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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110908

Dossier : IMM-848-11

Référence : 2011 CF 1058

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

ROBERTO STANLEY OLMEDO RAJO

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 18 janvier 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) parce que les prétentions qu’il a invoquées n’ont aucun lien avec un motif prévu dans la Convention et qu’il ne s’expose pas à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque d’être soumis à la torture, pas plus qu’à une menace à sa vie à laquelle ne sont généralement pas exposées d’autres personnes au Salvador s’il est retourné dans ce pays.

LES FAITS

Le contexte

[2]               Le demandeur, citoyen du Salvador, a commencé à travailler comme chauffeur d’autobus en 2003.

[3]               À compter de 2004, des membres du gang Mara Salvatrucha (MS-13) ont commencé à exiger qu’il verse une « somme d’argent garantissant une protection » afin d’éviter qu’on s’en prenne à lui. Un jour, en septembre 2004, il a été arrêté par trois membres du gang, qui ont exigé plus que la somme habituelle. Le demandeur n’avait pas la somme qu’ils exigeaient et ils l’ont poignardé. Il a fallu traiter le demandeur pour ses blessures.

[4]               À la suite de cette première attaque, les membres du gang ont exigé à maintes reprises qu’il verse des sommes d’argent additionnelles. Il a jugé qu’il n’avait pas d’autre choix que de payer l’argent exigé s’il voulait garder son emploi et subvenir aux besoins de sa famille. Certains collègues du demandeur avaient été tués parce qu’ils n’étaient pas en mesure de payer l’argent qu’exigeaient des membres de gang. De plus, des personnes qui avaient signalé les assassinats à la police avaient perdu la vie elles aussi.

[5]               Un jour, en février 2007, les membres du gang ont exigé de nouveau du demandeur qu’il verse une somme d’argent additionnelle. Lorsqu’il leur a dit qu’il n’avait pas de quoi payer, ils ont appuyé le canon d’un fusil contre sa tête. En désespoir de cause, il leur a offert l’argent qu’il avait l’intention d’utiliser pour faire ses paiements hypothécaires. Ils l’ont laissé tranquille, mais lui ont dit qu’il se pouvait qu’ils l’inscrivent sur leur liste de chauffeurs à tuer en 2007.

[6]               Le demandeur était si furieux à cause de cet incident qu’il a arrêté une voiture de patrouille de police qui passait et a signalé le crime. Lorsque la police a arrêté les membres du gang, le gang a proféré des menaces de mort contre le demandeur et sa famille.

[7]               Quatre jours après avoir signalé l’incident, le demandeur a appris que les trois membres du gang qui l’avaient attaqué, plus deux autres, étaient venus à sa recherche. Il a décidé de ne pas se présenter au travail.

[8]               Après avoir attendu cinq jours, le demandeur est revenu travailler mais on lui a dit que les membres du gang étaient encore à sa recherche. Il est rentré une fois de plus chez lui, sans travailler. Après trois autres jours, le demandeur est entré en contact avec son collègue pour lui demander s’il pouvait revenir au travail sans danger, et il a appris que, d’après des témoins, trois des collègues du demandeur avaient été tués par des membres de gang quand ceux leur avaient demandé [traduction] « où se trouvait le demandeur » et qu’ils avaient répondu ne pas ne le connaître.

[9]               Traumatisés, le demandeur et sa famille ont déménagé chez la sœur de ce dernier, dans une ville située à environ 25 km de distance. Le lendemain, quand le demandeur s’est entretenu avec son ex-voisine, celle-ci lui a dit que trois membres de gang armés s’étaient présentés à sa maison et avaient dit que ses jours étaient comptés. Il a décidé de prendre la fuite.

[10]           Le demandeur n’est parvenu qu’à recueillir assez d’argent pour s’enfuir seul. Il a laissé sa famille cachée au domicile de sa sœur. Il est interdit à son fils de quitter la maison, même pour aller à l’école. À une occasion, l’épouse du demandeur est retournée à leur ancienne maison pour aller y chercher quelques vêtements et quelques biens. Elle a été rouée de coups par des membres de gang, qui n’ont arrêté de la battre que parce que des voisins sont venus à son aide. Le 30 avril 2008, l’épouse est arrivée au Canada et a demandé l’asile. Elle est retournée par la suite au Salvador, et sa demande d’asile a été considérée comme abandonnée.

[11]           Le 23 mai 2010, le beau-frère du demandeur a été assassiné par des membres du gang dans le cadre de la vendetta lancée contre ce dernier.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[12]           La Commission a examiné les faits liés à la demande d’asile du demandeur et a admis que ce dernier était digne de foi.

