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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110906


Dossiers : IMM-7680-10

IMM-7683-10

 

Référence : 2011 CF 1049

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

Dossier : IMM-7680-10

 

WILLIAMS RAMIREZ ABURTO
ALMENDRA VIRIDIANA CASTILLO ANGUIANO
MOISES RAMIREZ CASTILLO (D’ÂGE MINEUR)
MATEO RAMIREZ CASTILLO (D’ÂGE MINEUR)
VALENTINA RAMIREZ CASTILLO (D’ÂGE MINEUR)

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

ET ENTRE :

 

Dossier : IMM-7683-10

 

LUIS ERNESTO GONZALEZ CORTES
MARIA LUZ ANGUIANO MARTINEZ

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de demandes de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 6 décembre 2010 par laquelle le commissaire Barry Dhillon, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a décidé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées.

 

I.                    Le contexte

 

A.                 Le contexte factuel

 

[3]               Williams Ramirez Aburto, Almendra Viridiana Castillo Anguiano, Moises Ramirez Castillo, Mateo Ramirez Castillo, Valentina Ramirez Castillo, Luis Ernesto Gonzalez Cortes et Maria Luz Anguiano Martinez (appelés ci-après, collectivement, les demandeurs) sont citoyens du Mexique. Williams et Almendra sont mari et femme, et les parents de Moises, Mateo et Valentina, tous d’âge mineur. Luis et Maria sont eux aussi mari et femme, et Maria est la tante d’Almendra. Les demandeurs, de pair avec le frère d’Almendra, Aaron Castillo Anguiano, ont demandé l’asile au Canada et ont tous vu leurs demandes d’asile refusées dans le cadre d’une décision conjointe unique. Leurs demandes étaient toutes fondées sur la crainte d’être persécutés par le gang Los Zetas, au Mexique.

 

[4]               Williams et Luis étaient tous deux propriétaires de petites entreprises au Mexique. Le 13 mars 2005, un cambriolage a été commis au magasin de Williams, et celui-ci a signalé l’incident à la police. Le 17 septembre suivant, le père de Williams a été victime de vol pendant qu’il se trouvait dans le magasin. Le père a reçu un appel téléphonique l’avertissant de ne pas contacter la police. Le 9 juin 2006, Williams et son père ont été victimes d’un vol dans le magasin, de la part de six membres du gang Los Zetas. Le 14 mars 2007, Williams et Aaron ont été enlevés et roués de coups par un groupe de Los Zetas, dont l’un portait un insigne de la police; ils ont été relâchés après que les individus eurent pris de l’argent dans le camion de Williams, et ils ont signalé l’incident à la police. Williams a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces et s’est rendu compte qu’un véhicule était posté devant chez lui et qu’on le surveillait. Williams a fui au Canada le 20 juin 2008 et a demandé l’asile le 6 novembre suivant.

 

[5]               En avril 2007, Almendra et ses parents ont commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçant d’enlever ses enfants et exigeant de l’argent. Le 15 août 2008, des individus non identifiés ont tenté d’enlever Mateo, mais sans succès. Le 22 août suivant, des hommes armés ont agressé et volé le père d’Almendra, qui a signalé l’incident au Ministère public. Le 1er décembre 2008, trois hommes armés ont embarqué Almendra de force dans une automobile et lui ont demandé où se trouvaient Williams et Aaron, mais ils l’ont relâchée après l’avoir volée; elle a signalé l’incident au ministère public. Almendra et ses trois enfants ont pris la fuite pour le Canada le 5 décembre 2008 et ont demandé l’asile le 15 décembre suivant.

 

[6]               Le magasin de Luis et de Maria a été cambriolé à plusieurs reprises par le gang Los Zetas. En 2005, des individus armés les ont interceptés pendant qu’ils se trouvaient dans leur automobile et les ont volés. En mars 2007, Luis a de nouveau été agressé et volé. Après quelques mois, ils ont commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces. En janvier 2008, Maria a été enlevée, détenue durant trois heures, volée et relâchée; elle a refusé de dénoncer l’incident à la police. En mars 2008, leur magasin a été cambriolé, et un client qui s’y trouvait au même moment a été volé; ils ont eu peur de déclarer l’incident à la police. Luis et Maria sont arrivés au Canada le 30 mai 2008 et ont demandé l’asile le 12 novembre suivant.

 

B.                 La décision contestée

 

[7]               Tout en jugeant que les demandeurs étaient généralement dignes de foi, la Commission a rejeté l’allégation contenue dans les formulaires de renseignements personnels (FRP) modifiés de Williams et d’Aaron, à savoir que les agents de persécution comprenaient des agents de police; la Commission a conclu que cette allégation n’était pas digne de foi parce qu’elle ne figurait pas dans les FRP initiaux et que l’explication concernant l’oubli de ce détail était déraisonnable. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un lien avec un motif énoncé dans la Convention car ils avaient été simplement victimes d’actes criminels et le fait d’être propriétaires d’une petite entreprise n’en faisait pas des membres d’un groupe social particulier. Elle a également conclu que le risque auquel ils s’exposaient était généralisé et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de personne à protéger.

