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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110902

Dossier : IMM-4834-10

Référence : 2011 CF 1039

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2011

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

VALERIENNE MIYA KIKA,

JEANNE NAMUNGUNGU KUBOTA,

PATRICK NAMUNGUNGU KUBOTA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu général

 

[1]               Sur les conseils de leur répondant canadien, Mme Valerienne Miya Kika, son fils Patrick et sa fille Jeanne ont quitté leur domicile en République démocratique du Congo (la RDC) en 2009 pour rejoindre un camp de réfugiés en Tanzanie. Un agent canadien d’immigration a rencontré Mme Kika à Bujumbura, au Burundi, et examiné sa demande de résidence permanente au Canada. L’agent a refusé sa demande, principalement pour absence de preuve d’une persécution.

 

[2]               Mme Kika soutient que l’agent a négligé certains faits importants qui étaient au cœur de sa demande, et qu’il a donc rendu une décision déraisonnable. Elle fait aussi valoir que les motifs exposés par l’agent étaient déficients. Elle me prie d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner que sa demande soit évaluée à nouveau par un autre agent.

 

[3]               Je reconnais avec Mme Kika que la décision de l’agent était déraisonnable, au sens où elle ne tenait pas compte de tous les faits pertinents. Je devrai donc faire droit à cette demande de contrôle judiciaire. Il est inutile de se demander si les motifs exposés par l’agent étaient déficients.

 

[4]               Le seul point est donc de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

 

II.         Les faits

 

[5]               Mme Kika a prétendu que son fils, un prêtre, avait été assassiné en 1998 au cours d’un massacre commis par un haut gradé, le général Amisi Gabriel, qui a ensuite menacé de tuer le reste de la famille. Elle devait souvent fuir son domicile pour échapper au danger, mais retournait toujours à son poste d’institutrice à Uvira. Par exemple, en 2002, 2006 et 2007, elle et ses enfants ont été forcés de se cacher dans la brousse. En 2006, des soldats l’ont violée durant une attaque.

 

[6]               Patrick était particulièrement exposé parce qu’il avait été témoin des événements de 1998. Il a affirmé que lui et un autre de ses frères avaient été menacés de mort. (Patrick, cependant, n’avait pas pu se présenter à l’entrevue avec l’agent).

 

III.       La décision de l’agent

 

[7]               L’agent a examiné la demande de Mme Kika sur trois fondements distincts : comme réfugiée au sens de la Convention outre-frontières, comme membre de la catégorie de personnes de pays d’accueil et comme membre de la catégorie de personnes de pays source (en vertu des articles 145, 147 et 148 respectivement du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 – voir l’annexe A).

 

[8]               L’agent a estimé que Mme Kika n’entrait pas dans la catégorie de personnes de pays source parce qu’elle ne résidait plus dans le pays dont elle avait la nationalité. Cette conclusion n’est pas contestée.

 

[9]               Dans sa lettre aux demandeurs, l’agent écrivait que la crainte de persécution alléguée par Mme Kika n’était pas fondée. Plus précisément, il a noté que Mme Kika ne remplissait pas la condition de l’article 147, selon laquelle une guerre civile ou un conflit armé devaient avoir « eu et continue[r] d’avoir des conséquences graves et personnelles » pour elle. L’agent a évoqué l’assassinat du fils de Mme Kika en 1978 (et non en 1998), et il a relevé qu’elle avait continué d’enseigner jusqu’à sa retraite en 2007. Elle n’avait quitté le pays que lorsque son répondant le lui avait conseillé; ce n’était pas la crainte qui l’avait fait fuir. Finalement, l’agent a constaté qu’aucun des membres de la famille n’était enregistré auprès du HCR.

 

[10]           Les notes de l’agent donnent d’autres renseignements. L’agent a, semble-t-il, estimé que les réponses de Mme Kika au cours de l’entrevue avaient été vagues, déroutantes et parfois incohérentes. Les notes précisent aussi qu’elle craignait le général Amisi Gabriel et qu’elle avait été violée en 2006. S'y trouve également mentionné le fait que Mme Kika a quitté la RDC non seulement parce que son répondant le lui avait recommandé, mais aussi parce qu’elle craignait d’être persécutée.

 

IV.       La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

 

[11]           L’agent n’a pas dit explicitement qu’il ne croyait pas Mme Kika, encore que ses notes révèlent certains doutes. Son raisonnement, pour l’essentiel, était que la preuve ne confirmait pas la persécution qu’elle prétendait subir.

 

[12]           Dans sa décision, l’agent a omis certains faits importants qui appuyaient la demande de Mme Kika :

 

            •           sa crainte n’était pas fondée uniquement sur l’assassinat de son fils;

            •           le agent de persécution allégué, le général Amisi Gabriel, constituait pour elle un risque permanent de préjudice;

            •           le viol dont elle avait été victime en 2006;

            •           sa crainte constante d’être persécutée en RDC;

            •           le risque couru par Patrick, qui avait été témoin du massacre de 1998.

