Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110908


Dossier : IMM-7597-10

Référence : 2011 CF 1062

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

GUANG CHEN

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Guang Chen sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 15 décembre 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada ( la SPR) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine (la RPC) et il a demandé l’asile parce qu’il craignait d’être persécuté pour s’être adonné au Guan Yin Fa Men, qui est frappé d’interdiction en tant que « culte » en RPC. Les membres de ce culte peuvent être condamnés à une peine d’emprisonnement de trois à sept ans.

 

[3]               La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’elle a décidé que celui-ci avait produit une fausse sommation dans le but de renforcer sa demande, qu’il y avait un précepte de base du Guan Yin Fa Men qu’il n’observait pas, soit celui de s’abstenir de consommer des substances intoxicantes (fumer du tabac), qu’il n’avait pas été clair au sujet de l’obligation de ne pas s’engager politiquement et qu’il lui avait fallu deux ans pour se joindre à un groupe d’adeptes du Guan Yin Fa Men au Canada.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

Le contexte

 

[5]               Le demandeur a été sauvé d’une blessure grave à son lieu de travail par son supérieur, en décembre 2006. Ce dernier a été blessé et hospitalisé. En lui rendant visite à l’hôpital, il a été impressionné par le fait que cet homme, même gravement blessé, considérait la vie sous un angle optimiste. Il a plus tard appris que son superviseur était un adepte du Guan Yin Fa Men. Le demandeur a été si impressionné qu’il a commencé à s’y adonner et a assisté régulièrement à des séances collectives.

 

[6]               Le 4 novembre 2007, la séance collective à laquelle prenait part le demandeur a été l’objet d’une descente du Bureau de la sécurité publique (le BSP). Il s’est échappé et a trouvé refuge au domicile de son cousin. Le 6 novembre suivant, son père l’a informé que des agents du BSP s’étaient présentés à leur domicile et qu’ils étaient à la recherche du demandeur pour l’arrêter. Les agents du BSP sont revenus deux jours plus tard et ils sont toujours à sa recherche.

 

[7]               Le demandeur a quitté la Chine avec l’aide d’un passeur et est arrivé au Canada le 21 janvier 2008. Il a demandé l’asile le 8 février suivant.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[8]               La SPR a jugé que le demandeur n’était pas un témoin digne de foi. Elle a conclu que ce dernier avait produit une fausse sommation à titre de preuve documentaire corroborante. Elle a conclu de plus que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Guan Yin Fa Men.

 

[9]               La SPR a conclu que la sommation produite par le demandeur était fausse car :

 

a.       elle ne contenait pas les renseignements qui figurent habituellement dans un tel document, comme en fait foi l’exemple de sommation contenu dans le cartable national de documentation concernant la Chine;

 

b.      la fabrication de faux documents, et cela inclut les sommations, est une pratique courante en Chine;

 

c.       le demandeur n’a pas fait état de la sommation lors de l’entrevue de premier contact avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et il a déclaré n’avoir jamais commis une infraction criminelle, ni avoir été l’objet d’une arrestation, d’une accusation ou d’une déclaration de culpabilité en rapport avec une telle infraction;

 

d.      il n’a pas mentionné la sommation dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) initial.

 

[10]           La SPR a également décidé que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Guan Yin Fa Men car :

a.       il n’observait pas le cinquième précepte, qui interdit la consommation de substances intoxicantes, dont le tabac;

 

b.      il avait été évasif quand on lui avait demandé si les adeptes du Guan Yin Fa Men étaient autorisés à s’engager politiquement;

 

c.       il n’avait pas fait d’efforts concertés pour pratiquer le Guan Yin Fa Men au Canada.

 

[11]           La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur et a conclu que ce dernier n’avait pas la qualité d’une personne à protéger.

 

La question en litige

 

[12]           Le demandeur soutient que la question en litige est simplement la suivante :

Était-il raisonnable que la SPR conclue que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Guan Yin Fa Men?

