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 Date : 20110916

Dossier : T-1-10

Référence : 2011 CF 1074

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Crampton

 

ENTRE :

 

GARY SAUVÉ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA,

L’AGENT DE LA GRC

JACQUES LEMIEUX

ET D’AUTRES AGENTS DE LA GRC

(MAINTENANT CONNUS)

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, Gary Sauvé, après avoir été déclaré coupable de deux chefs d’accusation de harcèlement criminel à l’égard de son ex-épouse, a été congédié de la Gendarmerie royale du Canada, dont il était membre.

 

[2]               À la suite de son congédiement, M. Sauvé a introduit six actions devant notre Cour. Dans ces actions, dont quelques-unes sont encore en cours, il a formulé diverses prétentions à l’encontre des défendeurs, notamment relativement aux événements qui ont abouti à ses déclarations de culpabilité; la suspension de son emploi à la GRC, la surveillance et le traitement dont il a fait l’objet, un ou plusieurs complots auxquels des membres anonymes de la GRC auraient participé et le traitement que lui a fait subir la Sûreté du Québec.

 

[3]               En avril de la présente année, la protonotaire Aronovitch a rendu une ordonnance radiant la déclaration de M. Sauvé dans sa totalité et rejetant la présente action. Après avoir fait remarquer que M. Sauvé avait déjà modifié sa déclaration pour en supprimer environ 75 paragraphes à la suite d’une ordonnance accordant le cautionnement pour les dépens dans la présente action, la protonotaire a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] La déclaration modifiée demeure longue et souvent difficile à suivre. Les causes d’action, lorsqu’elles sont formulées, n’ont au plus qu’un rapport éloigné avec les faits allégués et sont souvent énoncées en série, comme de simples affirmations, sans aucun fondement factuel. De plus, la déclaration, quoique modifiée, réitère néanmoins de nombreuses questions déjà soulevées, examinées et, dans certains cas, radiées par la Cour dans des multiples actions parallèles introduites par le demandeur.

 

[4]               La protonotaire est parvenue notamment aux conclusions importantes suivantes :

 

i.               M. Sauvé fait la simple affirmation, qu’il ne fonde sur aucun fait, que la GRC avait l’obligation de diligence envers lui d’empêcher les abus prétendus de la Sûreté du Québec.

 

ii.       La prétention selon laquelle un représentant de la GRC a fait des déclarations fausses et diffamatoires est contredite par d’autres renseignements contenus dans la déclaration de M. Sauvé.

 

iii.      M. Sauvé ne présente aucun fait à l’appui de la prétention selon laquelle un représentant de la GRC l’aurait menacé de commettre un acte illégal et aurait ainsi commis le délit d’intimidation.

 

iv.      M. Sauvé ne présente aucun fait substantiel à l’appui de sa prétention selon laquelle un ou plusieurs membres de la GRC auraient expédié en son nom des excréments à un juge au Québec et il n’identifie pas ce ou ces individus.

 

v.      M. Sauvé n’a pas plaidé les éléments minimaux requis pour fonder des causes d’action pour poursuite malveillante et complot délictueux en vue de causer un préjudice.

 

vi.      Le reste de la déclaration de M. Sauvé consiste pour l’essentiel en ce qu’il serait possible de décrire comme une longue liste de simples affirmations et de diverses demandes en dommages-intérêts, relatives à des délits et des violations de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.‑U.), c 11 (la Charte) constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), qui auraient été commis par les défendeurs. Comme elles ne sont étayées par aucun fait substantiel, ces prétentions ont été radiées parce qu’elles sont sans pertinence ou qu’elles sont frivoles ou vexatoires.

 

[5]               De plus, la protonotaire Aronovitch a fait observer que M. Sauvé avait concédé que certaines des prétentions formulées dans sa déclaration, notamment en ce qui a trait à la suspension de son emploi à la GRC , son salaire et ses avantages sociaux, [traduction] « visent seulement à fournir un contexte et ne constituent nullement le fondement d’une demande en dommages-intérêts ». Elle a ajouté qu’en tout état de cause, M. Sauvé ne peut par ailleurs pas s’appuyer sur ces allégations, car des allégations identiques ont été radiées dans deux autres actions qu’il a introduites, soit T‑1648-08 et T‑996-09.

 

[6]               Dans la présente requête, M. Sauvé interjette appel de l’ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch. Dans son avis de requête, M. Sauvé demande notamment :

 

i.       une ordonnance radiant dans sa totalité la requête en radiation des défendeurs;

 

ii.       une ordonnance rétablissant certaines des prétentions formulées dans sa déclaration ou l’autorisant à présenter une nouvelle déclaration modifiée.

 

[7]               Cependant, les longues prétentions écrites de M. Sauvé n’identifient aucune des erreurs particulières qui, selon lui, entacheraient la décision de la protonotaire Aronovitch d’accueillir la requête des défendeurs en radiation de sa déclaration. Si j’interprète de manière très libérale ces observations écrites, je puis admettre que la protonotaire Aronovitch a notamment commis une erreur en :

 

i.               concluant que l’exposé des faits était insuffisant pour étayer ses diverses prétentions;

 

ii.             décidant que certaines de ses allégations devaient être radiées parce qu’elles n’étaient pas pertinentes ou qu’elles étaient frivoles et vexatoires;

 

iii.            ne lui permettant pas d’apporter des modifications raisonnables susceptibles de révéler de véritables questions à trancher.

