaluer l’échantillon écrit d’après les Standards linguistiques canadiens, la décision est déraisonnable.

 

 

[30]           Le défendeur souligne que dans la présente affaire, l’agente n’a pas refusé d’autres preuves écrites de la compétence en anglais du demandeur, mais qu’elle lui a plutôt accordé un délai de 60 jours durant lequel elle n’a pas eu de réponse. Le défendeur précise également que le demandeur a choisi de passer l’examen plutôt que de fournir une autre preuve écrite, comme dans Islam et Al-Kassous.

 

[31]           J’estime que les décisions citées étaient utiles du fait qu’elles soulignent qu’il y a manquement lorsqu’on empêche un demandeur de choisir une des possibilités prévues à l’art. 79 du Règlement, l’une d’elles consistant à présenter des observations écrites pour appuyer sa compétence dans l’une des langues officielles. En d’autres termes, l’agente ne peut insister pour utiliser seulement les résultats d’un test linguistique comme fondement pour déterminer la compétence linguistique du demandeur.

 

[32]           Le défendeur fait une distinction entre les décisions Islam et Al-Kassous et la présente affaire du fait qu’en l’espèce, le demandeur avait précisé qu’il fournirait les résultats de l’examen comme preuve de ses compétences linguistiques et que rien n’indiquait que le demandeur avait l’intention de s’appuyer uniquement sur la preuve écrite pour établir ses aptitudes linguistiques.

 

[33]           Je n’accepte pas cet argument du défendeur étant donné qu’il n’y a aucune exigence explicite dans le Règlement portant que le demandeur doit choisir une méthode pour prouver ses compétences linguistiques plutôt qu’une autre. De plus, j’estime qu’il était légitime de la part du demandeur, en faisant ses déclarations sur ses compétences et en fournissant ses relevés de notes de ses cours d’anglais, de s’attendre à ce que ces éléments de preuve fassent partie de la documentation à prendre en compte par l’agente, au besoin.

 

[34]           Selon l’al. 79(1)b) du Règlement, un agent doit examiner d’autres preuves écrites pour évaluer les compétences linguistiques écrites s’il ne dispose pas de résultats de tests linguistiques. Comme preuve de ses compétences en anglais, le demandeur a produit son curriculum vitae dans lequel il décrit ses aptitudes linguistiques [traduction] : « très bon anglais (lecture, écrit, oral) ». Le demandeur a également présenté un relevé de notes certifié de l’Université de Jordanie indiquant qu’il avait réussi un cours d’anglais au cours de l’année scolaire 1994-1995, ainsi qu’un certificat d’examen d’études secondaires générales du ministère de l’éducation de 1993 montrant qu’il avait réussi un cours d’anglais et qu’il a obtenu une note de 155 sur 200.

 

[35]           L’agente a inscrit ce qui suit le 10 mars 2009 dans le STIDI :

[traduction]

LANG : aucune preuve. Exigerai l’IELTS.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           Le 19 juin 2009, l’agente s’est exprimée comme suit :

[traduction]

Le demandeur a affirmé avoir un niveau de compétences élevé en anglais. Après examen du dossier, il devait fournir les résultats de tests linguistiques. Le 10 mars 2009, on lui a demandé de fournir les résultats d’un examen d’anglais dans les 60 jours suivants. Le demandeur a été avisé que le défaut de respecter cette exigence entraînerait le rejet de la demande.

 

J’ai examiné le dossier. En l’absence des résultats du test, je ne suis pas convaincue que le demandeur répond aux Standards linguistiques canadiens, du moins qu’il ne correspond pas au niveau demandé, et je ne lui ai donc accordé aucun point pour ses compétences en anglais.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           L’agente a ensuite écrit au demandeur :

[traduction]

Le 10 mars 2009, vous avez été avisé que les documents que vous avez fournis pour appuyer vos compétences linguistiques ont été jugés non concluants et on vous a demandé de fournir les résultats de l’examen de l’International English Language Testing System (IELTS). Dans la lettre de demande, on vous a averti que si les résultats n’étaient pas reçus dans les 60 jours, votre demande risquait d’être refusée. Or, vous n’avez pas fourni vos résultats de l’IELTS. En conséquence, il n’y a aucun fondement me permettant d’évaluer vos connaissances en anglais et je ne vous ai donc accordé aucun point pour ce critère.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[38]           Certes, je comprends l’argument du défendeur portant que cela n’est pas suffisant pour prouver entièrement les compétences du demandeur en anglais. Or, selon les faits, il est inexact de la part de l’agente de dire qu’il n’y avait [traduction] « aucune preuve » des aptitudes linguistiques du demandeur et « aucun fondement [lui] permettant d’évaluer [ses] connaissances en anglais », puisqu’il y avait clairement des preuves de ses compétences en anglais.

 

[39]           Dans la décision Shaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 185 (Shaker), le demandeur a fourni six pages écrites à la main pour prouver ses compétences actuelles dans les langues officielles. L’agente n’a accordé au demandeur aucun point, en notant des erreurs grammaticales dans les pages écrites à la main qui ont été produites. Le juge Beaudry a accueilli la demande en soulignant ceci :

Les nombreuses erreurs que présente le manuscrit du demandeur et les mauvaises notes qu’il a obtenues en anglais à l’école ne justifient certes pas qu’on lui alloue tous les points, mais j’estime qu’il était manifestement déraisonnable que l’agente ne lui en attribue aucun. La preuve du demandeur révèle qu’il possède une expérience de travail considérable en anglais et même si sa connaissance de la langue n’est certes pas parfaite, il a néanmoins une certaine compétence en anglais. (Au paragraphe 42.)

 

 

[40]           À mon avis, il est déraisonnable que l’agente n’ait accordé aucun point au demandeur pour ses compétences dans les langues officielles en concluant qu’il n’y avait « aucun fondement » et « aucune preuve » alors que le demandeur avait clairement présenté des éléments de preuve de ses compétences en anglais. Bien que la preuve produite peut être jugée insuffisante, l’al. 79(1)b) exige que cette preuve soit prise en compte subsidiairement, en l’absence des résultats de l’examen de l’IELTS et que l’agente ne pouvait pas tout simplement ne pas en tenir compte.

 

Conclusion

 

[41]           L’article 79 du Règlement a été modifié et prévoit maintenant que les compétences linguistiques d’un demandeur doivent être évaluées en fonction des résultats de tests linguistiques. Toutefois, au moment où la demande a été présentée, la disposition prévoyait deux façons de prouver les compétences linguistiques d’un demandeur : en se fondant sur les résultats d’un examen linguistique ou sur d’autres preuves écrites.

 

[42]           À mon avis, l’agente avait l’obligation d’examiner la preuve écrite que le demandeur a présentée, soit des relevés de notes de cours d’anglais qu’il avait suivis. Bien que de tels éléments de preuve ne lui auraient pas permis d’avoir suffisamment de points, l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette preuve et en déclarant simplement qu’il n’y avait « aucun fondement » pour évaluer les compétences du demandeur en anglais.

 

[43]           J’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

2.                  Les parties n’ont proposé aucune question pour certification et je ne rends aucune ordonnance de certification d’une question grave de portée générale.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM-146-11

 

 

INTITULÉ :                                                   AHMAD YASEEN c.

                                                                        LEMINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 août 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 11 août 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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