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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20110907

Dossier : T-2085-10

Référence : 2011 CF 1051

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

ROBERT SHOTCLOSE, HARVEY BAPTISTE,
CORRINE WESLEY, MYRNA POWDERFACE,
CINDY DANIELS et
WANDA RIDER

 

demandeurs

 

et

 

La PREMIÈRE NATION DE STONEY,
représentée par ses chefs et conseillers, et
la PREMIÈRE NATION DE BEARSPAW,
représentée par ses chefs et conseillers,
le chef David Bearspaw fils,
Trevor Wesley, Patrick Twoyoungmen,
Roderick Lefthand et Gordon Wildman

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par un jugement rendu le 22 juin 2011, les demandeurs ont eu entièrement gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. À l’audience, les avocats ont demandé que je leur donne la possibilité de produire des documents et de formuler des observations additionnelles au sujet de la question des dépens suite à une décision sur le fond. J’ai donc établi un échéancier pour que les parties signifient et déposent des observations écrites au plus tard le 22 juillet 2011.

 

[2]               Avant cette date, les défendeurs ont porté le jugement en appel, et les avocats ont demandé que le délai prescrit pour le dépôt de leurs observations relatives aux dépens soit prorogé en attendant l’issue de requêtes en sursis et, advenant que ces dernières soient fructueuses, jusqu’à ce que l’appel soit tranché. Cette demande a été accueillie. Le 28 juillet 2011, les requêtes en sursis ont été rejetées par l’ordonnance du juge Stratas, de la Cour d’appel fédérale. Par une directive datée du 4 août 2011, un nouvel échéancier a été établi pour la signification et le dépôt des observations écrites finales, et la Cour les a maintenant reçues.

 

[3]               Dans l’intervalle, une élection a eu lieu conformément aux modalités du jugement daté du 22 juin 2011, et un nouveau chef et un nouveau conseil ont été choisis pour diriger la Première nation de Bearspaw. Tant la Première nation de Stoney que la Première nation de Bearspaw, représentées par leurs chefs et conseillers, se sont désistées de l’appel interjeté en leur nom. À la date des présentes, il n’est pas clair si l’appel se poursuivra sous les noms des anciens chef et conseillers de la Première nation de Bearspaw, lesquels sont les particuliers nommés à titre de défendeurs dans le cadre de la présente demande. Dans les circonstances, je ne vois aucune raison de repousser davantage ma décision sur les dépens relatifs à la présente affaire.

 

[4]               Dans le jugement daté du 22 juin 2011, j’ai conclu que les demandeurs s’étaient vu priver par les défendeurs de leurs droits de vote et de leur droit à l’équité procédurale en violation des coutumes de la Première nation de Bearspaw. En rendant le jugement j’ai, notamment, annulé la décision prise par les anciens chef et conseil de prolonger leur mandat, destitué ces derniers de leurs fonctions et ordonné la tenue d’une élection dans les 60 jours suivants.

 

[5]               Les demandeurs sollicitent à titre de dépens une somme globale les indemnisant totalement, sur la base avocat-client, d’honoraires d’avocat d’un montant de 258 850,00 $ et de débours d’un montant de 22 040,55 $, soit un montant total de 280 890,25 $, de pair avec un montant couvrant leurs observations relatives aux dépens. Ils ont fourni un mémoire de dépens pour leurs débours, de même que des factures et des états de compte comportant des feuilles de temps détaillées pour le travail qu’ils ont accompli dans le cadre de la présente demande.

 

[6]               Selon les défendeurs, les demandeurs ne devraient pas avoir droit à des dépens majorés, car la conduite des défendeurs ou celle de leurs avocats n’a pas été répréhensible, scandaleuse ou outrageante au point de justifier une adjudication exceptionnelle de dépens avocat-client. En l’espèce, soutiennent-ils, les questions en litige ont été inutilement compliquées par le fait que les demandeurs ont invoqué des motifs liés à la Charte, alors qu’il était évident que ces motifs n’avaient aucun fondement en droit ou dans les faits.

 

[7]               Il est loisible à la Cour d’adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client : paragraphe 400(6) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-103 (les Règles). Bien que cela ait généralement lieu dans les cas d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante au cours d’un litige, le pouvoir discrétionnaire de la Cour ne se limite pas à cette seule situation : King c. Canada (Procureur général), 187 FTR 160, au paragraphe 2.

 

[8]               La Cour peut fixer les dépens sous une forme globale ou ordonner qu’ils soient taxés : paragraphes 400(4) et (5) des Règles; Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp, 2006 CF 1403, conf. par 2007 CAF 278. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens à adjuger, mais elle doit prendre en considération les facteurs pertinents qui figurent dans la liste non exhaustive présentée au paragraphe 400(3) des Règles au moment de fixer non seulement le montant des dépens, mais aussi leur répartition et les personnes qui doivent les payer : Francosteel Can. Inc. c. « African Cape » (L’), [2003] 4 CF 284, 301 NR 313, 2003 CAF 119, au paragraphe 20.