 

[8]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il convenait de radier la déclaration de M. Sauvé dans sa totalité. La présente requête sera par conséquent rejetée.

 

I.          Vue d’ensemble

[9]               Dans sa déclaration dans la présente action, M. Sauvé demande environ 9 millions de dollars en dommages-intérêts généraux, punitifs et majorés.

 

[10]           La nouvelle déclaration modifiée de M. Sauvé, datée du 3 mai 2010 (la déclaration), compte près de 40 pages, même si bon nombre des 160 paragraphes de ce document ont été radiés. Après avoir semble-t-il réfléchi à la décision de la protonotaire Aronovitch, il a beaucoup simplifié ce document en en supprimant une partie substantielle portant sur (i) le traitement que lui a fait subir la Sûreté du Québec, (ii) les allégations touchant à l’obligation de diligence et à la responsabilité du fait d’autrui des défendeurs relativement à ce traitement, (iii) la suspension de sa paie et de ses avantages sociaux, (iv) l’enquête disciplinaire en cours de la GRC et (v) le harcèlement, l’atteinte à la vie privée, la témérité, le manquement à ses obligations de fiduciaire, la torture et l’abus de procédure dont la GRC se serait rendue coupable.

 

[11]           Il a alors présenté une déclaration révisée d’environ 14 pages (la déclaration simplifiée) à l’audition de la présente requête (l’audience). Dans le seul but d’aider la Cour aux fins de l’audience, les défendeurs ne se sont pas opposés à la présentation de ce document. Ils ont toutefois opportunément fait remarquer (1) que M. Sauvé n’avait ni demandé, ni obtenu, l’autorisation de modifier sa déclaration et (ii) qu’ils avaient préparé leurs arguments écrits et verbaux en se fondant sur la version du document mentionnée précédemment, datée du 3 mai 2010.

 

[12]           Selon M. Sauvé, les allégations faites dans sa déclaration simplifiée se réduisent maintenant à quatre prétentions distinctes.

 

[13]           La première prétention (la prétention relative à l’assignation) concerne (i) une assignation à comparaître devant une cour à Thetford Mines (Québec) et (ii) un affidavit connexe dans lequel le huissier déclare qu’il avait signifié l’assignation à M. Sauvé. M. Sauvé prétend que la GRC savait que l’assignation ne lui avait jamais été signifiée, qu’elle savait que l’affidavit de l’huissier contenait des renseignements faux et que la GRC l’avait faussement accusé de se soustraire à la signification.

 

[14]           La seconde prétention (la prétention relative aux menaces et à l’intimidation) vise des allégations selon lesquelles l’agent Jacques Lemieux de la GRC l’a menacé de l’arrêter personnellement et de l’amener au Québec pour y être poursuivi pour ne pas s’être conformé à l’assignation susmentionnée.

 

[15]           La troisième prétention (la prétention relative aux excréments) porte sur des allégations selon lesquelles la GRC, ou des représentants anonymes de la GRC, ont expédié en son nom des excréments à un juge au Québec.

 

[16]           La quatrième prétention (la prétention relative à la sortie de cellule et aux menaces) a trait à des allégations selon lesquelles il a été sorti de sa cellule au Centre de détention de Montréal et amené devant le directeur de cette institution à la demande de la GRC.

 

[17]           M. Sauvé formule diverses causes d’action imprécises, reposant sur les quatre prétentions susmentionnées, dont la diffamation, le libelle, la diffamation verbale, la profération de menaces, le harcèlement criminel et l’intimidation, la négligence, le complot et la violation d’un certain nombre de ses droits reconnus par la Charte.

 

[18]           M. Sauvé a fait valoir à l’audience qu’il ne présentait plus désormais que les quatre prétentions susmentionnées, mais sa déclaration simplifiée contient diverses autres prétentions sur lesquelles je me pencherai à la partie IV.B des présents motifs.

 

II.        Les règles et les principes qui s’appliquent aux requêtes en radiation

 

[19]           La requête des défendeurs en radiation de la déclaration de M. Sauvé s’appuie sur les articles 174, 175 et 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, modifiées (les Règles).

 

[20]           Selon l’article 174 des Règles, « [t]out acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde ». Par ailleurs, une déclaration qui contient de simples affirmations, mais aucun fait pour étayer ces affirmations, ne révèle aucune cause d’action (Vojic c Canada (Ministre du Revenu national), [1987] 2 CTC 203 (CAF).

 

[21]           L’article 175 permet à une partie de soulever un point de droit dans un acte de procédure. Toutefois, la conclusion de droit qui n’est pas appuyée par les faits requis est viciée et peut être radiée au motif qu’elle constitue un abus de procédure (Merck & Co c Nu-Pharm Inc (1999), 179 FTR 87, au paragraphe 29, confirmé par (2000), 193 FTR 256).