[13]           La Commission a ensuite examiné si le demandeur avait établi l’existence d’un lien avec un motif invoqué à l’appui d’une demande d’asile présentée en vertu de l’article 96 à titre de réfugié au sens de la Convention. Elle a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il appartenait à un groupe social, plus précisément un groupe formé de personnes prises pour cible par un gang pour avoir signalé ce dernier à la police. Se fondant sur une série de décisions de la présente Cour, la Commission a conclu que la criminalité, et même une vendetta ciblée, n’établit pas l’existence d’un lien avec un motif prévu dans la Convention (références omises) :

¶12.     Dans un certain nombre d’affaires, la Cour fédérale a établi que les victimes de crime, d’actes de corruption ou de vendettas ne parviennent habituellement pas à établir l’existence d’un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs mentionnés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission a soutenu avoir souvent constaté l’absence de lien dans des cas où le demandeur d’asile était victime de vendetta personnelle ou de criminalité.

[14]           La Commission a également conclu que le métier qu’exerçait le demandeur – chauffeur d’autobus – ne constituait pas un cas d’appartenance à un groupe social. Elle a jugé qu’« un groupe social doit être fondé sur la nature de la personne et non sur ce qu’elle fait », et que, en l’espèce, le demandeur avait été pris pour cible en tant que victime de la criminalité générale et parce qu’il avait signalé un acte criminel à la police.

[15]           La Commission a ensuite vérifié si le demandeur avait établi selon la prépondérance de la preuve qu’il s’exposait personnellement à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Salvador, de façon à pouvoir obtenir une protection sous le régime de l’article 97 de la Loi.

[16]           La Commission a conclu que le risque auquel faisait face le demandeur était celui auquel on faisait généralement face au Salvador et que, de ce fait, il n’était pas admissible à une protection au sens de l’article 97 de la Loi :

18.       […] La crainte du demandeur d’asile vise une occurrence particulière ou personnelle d’un risque généralisé, c’est-à-dire un risque auquel sont exposées d’autres personnes originaires du Salvador ou qui s’y trouvent et qui sont pris pour cible par des gangs aux fins d’extorsion.

[17]           La Commission a conclu que la jurisprudence étayait sa conclusion selon laquelle le fait que le demandeur puisse courir personnellement un risque ne voulait pas dire qu’il n’était pas exposé à une violence généralisée. En particulier, elle s’est fondée sur la décision Acosta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 213, où le demandeur était lui aussi un chauffeur d’autobus menacé par le gang Mara Salvatrucha, qui exigeait de l’argent comme moyen de protéger les chauffeurs d’autobus (au Honduras), faute de quoi il menaçait de les tuer. Dans Acosta, la Cour a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle, même si le demandeur avait été pris pour cible et poursuivi par des membres du gang, le risque auquel il était confronté était de nature généralisée. Dans Acosta, la Cour a déclaré que la Commission avait pris en considération la situation personnelle du demandeur, mais avait conclu de façon raisonnable que celui-ci s’exposait simplement à un risque plus important d’être victime de ce qui constituait une préoccupation de nature générale.

[18]           En l’espèce, la Commission a conclu que le demandeur avait d’abord été pris pour cible à des fins d’extorsion parce qu’il était chauffeur d’autobus. Cela, a-t-il été conclu dans Acosta, était un risque de nature généralisée. La Commission a ensuite examiné si le risque auquel il s’était exposé par la suite en signalant les membres du gang à la police particularisait ou personnalisait ce risque. Elle a conclu que non. Le second risque découlait simplement du premier :

¶21.     […] En conséquence, le risque auquel le demandeur d’asile était exposé après avoir signalé à la police les activités criminelles des membres du gang constitue un risque généralisé, même si le demandeur d’asile était personnellement visé. Je suis d’avis que le demandeur d’asile n’a pas prouvé qu’il était personnellement exposé à un risque autre que celui se rattachant au risque généralisé d’être victime de la violence commise par les gangs au Salvador, ce qui comprend l’extorsion et les représailles qui peuvent prendre la forme de meurtres envers ceux qui ne leur obéissent pas ou qui signalent leurs activités à la police.

[19]           La Commission a cité des décisions jurisprudentielles additionnelles dans lesquelles la Cour a confirmé les conclusions de la Commission selon lesquelles les personnes prises pour cible par des gangs étaient néanmoins confrontées à des risques généralisés : Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 12; Velasquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 109; Ventura De Parada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 845 et Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331.

[20]           La Commission a passé en revue la preuve documentaire et conclu qu’au vu de cette preuve et du témoignage du demandeur, ce dernier avait établi l’existence d’une menace à sa vie, mais qu’il s’agissait là d’une menace à laquelle étaient confrontées d’autres personnes au Salvador :

¶26.     L’extorsion et le meurtre font partie du mode opératoire du MS 13 et constituent un risque auquel l’ensemble de la population du Salvador est exposé. Malheureusement, il s’avère que le demandeur d’asile est l’une des victimes de cette organisation criminelle. Le fait que le demandeur d’asile ait personnellement fait l’objet d’une vendetta pour s’être plaint à la police ne modifie pas le caractère généralisé du risque auquel il est exposé.

