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Date : 20110815

Dossier : T‑1933‑10

Référence : 2011 CF 999

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 15 août 2011

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

 

MICHAEL AARON SPIDEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Michael Aaron Spidel demande le contrôle judiciaire d’une décision du sous‑commissaire principal du Service correctionnel du Canada (SCC) ayant rejeté au troisième palier le grief qu’il avait présenté à la suite du refus du directeur de l’Établissement Ferndale (le directeur) d’approuver sa nomination au comité des détenus du pénitencier.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que M. Spidel, ayant été transféré d’établissement, sa demande de contrôle judiciaire est devenue théorique, mais j’estime qu’en raison des conséquences accessoires que les décisions du directeur et du sous‑commissaire principal peuvent continuer de produire à son égard, il est dans l’intérêt de la justice de statuer sur le fond de la demande. Je suis en outre d’avis que l’examen du grief n’a pas été fait de façon équitable pour M. Spidel et que la décision du sous‑commissaire principal est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

Contexte

 

[3]               M. Spidel purge une peine d’emprisonnement à perpétuité dans un établissement fédéral pour meurtre au deuxième degré. Il a été incarcéré à l’Établissement Ferndale pendant quelques années, où il a siégé au comité des détenus, notamment en qualité de président pendant un mandat. À la fin de l’année 2009, des élections se sont tenues pour pourvoir des postes au comité, et M. Spidel s’est nommé lui‑même à un poste.

 

[4]               M. Spidel a par la suite reçu une lettre du directeur datée du 29 décembre 2009 l’informant que sa nomination n’était pas approuvée. Le directeur a fondé sa décision sur la Directive 083 du commissaire, qui énonce les conditions à remplir pour siéger au comité. L’une de ces conditions est que les détenues « aient démontré leur volonté de collaborer avec la direction de l’établissement et les autres membres du Comité de détenus à la résolution des problèmes d’une manière raisonnable ».

 

[5]               Dans la lettre de refus, le directeur a écrit :

[traduction] J’estime que vous vous immiscez trop dans certaines questions. Vous vous montrez trop certain que vous avez raison, au point d’être incapable d’accepter une opinion divergente. Dans votre cas, ce sont des comportements préoccupants car ils procèdent d’erreurs de raisonnement ayant contribué à l’infraction pour laquelle vous êtes incarcéré.

 

 

[6]               Le directeur a indiqué qu’un rapport psychologique établi en 2006 faisait état de changements positifs chez l’intéressé, mais avertissait ce dernier de l’importance de [traduction] « continuer à remettre en question et modifier les modes de pensée associés à l’infraction à l’origine de sa peine ». Le rapport recommandait à l’intéressé de se garder de l’excès de confiance en soi et de [traduction] « l’immixtion exagérée dans l’aide à la gestion de la vie quotidienne d’autrui ». Le directeur a ajouté que la façon dont M. Spidel s’était acquitté de ses fonctions de représentation des détenus par le passé suscitait des craintes à l’égard des « modes de pensée » mentionnés dans le rapport psychologique, et il a conseillé à l’intéressé de mettre l’accent sur sa progression personnelle plutôt que de se mêler exagérément des affaires des autres détenus.

 

[7]               M. Spidel a élevé un grief à l’encontre de la décision du directeur, alléguant que ce dernier ne lui avait pas fourni la possibilité de présenter des observations à l’égard de l’interdiction de participer au comité des détenus, contrairement à l’article 77 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch. 20 [LSCMLC] et à l’alinéa 99(2)b) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [RSCMLC].

 

[8]               M. Spidel a en outre soutenu que le refus du directeur d’approuver sa nomination portait atteinte à la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association garanties par la Charte et que le pouvoir du directeur d’écarter la nomination d’un détenu à un comité ne pouvait s’exercer qu’à des cas soulevant des questions de sécurité. Il a également contesté l’affirmation du directeur qu’il n’avait pas démontré sa volonté de collaborer à la résolution des problèmes, en signalant les évaluations positives formulées à l’égard de son travail avec d’autres détenus et le succès du travail effectué au sein du comité des détenus, lesquels étaient postérieurs au rapport psychologique étayant la décision du directeur.

 

[9]               Comme la décision émanait du directeur, le grief a immédiatement fait l’objet d’un examen au deuxième palier, à l’issue duquel il a été rejeté le 28 mai 2010, au motif que le paragraphe 22 de la Directive habilitait le directeur à refuser la nomination du demandeur. La décision mentionnait aussi que, de l’avis de la direction, l’intéressé n’avait pas représenté la population de l’établissement lors de son mandat comme président du comité des détenus et qu’il n’avait pas informé les détenus avec exactitude et impartialité. Il n’y a pas été question de l’allégation du demandeur selon laquelle il n’avait pas eu la possibilité de présenter des observations concernant la décision du directeur.