 

II.                 Les questions en litige

 

a)         La décision de la Commission au sujet de la crédibilité est-elle raisonnable?

b)         La décision de la Commission selon laquelle il n’existe aucun lien avec un motif énoncé dans la Convention est-elle raisonnable?

c)         La décision de la Commission selon laquelle les demandeurs sont exposés à un risque généralisé est-elle raisonnable?

 

III.               La norme de contrôle applicable

 

[8]               Les questions soumises à la Cour obligent à appliquer une norme de contrôle fondée sur la retenue car elles ont trait aux conclusions de fait de l’agent et à l’évaluation des éléments de preuve.

 

[9]               Les demandeurs sont d’avis que la norme de la raisonnabilité s’applique aux questions mixtes de fait et de droit et, en général, à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, tandis que celle de la décision correcte vise les questions de droit et d’équité procédurale; les demandeurs invoquent la décision Kastrati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1141, 2008 CarswellNat 3688, aux paragraphes 9 et 10. Dans ses observations concernant le dossier IMM-7680-10, le défendeur soutient que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique, citant à cet égard l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47, 48 et 51; les observations du défendeur dans le dossier IMM‑7683-10 ne traitent pas de la norme de contrôle applicable.

 

[10]           Ni l’une ni l’autre des parties n’en a fait mention, mais je signale que la norme de la raisonnabilité s’applique aux décisions relatives à la crédibilité (voir Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, 167 ACWS (3d) 773, au paragraphe 14), aux décisions selon lesquelles il n’existe aucun lien avec un motif énoncé dans la Convention (voir Chekhovskiy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 970, 2009 CarswellNat 2938, au paragraphe 18), ainsi qu’aux décisions portant que le risque couru est de nature généralisée (voir Zacarias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 62, 95 Imm LR (3d) 187, au paragraphe 14).

 

[11]           Comme il est dit dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la raisonnabilité tient, d’une part, à la justification de la décision ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et, d’autre part, à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.              Les arguments invoqués et l’analyse

 

A.                 La décision de la Commission au sujet de la crédibilité est raisonnable

 

[12]           Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable que la Commission rejette l’allégation formulée dans les FRP modifiés de Williams et d’Aaron, à savoir que la police était impliquée dans les vols et l’extorsion. Cette conclusion, avancent-ils, ne cadre pas avec la décision de la Commission selon laquelle ils sont par ailleurs dignes de foi. Ils soutiennent de plus que les informations omises dans leurs FRP antérieurs s’expliquent raisonnablement par le fait que les deux versions des FRP ont été établies par des conseils différents, ainsi qu’il est expliqué dans les observations qu’ils ont présentées après l’audience, et que la Commission a déraisonnablement fait abstraction de cette explication.

 

[13]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable de l’omission d’un élément crucial du FRP, citant à cet égard la décision Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 52 ACWS (3d) 165, 1994 CarswellNat 2175 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 33. Il allègue qu’un changement de conseil n’explique pas l’omission.

 

[14]           Les observations des demandeurs sur cet aspect sont sans fondement. Comme l’a fait remarquer le défendeur, il est loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable du fait que l’on n’explique pas de façon raisonnable l’omission de détails cruciaux dans le FRP. Les demandeurs n’ont pas donné d’explications raisonnables, et la Commission était donc en droit de douter de la véracité de l’allégation, même si elle a conclu qu’ils étaient par ailleurs dignes de foi.

 

B.                 La décision de la Commission quant à l’absence d’un lien est raisonnable

 

[15]           Les demandeurs soutiennent qu’ils ont mis de l’avant trois motifs de persécution : le fait qu’ils sont propriétaires d’une entreprise, leur appartenance à une cellule familiale, ainsi que le droit qu’ils ont, selon le droit international, de choisir leur profession et de ne pas être contraints de changer celle-ci par un groupe criminel tel que Los Zetas. Ils allèguent que la Commission a omis de prendre en considération les deuxième et troisième motifs. Ils ajoutent qu’Almendra, Moises, Mateo et Valentina n’ont été persécutés que parce qu’ils appartiennent à la famille de Williams, citant à cet égard plusieurs décisions de la Cour portant sur la famille en tant que groupe social particulier. Ils ajoutent qu’ils jouissent du droit à l’autodétermination sans être contraints de renoncer à leur profession à cause d’un groupe criminel, mais ils ne citent aucune décision à l’appui de cet argument.