[21]           La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[22]           L’article 96 de la Loi confère une protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :  

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;  

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,  

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or  

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

[23]           L’article 97 de la Loi confère une protection aux personnes dont le renvoi du Canada les exposerait personnellement à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumises à la torture :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :  

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;  

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally  

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or  

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Le demandeur a soulevé la question suivante :

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas la qualité de personne à protéger parce que son risque est de nature généralisée?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[25]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 62, que la première étape du processus de contrôle judiciaire consiste à vérifier « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

[26]           L’évaluation de la Commission au sujet de la question de savoir si les demandeurs sont confrontés à un risque particularisé ou à un risque généralisé est une question mixte de faits et de droit, contrôlable selon la norme de la raisonnabilité : voir, par exemple, la décision Acosta, précitée, au paragraphe 11.

[27]           Pour contrôler la décision de la Commission selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit se demander si le caractère raisonnable de cette décision « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

[28]           Les questions d’équité procédurale sont tranchées selon la norme de la décision correcte.

ANALYSE

Question no 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas la qualité de personne à protéger parce que son risque est de nature généralisée?

 

[29]           Selon le demandeur, la Commission a commis trois erreurs en concluant qu’il faisait face à un risque généralisé et non personnalisé. Premièrement, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur faisait face au même risque que celui auquel fait face la population en général contredit sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu’il était victime d’une vendetta. La Cour ne souscrit pas à cet argument.

[30]           Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il était une personne à risque, comme n’importe quel autre chauffeur d’autobus. Il soutient plutôt qu’il faisait partie du sous-groupe des « chauffeurs d’autobus qui signalent à la police les individus qui se livrent à de l’extorsion » et, plus précisément, ceux qui signalent le fait à la police en présence des extorqueurs.

[31]           Le demandeur soutient que dans toutes les décisions sur lesquelles la Commission s’est fondée, les personnes étaient victimes de gangs qui les prenaient pour cible parce qu’elles avaient refusé ou étaient incapables de payer l’argent qu’ils exigeaient. Comme aucune de ces personnes n’avait signalé les extorqueurs à la police, surtout en présence de ces derniers, les risques qu’elles couraient étaient moins personnalisés que celui auquel il était lui-même exposé.

[32]           Le demandeur soutient plutôt que les décisions qui suivent ressemblent davantage à sa situation personnelle :

a.       Aguilar Zacarias c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 62 : dans cette affaire, le demandeur était un vendeur de rue qu’extorquait un membre d’un gang au Guatemala. Le demandeur et un autre vendeur avaient signalé l’individu à la police. Le gang avait informé les deux hommes qu’il savait qu’ils étaient les informateurs et qu’ils allaient être tués. Lors d’une confrontation ultérieure, le collègue du demandeur avait été tué par balle, mais le demandeur avait réussi à s’échapper. Le juge Noël a conclu que la Commission avait commis une erreur en concluant que le demandeur ne s’exposait pas à un risque personnalisé. Se fondant sur la décision du juge de Montigny dans Martinez Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365, le juge Noël a déclaré ce qui suit :

¶17.     Comme c’était le cas dans Martinez Pineda, la Commission a commis une erreur dans sa décision : elle s’était concentrée sur la menace généralisée à laquelle était exposée la population du Guatemala, en omettant toutefois de prendre en compte la situation particulière du demandeur. Parce que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause, il incombait à la Commission d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel le demandeur était exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Il semble que le demandeur n’avait pas été pris pour cible de la même manière que n’importe quel autre marchand : il était menacé de représailles parce qu’il avait collaboré avec les autorités, qu’il avait refusé de se plier à la volonté du gang et qu’il connaissait les circonstances du décès de M. Vicente.

b.      Munoz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 238 : dans cette affaire, le gérant d’une concession automobile était extorqué par un agent de police qui voulait obtenir une voiture gratuitement. Le juge Lemieux a conclu que la Commission avait commis une erreur en appliquant la décision Prophète pour conclure que le risque que courait le demandeur était généralisé, car il n’y avait aucune preuve que ce dernier avait été pris pour cible à cause de sa richesse. Le juge Lemieux a conclu qu’il ressortait des faits que le demandeur s’exposait à un risque personnalisé :

¶32.     Je souscris aux observations de l’avocate des demandeurs, à savoir que les actes d’extorsion et les menaces dont M. Munoz prétend avoir été victime n’étaient pas aléatoires. M. Munoz a été expressément et personnellement pris pour cible par M. Garcia en raison de sa position unique – le directeur des ventes d’une concession automobile, soit la raison pour laquelle M. Garcia et ses amis s’y rendaient. M. Munoz ne craint pas, s’il devait retourner dans son pays, d’y être victime d’actes de violence aléatoires perpétrés par des gangs de criminels inconnus. Il craint M. Garcia.

