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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110811


Dossier : IMM-26-11

Référence : 2011 CF 991

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 août 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

CARLOS ANTONIO BARRIOS TRIGOSO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision datée du 6 décembre 2010 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé la demande du demandeur en vue de se faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Pérou. Il craint de retourner dans ce pays en raison de sa participation à des activités politiques, qui a débuté au milieu des années 1980 alors qu’il était étudiant à l’université. Il avait, à titre d’étudiant, assisté à des manifestations contre le parti au pouvoir, l’Accion Politica Revolucionaria de America (APRA) et s’est fait connaître au sein de la Juventud Aprista (l’aile jeunesse de l’APRA) sous le sobriquet [traduction] « Le Terroriste ». En 1989, le demandeur a adhéré au parti Cambio 90, qui appuyait la campagne présidentielle péruvienne d’Alberto Fujimori. Il discutait fréquemment de politique avec ses clients et ses collègues marchands, au marché de Lima.

 

[3]               Après l’élection de Fujimori en 1990, le demandeur a joint des rassemblements de [traduction] « moralisation » visant les membres de l’ancien gouvernement de l’APRA, lesquels étaient soupçonnés de corruption. Ceux-ci étaient conduits de leur domicile à un poste de détention par des agents du Service national de renseignements [Servicio de Intelligencia Nacional] (le SIN), et le demandeur avait reconnu l’un de ces agents en raison de son adhésion au parti Cambio 90.

 

[4]               En 1991, le demandeur a reçu une note anonyme, dans laquelle on le menaçait de mort. Parce qu’il était désigné dans la lettre par son sobriquet [traduction] « Le Terroriste », le demandeur a conclu que la lettre avait dû être envoyée par l’aile jeunesse de l’APRA.

 

[5]               En 1992, le demandeur se mit à s’opposer aux mesures antisyndicales de Fujimori. Il a participé à deux manifestations contre le gouvernement, au cours desquelles il a reconnu le même agent du SIN qu’il avait vu aux rassemblements de moralisation. Le demandeur prétend qu’en juillet 1992, pendant que les policiers étaient occupés à disperser un rassemblement contre le gouvernement, il a été assailli par le même agent du SIN qu’il avait reconnu auparavant ainsi que par un homme habillé en complet, lesquels ont essayé de contraindre le demandeur à venir avec eux avant que ce dernier ne prenne la fuite.

 

[6]               En décembre 1994, deux hommes s’étant identifiés comme policiers se sont approchés du demandeur à son travail au marché et lui ont mentionné qu’ils avaient attrapé l’individu qui lui avait proféré des menaces de mort anonymes en 1991. Le demandeur prétend que, lorsqu’il a refusé d’aller au poste de police, les hommes ont commencé à le trainer hors de son travail, mais qu’il a réussi à s’échapper.

 

[7]               En janvier 1995, le même agent du SIN s’est approché du demandeur, pour lui demander d’arrêter. Le demandeur, pris de peur, s’est enfui et, plutôt que de retourner à son domicile, s’est installé à la maison de sa tante.

 

[8]               En mai 1995, le demandeur a voyagé aux États-Unis. Il y est resté pendant plus de 13 ans, sans jamais demander l’asile. Il allègue qu’il n’a pas su avant 1998 qu’il pouvait présenter une telle demande et qu’à ce moment-là, son avocat l’a avisé qu’il était trop tard pour présenter une demande. Il allègue aussi avoir demandé un visa de travail, mais qu’il n’a reçu aucune réponse. Le demandeur a demandé un passeport péruvien en 2006. À ce moment-là, deux personnes, l’une par téléphone et l’autre au moyen d’une visite en personne, cherchaient prétendument le demandeur à sa résidence au Pérou.

 

[9]               Le demandeur est resté préoccupé par le fait que, s’il devait être renvoyé au Pérou, il serait persécuté par l’APRA (qui forme le gouvernement actuel) en raison de ses activités antérieures contre le parti. Il craint aussi d’être persécuté aux mains d’agents du SIN, car il sait qu’ils étaient eux‑mêmes impliqués dans des activités anti-APRA sous le gouvernement Fujimori. Craignant d’être expulsé des États‑Unis, le demandeur est arrivé au Canada le 20 août 2008 et a présenté une demande d’asile deux jours plus tard.

