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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110908


Dossier : IMM-800-11

Référence : 2011 CF 1057

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

M. UNTEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR ou l’agent), datée du 16 février 2010, qui a rejeté sa demande d’asile aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou la LIPR).

 

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Le demandeur est Iranien. Il est arrivé au Canada en octobre 1991 et a présenté une demande d’asile. Les pièces se rapportant à la demande d’asile ont toutes depuis été perdues ou détruites, mais, dans son témoignage, le demandeur a déclaré que sa revendication initiale était fondée sur le fait qu’il avait été détenu durant environ trois ou quatre mois et torturé par les autorités iraniennes, parce qu’elles le soupçonnaient d’être un espion à la solde de l’Iraq et un communiste. Le demandeur a été débouté en première instance ainsi que dans la procédure d’appel introduite devant la Cour.

 

[3]               En 1997, le demandeur a commencé à fréquenter une résidente permanente du Canada – une Kurde de religion juive qui avait obtenu au Canada le statut de réfugiée au sens de la Convention. Ils ont eu un enfant en 1998 et se sont mariés en 1999. Le demandeur, parrainé par son épouse, a alors sollicité le statut de résident permanent au titre de la catégorie de la famille, mais cette demande a été rejetée. Entre 1997 et 2004, il a déposé trois différentes demandes. En novembre 2005, la troisième demande présentée au titre de la catégorie de la famille a été accueillie en principe. Cette demande n’a jamais été cependant accueillie à titre définitif, parce qu’on a constaté que le demandeur avait été mêlé au crime organisé, comme on le verra ci-après.

 

[4]               Dans une décision datée du 19 janvier 2010, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déclaré le demandeur interdit de territoire, en application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, selon lequel emportent interdiction de territoire les activités de criminalité organisée, une expression définie dans cette disposition.

 

[5]               En conséquence de la décision d’interdiction de territoire, une mesure d’expulsion a été prononcée contre le demandeur. Après le prononcé de la mesure d’expulsion, une demande d’ERAR qui avait été déposée en 2004 fut réactivée. C’est la décision de l’agent d’ERAR sur cette demande qui est l’objet de la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               L’agent a passé en revue l’historique des tentatives du demandeur de demeurer au Canada. Selon lui, la demande d’asile du demandeur intéressait la demande d’ERAR, parce que le demandeur avait soutenu qu’il figurait sans doute sur une [traduction] « liste noire » en raison de ses ennuis antérieurs. L’agent a déclaré cependant que le demandeur n’avait pas été en mesure de donner le détail de sa demande d’asile de 1991. Il n’avait pas expliqué pourquoi sa demande avait été rejetée, hormis le fait que le dossier avait été mal préparé, parce qu’il ne renfermait aucune preuve médicale, et que l’interprétation avait été déficiente.

 

[7]               L’agent a résumé ainsi l’argument du demandeur touchant les risques auxquels il sera exposé s’il est renvoyé en Iran :

[traduction]

Le demandeur évoque le risque de mauvais traitements à son retour en Iran, en raison de sa longue absence (19 ans) [sic] et parce qu’il sera renvoyé dans ce pays à la faveur d’un titre de voyage délivré au Canada. Il affirme qu’il s’est [traduction] « occidentalisé », qu’il est un athée qui n’adhère pas à l’Islam et qu’il ne parle pas bien le farsi. Pour ces motifs, il lui [traduction] « sera impossible de se fondre dans la population locale ». Il affirme qu’il sera perçu comme un infidèle, en raison de son mariage civil, et non religieux, avec son épouse, et en raison de ses opinions sur la religion organisée. Il affirme qu’il sera renvoyé avec un titre de voyage plutôt qu’un passeport, ce qui l’exposera à un contrôle renforcé et peut‑être à la torture.

 

[8]               L’agent a estimé que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait été torturé en Iran 20 ans auparavant. Selon lui, la famille du demandeur, y compris son père, continue de vivre en Iran sans être inquiétée par les autorités. Il a donc estimé que les difficultés qu’avait déjà connues le demandeur en Iran ne constituaient pas un important facteur de risque.