 

[13]           Mme Kika prétend aussi que l’agent a commis une grave erreur de fait lorsqu’il a dit que son fils avait été tué en 1978, plutôt qu’en 1998. L’année 1998 était mentionnée dans les pièces produites à l'appui de la demande, mais, selon les notes de l’agent, Mme Kika avait parlé de l’année 1978 au cours de l’entrevue. L’année 1978 est manifestement peu plausible – Mme Kika n’aurait pu avoir un fils adulte en 1978 alors qu’elle avait 26 ans. Néanmoins, l’agent avait devant lui des preuves sur lesquelles fonder sa conclusion.

 

[14]           Cependant, je suis d’avis que la conclusion de l’agent était déraisonnable. Il n’a pas explicitement contesté la crédibilité de la preuve qui lui avait été soumise, mais il n’a pas tenu compte de certains aspects importants de cette preuve, comme je le mentionne plus haut, lorsqu’il a étudié la demande de Mme Kika. Plus précisément, l’agent, me semble-t-il, n’a pas songé que Mme Kika pouvait présenter une demande d'asile fondée sur le sexe par suite de l’agression sexuelle qu’elle avait subie en 2006.

 

V.        Conclusion et dispositif

 

[15]           La décision de l’agent était déraisonnable car elle ne constituait pas une issue justifiable en droit et compte tenu des faits qui lui avaient été soumis. Je devrai donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner que la demande de résidence permanente de Mme Kika soit évaluée à nouveau par un autre agent. Les parties n’ont pas proposé à mon examen une question de portée générale susceptible d’être certifiée, et aucune n’est énoncée ici.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et une nouvelle audience, devant un autre agent, est ordonnée;

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


 

Annexe « A »

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Qualité

 

  145. Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

Catégorie de personnes de pays d’accueil

 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

Catégorie de personnes de pays source

 (1) Appartient à la catégorie de personnes de pays source l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) d’une part, il réside dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle, lequel est un pays source au sens du paragraphe (2) au moment de la présentation de la demande de visa de résident permanent ainsi qu’au moment de la délivrance du visa;

b) d’autre part, selon le cas :

(i) une guerre civile ou un conflit armé dans ce pays ont des conséquences graves et personnelles pour lui,

(ii) il est détenu ou emprisonné dans ce pays, ou l’a été, que ce soit ou non au titre d’un acte d’accusation, ou il y fait ou y a fait périodiquement l’objet de quelque autre forme de répression pénale, en raison d’actes commis hors du Canada qui seraient considérés, au Canada, comme une expression légitime de la liberté de pensée ou comme l’exercice légitime de libertés publiques relatives à des activités syndicales ou à la dissidence,

(iii) craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social particulier, il ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité ou de celui où il a sa résidence habituelle.

Pays source

(2) Est un pays source celui qui répond aux critères suivants :

a) une guerre civile, un conflit armé ou le non-respect des droits fondamentaux de la personne font en sorte que les personnes qui s’y trouvent sont dans une situation assimilable à celle de réfugiés au sens de la Convention;

b) un agent y travaille ou s’y rend régulièrement dans le cadre de son travail et est en mesure de traiter les demandes de visa sans compromettre sa sécurité, celle des demandeurs ni celle du personnel de l’ambassade du Canada;

c) les circonstances justifient une intervention d’ordre humanitaire de la part du ministère pour mettre en œuvre les stratégies humanitaires globales du gouvernement canadien, intervention qui est en accord avec le travail accompli par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés;

d) il figure à l’annexe 2.

ANNEXE 2

(alinéa 148(2)d) et article 149)

1. Colombie

2. El Salvador

3. Guatemala

4. République démocratique du Congo

5. Sierra Leone

6. Soudan

 

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Member of Convention refugees abroad class

 

  145. A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

Member of country of asylum class

 

  147. A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

 

Member of the source country class

 

  148. (1) A foreign national is a member of the source country class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

 

 

(a) they are residing in their country of nationality or habitual residence and that country is a source country within the meaning of subsection (2) at the time their permanent resident visa application is made as well as at the time a visa is issued; and

 

 

(b) they

 

(i) are being seriously and personally affected by civil war or armed conflict in that country,

 

(ii) have been or are being detained or imprisoned with or without charges, or subjected to some other form of penal control, as a direct result of an act committed outside Canada that would, in Canada, be a legitimate expression of freedom of thought or a legitimate exercise of civil rights pertaining to dissent or trade union activity, or

 

 

 

 

(iii) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, political opinion or membership in a particular social group, are unable or, by reason of such fear, unwilling to avail themself of the protection of any of their countries of nationality or habitual residence.

 

 

 

Source country

 

  (2) A source country is a country

 

 

(a) where persons are in refugee-like situations as a result of civil war or armed conflict or because their fundamental human rights are not respected;

 

 

 

(b) where an officer works or makes routine working visits and is able to process visa applications without endangering their own safety, the safety of applicants or the safety of Canadian embassy staff;

 

 

(c) where circumstances warrant humanitarian intervention by the Department in order to implement the overall humanitarian strategies of the Government of Canada, that intervention being in keeping with the work of the United Nations High Commissioner for Refugees; and

 

 

(d) that is set out in Schedule 2.

 

SCHEDULE 2

 

(paragraph 148(2)(d) and section 149)

 

 

1. Colombia

2. El Salvador

3. Guatemala

4. Democratic Republic of Congo

5. Sierra Leone

6. Sudan

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4834-10

 

INTITULÉ :                                       VALERIENNE MIYA KIKA, ET AUTRES

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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