 

[10]           Le demandeur a comparu devant la SPR le 1er novembre 2010. Il était représenté par un conseil, et un interprète était présent. La SPR, ayant conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96, ni une personne à protéger au titre de l’article 97, a rejeté sa demande. C’est cette décision qui est contestée en l’espèce.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

            Le lien avec des motifs de la Convention

 

[11]           La SPR a conclu que la question déterminante quant à la demande du demandeur fondée sur l’article 96 est celle du lien avec les motifs de la Convention. Bien que le demandeur ait une crainte subjective de retourner au Pérou, son retard de 13 ans à demander le statut de réfugié, qu’il a expliqué de manière insatisfaisante, minait sa crédibilité et a fait en sorte que la SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur au sujet de sa crainte subjective. De plus, ce dernier n’a pas établi le bien-fondé objectif de sa crainte.

 

[12]           Le demandeur n’a pas fourni une preuve suffisamment convaincante pour démontrer qu’il a personnellement fait l’objet d’une attaque durant le rassemblement contre le gouvernement de juillet 1992. Il semble plus probable qu’il ait plutôt été victime, tout comme le reste de la foule, des tentatives des policiers de disperser les protestants.

 

[13]           La SPR a conclu que la croyance du demandeur voulant que la lettre anonyme de menace de mort provienne de l’aile jeunesse de l’APRA relevait d’une supposition et que le demandeur n’avait pas agi raisonnablement en fuyant les policiers qui étaient venus le voir pour lui apprendre qu’ils avaient arrêté l’auteur de la lettre. Dans la même veine, le demandeur n’a pas donné une explication raisonnable quant au fait qu’il se soit sauvé de l’agent du SIN qui était venu le voir en janvier 1995, puisqu’il n’y avait pas de preuve convaincante qui laissait entendre que l’agent avait l’intention de lui causer du tort ou d’agir autrement que dans le cadre de ses fonctions officielles.

 

[14]           En ce qui concerne le risque prospectif soulevé par le demandeur, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve convaincante que le SIN ou l’APRA auraient un intérêt envers le demandeur ou prendraient celui-ci pour cible dans l’éventualité où il devait retourner au Pérou à ce stade-ci. Aucune explication raisonnable ne justifie la crainte du demandeur. Il a été absent du pays pendant 15 ans. Le SIN a été aboli en 2004, et il n’y a pas de preuve convaincante que l’organisation qui lui a succédé a l’intention de causer du tort du demandeur. En dépit de la turbulence politique qui sévissait au moment où le demandeur a fui le Pérou, il n’y a pas de preuve convaincante que son opposition antérieure au régime Fujimori ferait de lui une victime, surtout lorsque l’on considère que le Pérou d’aujourd’hui a répudié ce régime. De plus, il n’y pas eu de meurtres, de disparitions ou d’actes de torture à motivations politiques signalés en 2009 dans le pays natal du demandeur et les violations commises par le passé étaient de nature isolée. De plus, la prétention du demandeur voulant que les deux personnes qui le cherchaient à son domicile au Pérou en 2006 avaient l’intention de faire davantage qu’une simple vérification de ses antécédents pour sa demande de passeport péruvien n’est pas étayée par la preuve.

 

Les risques énoncés à l’article 97

 

[15]           En ce qui concerne la demande fondée sur l’article 97, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir « un préjudice précis [le] visant directement [...] ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions quant aux faits, ses inférences quant à la crédibilité et son appréciation de preuve?

b.                  La SPR a-t-elle conduit une analyse en bonne et due forme au regard de l’article 97?

c.                   La SPR a-t-elle manqué à son obligation d’agir équitablement en ne fournissant pas un enregistrement adéquat de l’audience?