 

[10]           M. Spidel a alors porté son grief au troisième palier de la procédure de grief, invoquant, pour l’essentiel, les mêmes arguments que dans le grief initial, mais il a déposé une preuve documentaire substantielle comprenant ses évaluations de rendement ainsi qu’une pétition signée par la plupart des détenus de l’Établissement Ferndale appuyant sa candidature au comité des détenus.

 

[11]           Dans l’argumentation déposée au troisième palier, M. Spidel a exposé qu’il n’avait rien pu trouver dans son dossier qui indiquât qu’il n’avait pas bien représenté la population de l’Établissement Ferndale lors de son passage au comité des détenus ou qu’il n’avait pas informé les détenus avec exactitude et impartialité. Il a demandé que le directeur s’excuse par écrit d’avoir enfreint ses droits et que la lettre du directeur soit retirée de son dossier.

 

[12]           Le 7 octobre 2010, le sous‑commissaire principal du SCC a rejeté le grief au troisième palier. Dans sa décision, il a fait état de l’argument de M. Spidel selon lequel aucun élément de preuve documentaire n’étayait l’allégation qu’il s’était montré incapable de travailler en collaboration avec la direction de l’Établissement Ferndale ou avec les détenus, mais il a indiqué qu’il était possible que la capacité de M. Spidel [traduction] « de travailler avec le personnel à la résolution de problèmes ne soit pas entièrement documentée car elle est tributaire des rapports personnels que vous avez établis avec le personnel et, en particulier avec le DP [directeur du pénitencier] ».

 

[13]           Le sous‑commissaire principal a ensuite déclaré que le directeur d’établissement avait le pouvoir, aux termes de la Directive 083, de refuser la nomination de M. Spidel et que sa lettre de refus en expliquait les raisons. Enfin, il a jugé que ni la Charte ni la LSCMLC ne garantissaient le droit de participer à des comités de détenus. Cette décision ne renferme elle non plus aucune mention de l’allégation de M. Spidel qu’il n’a pas eu la possibilité de présenter des observations concernant la décision du directeur de l’établissement.

 

La demande de contrôle judiciaire est‑elle théorique?

 

[14]           Quelques jours avant l’audience, le défendeur a présenté une requête pour jugement sommaire rejetant la demande de contrôle judiciaire arguant du caractère théorique qu’elle revêtait à présent en raison du transfèrement de l’intéressé à un autre établissement. M. Spidel avait initialement été transféré de l’Établissement Ferndale (à sécurité minimale) à l’Établissement de Mission (à sécurité moyenne).

 

[15]           M. Spidel avait alors exercé un recours en habeas corpus devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique mais, avant que cette cour puisse se prononcer sur la demande, le SCC a consenti à renvoyer l’intéressé dans un établissement à sécurité minimale et une ordonnance de consentement en prenant acte a été rendue. Il appert que le SCC a également accepté de supprimer du dossier de M. Spidel les renseignements ayant mené à sa reclassification et son transfèrement à un établissement à sécurité plus élevée. M. Spidel est à présent incarcéré au pavillon de ressourcement Kwìkwèxwelhp.

 

[16]           M. Spidel a déposé un volumineux dossier en réponse à la requête en rejet pour caractère théorique présentée par le défendeur. Ce dossier comprenait une copie de cinq affidavits qui avaient été préparés dans le cadre de la demande d’habeas corpus. Deux des affidavits avaient été souscrits par un psychologue, deux par un travailleur social et un par un agent de programmes sociaux à la retraite. Toutes ces personnes étaient intervenues auprès de M. Spidel à l’Établissement Ferndale.

 

[17]           Je ne vais pas examiner en détail chacun des affidavits. Je me contente de constater que ce qui se dégage de la preuve déposée par M. Spidel est troublant. Je suis consciente que le défendeur a soumis d’autres éléments de preuve à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour justifier sa décision de reclasser et transférer M. Spidel, mais les affidavits qui m’ont été présentés donnent à penser que des griefs déposés par ce dernier avaient grandement irrité le directeur, lequel avait pris diverses mesures de représailles contre le détenu, dont l’abolition d’un programme de santé mentale afin de justifier son renvoi.