 

[9]               L’agent est ensuite passé aux risques auxquels le demandeur disait être exposé en cas de retour en Iran depuis le Canada. Il s’est référé à une correspondance datée du 7 novembre 2005, comprise dans la trousse d’information sur le pays, où un fonctionnaire australien écrivait que les personnes rapatriées en Iran sont davantage exposées à la discrimination en raison de leurs attitudes que parce qu’elles sont des [traduction] « rapatriées de l’Occident ». Le fonctionnaire écrivait cependant que les rapatriés peuvent être soumis à des interrogatoires, à la confiscation de leurs passeports ou à une arrestation au moment de leur retour. Le document citait un professeur australien pour qui les rapatriés étaient exposés à une [traduction] « panoplie de difficultés », allant d’un [traduction] « extrême », c’est-à-dire torture au moment du retour, à l’autre, c’est‑à‑dire absence totale de désagréments.

 

[10]           Selon l’agent, la preuve montrait que le demandeur serait probablement interrogé à son retour, mais qu’il ne serait pas exposé à un risque de peines ou traitements cruels et inusités, ni à une possibilité sérieuse de torture :

[traduction]

Je prends note de la preuve montrant que certains rapatriés subissent de mauvais traitements, mais, de manière générale, je crois que cette preuve est anecdotique, au sens où seuls quelques cas sont décrits, sans que le contexte soit véritablement expliqué. Je crois probable que le demandeur sera interrogé à son retour en Iran, mais la preuve ne permet pas de dire qu’il sera exposé à un risque de peines ou traitements cruels et inusités, ou qu’il est vraiment susceptible de subir la torture. J’admets que sa longue absence d’Iran pourrait sans doute l’exposer à un contrôle renforcé à son retour en Iran. Cependant, j’estime insuffisante la preuve selon laquelle les réfugiés qui sont rapatriés en Iran sont le plus souvent maltraités au point qu’il me faille conclure que le demandeur risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités ou encore la torture. Compte tenu de la preuve, je suis d’avis qu’il est improbable qu’il soit perçu comme un opposant au régime.

 

[11]           L’agent a conclu aussi que les accusations criminelles déposées contre le demandeur au Canada n’étaient pas susceptibles de lui causer des ennuis en Iran. La Commission avait écrit qu’il était improbable que les autorités iraniennes viennent à connaître ses liens avec le crime organisé, d’autant qu’il n’a pas été reconnu coupable d’un acte criminel et que la décision d’interdiction de territoire n’est pas publique et n’est pas susceptible d’être communiquée aux autorités iraniennes.

 

[12]           L’agent a ensuite examiné si le demandeur était exposé à des risques en raison de son point de vue sur la religion et, en particulier, sur l’Islam, ou en raison de ses manières d’homme occidentalisé. La Commission a estimé que le demandeur n’était pas exposé à de tels risques, pour les raisons suivantes :

a)      puisqu’il était athée, le demandeur ne se convertirait pas à une autre religion et ne renierait pas publiquement la religion islamique;

b)      il était improbable que les autorités apprennent que le mariage du demandeur n’avait pas été un mariage religieux, et il n’était pas établi que les gens qui ne se marient pas selon la coutume islamique subissent de mauvais traitements en Iran;

c)      le demandeur serait remarqué parce qu’il s’était « occidentalisé », mais la preuve ne permettait pas de dire qu’un tel changement expose une personne à des risques définis dans l’article 97 de la Loi;

d)      le demandeur n’avait pas exprimé d’opinions politiques contraires au régime et son engagement politique en Iran était peu vraisemblable. L’agent a donc jugé non pertinents les rapports faisant état de tentatives des autorités iraniennes d’intimider les rapatriés qui tentaient de professer ou de parler d’une manière hostile au gouvernement;

e)      en outre, les opposants au régime sont sans doute exposés à de [traduction] « sévères sanctions », mais le régime a également récupéré des expatriés, et l’on n’avait jamais entendu dire que ces gens avaient subi de mauvais traitements ou avaient été détenus.