 

[9]               Je conviens avec les demandeurs qu’en l’espèce les facteurs pertinents sont les suivants :

a.       la demande a été déposée dans l’intérêt de tous les membres de la collectivité;

b.      les questions en litige étaient complexes et incluaient des éléments de preuve contradictoires sur ce qui constitue les coutumes de la Première nation de Bearspaw;

c.       la conduite des défendeurs – le chef et les conseillers de la Première nation de Bearspaw - ainsi que celle de leurs conseillers juridiques ont eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance;

d.      certaines mesures prises par les défendeurs – le chef et les conseillers de la Première nation de Bearspaw – dans le cadre de l’instance ont été inappropriées, vexatoires ou inutiles;

e.       la charge de travail qu’ont représentée les préparatifs de l’audience;

f.        le fait qu’une offre de règlement écrite a été rejetée;

g.       le fait que la demande a été entièrement fructueuse.

 

[10]           Comme je l’ai mentionné à l’audience, la présente instance n’aurait pas été nécessaire si le chef et le conseil de la Première nation de Bearspaw avaient suivi l’exemple des Premières nations de Chiniki et de Wesley et soumis aux membres la question d’une prorogation de leur mandat dans le cadre de l’élection prévue pour décembre 2010. L’adoption de cette mesure sensée aurait évité à toutes les parties les dépenses liées à un coûteux litige. Le fait de ne pas avoir procéder ainsi était, pour les défendeurs, une tentative flagrante en vue de rester au pouvoir.

 

[11]           Quand il a été nécessaire que les demandeurs engagent une poursuite pour contester les décisions et les actes du chef et du conseil, l’affaire aurait pu être réglée plus rapidement et à moindre coût. La Cour a ordonné la tenue d’une instruction accélérée lorsque l’affaire lui a été présentée pour la première fois sous la forme d’une requête en injonction interlocutoire. Elle a ensuite été soumise au système de gestion des instances. Par la suite et à maintes reprises, les avocats du chef et du conseil de la Première nation Bearspaw ont demandé des conférences de gestion d’instance, se sont plaints des mesures prises par les demandeurs conformément aux ordonnances et aux directives de la Cour et ont tenté de faire suspendre les échéanciers ordonnés et de retarder l’instruction. Des preuves criminalistiques inutiles ont été déposées. La Cour a rejeté les efforts faits par les défendeurs pour déposer des éléments de preuve additionnels de cette nature.

 

[12]           La stratégie qu’ont poursuivie les défendeurs – le chef et le conseil de la Première nation de Bearspaw – face à une contestation de leurs actes a consisté à prolonger et à retarder l’instance en vue d’affermir leur position et de faire en sorte qu’il soit plus difficile de traiter des questions en litige en audience publique. Les défendeurs ont traîné les pieds et fait en sorte qu’il soit plus difficile pour les demandeurs d’obtenir et de présenter en temps opportun des éléments de preuve, comme des résolutions du conseil de bande. Les défendeurs ont exercé un contrôle sur le dossier documentaire et omis de produire les éléments de preuve pertinents ainsi que les procès-verbaux de réunions qu’ils avaient tenues dans la réserve et en dehors de celle-ci. Ils ont ridiculisé les demandeurs parce que ceux-ci tentaient d’exercer leurs droits.

 

[13]           Je me suis déjà exprimé dans mes motifs du jugement sur la manière inconvenante dont l’avocat des défendeurs a interrogé et contre-interrogé les souscripteurs d’affidavit. Dans ses observations écrites sur les dépens, l’avocat s’excuse auprès de la Cour pour la conduite qu’il a eue lors des interrogatoires et qu’il attribue aux pressions qu’il subit dans sa vie personnelle et son milieu de travail. J’accepte ces excuses mais j’estime néanmoins que la façon dont les choses se sont déroulées avant l’audition est un facteur pertinent dont il faut tenir compte au moment de fixer les dépens.

 

[14]           Je ne souscris pas à l’affirmation de l’avocat des défendeurs selon laquelle une partie de ce que lui et d’autres ont dit et fait, et cela inclut les commentaires inconvenants formulés aux médias à propos des demandeurs et les remarques sarcastiques faites aux avocats de la partie adverse ainsi qu’à leur sujet, s’inscrit dans le cadre du comportement dit acceptable lors d’un [traduction] « litige âprement défendu ».

 

[15]           Le 16 février 2011, les demandeurs ont offert par écrit de régler le litige en échange de la tenue d’une élection. Selon moi, cette offre, dont j’ignorais l’existence avant de rendre mon jugement, était raisonnable et aurait limité les dépens que les parties ont engagés. La réparation accordée dans le cadre du jugement était clairement supérieure à celle qui était décrite dans cette offre, car l’acceptation de cette dernière aurait permis à l’ancien chef et conseil de rester en poste pendant l’élection. Le chef et le conseil n’ont pas répondu à l’offre.