 

[22]           L’article 221 énonce la compétence de la Cour pour statuer sur une requête en radiation. Pour les besoins de la présente requête, les dispositions pertinentes de l’article 221 sont les suivantes :

 

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

 

Requête en radiation

 

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

  

 

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

 

(c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

[…]

 

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

[… ]

Federal Courts Rules,

SOR/98-106

 

Motion to Strike

 

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

(b) is immaterial or redundant,

 

 

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

 

[…]

 

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

 

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

 

[…]

 

[23]           Le paragraphe 221(2) prévoit en outre qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a). En résumé, l’acte de procédure doit subsister ou tomber de lui-même.

 

[24]           Une requête en radiation n’est accueillie que lorsqu’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d’action, les faits allégués dans la déclaration étant tenus pour avérés (Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la page 980).

 

[25]           Lors de l’examen d’une requête en radiation, il convient d’interpréter la déclaration de manière aussi libérale que possible et de remédier à tout vice de forme, imputable à une carence rédactionnelle, qui aurait pu se glisser dans les allégations (Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, au paragraphe 14). Une fois la déclaration interprétée de cette manière, il convient d’établir si les faits qui y sont énoncés révèlent une cause d’action (Sauvé c Canada, 2011 CAF 141, au paragraphe 8).

 

 

 

III.       La norme de contrôle

 

[26]           Le critère applicable à l’appel d’une ordonnance discrétionnaire rendue par un protonotaire consiste à savoir si : (i) les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal ou (ii) l’ordonnance « est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits » (Merck & Co., Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19). Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a statué que les décisions discrétionnaires des protonotaires devaient être confirmées sauf lorsque l’intervention de la Cour est justifiée « pour empêcher des injustices flagrantes et pour corriger des erreurs graves et évidentes » J2 Global Communications Inc. c Protus IP Solutions Inc., 2009 CAF 41, au paragraphe 16). Cependant, cette dernière réserve semble avoir été formulée seulement à l’égard du deuxième volet du critère énoncé ci‑dessus, car la Cour dans cette affaire était d’accord avec le juge des requêtes que la question qui avait été soulevée n’avait pas une influence déterminante sur l’issue du principal (j2 Global Communications, précité, au paragraphe 15). Il ressort clairement d’un arrêt plus récent de la Cour d’appel fédérale que la Cour est encore tenue d’effectuer une révision de novo de la décision d’un protonotaire à l’égard d’une question qui a une influence déterminante sur l’issue du principal (Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, aux paragraphes 6 et 9).

 

[27]           Comme la protonotaire Aronovitch a radié dans sa totalité la déclaration de M. Sauvé dans la présente action, je suis convaincu que la question centrale soulevée dans la présente requête a une influence déterminante sur l’issue de l’action. Par conséquent, je procéderai à l’examen de novo des questions qui ont été soulevées par les parties, sauf celles que M. Sauvé a dit qu’il ne soulevait plus, comme il en a été discuté au paragraphe 10.

 

 

 

 

IV.       Analyse

 

            A.  M. Sauvé a-t-il fait défaut de présenter un exposé des faits suffisant à l’appui de ses prétentions?

[28]           M. Sauvé soutient qu’il n’est pas « évident et manifeste » que ses prétentions ne révèlent aucune cause raisonnable d’action et qu’il n’a pas présenté de faits suffisants à l’appui de ces prétentions. Je traiterai ci‑dessous de ses observations et allégations relativement à chacune des quatre prétentions principales qu’il continue de faire valoir.

 

i.  La prétention relative à l’assignation

[29]           M. Sauvé allègue que la GRC savait qu’un huissier avait souscrit un affidavit attestant faussement qu’il avait signifié à M. Sauvé, à 11 heures le 3 octobre 2006, une assignation à comparaître devant une cour du Québec. Il soutient que la GRC, en raison des écoutes téléphoniques et de la surveillance physique auxquelles elle s’était livrée à son endroit, savait qu’il était à ce moment-là dans une clinique de physiothérapie, à environ une heure l’adresse où aurait été faite la signification. En conséquence, il fait valoir que l’agent Jacques Lemieux de la GRC savait, lorsqu’il l’a accusé de [traduction] « se soustraire à la signification » que cette accusation était fausse et diffamatoire. Il soutient que lui‑même et son enfant mineur ont subi des préjudices émotionnels et physiques sérieux en conséquence de la fausse accusation de la GRC et du défaut de la GRC de prendre des mesures immédiates et appropriées.

 

[30]           À l’audience, M. Sauvé a déclaré que les erreurs commises par la GRC à cet égard constituaient (i) de la négligence et de la négligence criminelle, parce que la GRC avait fait preuve d’une insouciance totale à l’égard de sa vie et sa sécurité et de la vie et la sécurité de sa famille et (ii) une violation de ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte. Il a ajouté qu’il y avait d’autres raisons pour lesquelles la GRC était au courant de son rendez‑vous à la clinique de physiothérapie, soit (i) qu’il avait été fait mention du rendez‑vous lors d’une ou plusieurs audiences à la cour auxquelles avait assisté l’agent Gagnon de la GRC et (ii) que la liste de ses rendez‑vous à la clinique de physiothérapie avait été remise à l’avocat des défendeurs.

 

[31]           Dans sa décision d’accueillir la requête en radiation des défendeurs, la protonotaire Aronovitch a déclaré que les éléments du délit de diffamation ne peuvent pas être établis sur le fondement des faits allégués dans la déclaration de M. Sauvé. Je suis d’accord.