 

 

La norme de contrôle applicable

 

[13]           La Cour suprême du Canada a décrété dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 50 et 53 (Dunsmuir), qu’il n’existe que deux normes de contrôle : la décision correcte pour les questions de droit, et la raisonnabilité pour les questions mixtes de fait et de droit. Elle a également conclu que lorsque la norme de contrôle applicable a été déterminée plus tôt, il n’est pas nécessaire de répéter l’analyse qui s’y rapporte : Dunsmuir, au paragraphe 62.

 

[14]           La présente Cour a conclu qu’en ce qui concerne les questions de crédibilité, la norme de contrôle est la raisonnabilité : Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 346, au paragraphe 7.

 

Analyse

 

[15]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en considérant qu’il n’observait pas le cinquième précepte, lequel interdit la consommation de substances intoxicantes, dont le tabac. De plus, il soutient que cela a entaché le reste des conclusions de la SPR au sujet du fait qu’il n’était pas un adepte du Guan Yin Fa Men.

 

[16]           Selon le défendeur, la SPR a conclu avec raison que le demandeur avait produit une fausse sommation et que cela étaye la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas digne de foi.

 

La sommation

 

[17]           La sommation a été postée au demandeur par son père. Elle a été délivrée le 9 novembre 2007 et remise au père du demandeur à l’occasion de la deuxième visite des agents du BSP.

 

[18]           La SPR a tenu une seconde audience pour examiner l’authenticité de la sommation. À cette occasion, la SPR a déclaré : [traduction] « [l]es sommations que j’ai vues dans le passé portent habituellement les noms de deux agents. De plus, elles comportent habituellement un numéro de procédure, une disposition réglementaire et elles indiquent, je l’ai déjà dit je crois, une adresse. La vôtre ne présente aucune de ces caractéristiques. »

 

[19]           Dans sa décision, la SPR déclare ce qui suit : « [l]ors de l’examen de la sommation délivrée par le PSB à l’intention du demandeur d’asile, le tribunal a relevé un certain nombre d’incohérences entre ce document et le modèle contenu dans le cartable national de documentation ». Elle a ensuite indiqué que la sommation produite ne contenait pas l’adresse du demandeur, les noms des agents du BSP, aucune règle procédurale ou administrative, ni aucune ligne d’accusé de réception.

 

[20]           La difficulté est que la SPR ne tient pas compte de ce qui est dit dans la réponse à la demande d’information CHN42444.E (la RDI), où l’on mentionne deux types de sommation : le zhaunhaun, qui sert à convoquer un suspect en vue de l’interroger sans procéder à son arrestation, et le juzhaun, qui est un mandat d’arrêt. Il est indiqué dans la RDI que le zhaunhaun, qui cite une personne à comparaître en vue de l’interroger, doit indiquer la personne visée, ainsi que le moment et l’endroit où comparaître en vue de subir un interrogatoire. Le double du document est signé, daté et remis par le suspect, qui en conserve une copie. La description du zhaunhaun correspond davantage au document que le demandeur a produit. Sont joints à la RDI des exemples d’un mandat d’arrestation, d’une sommation en vue d’un interrogatoire et d’un avis de sommation à témoigner, mais pas le zhaunhaun. Le fait que la SPR n’ait pas pris en compte et analysé l’existence de plus d’un type de sommation est une lacune sérieuse dans son analyse.

 

[21]           La SPR a également décidé que le demandeur avait omis de faire mention de la sommation lors de l’entrevue de premier contact avec CIC et qu’il avait déclaré n’avoir jamais commis une infraction criminelle, ni avoir été l’objet d’une arrestation, d’une accusation ou d’une déclaration de culpabilité à l’égard d’une telle infraction. Le demandeur a bel et bien déclaré que le BSP était à sa recherche parce qu’il s’était joint au Guan Yin Fa Men et que [traduction] « […] on nous a dit que c’était illégal ». La SPR n’a pas tenu compte de cette déclaration dans l’évaluation qu’elle a faite de l’entrevue de premier contact avec CIC.

 

[22]           La SPR tire également une inférence défavorable du fait que le demandeur n’a pas fait mention de la sommation dans son FRP initial. Cependant, en cela, elle fait abstraction de la modification que le demandeur a apportée à son FRP et qui faisait référence à la sommation. Les demandeurs sont autorisés à modifier ce qu’ils ont déclaré dans leur FRP avant la tenue d’une audience de la Commission, après avoir obtenu l’aide et l’avis d’un conseil bien au fait du processus d’immigration. L’approche qu’a suivie la SPR est problématique car elle donne à penser que l’on peut aisément faire abstraction des modifications juste parce qu’il s’agit de modifications.

