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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110902

Dossier : IMM-6195-10

Référence : 2011 CF 1037

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2011

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

KENRICK KEVIN DE BIQUE

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                    Aperçu

 

[1]               En 2007, M. Kenrick Kevin De Bique a été victime d’une agression violente dans son pays d’origine, Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Saint-Vincent). Il a passé près d’un an à l’hôpital pendant que les médecins tentaient, sans succès toutefois, de sauver l’une de ses jambes. Son agresseur, un homme du nom de Samuel, était un producteur de drogue avec la petite amie duquel M. De Bique entretenait une liaison. M. De Bique a été protégé par la police et le service de sécurité de l’hôpital pendant qu’on le soignait pour ses blessures.

 

[2]               Craignant d’être victime de représailles, M. De Bique a refusé de témoigner contre son agresseur, de sorte que les accusations portées contre Samuel ont été abandonnées et que celui-ci a été relâché. Peu après avoir obtenu son congé de l’hôpital en 2008, M. De Bique est parti pour le Canada mais, comme sa compagne de voyage ne pouvait pas être admise au Canada, il est retourné avec elle à Saint-Vincent. Il s’est fait discret et a tenté d’éviter Samuel. À une occasion, les frères de ce dernier l’ont repéré mais il est parvenu à leur échapper. Il a décidé de revenir au Canada et, en janvier 2010, il a présenté ici une demande d’asile.

 

[3]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a étudié la demande d’asile de M. De Bique, mais a conclu que ce dernier n’avait pas la qualité de réfugié parce que sa demande n’était fondée sur aucun des motifs reconnus par la Convention sur les réfugiés. Elle a ensuite examiné si M. De Bique s’exposait à un risque sérieux de mort ou à des traitements et peines cruels et inusités en cas de retour à Saint-Vincent.

 

[4]               La Commission a conclu que, à Saint-Vincent, M. De Bique bénéficiait d’une protection de l’État et, principalement pour cette raison, elle a rejeté sa demande. M. De Bique est d’avis que la conclusion de la Commission est déraisonnable et il me demande d’ordonner qu’un autre tribunal procède à une nouvelle audition.

 

[5]               Je ne vois aucune raison d’annuler la décision de la Commission et il me faut donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Selon moi, la conclusion de la Commission selon laquelle Saint-Vincent était apte et disposé à protéger M. De Bique est défendable au vu des éléments de droit et des faits qui lui ont été soumis.

 

[6]               La Commission a analysé les questions de crédibilité et de crainte subjective, mais l’élément déterminant de sa décision est sa conclusion concernant la protection de l’État. Cela étant, la question à trancher consiste à savoir s’il était raisonnable de conclure que, à Saint‑Vincent, M. De Bique bénéficiait de la protection de l’État.

 

II.                 La décision de la Commission

 

[7]               La Commission a fait remarquer que M. De Bique avait le fardeau de prouver de manière claire et convaincante que la protection de l’État était insuffisante. Pour conclure que M. De Bique ne s’était pas acquitté de ce fardeau, la Commission s’est fondée sur les éléments de preuve suivants :

 

                     M. De Bique bénéficiait de la protection de la police à l’hôpital, mais il a refusé de témoigner et, en agissant ainsi, il a fait obstacle à la condamnation de son agresseur. En fait, M. De Bique a refusé la protection qu’on lui offrait;

 

                     M. De Bique a admis qu’il n’y avait rien de spécial au sujet de sa situation qui aurait fait qu’il était déraisonnable pour lui de solliciter la protection de l’État; pourtant, il avait peur;

 

                     M. De Bique a déclaré qu’un agent de police lui avait suggéré d’abandonner les accusations portées contre Samuel, mais il lui a été impossible d’identifier cet agent ou d’indiquer son grade, ou d’expliquer pourquoi l’agent avait fait une telle suggestion;

 

                     M. De Bique a continué de recevoir des appels téléphoniques menaçants mais, comme il n’en a pas fait état à la police, aucune mesure n’a pu être prise pour faire enquête sur ces appels.

 

[8]               Se fondant sur cette preuve, la Commission a conclu qu’une protection de l’État était raisonnablement disponible et que M. De Bique se trouvait dans l’obligation de s’en prévaloir. Il avait simplement décidé, semble-t-il, de refuser la protection dont il pouvait bénéficier.

 

[9]               La Commission a fait remarquer de plus que Saint-Vincent est une démocratie qui bénéficie d’un système judiciaire efficace, qui contrôle de manière efficiente son territoire et qui dispose d’une force de sécurité en bon état de fonctionnement pour faire respecter les lois du pays. Dans ces circonstances, la présomption d’une protection de l’État s’appliquait et il incombait à M. De Bique de présenter une preuve claire et convaincante du contraire.