 

[32]           Comme la protonotaire Aronovitch l’a indiqué, une cause d’action pour le délit de diffamation doit se fonder sur des déclarations qui sont fausses. Cependant, au paragraphe 44 de sa déclaration, M. Sauvé déclare qu’il a été reconnu coupable d’outrage au tribunal pour n’avoir pas comparu en réponse à l’assignation en question. Étant donné ce fait incontesté, je suis d’accord avec la conclusion de la protonotaire Aronovitch selon laquelle la véracité des déclarations prétendument fausses et diffamatoires de l’agent Lemieux est confirmée par les actes de procédure mêmes de M. Sauvé.

 

[33]           De plus, le délit de diffamation exige que l’on démontre non seulement que le défendeur a tenu des propos diffamatoires concernant le demandeur, mais aussi que le défendeur les a communiqués à un tiers (Hakim c Laidlaw Transit Ltd (1997), 156 ACWS (3d) 585, au paragraphe 15). Cependant, M. Sauvé n’a présenté aucun fait à l’appui de l’allégation selon laquelle les commentaires prétendument diffamatoires ont été communiqués à quiconque, sauf à lui‑même et à son avocat (Vojic, précité).

 

[34]           De plus, malgré le fait qu’il a eu amplement l’occasion de le faire, M. Sauvé n’a présenté aucun fait dans sa déclaration à l’appui de sa simple affirmation que l’agent Lemieux, lorsqu’il l’aurait accusé de se soustraire à la signification, savait que l’assignation à comparaître n’avait pas été signifiée le 3 octobre 2006 à M. Sauvé et que M. Sauvé n’avait pas par ailleurs tenté de se soustraire à la signification de l’assignation (Vojic, précité).

 

[35]           J’examinerai maintenant les allégations de négligence, de négligence criminelle et de violations de l’article 7 de la Charte, faites à l’audience par M. Sauvé. Il n’est pas possible, même en interprétant de manière extrêmement libérale sa déclaration, de faire le lien entre le renvoi la négligence criminelle, qui figure dans une longue liste de simples affirmations et de définitions au paragraphe 86 de la déclaration, et les allégations faites antérieurement dans le document à l’égard de la prétention relative à l’assignation. Cela est également vrai en ce qui concerne le renvoi à la négligence, aux paragraphes 105 et 106, et ceux à divers articles de la Charte, qui sont faites aux paragraphes 123, 135, 142, 146, 154, 156 et 157 de la déclaration (Vojic, précité; Merck & Co, précité).

 

[36]           De plus, M. Sauvé n’a présenté aucun fait à l’appui de sa simple affirmation que la GRC ou l’un quelconque de ses représentants [traduction] « avait montré une insouciance déréglée ou téméraire » à l’égard de sa vie et de sa sécurité ou de la vie et la sécurité de son enfant. De même, il n’a fait valoir aucun fait susceptible d’étayer l’affirmation que les défendeurs avaient une obligation de diligence envers lui ont manqué à cette obligation, ou qu’ils ont contrevenu à un article quelconque de la Charte en (i) faisant défaut de [traduction] « de prendre des mesures immédiates et appropriées » pour répondre à l’affidavit qui contiendrait des faux renseignements souscrit par la personne qui avait déclaré lui avoir signifié l’assignation en question le 3 octobre 2006, (ii) en faisant défaut de prendre des mesures pour le protéger, lui et sa famille, et (iii) en se chargeant de lui faire livrer des documents relatifs à son défaut de se conformer à une assignation à comparaître, alors qu’ils savaient qu’il n’avait jamais reçu cette assignation. En fait, il semble que sa déclaration ne renvoie nulle part à l’affidavit contenant prétendument de faux renseignements.

 

[37]           En conséquence, j’estime qu’il est évident et manifeste que les parties de la déclaration de M. Sauvé qui concernent la prétention relative à l’assignation ne révèlent aucune cause raisonnable d’action et qu’elles doivent donc être radiées dans leur totalité (Vojic, précité).

 

            ii. La prétention relative aux menaces et à l’intimidation

[38]           M. Sauvé a soutenu à l’audience que l’agent Lemieux de la GRC avait commis les délits de harcèlement criminel et d’intimidation et avait violé ses droits aux termes de l’article 7 de la Charte, lorsqu’il l’a menacé (i) de l’arrêter pour s’être soustrait à la signification de documents ayant trait à son défaut de se conformer à l’assignation à comparaître susmentionnée et (ii) de l’amener de force au Québec pour répondre de ce défaut de comparaître.

 

[39]           Cependant, il n’existe aucun lien dans sa déclaration entre l’exposé au sujet des menaces prétendument proférées par l’agent Lemieux, que l’on trouve aux paragraphes 33 et 35 du document, et les renvois sommaires aux délits de harcèlement criminel et d’intimidation à et à divers articles de la Charte, aux paragraphes 86, 98, 99, 123, 135, 142, 146, 149, 150, 154, 156 et 157 de ce document. Même si l’on interprète libéralement sa déclaration, il est évident et manifeste que M. Sauvé n’a pas présenté de faits suffisamment substantiels pour étayer ces trois causes d’action prétendues (Vojic et Merck & Co., précités).