 

[18]           Tous les déposants attestent de l’existence de bons rapports avec M. Spidel et du bon travail que celui‑ci accomplissait à Ferndale. Deux d’entre eux déclarent qu’ils n’étaient pas au courant des problèmes ou préoccupations invoqués pour justifier le transfèrement de M. Spidel, bien qu’ils aient travaillé en relation étroite avec ce dernier.

 

[19]           Le psychologue ayant préparé le document sur lequel s’est appuyé le SCC pour justifier le transfèrement a souscrit deux affidavits. Il déclare avoir entendu dire que [traduction] « la direction souhaitait le départ de M. Spidel et désirait un rapport d’évaluation [...] qui lui permettrait de parvenir à cette fin ». Le psychologue affirme qu’il n’a pas produit alors un tel rapport, mais il est l’auteur de la note qui a subséquemment justifié le transfèrement de M. Spidel. Il déclare sous serment qu’on l’a trompé au sujet du prétendu comportement de M. Spidel, et qu’il a rédigé la note en question sans avoir cherché à obtenir confirmation de ce que la direction du SCC lui avait dit.

 

[20]           Comme la Cour suprême l’a indiqué dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, la doctrine du caractère théorique est un principe ou une pratique permettant à un tribunal de refuser de juger une affaire ne mettant pas en cause de litige actuel entre les parties ou soulevant uniquement une question hypothétique ou abstraite.

 

[21]           Suivant Borowski, le litige actuel doit exister non seulement lors de l’institution de la demande de contrôle judiciaire mais aussi au moment où la Cour est appelée à rendre sa décision. Par conséquent, si pour quelque raison le litige cesse d’exister entre les parties après l’institution de la demande de contrôle judiciaire, l’affaire devient théorique.

 

[22]           J’estime que la présente espèce est théorique. Le litige sous‑jacent entre M. Spidel et le SCC concerne l’éligibilité de M. Spidel au comité des détenus de l’Établissement Ferndale. Puisque M. Spidel a été transféré à un autre établissement, il ne peut plus être élu au comité des détenus de cet établissement, et le litige n’est donc plus actuel.

 

[23]           La Cour est toutefois investie du pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire même si elle est jugée théorique, et j’estime que la présente espèce se prête à l’exercice de ce pouvoir.

 

[24]           Bien que je n’aie pas à formuler de conclusion expresse sur ce point, la preuve par affidavit non contredite permet de penser que le transfèrement non sollicité de M. Spidel a pu être décidé en représailles du recours de ce dernier à la procédure de grief pour contester des décisions de la direction.

 

[25]           Qui plus est, j’estime que même si M. Spidel n’est plus éligible au comité des détenus de l’Établissement Ferndale, le contexte contradictoire nécessaire en l’espèce peut malgré tout exister en raison de possibles conséquences accessoires découlant de la décision du directeur et de la décision visée par le contrôle judiciaire.

 

[26]           Je signale à cet égard que, dans Borowski, la Cour suprême du Canada a exposé que la doctrine du caractère théorique repose notamment sur le principe que la capacité des tribunaux de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire, lequel contribue à garantir que les parties intéressées à l’issue du litige débattent complètement de tous les aspects en cause.

 

[27]           La Cour suprême a toutefois indiqué que l’exigence du contexte contradictoire peut être remplie « si, malgré la disparition du litige actuel, le débat contradictoire demeure », et elle a donné comme exemple de cas où cela peut se produire la situation où « même si la partie qui a engagé des procédures en justice n’a plus d’intérêt direct dans l’issue, il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire » [je souligne, par. 31].

 

[28]           En l’espèce, la décision de troisième palier rendue sur le grief a pour résultat de maintenir au dossier correctionnel de M. Spidel la décision du directeur en date du 29 décembre 2009, laquelle renferme des remarques défavorables sur le comportement de l’intéressé qui, de l’aveu du défendeur, pourraient plus tard avoir des conséquences négatives pour lui.

 

[29]           Dans ces circonstances, j’estime indiqué d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’entendre au fond la demande de contrôle judiciaire de M. Spidel.

 

Norme de contrôle

 

[30]           La demande de contrôle judiciaire soulève deux questions. Il faut, premièrement, déterminer si M. Spidel a été traité équitablement lors du processus de grief. Lorsque l’équité procédurale est en cause, la Cour doit établir si le processus suivi par le décideur respecte le degré d’équité exigé en toute circonstance : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 43. En plus du droit à l’équité procédurale reconnu par la common law, il faut tenir compte des droits procéduraux accordés aux détenus par les dispositions législatives applicables.

 

[31]           S’agissant du bien‑fondé de la décision de troisième palier rendue sur le grief, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. De telles décisions dépendent beaucoup des faits en cause, et le personnel du SCC est mieux placé que la Cour pour rendre et examiner les décisions relatives au milieu carcéral.