 

[16]           Les motifs liés à la Charte que les demandeurs ont soulevés n’étaient pas dénués de fondement. La preuve fournie à l’appui de ces motifs était essentiellement la même que pour les autres motifs que les demandeurs avaient présentés. Dans mes motifs du jugement, j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire de traiter de ces questions car l’affaire pouvait être tranchée selon les principes du droit coutumier et administratif. Mais cela ne veut pas dire que les motifs liés à la Charte que les demandeurs ont invoqués étaient sans fondement.

 

[17]           Les défendeurs soutiennent qu’il est nécessaire de fournir des preuves par affidavit et de procéder à une taxation de la façon ordinaire parce que la mesure dans laquelle la Première nation de Stoney a déjà acquitté les dépens des demandeurs n’est pas claire. Cette affirmation semble fondée sur des rumeurs ou des conjectures car on ne m’a présenté aucune preuve indiquant que cette Première nation a réglé une partie quelconque des dépens des demandeurs. Je souscris à la déclaration de l’avocat de ces derniers selon laquelle cela n’a pas été fait. Au vu des comptes détaillés qui ont été fournis, je suis d’avis que le fait d’exiger la dépense additionnelle que représente une taxation ne servirait à rien.

 

[18]           Il ressort clairement du dossier qui m’a été soumis que les dépens des défendeurs ont été payés jusqu’ici sur une base avocat-client soit par la Première nation de Stoney, soit par la Première nation de Bearspaw. Comme l’a conclu le juge Russel Zinn dans la décision Première nation de Peepeekisis c. Poitras, 2009 CF 1212, au paragraphe 8, il semble n’exister aucune raison de principe selon laquelle les Premières nations ne devraient pas payer aussi les dépens des demandeurs selon la même formule. Voir aussi Standinghorne c. Première nation de Sweet Grass, 2007 CF 1137, au paragraphe 56.

 

[19]           Je suis conscient qu’il peut y avoir un différend entre les Premières nations qui composent la nation de Stoney quant à la question de savoir si c’est le Conseil tribal de Bearspaw ou de Stoney qui doit être tenu responsable de ces dépens. Ce sera à elles de trancher la question, mais il n’y a pas lieu de priver les demandeurs d’une réparation pour cette raison-là. De ce fait, il sera ordonné que la Première nation de Bearspaw est principalement chargée de payer les dépens mais que tous les défendeurs, y compris les particuliers nommés, sont solidairement responsables de l’adjudication des dépens.

 

[20]           La Première nation de Wesley a été ajoutée à la demande à titre de défenderesse afin qu’elle puisse présenter sa position au sujet des mandats de chef et de conseiller. Elle n’a pas pris part aux décisions et aux actes qui ont mené au présent litige et elle n’est pas visée par la présente ordonnance autrement qu’à titre de membre du Conseil tribal de Stoney.

 

[21]           Une somme globale de 285 000 $ sera adjugée, et celle-ci inclut un montant qui couvre les observations relatives aux dépens.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                          les demandeurs auront droit à leurs dépens sur la base avocat-client pour la demande ainsi que pour les questions relatives à la présente ordonnance de dépens, et ces dépens sont fixés à un montant total de 285 000 $;

2.                          les dépens des demandeurs seront payés par la Première nation de Bearspaw et il est ordonné au chef et au conseil de cette dernière de tout mettre en œuvre pour que le paiement soit fait sans délai;

3.                          s’il advient que les dépens qu’il est ordonné à la Première nation de Bearspaw de payer ne le soient pas en tout ou en partie, les défendeurs sont solidairement responsables du solde impayé;

4.                          il est entendu que la Première nation de Wesley n’est pas responsable du paiement des dépens des demandeurs, sauf dans la mesure où elle fait partie de la Première nation de Stoney et du Conseil tribal de Stoney et où il est autorisé de payer les dépens sur les fonds tribaux communs.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-2085-10

 

INTITULÉ :                                       ROBERT SHOTCLOSE, HARVEY BAPTISTE, CORRINE WESLEY, MYRNA POWDERFACE, CINDY DANIELS ET WANDA RIDER


ET


LA PREMIÈRE NATION DE STONEY, REPRÉSENTÉE PAR SES CHEFS ET CONSEILLERS, ET
LA PREMIÈRE NATION DE BEARSPAW, REPRÉSENTÉE PAR SES CHEFS ET CONSEILLERS, LE CHEF DAVID BEARSPAW FILS, TREVOR WESLEY, PATRICK TWOYOUNGMEN, RODERICK LEFTHAND ET GORDON WILDMAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 7 SEPTEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Heather Treacy
Josh Jantzi

POUR LES DEMANDEURS

Jeffery Rath
Nathalie Whyte

POUR LA DÉFENDERESSE
(Première nation de Bearspaw)

Ken Staroszik

POUR LA DÉFENDERESSE
(Première nation de Wesley)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HEATHER TREACY
JOSH JANTZI
Fraser Milner Casgrain s.r.l.
Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

JEFFERY RATH
NATHALIE WHYTE
Rath & Company
Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE
(Première nation de Bearspaw)

KEN STAROSZIK
Wilson Laycraft
Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE
(Première nation de Wesley)

 

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