 

[40]           Tentant de clarifier la nature de sa prétention touchant l’article 7 de la Charte, M. Sauvé a déclaré à l’audience que la menace d’être arrêté, amené au Québec, battu et agressé, portait atteinte à son bien-être mental et physique. À mon avis, ces simples affirmations, à elles seules, sont tout simplement insuffisantes pour formuler une prétention fondée sur l’article 7 de la Charte, compte tenu notamment (i) du fait qu’il a été reconnu coupable d’outrage au tribunal pour son défaut de comparaître devant une cour au Québec, comme l’y obligeait l’assignation en question et (ii) de la nature purement conjecturale des craintes de M. Sauvé d’être battu et agressé en détention.

 

[41]           À l’appui de ses prétentions relatives à l’intimidation et au harcèlement criminel, M. Sauvé a déclaré à l’audience que le mandat de l’agent Lemieux était simplement de lui signifier les documents relatifs à son défaut de se conformer à une assignation à comparaître devant une cour du Québec. Il a soutenu que ce mandat ne prévoyait pas qu’on demanderait à la police d’Ottawa la permission de l’amener au Québec et qu’on le menacerait ensuite de l’y amener de force. Il a ajouté qu’une ordonnance rendue par une cour de l’Ontario lui interdisait, semble-t-il, de se rendre au Québec sauf à certaines conditions, l’une de ces conditions étant qu’un itinéraire doit être fourni à la police d’Ottawa. Il a allégué que l’agent Lemieux n’a pas fourni un tel itinéraire.

 

[42]           Même si l’on tient compte des faits additionnels présentés à l’audience par M. Sauvé, il est évident et manifeste que ses allégations ne révèlent aucune cause raisonnable d’action pour intimidation ou harcèlement criminel.

 

[43]           M. Sauvé n’a présenté aucun fait substantiel à l’appui de sa prétention selon laquelle il n’était pas dans le mandat de l’agent Lemieux (i) de l’arrêter pour s’être soustrait à la signification de documents ayant trait à son défaut de se conformer à l’assignation à comparaître susmentionnée et (ii) de l’amener de force au Québec pour répondre de son défaut de comparaître. Cette prétention n’est qu’une simple affirmation. Davantage d’éléments sont requis pour étayer une allégation d’intimidation ou de harcèlement criminel à l’encontre d’un agent de la GRC, dont la responsabilité est d’appliquer la loi, qui tentait dans le respect de la loi de signifier à M. Sauvé les documents susmentionnés et qui avait demandé la permission à la police d’Ottawa de l’amener au Québec, comme cela était expressément prévu dans une ordonnance judiciaire toujours en vigueur (Liew c Canada, 2010 CAF 160, au paragraphe 3). Le fait qu’il soit possible que l’agent Lemieux ait omis de remettre un itinéraire à la police d’Ottawa, conformément, comme l’exigerait l’ordonnance judiciaire susmentionnée, ne constitue pas du harcèlement criminel ou de l’intimidation.

 

[44]           Une cause d’action pour intimidation doit être étayée par des allégations de faits susceptibles de démontrer que (i) une personne a menacé de poser un acte ou d’utiliser des moyens illégaux contre l’intérêt de la personne menacée, (ii) la menace a amené cette dernière à faire quelque chose ou à s’abstenir de faire quelque chose qu’elle avait le droit de faire et (iii) la personne qui a proféré la menace avait l’intention de nuire à la personne menacée (Central Canada Potash Co. Ltd. et autre c Gouvernement de la Saskatchewan, [1979] 1 RCS 42, au paragraphe 81; Poulos c Matovic (1989), 47 CCLT 207, au paragraphe 10). Le délit d’intimidation ne se produit pas lorsque le défendeur a suivi une conduite qu’il croyait légale, comme c’était le cas de l’agent Lemieux, lequel a tenté de faire respecter une assignation (Aristocrat Restaurants Ltd (cob Tony’s East) v Ontario, [2003] OJ No 5331, au paragraphe 57. M. Sauvé n’a présenté aucun fait susceptible d’étayer raisonnablement (i) la proposition selon laquelle l’agent Lemieux ou l’un quelconque des autres défendeurs a menacé de faire autre chose que d’appliquer la loi, (ii) la proposition selon laquelle M. Sauvé avait légalement le droit de s’abstenir d’assister aux instances judiciaires au Québec pour répondre de son défaut de se conformer à l’assignation en question ou (iii) la proposition selon laquelle l’agent Lemieux avait l’intention de porter préjudice à M. Sauvé (Vojic, précité).

 

[45]           En ce qui concerne le harcèlement criminel, le seul renvoi à cette prétention dans la déclaration de M. Sauvé se trouve à l’alinéa 86 l), dans lequel il reproduit simplement l’article 264 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 et déclare que [traduction] « le harcèlement criminel est l’infraction criminelle consistant à agir à l’égard d’une personne de manière à lui faire craindre pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances ». Ce que M. Sauvé a omis d’ajouter dans cette déclaration, c’est que le paragraphe 264(1) interdit de se livrer à du harcèlement criminel (i) « sauf autorisation légitime », (ii) en sachant que la personne se sent harcelée ou sans se soucier de ce qu’elle se sente harcelée et (iii) en posant un acte visé au paragraphe 264(2). Chaque catégorie d’actes mentionnée dans cette dernière disposition comporte l’élément de faire quelque chose de façon répétée. M. Sauvé n’a présenté aucun fait substantiel relativement à l’un ou l’autre de ces éléments (Vojic, précité).