¶33.     Le tribunal a invoqué à tort la décision Prophète. Aucun élément de preuve au dossier ne démontre que M. Garcia a extorqué M. Munoz parce qu’il était aisé. De fait, sa dernière demande visait une nouvelle voiture gratuite. Je n’ai trouvé aucune preuve qui indiquait que M. Munoz avait déclaré être un homme prospère. La personne qui réussit bien n’est pas nécessairement bien nantie.

c.       Cruz Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 81 : dans cette affaire, un chauffeur-livreur du Honduras avait été attaqué à maintes reprises par les membres d’un gang. J’ai conclu que la Commission avait omis de prendre en considération la preuve du demandeur quant au risque précis auquel il s’exposait – des « représailles » pour des insultes faites à des membres d’un gang et une agression visant le beau-frère du demandeur.

[33]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en paraissant mettre en doute la preuve du demandeur selon laquelle son beau-frère avait été tué pour l’avoir caché chez lui, tout en faisant abstraction de la preuve corroborante que le demandeur avait fournie.

[34]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur. Il ajoute que cette dernière s’est fondée de manière raisonnable sur toutes les décisions qu’elle a citées à l’appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur ne faisait face qu’à un risque généralisé au Salvador. Il invoque la décision Paz Guifarro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 182, dans laquelle le juge Crampton a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle un chauffeur de camion du Honduras qui avait finalement refusé de payer l’argent qu’on voulait lui extorquer avait signalé l’extorsion à la police et avait été menacé par la suite, faisait néanmoins face à un risque généralisé. Le juge Crampton a résumé la distinction faite en droit entre le risque personnalisé et le risque généralisé sous le régime de l’article 97 de la Loi, et ce, au paragraphe 33 de ses motifs du jugement :

¶33.     Compte tenu de la fréquence avec laquelle les arguments avancés en l’espèce continuent d’être présentés quant à l'application de l’article 97, j’estime qu’il est nécessaire de souligner qu’il est désormais bien établi en droit que les demandes d’asile fondées sur le fait que le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible de l’être à l’avenir ne répondront pas aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR lorsque (i) le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible d’être ciblé dans son pays d’origine en raison de son appartenance à un sous-groupe de personnes rentrées de l’étranger ou considérées comme nanties pour d’autres raisons et que (ii) ce sous-groupe est suffisamment important pour que ce risque puisse raisonnablement être qualifié de répandu ou de courant dans ce pays. À mon sens, un sous-groupe formé de milliers de personnes serait suffisamment important pour que le risque auquel ces personnes sont exposées soit considéré comme répandu ou courant dans leur pays d’origine, et donc, comme « général » au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), et ce, même si ce sous-groupe ne représente qu’un faible pourcentage de la population de ce pays.

Si j’applique cette description du droit aux chauffeurs d’autobus pris pour cible comme c’est le cas du demandeur en l’espèce, il est manifeste que ce dernier était confronté au même risque généralisé de violence que la totalité des autres travailleurs du secteur des transports que les gangs prennent pour cible.

[35]           Le défendeur soutient qu’en l’espèce la Commission a clairement pris en considération la situation personnelle du demandeur, et cela inclut le fait de considérer comme véridique la preuve de ce dernier à propos de l’assassinat de son beau-frère. La Cour se doit d’y souscrire.

[36]           Il est évident que la distinction entre un risque généralisé et un risque personnalisé est ténue et dépend des faits qui sont propres à chaque affaire. La Commission a le devoir d’examiner avec soin la totalité des éléments de preuve que présente le demandeur et d’examiner si le risque auquel ce dernier fait effectivement face est le même que celui auquel est confrontée une partie suffisante du reste de la population pour constituer un risque généralisé. En l’espèce, la Commission a passé en revue la totalité des éléments de preuve du demandeur, y compris ceux qui se rapportaient à l’assassinat de son beau-frère. La Commission a néanmoins conclu que le risque était le même que celui auquel étaient confrontés tous les autres chauffeurs d’autobus, ce qui constitue un sous-groupe suffisamment vaste de la population. Il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion de fait.

CONCLUSION

[37]           Pour les motifs qui précèdent, il convient de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[38]           Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-848-11

 

INTITULÉ :                                       ROBERTO STANLEY OLMEDO RAJO c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 31 AOÛT 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 SEPTEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Emma Andrews

H. Penny Harvey

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aman Sanghera

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Emma Andrews Law Firm

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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