 

[13]           L’agent a rendu sa décision d’ERAR le 30 novembre 2010. À la suite de cette décision, le demandeur a présenté un rapport psychologique qui avait été établi à la même date. L’agent a estimé que le rapport ne modifiait pas sa décision initiale :

[traduction]

J’ai examiné le document, et il ne concerne pas le risque défini dans l’article 97 de la LIPR. Le rapport relate les événements ayant conduit à la mesure d’expulsion prononcée contre le demandeur. Il renferme essentiellement la conclusion selon laquelle l’état mental du demandeur est normal. Il parle d’un stress résultant de sa situation au regard de l’immigration, mais je suis d’avis que cela n’atteste pas un risque pour lui en Iran. Globalement, l’information fournie par le demandeur ne modifie pas ma décision initiale.

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[14]           L’article 96 de la Loi confère la protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

[15]           L’article 97 de la Loi confère la protection aux personnes dont le renvoi les exposerait à un risque de torture, à une menace pour leur vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

[16]           L’article 112 de la Loi prévoit un examen des risques avant renvoi et énonce des exceptions quant aux personnes admissibles à une protection :

 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 (2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

 

 (3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 (2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)© to be ineligible;

(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or

(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.

 (3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

[17]           L’article 113 de la Loi établit la procédure d’examen d’une demande de protection :

 Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ;

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires ;

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98 ;

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]           Après s’être désisté d’une question au cours de l’audience, le demandeur soumet les deux questions suivantes :

a)      L’agent a-t-il commis une erreur dans sa manière d’apprécier les conditions ayant cours en Iran ou le risque couru par le demandeur en cas de renvoi en Iran?

b)      Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle du fait que le demandeur n’a pas été informé au préalable des modalités de son renvoi?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada écrivait, au paragraphe 62, que la première étape d’une analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, le juge Rouleau, au paragraphe 53.

 

[20]           La première question soulevée par le demandeur concerne la manière dont l’agent a interprété le droit applicable à sa demande. C’est une question qui doit être contrôlée d’après la norme de la décision correcte. Si la Cour estime que l’agent a bien interprété le droit, alors la manière dont l’agent a appliqué le droit au cas du demandeur sera contrôlée d’après la norme de la décision raisonnable : arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Li, 2010 CAF 75, au paragraphe 20.

 

[21]           La deuxième question soulevée par le demandeur est à la fois une question de fait et une question mixte de droit et de fait. Elle sera contrôlée d’après la norme de la décision raisonnable.

 

[22]           La question finale soulevée par le demandeur est une question d’équité procédurale. Elle sera contrôlée d’après la norme de la décision correcte.

 

ANALYSE

Première question : L’agent a-t-il commis une erreur dans sa manière d’apprécier les conditions ayant cours en Iran ou le risque couru par le demandeur en cas de renvoi en Iran?

[23]           Le demandeur affirme qu’il est exposé à un risque élevé de détention et de torture à son arrivée en Iran, pour les raisons suivantes :

a)      il a été absent du pays durant près de 20 ans;

b)      il a été mêlé à des crimes graves au Canada;

c)      il serait renvoyé en Iran par la force;

d)      il a déjà été détenu et torturé en Iran.

 

[24]           Selon le demandeur, son témoignage montrait que les personnes qui sont rapatriées en Iran peuvent être soumises à des interrogatoires et être arrêtées. Même s’il n’était pas détenu à son retour, affirme-t-il, il serait exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, parce qu’il n’adhère pas à l’Islam et aux normes culturelles iraniennes.