 

[46]           De même, il est évident et manifeste que M. Sauvé n’a révélé aucune cause raisonnable d’action relativement à sa prétention selon laquelle l’agent Lemieux a manqué à son obligation de diligence envers lui, ou que la GRC avait envers lui, en omettant (i) de fournir, à la police d’Ottawa, l’itinéraire susmentionné à l’appui de sa requête, (ii) de prévoir un véhicule, un hôtel, des dépenses et d’autres dispositions de voyage, (iii) de prendre des mesures relativement à ses préoccupations en matière de sécurité fondées sur des menaces antérieures et (iv) de tenir compte de manière appropriée du fait qu’il était, semble-t-il, incapable de voyager sur de grandes distances en raison de blessures passées – fait dont la GRC aurait connaissance. M. Sauvé n’a présenté aucun fait substantiel susceptible d’indiquer comment le défaut de la GRC de faire ces choses pouvait constituer un manquement à une obligation de diligence (Vojic, précité). Je note que la juge Mactavish est parvenue à une conclusion similaire relativement au manquement à l’obligation de diligence allégué par M. Sauvé dans l’action T-1752-06 (Sauvé c Canada, 2010 CF 217, au paragraphe 15 (Sauvé CF)).

 

[47]           De plus, une fois encore, il n’existe aucun lien dans la déclaration de M. Sauvé entre son exposé relatif aux faits, aux paragraphes 36 et 37 de sa déclaration (qui a été expliqué plus en détail à l’audience) et son exposé décousu droit concernant les obligations fiduciaires et de diligence qu’on avait selon lui envers lui, aux paragraphes 125 à 129, 135, 154 et 157 du document (Merck & Co., précité).

 

[48]           Vu tout ce qui précède, j’estime qu’il convient de radier dans leur totalité les parties de la déclaration de M. Sauvé qui ont trait à la prétention relative aux menaces et à l’intimidation.

 

           iii. La prétention relative aux excréments

[49]           M. Sauvé fonde ses causes d’action pour diffamation, complot visant à causer un préjudice et poursuite abusive (i) sur des renseignements qu’il aurait reçus du sergent Mike Nibudek de la GRC, selon lesquels il était formellement accusé par la GRC d’avoir envoyé des excréments à un juge au Québec et (ii) sur son allégation selon laquelle la GRC avait commencé une enquête disciplinaire sur lui en application de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10, relativement à cette prétendue conduite.

 

[50]           À l’appui de sa cause d’action pour diffamation, M. Sauvé allègue simplement dans sa déclaration que [traduction] « les défendeurs/la GRC écoutait à l’époque les conversations téléphoniques à la résidence de son enfant mineur et ils auraient dû savoir que le demandeur n’avait pas expédié d’excréments au juge du Québec ». Puis, il affirme que [traduction] « [c]es accusations criminelles constituaient des preuves fabriquées par les défendeurs/la GRC ».

 

[51]           À l’audience, M. Sauvé a fait des allégations additionnelles à l’appui de sa prétention. Plus précisément, il a allégué que les déclarations des défendeurs sur les excréments qu’il aurait expédiés au juge du Québec [traduction] « ont été publiées sur papier et ont également été envoyées par courriels ». À la question de savoir où ces renseignements avaient été publiés et où ces courriels avaient été envoyés, il a répondu [traduction] « à leur édifice, dans tout l’édifice », y compris [traduction] « aux collègues de travail, aux gens que je connais, avec lesquels j’ai travaillé ». Lorsqu’on lui a demandé qui, selon lui, avait ébruité ces renseignements, envoyé ces courriels ou autrement divulgué ces renseignements, il s’est montré incapable d’identifier quiconque en particulier.

 

[52]           Même si j’étais disposé à accorder à M. Sauvé l’autorisation de modifier sa déclaration pour y ajouter ces allégations additionnelles, j’estime qu’il demeurerait évident et manifeste que son acte de procédure ne révèle aucune cause raisonnable d’action relativement à sa prétention relative aux excréments, parce qu’il n’a pas identifié (i) le ou les personnes qui, selon lui, auraient publié les renseignements en question, envoyé les prétendus courriels ou divulgué de toute autre manière ces renseignements à un ou plusieurs tiers et (ii) les personnes précises ayant reçu ces renseignements, ces courriels ou autres communications. Cela dit, pour les motifs exposés à la partie IV.B, je ne suis pas disposé à accorder à M. Sauvé l’autorisation de modifier la déclaration pour y ajouter les allégations additionnelles qu’il a faites.

 

[53]           En ce qui concerne les causes d’action de M. Sauvé pour complot en vue de causer un préjudice et poursuite malveillante, je ferai miennes les observations suivantes faites par la protonotaire Aronovitch dans son ordonnance datée du 5 avril 2011 :

 

[traduction]
Le demandeur allègue de plus que les défendeurs « et ceux qui ne sont pas connus actuellement » ont comploté en vue de lui causer un préjudice en expédiant des excréments à un juge du Québec afin de « faire progresser l’enquête disciplinaire des défendeurs », « de lui tendre un piège », « de le punir, de l’intimider », « de le maltraiter et de le contraindre à cesser de les poursuivre », « de l’incarcérer à tout prix », « de l’empêcher d’avoir accès à un avocat » et « de dissimuler leurs conduites criminelles passées et présentes ». (paragraphes 82 à 86.)