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

 

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée dans tous les cas. Ainsi, dans les cas où la norme de contrôle applicable à la question que la Cour est appelée à trancher est bien établie dans la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche est stérile que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs appliqués dans le cadre de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[19]           La première question en litige concerne les conclusions de fait et les inférences en matière de crédibilité rendues par la SPR ainsi que son appréciation de preuve, qui sont des questions pour lesquelles la SPR possède une expertise reconnue. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Voir Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53; et Ched c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1338, au paragraphe 11.

 

[20]           La deuxième question en litige concerne l’analyse relative à l’article 97 de la SPR, qui est une question mixte de fait et de droit. Voir Saint Hilaire c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178, au paragraphe 12.

 

[21]           Dans l’analyse d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient principalement à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Dit autrement, la Cour ne devrait intervenir seulement si la décision était déraisonnable, en ce qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[22]           La troisième question concerne le caractère adéquat de l’enregistrement et, par conséquent, le caractère équitable de l’audience tenue devant la SPR. Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir Toledo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1572, aux paragraphes 2 à 6; et Dunsmuir, précité.

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                       

[23]           Le demandeur fait observer qu’une [traduction] « partie significative » des questions que lui posait sa conseil au sujet du fondement objectif de sa crainte et de son omission à demander l’asile aux États-Unis est inaudible sur l’enregistrement de l’audience. Puisque le manque de preuve objectif était un élément-clé du rejet de la demande du demandeur par le SPR, la non-disponibilité d’une version complète de la transcription constitue un manquement à la justice naturelle.

 

[24]           Le demandeur affirme que la SPR n’a tiré à son égard aucune conclusion générale défavorable quant à la crédibilité et que l’on doit donc présumer qu’elle considérait que l’ensemble de son témoignage était véridique. Cependant, il est manifeste que la SPR n’a pas accepté les explications du demandeur au sujet des incidents suivants : l’agression par deux hommes dont il a fait l’objet lors du rassemblement contre le gouvernement, en juillet 1992; l’agression par deux hommes qui s’étaient identifiés en tant que policiers dont il a fait l’objet, en décembre 1994; la rencontre avec un agent du SIN, en janvier 1995 et les deux tentatives par des personnes inconnues de communiquer avec le demandeur à son domicile au Pérou, en 2006. Dans chaque cas, la SPR a conclu qu’il n’était pas raisonnable que le demandeur ait perçu ces incidents comme des menaces ou des agressions personnelles. Cela avait pour effet de « purifier » le récit des faits du demandeur, d’une manière qui convenait mieux à ses propres inférences déraisonnables et à ses conclusions erronées en matière de vraisemblance, sans compter que le demandeur a omis d’expliquer, en termes clairs et sans équivoques, ses motifs pour avoir conclu ainsi. Selon le demandeur, cela constituait une violation des principes de justice naturelle.  

 

[25]           De plus, la SPR a fait fi de la preuve documentaire datant de 1997 ou a mal apprécié cette dernière, laquelle détaillait les violations aux droits de la personne commises par l’État péruvien et étayait la thèse du demandeur portant que ces incidents pouvaient constituer une menace à sa vie. Comme la Cour avait conclu dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 au paragraphe 17, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée.

 

[26]           Le demandeur conteste aussi le traitement réservé par la SPR aux motifs pour lesquels il n’a pas présenté sa demande d’asile plus tôt. La SPR a omis de reconnaître dans sa décision que le demandeur avait présenté une demande de visa de travail aux États-Unis, mais que sa demande était restée sans réponse. De plus, il prétend qu’on devrait le croire lorsqu’il affirme ne pas connaître le régime d’asile, surtout lorsque l’on tient compte que la SPR n’a pas tiré d’inférences défavorables quant à la crédibilité à son sujet. Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shanmugarajah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 34 A.C.W.S. (3d) 828, [1992] A.C.F. no 583 (QL) au paragraphe 3 : « [I]l est presque toujours téméraire pour une Commission, dans une affaire de réfugié où aucune question générale de crédibilité ne se pose, d’affirmer qu’il n’existe aucun élément subjectif de crainte de la part du demandeur […] ».