 

[16]           Le défendeur soutient que la décision selon laquelle il n’existait aucun lien est raisonnable. Il allègue que les trois motifs de persécution des demandeurs sont liés à la crainte que leur inspirent les membres de Los Zetas, un aspect dont la Commission a traité. Il signale que la Commission a conclu que les demandeurs étaient victimes d’actes criminels, et qu’il n’y a pas assez de preuves pour établir l’existence d’un lien entre leur crainte et l’un des motifs énoncés dans la Convention. Il cite plusieurs décisions dans lesquelles la Cour indique que les victimes d’actes criminels ne sont généralement pas des réfugiés au sens de la Convention, la plus récente d’entre elles étant Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 227, 2009 CarswellNat 515, au paragraphe 6. Il invoque de plus l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 DLR (4th) 1, aux paragraphes 63 à 70, où la Cour rejette l’idée que des personnes puissent appartenir à un groupe social particulier « du seul fait de leur victimisation commune en tant qu’objets de persécution » (au paragraphe 63).

 

[17]           Les demandeurs n’ont pas établi que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. Comme le défendeur l’a fait remarquer avec raison, le fait qu’un groupe de personnes soit victime de persécution ne fait pas de ces personnes des membres d’un groupe social particulier pour l’application de la Convention. Toute demande fondée sur la famille en tant que groupe social particulier est subordonnée à la conclusion que, dans cette famille, le demandeur principal – c’est-à-dire Williams ou Luis – a déjà établi l’existence d’un lien; comme la Commission a rejeté l’idée que les « propriétaires de petits commerces pris pour cibles par les Los Zetas » constituent un groupe social en particulier, il convient de rejeter les demandes fondées sur le concept de la famille.

 

[18]           Les demandeurs sont victimisées par un groupe de criminels qui cherchent à les extorquer et ils n’ont donc pas établi l’existence d’un lien avec un motif énoncé dans la Convention.

 

C.                 La décision de la Commission selon laquelle le risque couru est de nature généralisée est raisonnable

 

[19]           Selon les demandeurs, la Commission a décidé de manière déraisonnable que le risque qu’ils courent est de nature généralisée. Ils soutiennent que, d’après la preuve documentaire, le gang Los Zetas ne cible pas tous les citoyens et résidents du Mexique, mais uniquement les propriétaires d’entreprise et les personnes considérées comme fortunées.

 

[20]           Le défendeur soutient que la Commission a décidé avec raison que le risque que courent les demandeurs est de nature généralisée. Il invoque plusieurs décisions de la Cour, dont les suivantes : Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, conf. par 2009 CAF 31, et Innocent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1019, 364 FTR 17. Il ajoute que, comme dans la décision Prophète, précitée, les demandeurs s’exposent à un risque généralisé parce qu’il s’agit d’un risque auquel est exposé la population en général, même si les personnes considérées comme fortunées peuvent être ciblées plus souvent.

 

[21]           Les demandeurs soutiennent de plus que la Commission a commis une erreur en omettant d’analyser le caractère adéquat de la protection de l’État. Ils ont déposé un très long extrait de la décision Mendoza et al c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 648, 90 Imm LR (3d) 10, où la Cour juge que la Commission a commis une erreur en s’écartant d’une décision à caractère persuasif dans laquelle il a été conclu qu’au Mexique la protection de l’État était adéquate.

 

[22]           Le défendeur soutient que la décision Mendoza, précitée, n’a aucune incidence sur la demande dont il est question en l’espèce.

 

[23]           La décision Prophète, précitée, est déterminante au regard de cette question. La juge Danièle Tremblay-Lamer y passe en revue des décisions récentes portant sur les circonstances dans lesquelles un risque est généralisé, aux paragraphes 19 à 22 de la décision, pour ensuite conclure au paragraphe 23 que « [l]e risque d’être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence ». Les demandeurs se trouvent dans une situation analogue et, de ce fait, comme dans l’affaire Prophète, précitée, c’est à un risque généralisé qu’il s’exposent et n’ont pas la qualité de personnes à protéger.

 

[24]           La raison pour laquelle les demandeurs ont fait référence à la décision Mendoza, précitée, n’est pas claire, car celle-ci est sans rapport avec la présente demande. De plus, comme la Commission n’a pas conclu que les demandeurs bénéficieraient d’une protection de l’État ou que cette dernière était adéquate, on ne sait pas avec certitude pourquoi ces derniers soulèvent la question.

 

V.                 Conclusion

 

[25]           Vu les conclusions qui précèdent, les présentes demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

 

[26]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que les présentes demandes de contrôle judiciaire soient rejetées.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-7680-10
                                                            IMM-7683-10

 

INTITULÉS :                                     WILLIAMS RAMIREZ ABURTO ET AL. c. MCI

et
LUIS ERNESTO GONZALEZ CORTES ET AL. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 AOÛT 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 SEPTEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Lulic

 

POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Lulic

Grant & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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