 

[32]           Lorsqu’elle contrôle une décision suivant la norme de la raisonnabilité, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47, et Khosa, par. 59.

 

M. Spidel a‑t‑il été traité équitablement?

 

[33]           L’article 99 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit ce qui suit :

99. (1) Le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut interdire au détenu de prendre part à une réunion de détenus ou à des activités d’une organisation ou d’un comité de détenus lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que la participation du détenu compromettrait la sécurité du pénitencier ou de quiconque.

 

 

 

(2) Lorsque le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui interdit au détenu de prendre part à une réunion ou à des activités d’une organisation ou d’un comité de détenus en application du paragraphe (1), il doit donner au détenu :

a) un avis écrit de l’interdiction et ses motifs;

 

 

b) la possibilité de présenter ses observations à ce sujet.

[Je souligne.]

99. (1) The institutional head or a staff member designated by the institutional head may prohibit an inmate from participating in an assembly of inmates or in the activities of an inmate organization or committee if the institutional head or staff member believes on reasonable grounds that the inmate’s participation would jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person.

 

(2) Where the institutional head or staff member designated by the institutional head prohibits an inmate from participating in an assembly or activities under subsection (1), the institutional head or staff member shall give the inmate

 

(a) written notice of the prohibition, including the reasons for the prohibition; and

(b) an opportunity to make representations with respect thereto. [emphasis added]

 

 

[34]           Le paragraphe 27(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, lui, énonce ce qui suit :

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui‑ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle‑ci, ou un sommaire de ceux‑ci. [Je souligne.]

27. (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information. [emphasis added]

 

On n’a pas fait valoir que le par. 27(3) (qui permet de ne pas communiquer des renseignements dans des circonstances précises) s’applique en l’espèce.

 

[35]           Les décisions rendues au deuxième et troisième palier n’ont ni l’une ni l’autre examiné l’argument de M. Spidel selon lequel il y avait eu des vices dans la procédure suivie par le directeur. Le défendeur admet à présent que M. Spidel avait légalement le droit de présenter des observations concernant la décision du directeur et qu’il n’a pas eu cette possibilité, mais il fait valoir que l’intéressé connaissait très bien le processus de grief et qu’il aurait pu présenter des observations s’il l’avait voulu.

 

[36]           J’estime respectueusement que la connaissance manifeste que M. Spidel avait des règlements et règles applicables aux détenus ne libère pas le SCC de ses obligations légales. En plus du droit de présenter des observations énoncé à l’alinéa 99(2)b) du RSCMLC, les détenus disposent également du droit prévu au paragraphe 27(1) de la LSCMLC de recevoir communication de renseignements avant la prise de décision. Cela ne s’est pas produit en l’espèce. En ne suivant pas la procédure prescrite par la loi, le SCC a porté atteinte au droit de M. Spidel d’être traité équitablement.

 

La décision du directeur était‑elle raisonnable?

 

[37]           Les vices de procédure susmentionnés suffisent pour fonder l’annulation de la décision de troisième palier rendue sur le grief, mais j’estime que cette décision était en outre déraisonnable.

 

[38]           Suivant l’article 22 de la Directive 083 du commissaire – Comités de détenus (Service correctionnel du Canada, 26 septembre 2008), la candidature d’un détenu désireux d’occuper un poste au sein du comité de détenus doit être soumise pour approbation au directeur de l’établissement au moins deux semaines avant la date de l’élection.

 

[39]           L’article 32 de la même directive énumère les critères d’éligibilité au comité des détenus. Le paragraphe 32(9) énonce que les détenus doivent avoir « démontré leur volonté de collaborer avec la direction de l’établissement et les autres membres du Comité de détenus à la résolution des problèmes d’une manière raisonnable ».

 

[40]           Je conviens que la capacité de collaborer avec la direction et avec les autres détenus est un élément que le directeur peut légitimement prendre en considération lorsqu’il est appelé à décider de l’approbation d’une candidature au comité des détenus, en raison de ses répercussions possibles sur la sécurité au sein de l’établissement. Je conviens également que l’évaluation ainsi requise comportera nécessairement une part de subjectivité car elle ne se prête pas à des observations empiriques.

 

[41]           Toutefois, l’évaluation par le directeur d’établissement de l’acceptabilité d’une candidature à un poste au comité des détenus ne peut être entièrement subjective car elle ouvrirait la porte à l’arbitraire. Elle doit comporter un fondement objectif.