 

[27]           En ce qui concerne sa demande fondée sur l’article 97, le demandeur prétend qu’il y a des éléments de preuve non contredits quant au fait qu’il serait exposé à un risque s’il devait retourner au Pérou en raison de ses activités politiques antérieures. L’État [traduction] « permet ouvertement » les violations aux droits de la personne et la corruption, en plus de protéger les fonctionnaires corrompus. Les opposants de l’État sont pris pour cible. Le pouvoir judiciaire est politisé et corrompu. Le fait que la SPR n’ait pas tiré une inférence négative quant à la crédibilité signifie que la totalité de la preuve présentée par le demandeur devrait être considérée comme étant véridique. Bien que la SPR n’ait pas accepté les revendications du demandeur, le fait qu’elle ait accepté son identité fait en sorte qu’elle devait entreprendre une analyse sérieuse fondée sur l’article 97. En omettant de le faire, la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

Le défendeur

 

[28]           Le demandeur prétend que la SPR a omis de fournir un enregistrement adéquat de l’audience, mais n’a fourni aucune preuve à l’appui de cette prétention, sans laquelle il est impossible de tirer une inférence. De plus, une transcription n’est pas nécessairement décisive en l’espèce si la crédibilité n’est pas en cause.

 

[29]           Le défendeur prétend que la protection offerte par l’asile est de nature auxiliaire et que les demandes de protection ne valent que pour l’avenir. Bien que la preuve de persécution antérieure puisse étayer une crainte justifiée d’être victime de persécution dans le futur, ce sera plutôt la preuve d’une crainte justifiée quant à des éléments postérieurs qui aura une importance. La SPR a agi de manière raisonnable en concluant qu’il n’y avait pas de preuve convaincante indiquant que le gouvernement actuel du Pérou avait un intérêt à prendre pour cible le demandeur, plus de 15 ans après que ce dernier ait fui le pays.

 

[30]           Même si le demandeur prétend qu’il est déraisonnable de s’attendre de demandeurs qui ne connaissent rien au régime d’asile de présenter une demande de protection, la jurisprudence est sans équivoque sur le fait que le retard à présenter la demande est pertinent quant à l’appréciation de la crainte subjective par le tribunal.

 

[31]           Le défendeur prétend que l’analyse relative à l’article 97 conduite par la SPR était raisonnable. Il incombait au demandeur de produire une preuve suffisante pour établir que le risque auquel il s’exposait à son retour était prospectif et personnalisé. La SPR était toutefois d’avis que le demandeur n’avait produit aucun élément de preuve en ce sens.

 

 

La réponse du demandeur

 

[32]           En réponse à l’affirmation du défendeur portant qu’il n’a pas produit de preuve concernant les défaillances de l’enregistrement de l’audience, le demandeur fait observer qu’il a fourni un affidavit dans lequel il affirme que des parties importantes de l’enregistrement étaient inaudibles.

 

Le mémoire supplémentaire du défendeur

 

[33]           Le défendeur soutient qu’un examen du dossier certifié du tribunal démontre que la [traduction] « grande majorité » des questions posées au demandeur étaient audibles et que le témoignage rendu par le demandeur était clair. À la fin de l’audience, la SPR a autorisé la conseil du demandeur de fournir des observations écrites, lesquelles ont été présentées par cette dernière et examinées par la SPR. L’on doit démontrer que toute omission dans la transcription fait surgir une possibilité sérieuse que le demandeur se soit vu refuser un motif pour interjeter appel ou demander le contrôle judiciaire de la décision. Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Liang, 2009 CF 955. Le défendeur prétend qu’il n’y a eu aucun préjudice dans la présente affaire.

 

[34]           Le demandeur conteste la conclusion de la SPR portant qu’il n’a pas été personnellement pris pour cible au Pérou, mais n’a fourni aucun élément de preuve corroborant sa prétention. La présomption de véracité de l’affidavit d’un demandeur peut être réfutée par l’omission de celui‑ci à produire une preuve corroborante. La SPR a reconnu que, selon la preuve documentaire, le Pérou est doté d’un gouvernement démocratiquement élu et qu’aucun meurtre, enlèvement ou acte de torture à motivation politique n’a été signalé. La position adoptée par le demandeur ne reflète qu’un désaccord avec la manière dont la SPR a apprécié la preuve, laquelle n’habilite pas la Cour à intervenir.