 

Il ne s’agit pas d’une présentation de faits substantiels, mais de mauvaises communications, de malentendus et de suppositions, qui aboutissent à une simple allégation très grave, faite sans aucun fondement factuel et sans que l’individu ou les individus impliqués soient identifiés, selon laquelle des membres de la GRC auraient, selon ce que je comprends, expédié des excréments à un juge du Québec, au nom du demandeur, dans le cadre d’un complot en vue de lui causer un préjudice.

 

Pour intenter une action pour complot délictuel [sic] en vue de causer un préjudice il faut, à tout le moins, identifier les parties au complot, et une allégation concernant leur entente pour comploter en vue de causer un préjudice au demandeur et l’existence d’un préjudice subi réel subi par le demandeur en raison du complot. Le demandeur n’a pas plaidé les éléments minimaux requis pour fonder une cause d’action pour complot délictuel [sic] en vue de causer un préjudice n’a été présenté.

 

Quoiqu’il ne soit pas clairement indiqué si l’allégation de poursuite abusive est fondée sur les faits susmentionnés, je parviens à la même conclusion quant à la suffisance des faits plaidés pour étayer une cause d’action pour poursuite abusive. Il convient en conséquence de radier les allégations aux paragraphes 78 à 86 et 91 parce qu’elles sont insuffisantes pour fonder les causes d’action qui reposeraient apparemment sur ces faits.

 

[54]           Une déclaration dans une action relative à un complot délictueux doit être étayée par des faits substantiels concernant :

 

i.               les parties au complot, précisément identifiées, et les relations qu’elles ont entre elles;

 

ii.       l’entente entre un défendeur et un ou plusieurs autres;

 

iii.            le ou les objets précis du complot;

 

iv.      les actes manifestes allégués qui ont été accomplis dans le but de réaliser le complot des prétendus comploteurs;

 

v.             le préjudice causé au demandeur par suite du complot Balanyk c University of Toronto (1999), 1 CPR (4th) 300, au paragraphe 71).

 

[55]           En l’espèce, il est évident et manifeste que la déclaration de M. Sauvé ne révèle aucune cause raisonnable d’action relativement au délit de complot en vue de causer un préjudice, car M. Sauvé n’a identifié aucun individu particulier qui aurait été partie au prétendu complot.

 

[56]           De même, il est évident et manifeste que sa déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d’action relativement à une poursuite malveillante, parce qu’il n’a présenté les faits substantiels requis pour établir certains éléments de ce délit, notamment que l’issue de la procédure en question lui a été favorable, que la procédure a été introduite sans motif raisonnable et que les défendeurs avaient une intention malveillante ou un objectif principal autre que celui de l’application de la loi (Nelles c Ontario, [1989] 2 RCS 170, au paragraphe 42).

[57]           De plus, je suis d’accord avec les défendeurs que les prétentions de M. Sauvé relativement à la poursuite malveillante et au complot en vue de causer un préjudice auraient dû être présentées dans le cadre de l’une des actions qu’il avait antérieurement introduites devant la Cour, soit l’action T‑996‑09 qu’il avait déposée le 22 juin 2009. Brièvement, dans cette action, M. Sauvé a formulé diverses prétentions, notamment des prétentions précises concernant un complot en vue de causer un préjudice et une poursuite malveillante, relativement à la même enquête disciplinaire qui fait l’objet de sa prétention relative à la poursuite malveillante. Étant donné qu’il allègue dans sa déclaration dans la présente action, qu’il a été informé le 14 mars 2008 qu’il était accusé d’avoir expédié des excréments à un juge du Québec, il aurait dû présenter, dans l’action T‑996‑09, les prétentions qu’il fait valoir en l’espèce. Sa tentative de diviser la cause à cet égard constitue un abus de procédure et ne saurait être tolérée.

 

[58]           Incidemment, je dois ajouter pour mémoire que l’avocate des défendeurs a expliqué à l’audience que la GRC n’a pas procédé en fait à une enquête sur les allégations particulières selon lesquelles M. Sauvé avait expédié des excréments à un juge au Québec. L’avocate a déclaré qu’il avait eu des rumeurs à cet effet, mais l’enquête disciplinaire, qui portait principalement sur l’outrage au tribunal, avait donné lieu à la conclusion ferme qu’il ne s’agissait que de rumeurs.

 

            iv. La prétention relative à la sortie de cellule et aux menaces

[59]           M. Sauvé allègue que, le 3 mars 2008, les défendeurs ont demandé au directeur du Centre de détention de Montréal (CDM) de l’interroger pour le compte de la GRC. Il affirme que, plus tard le même jour, il a été sorti de son isolement en cellule et amené à cette fin devant le directeur. Il fait valoir qu’en faisant cette demande, les défendeurs ont révélé son identité d’agent de la GRC et qu’ils ainsi l’ont mis en danger au CDM et ont également exposé sa famille à un danger. Il soutient qu’il ne savait pas pourquoi la GRC avait posé cet acte, parce qu’il a immédiatement répondu au directeur qu’il ne répondrait à aucune question et que, par conséquent, le directeur ne l’a jamais interrogé. Il affirme qu’en les mettant lui et sa famille en danger, les défendeurs ont violé leurs droits aux termes de l’article 7 de la Charte et leur ont causé un traumatisme émotionnel.