 

[42]           En l’espèce, le directeur a fait fond sur un rapport psychologique de 2006 faisant mention des [traduction] « modes de pensée » de M. Spidel et conseillant à celui‑ci de se garder de l’excès de confiance et de [traduction] « l’immixtion exagérée dans l’aide à la gestion de la vie quotidienne d’autrui ».

 

[43]           Toutefois, dans les années qui ont suivi ce rapport, M. Spidel a siégé au comité des détenus de l’établissement Ferndale, à titre de membre et à titre de président. Rien dans la preuve n’étaye l’allégation du directeur que [traduction] « la façon dont M. Spidel s’est acquitté de ses fonctions de représentation des détenus par le passé soulève des craintes relativement aux " modes de pensée " mentionnés dans le rapport psychologique ». Il ressort au contraire de la preuve qui m’a été soumise que M. Spidel a contribué utilement aux travaux du comité.

 

[44]           L’absence d’élément de preuve documentaire étayait la déclaration du directeur d’établissement au sujet du travail de M. Spidel au sein du comité des détenus a été reconnue par le sous‑commissaire principal. Cela ressort implicitement de la décision rendue au troisième palier sur le grief de M. Spidel et explicitement du [traduction] « Résumé du grief du délinquant (troisième palier) » produit subséquemment par le défendeur.

 

[45]           Le sous‑commissaire principal a néanmoins affirmé qu’il était possible que la capacité de M. Spidel [traduction] « de travailler avec le personnel à la résolution de problèmes ne soit pas entièrement documentée car elle est tributaire des rapports personnels que vous avez établis avec le personnel et en particulier avec le DP [directeur du pénitencier] » [je souligne]. Avec égard, il n’est pas question ici de preuve incomplète concernant l’incapacité de M. Spidel de travailler avec les autres détenus et le personnel de l’établissement. Lorsqu’il a été invité à indiquer un élément de preuve au dossier qui étayait les allégations du directeur, le défendeur n’a pu en citer un seul.

 

[46]           Étant donné que l’évaluation négative du directeur n’est pas fondée en preuve, j’en viens à la conclusion que sa décision en date du 29 décembre 2009 et la décision de troisième palier rendue sur le grief par le sous-commissaire principal ne répondent pas aux exigences de justification, transparence et intelligibilité nécessaires pour qu’une décision soit jugée raisonnable.

 

[47]           Compte tenu de ma conclusion sur ces points, il n’est pas nécessaire d’examiner les questions relatives à la Charte soulevées par M. Spidel.

 

Réparation

 

[48]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la décision de troisième palier rendue sur le grief de M. Spidel sera annulée. Étant donné que l’intéressé n’est plus incarcéré à l’Établissement Ferndale, il est inutile de renvoyer l’affaire pour réexamen.

 

[49]           Je ne puis retenir l’argument de M. Spidel selon lequel l’interdiction de participation au comité des détenus est toujours opérante et qu’une réparation s’impose à cet égard. Le directeur de l’Établissement Ferndale n’a manifestement aucun pouvoir décisionnel sur la participation d’un détenu au comité des détenus d’un autre établissement.

 

[50]           Cela dit, la décision rendue au troisième palier sur le grief et la décision initiale du directeur  au sujet de la participation de M. Spidel au comité des détenus de l’Établissement Ferndale pourraient toutes deux avoir plus tard des conséquences pour l’intéressé. Je ne suis pas strictement saisie de la décision du directeur car la demande de contrôle judiciaire ne vise que la décision de troisième palier sur le grief. Dans ces circonstances, j’ordonne qu’une copie des présents motifs soit versée au dossier correctionnel de M. Spidel afin de présenter une image complète des faits ayant donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[51]           M. Spidel demande également d’être défrayé de ses débours, afférents à des photocopies et aux droits de dépôt, qu’il estime à 350 $. Le défendeur ne conteste pas cette somme, et elle me paraît raisonnable.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.                  La décision de troisième palier rendue sur le grief par le sous‑commissaire principal est annulée.

 

3.                  Une copie des présents motifs sera versée dans tout dossier correctionnel de M. Spidel renfermant la décision en date du 29 décembre 2009 du directeur de l’Établissement Ferndale ou la décision de troisième palier sur le grief.

 

4.                  M. Spidel a droit à ses dépens établis à 350 $.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 


Cour fÉdÉrale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    T‑1933‑10

 

 

INTITULÉ :                                                   MICHAEL AARON SPIDEL c.

                                                                        CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

                                                                        tenue par vidéoconférence

 

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         Les 9 et 11 août 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 15 août 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Aaron Spidel

 

DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Aman Sanghera

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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