 

ANALYSE

 

[35]           La SPR ne tire aucune inférence quant à la crédibilité. L’essentiel de la décision repose sur le fait que le demandeur n’a pas fourni une preuve suffisante pour établir une crainte justifiée de retourner au Pérou.

 

[36]           En ce qui concerne les expériences antérieures du demandeur, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve établissant que le demandeur ait été pris pour cible par le passé et que, selon la trousse documentaire actuelle concernant le Pérou, il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire à la présence d’un risque prospectif.

 

[37]           Le demandeur a tenté de contester les conclusions du SPR quant au fait qu’il aurait antérieurement été pris pour cible comme étant des inférences défavorables déguisées en matière de crédibilité et de vraisemblance qui ne sont nullement étayées par la preuve et qui ne tiennent pas compte de la preuve disponible quant à ces questions. Selon moi, ce n’est pas ce qui se dégage de la lecture de la décision et de la transcription. La SPR n’a pas conclu que ces incidents ne se sont pas produits; elle ne pouvait tout simplement pas accepter les interprétations et les hypothèses formulées par le demandeur quant à ces incidents. Le demandeur a lui-même relaté que ces interprétations ne reposaient sur rien d’autre que sa crainte.

 

[38]           Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il croyait avoir été pris pour cible en 1992, le demandeur a donné la réponse suivante : [traduction] « Je ne sais pas trop pourquoi; ils m’ont possiblement identifié. » Lorsqu’on lui a demandé la raison pour laquelle il a pris la fuite devant un agent des services de renseignements en 1995 et pourquoi l’agent tentait de l’enlever ou de l’amener au poste de police, il a répondu : [traduction] « Je ne suis pas certain. » Dans la même veine, son explication quant à la raison pour laquelle il n’a pas suivi les deux policiers en 1994 n’était pas concluante.

 

[39]           Lorsqu’on lui a posé la question à savoir pourquoi l’APRA et l’actuelle agence nationale de services secrets le prendrait pour cible, 15 ans après sa fuite, sa réponse était la suivante : « Ils ne me l’ont jamais dit. Je ne suis pas certain, mais c’est probablement dû au fait qu’ils croient que je détiens des renseignements. »

 

[40]           Le demandeur a affirmé ceci dans son témoignage : [traduction] « J’ai peur, ma crainte est réelle. » Toutefois, il ne fait aucun doute qu’il n’a pu offrir quoi que ce soit de convaincant pour justifier cette crainte en puisant dans les expériences qu’il a vécues. La preuve documentaire apportait bien peu d’éléments étayant cette crainte. Le demandeur a renvoyé la Cour à la documentation datée de 1997, mais la SPR a examiné l’actuelle trousse de documentation sur le Pérou, laquelle démontrait qu’en dépit des problèmes du passé, il n’y avait pas de preuve convaincante que le demandeur serait pris pour cible par le gouvernement actuel ou par ses agents dans l’éventualité où il devrait retourner au Pérou à ce moment-ci. Toute crainte que pourrait avoir le demandeur concernant l’actuel gouvernement péruvien ou les membres du SIN n’est que pure conjecture.

 

[41]           Il s’agit de l’élément fondamental de la décision. Le demandeur soulève d’autres points, mais même dans l’éventualité où la Cour les accepterait, ceux-ci ne seraient pas déterminants. Le demandeur s’est désisté de ses plaintes relatives au caractère adéquat de l’enregistrement. Compte tenu de l’absence de preuve convaincante d’un quelconque risque personnalisé, l’analyse relative à l’article 97 menée par la SPR était raisonnable.

 

[42]           La décision ne contient, à mon avis, aucune erreur susceptible de révision. Les avocats conviennent avec la Cour qu’il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-26-11

 

INTITULÉ :                                       CARLOS ANTONIO BARRIOS TRIGOSO

                                                           

                                                            et

                                                           

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT               Le juge Russell

ET JUGEMENT                               

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Monika Choudhury

 

POUR LE DEMANDEUR

Charles J. Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monika Choudhury

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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