 

[25]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur, parce qu’il a considéré séparément, et non d’une manière holistique, chacun des motifs qu’il avait de craindre la persécution – sa religion, le motif de son retour et le fait qu’il s’est occidentalisé. Selon le demandeur, l’agent a conclu à tort qu’il était [traduction] « probable » qu’il serait interrogé à son retour en Iran et qu’il serait exposé à un [traduction] « contrôle renforcé », mais qu’il n’était pas probable que les autorités iraniennes découvriraient ses liens avec le crime organisé, ses liens avec les autres suspects impliqués dans les crimes en question, ses opinions sur la religion, ses opinions politiques ou son mariage. Selon le demandeur, l’agent aurait dû aussi chercher à savoir si, quand bien même aucun de ces éléments ne conduirait à lui seul les autorités iraniennes à vouloir lui nuire, leur effet cumulatif l’exposerait à un risque au sens de l’article 97.

 

[26]           Le demandeur affirme aussi que l’agent a commis les erreurs suivantes dans sa manière d’apprécier la preuve elle-même :

a)      L’agent a estimé que l’athéisme du demandeur ne l’exposait pas à un risque, parce qu’il n’aurait pas à renier l’Islam. Le demandeur soutient que, en affirmant être athée, il a renié l’Islam.

b)      L’agent n’a pas évoqué les rapports présentés par le demandeur qui montraient une hausse des accusations [traduction] d’« hostilité envers Dieu » – une infraction vague qui pourrait servir à punir le demandeur pour son athéisme. Cela comprenait une confirmation de janvier 2010 d’Amnesty International selon laquelle deux hommes avaient été pendus après avoir été notamment déclarés coupables de cette infraction.

c)      L’agent s’était fondé sur un rapport de 2005, mais n’avait pas tenu compte d’une preuve plus récente. Par exemple, le demandeur avait produit des articles de 2010 de Human Rights Watch, du Département d’État des États-Unis et d’Amnesty International, où il était question de violations des droits de la personne en Iran. Ainsi, l’article d’Amnesty International, qui porte la date du 30 mars 2010, est intitulé « Les exécutions en Iran adressent un message effrayant ». L’article renferme ce qui suit dans son introduction :

« Les récents événements en Iran font craindre que les autorités n’utilisent une nouvelle fois les exécutions comme un instrument visant à étouffer l’agitation politique, intimider la population et adresser un message de non-tolérance vis-à-vis de la dissidence ».

 

[27]           Selon le défendeur, l’agent n’a commis aucune erreur dans sa manière d’apprécier la preuve. Il affirme que l’agent s’est explicitement référé à la preuve documentaire fournie par le demandeur, en particulier à celle qui concernait les mauvais traitements subis par certains rapatriés et les tentatives des autorités iraniennes d’intimider les Iraniens expatriés, mais que, selon l’agent, le demandeur ne l’avait pas persuadé qu’il était exposé à un risque. Le défendeur affirme que l’agent pouvait arriver à cette conclusion.

 

[28]           La Cour partage l’avis du défendeur. L’agent aurait dû se référer plus explicitement à une preuve plus récente, mais aucun des documents invoqués par le demandeur ne parle de risques courus par les rapatriés. Les documents donnent plutôt à penser que les dissidents politiques et les citoyens iraniens qui, selon les autorités, condamnent les antécédents du pays en matière de droits de la personne, sont exposés à un grand risque en Iran. L’agent a explicitement conclu que le demandeur ne faisait pas partie de cette catégorie de personnes.

 

[29]           La Cour croit que, bien que l’agent n’ait pas explicitement analysé si l’ensemble des facteurs de risque allégués par le demandeur pouvait cumulativement l’exposer à un risque plus grand que l’un quelconque de ces facteurs pris isolément, tous les facteurs étaient rattachés et les motifs de l’agent montrent que les facteurs ont, en réalité, été considérés ensemble.

 

[30]           La Cour est donc d’avis qu’il était raisonnablement loisible à l’agent d’arriver à sa décision, et elle ne saurait intervenir.

 

Deuxième question : Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle du fait que le demandeur n’a pas été informé au préalable des modalités de son renvoi?

[31]           Le demandeur affirme qu’il n’a été informé de la décision défavorable d’ERAR que le 25 janvier 2011, soit deux mois après qu’elle fut rendue, à savoir le 20 novembre 2010. Durant cette période, le demandeur a appris que l’Agence des services frontaliers du Canada avait pris, sans l’en informer, des dispositions en vue de son renvoi.