 

[10]           La Commission a reconnu qu’il était compréhensible que M. De Bique craigne que les agressions ou les actes de vengeance se poursuivent. Mais elle s’est dite convaincue, au vu de la preuve, qu’à Saint-Vincent les autorités l’aideraient s’il en faisait la demande. M. De Bique n’avait donc pas montré qu’il ne pouvait pas jouir d’une protection convenable de la part de l’État.

 

III.               La conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État est-elle déraisonnable?

 

[11]           M. De Bique soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il avait bénéficié – et qu’il continuerait de bénéficier – d’une protection de l’État à Saint-Vincent.

 

[12]           M. De Bique avait déclaré que lorsqu’il avait été menacé par des appels téléphoniques anonymes, la police avait été incapable de l’aider, et qu’un agent lui avait en fait conseillé de ne pas témoigner contre Samuel, un producteur de drogue notoire. D’après M. De Bique, la Commission n’a pas tenu compte de ces faits.

 

[13]           Par ailleurs, M. De Bique soutient que la Commission n’a pas tenu compte de preuves documentaires qui contredisaient sa conclusion selon laquelle il disposait d’une protection de l’État. Par exemple, il y avait des preuves montrant que Saint-Vincent est un important producteur de marijuana, que la police a de la difficulté à lutter contre la violence liée à la drogue et les organisations criminelles à Saint-Vincent, et qu’il y a de la corruption au sein du gouvernement et de la police. De plus, il y a eu des plaintes selon lesquelles le gouvernement n’a pas fait enquête sur des allégations de violence policière ou sanctionné des agents de police responsables d’actes de violence, et selon lesquelles aussi le gouvernement n’a pas mis en application les dispositions législatives anti-corruption. En fait, il ressortait des propres recherches de la Commission que [traduction] « la police n’est pas très efficace pour faire enquête sur les crimes et un grand nombre d’entre eux demeurent irrésolus » et que [traduction] « à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, les témoins hésitent à se manifester et à collaborer avec la police, des individus soupçonnés de meurtre ont évité d’être condamnés en raison de lacunes dans les enquêtes policières menées, et on a le sentiment que la sympathie de la police envers les producteurs de drogue “fait obstacle à l’application de la loi” ».

 

[14]           Je conviens avec M. De Bique que la Commission n’a pas fait explicitement référence au fait que Samuel était censément un producteur de drogue, mais elle a clairement reconnu que ce dernier était associé à une bande criminelle de grande envergure. La Commission était conscience de l’ampleur du risque que M. De Bique a décrit.

 

[15]           M. De Bique a souligné certains passages de la preuve documentaire où l’on décrit les difficultés qu’a Saint-Vincent à lutter contre le trafic de drogue et les crimes connexes. Cependant, à mon avis, la Commission s’est concentrée principalement et avec raison sur les faits entourant les circonstances propres à M. De Bique. Ce dernier a déclaré que, après son agression, il s’est adressé à la police et a bénéficié d’une protection. Son agresseur a été arrêté, inculpé et gardé en détention pendant que M. De Bique récupérait sous la protection de la police. Cela témoignait de façon claire que l’État était en mesure de le protéger contre Samuel. Le fait que M. De Bique n’ait pas cherché à obtenir d’autres mesures de protection après son départ de l’hôpital n’est pas une preuve qu’il ne pouvait pas disposer d’une protection de l’État.

 

[16]           Quant à la preuve selon laquelle un agent avait conseillé à M. De Bique de ne pas témoigner, la Commission en a fait abstraction parce que M. De Bique ne pouvait pas donner de détails sur la conversation. Il s’agissait purement d’une question d’importance à accorder à ce témoignage, une question qu’il appartient exclusivement à la Commission de trancher.

 

[17]           Je ne puis considérer qu’au vu de la preuve soumise à la Commission, sa conclusion selon laquelle Saint-Vincent avait à la fois les moyens et la volonté de protéger M. De Bique était déraisonnable.

 

IV.              Conclusion et décision

 

[18]           La conclusion de la Commission était une issue défendable, fondée sur les faits et les éléments de droit soumis. Je ne puis donc conclure qu’elle était déraisonnable, et il me faut rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question de portée générale à certifier, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6195-10

 

INTITULÉ :                                       KENRICK KEVIN DE BIQUE
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 MAI 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 SEPTEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aviva Basman

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aviva Basman

Avocate

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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