 

[23]           En définitive, je considère que l’analyse de la SPR au sujet de la sommation que le demandeur a produite en tant qu’élément de preuve documentaire est viciée.

 

Le demandeur en tant qu’adepte

 

[24]           La SPR a également jugé que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Guan Yin Fa Men parce qu’il n’observait pas le cinquième précepte, qui interdit la consommation de substances intoxicantes, dont le tabac. Elle a fait remarquer qu’on avait demandé au demandeur comment il conciliait le fait qu’il fumait la cigarette avec le cinquième précepte interdisant la consommation de substances intoxicantes, et elle a ensuite consigné la réponse comme suit : « […] celui-ci [le demandeur] a admis que Ching Hai dit qu’il ne faut pas fumer et il a précisé qu’il avait presque réussi à cesser de fumer ». La SPR n’a pas répété avec exactitude la réponse du demandeur (donnée par l’entremise d’un interprète du mandarin). Selon les notes sténographiques, la réponse du demandeur était la suivante : [traduction] « Selon le maître, il faut arrêter de fumer un jour, si on le peut. Et maintenant, finalement, j’ai presque arrêté ». La SPR s’est peut-être mal souvenue de la réponse du demandeur ou l’a mal interprétée; d’une façon ou d’une autre, elle a commis une erreur en évaluant la réponse du demandeur lorsqu’elle l’a citée erronément.

 

[25]           La SPR a considéré que le demandeur avait été évasif quand on lui avait demandé s’il était permis aux adeptes du Guan Yin Fa Men de s’engager politiquement, et elle a fait remarquer que le demandeur avait finalement reconnu qu’il ignorait si Ching Hai indique à ses adeptes de ne pas s’engager politiquement. L’imprécision du demandeur n’est pas nécessairement évasive car il a admis qu’il ne le savait pas.

 

[26]           Enfin, la SPR a décidé que le demandeur n’avait pas fait d’efforts concertés pour pratiquer le Guan Yin Fa Men avec un groupe, mais sans tenir compte d’une évaluation quelconque du faible nombre d’adeptes au Canada.

 

[27]           Par contraste avec la conception restreinte de la SPR, le demandeur a expliqué de quelle façon il avait adhéré au Guan Yin Fa Men, il a parlé de son initiation, des préceptes et des moyens de pratiquer la croyance, et il a expliqué pourquoi il y avait un nombre relativement restreint d’adeptes au Canada. La connaissance et l’observation du demandeur, considérées dans leur ensemble, ne sont pas parfaites, mais elles correspondent bien à ce à quoi l’on s’attendrait de la part d’un homme relativement jeune, récemment initié à la pratique du Guan Yin Fa Men.

 

[28]           La SPR a entrepris d’évaluer de manière restrictive le témoignage du demandeur, en mettant l’accent sur les lacunes relevées sans tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve. Elle a rapporté incorrectement la réponse du demandeur à propos de la consommation de tabac. Elle a fait grand cas du manque de connaissances du demandeur au sujet de l’interdiction de s’engager politiquement et elle a présumé que la recherche d’adeptes au Canada était une affaire simple.

 

Conclusion

 

[29]           Tant l’analyse viciée à laquelle la SPR s’est livrée au sujet de la sommation – qui l’a amenée à conclure que le demandeur n’était pas digne de foi – que son évaluation restrictive du témoignage du demandeur au sujet du fait d’être un adepte du Guan Yin Fa Men, sont déraisonnables. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[30]           La décision de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire en vue d’un nouvel examen.

 

[31]           Ni l’une ni l’autre des parties ne proposent une question de portée générale à certifier, et je n’en certifierai aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée pour être examinée à nouveau par un tribunal différemment constitué.

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7597-10

 

 

INTITULÉ :                                       GUANG CHEN et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 30 AOÛT 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 SEPTEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.