 

[32]           Quand il a pris connaissance de la décision d’ERAR, le demandeur fut aussi informé qu’il voyagerait en aller simple, que le commissaire de bord de la compagnie aérienne déciderait s’il devait remettre les documents du demandeur au demandeur lui-même dans l’avion ou les remettre plutôt aux autorités iraniennes à l’arrivée, et que le demandeur serait escorté par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada.

 

[33]           Selon le demandeur, cette procédure portait atteinte sous deux aspects à ses droits à l’équité procédurale et à la justice naturelle. D’abord, il soutient que certaines dispositions prises en vue d’un renvoi peuvent par elles-mêmes accroître le risque auquel est exposée une personne à son retour. Il affirme avoir présenté des observations concernant le danger additionnel couru par les personnes expulsées du Canada qui voyageaient en « aller simple ». Il affirme que le risque qu’il court aurait pu être réduit si on lui avait donné l’occasion de demander un nouveau passeport, si on l’avait assuré qu’il recevrait ses titres de voyage dans l’avion et si on l’avait laissé voyager sans escorte. Selon lui, il aurait dû avoir la possibilité de présenter des observations sur les dispositions se rapportant à son expulsion, et cela pour tenir compte des risques que posent de telles dispositions.

 

[34]           Deuxièmement, le demandeur soutient que l’agent aurait dû considérer dans la décision d’ERAR elle-même les dispositions relatives à son renvoi.

 

[35]           Selon le défendeur, il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle. Il soutient que le demandeur a bien présenté des observations sur le risque accru posé par de possibles méthodes d’expulsion et que, selon l’agent, bien qu’il soit plus probable que le demandeur fasse l’objet d’un interrogatoire à son retour en Iran, la preuve ne permettait pas d’affirmer qu’il serait, de ce fait, exposé à un risque au sens de l’article 97.

 

[36]           La Cour partage l’avis du défendeur. L’agent a bien pris en compte les observations du demandeur touchant le risque additionnel possible que posait le choix du mode de renvoi. Le demandeur n’a pas prouvé l’existence d’une erreur dans la manière dont l’agent a apprécié la preuve concernant cet aspect.

 

[37]           Les dispositions relatives à un renvoi ne relèvent pas de l’agent d’ERAR, ni du défendeur. C’est à l’ASFC qu’il appartient de renvoyer le demandeur, et les mesures qu’elle prend ne sont pas l’objet de la présente procédure de contrôle judiciaire. Cependant, la Cour admet que l’ASFC devrait veiller à ce que les dispositions qu’elle prend en vue d’un renvoi n’accroissent pas le risque auquel le demandeur sera exposé à son retour en Iran, et à ce que les dispositions soient modifiées au besoin, dans les limites du raisonnable.

 

CONCLUSION

[38]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[39]           Pour minimiser le risque couru par le demandeur à son retour, la Cour a supprimé les détails touchant les agissements criminels du demandeur et lui a proposé de rendre anonymes le présent jugement et ses motifs en remplaçant, dans l’intitulé, le nom du demandeur par « M. Untel ». Le demandeur a bien accueilli cette proposition, et le défendeur ne s’y est pas opposé. Cette précaution a été insérée par M. le juge Mosley dans la décision S. K. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 788, au paragraphe 21, où il écrivait ce qui suit :

[…] Le principe de la publicité des débats exige habituellement que les noms des parties soient indiqués dans l’intitulé, mais les tribunaux ont reconnu des exceptions à ce principe, comme dans les cas où la décision contient des informations hautement personnelles ou ferait courir des risques à une partie. […]

 

 

[40]           Vu la nature de la preuve et la conclusion à laquelle la Cour est arrivée, je supprimerai le nom du demandeur dans l’intitulé, ainsi que dans le jugement et dans ses motifs, et je le remplacerai par le nom « M. Untel ».

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-800-11

 

INTITULÉ :                                       M. Untel c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Judith Boers

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Hill Aharon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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