 

[60]           À l’audience, M. Sauvé a concédé que des fonctionnaires du CDM l’avaient escorté de sa cellule, dans laquelle il était en isolement, jusqu’au bureau du directeur. Néanmoins, il soutient qu’il courait un risque parce que [traduction] « même si on se trouve dans une situation où l’on est escorté, il y a beaucoup, beaucoup de déraillements et de bagarres dans les corridors » du CDM. Cependant, sa déclaration ne faisait pas état de tels faits substantiels.

 

[61]           Même si je consentais à accorder à M. Sauvé l’autorisation de modifier sa déclaration afin qu’il y ajoute ces faits substantiels additionnels, j’estime qu’il serait néanmoins évident et manifeste que sa déclaration ne révélerait aucune cause raisonnable d’action fondée sur l’article 7 ou sur d’autres dispositions de la Charte en ce qui a trait à sa prétention relative à sa sortie de cellule et aux menaces. En bref, M. Sauvé n’a présenté aucun fait substantiel susceptible d’indiquer que la GRC savait, ou qu’elle aurait pu savoir, lorsqu’elle a demandé au directeur de l’interroger pour son compte, que lui ou sa famille pourrait de quelque façon courir un danger (Vojic, précité). En fait, la façon dont la GRC aurait pu raisonnablement agir autrement qu’elle l’a fait n’est pas si évidente.

 

[62]           Les défendeurs soutiennent qu’il convient de radier dans leur totalité les prétentions de M. Sauvé relativement à la détention et à la mise en liberté figurent dans la déclaration de la présente action parce qu’elles font l’objet de l’action dans T‑1752‑06. À l’audience, M. Sauvé a concédé que ses prétentions sur la détention et la mise en liberté sont effectivement similaires à certaines des prétentions faites dans T‑1752‑06. Cependant, il a déclaré que les prétentions sur la détention et la mise en liberté sont fondées sur des événements qui, selon ce qu’il allègue, auraient eu lieu le 3 mars 2008, soit bien après le commencement de l’action dans T‑1752‑06. Il ne semble pas que les défendeurs aient traité de ce point particulier dans leurs observations écrites ou orales.

 

[63]           Comme cela est dit dans la décision de la juge Mactavish, les prétentions relatives à la mise en liberté faites dans T‑1752‑06 ont trait à une allégation selon laquelle, vers le 30 novembre 2004, les défendeurs ont causé des préjudices à M. Sauvé en lui signifiant une assignation alors qu’il était incarcéré et en le retirant de l’isolement pour se rendre au palais de justice d’Ottawa pour témoigner à titre d’agent de police pour la GRC et le service de police d’Ottawa et pour leur compte, à l’égard d’une affaire criminelle concernant le crime organisé (Sauvé CF, précité, aux paragraphes 40 à43). Il s’agit de faits très différents de ceux qui ont été présentés dans la présente action. Néanmoins, il aurait été plus convenable à mon avis que M. Sauvé demande l’autorisation de modifier sa déclaration dans T‑1752‑06 afin d’inclure dans cette action les prétentions sur la mise en liberté et la détention qui sont présentées dans la présente action, si cela n’était pas trop tard pour qu’il le fasse. Cela dit, étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenu au paragraphe 61, il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit sur cette observation particulière des défendeurs.

 

B.  Certaines des prétentions de M. Sauvé sont-elles sans pertinence, frivoles ou vexatoires?

 

[64]           M. Sauvé a soutenu à l’audience qu’il ne formule plus que les quatre prétentions mentionnées aux parties IV.A(i) à IV.A(iv) des présents motifs respectivement, mais sa déclaration simplifiée continue de faire état d’autres prétentions.

 

[65]           À l’audience, M. Sauvé a expliqué qu’au moins quelques-unes de ces prétentions avaient été seulement inclues dans la déclaration, ou qu’il ne s’appuie maintenant sur elles, que pour donner un [traduction] « arrière‑plan » contextuel aux quatre prétentions qu’il continue de poursuivre. Les prétentions qui appartiennent à cette catégorie comprennent celles qu’il a faites relativement (i) a à la responsabilité de la Sûreté du Québec et de la GRC, ou à la responsabilité du fait d’autrui pour les actes de la Sûreté du Québec, (ii) le défaut de la GRC de verser certains montants à titre de paie et d’avantages sociaux qui, selon lui, lui sont dus et (iii) la surveillance illégale que la GRC aurait effectuée à son endroit. Les éléments ayant trait à ces trois catégories de prétentions ont été supprimés de la déclaration simplifiée et M. Sauvé n’y a pas renvoyé à l’audience, sauf pour confirmer qu’il ne présentait plus ces prétentions. En conséquence, les défendeurs n’ont fait que des références incidentes à ces prétentions dans leurs observations orales.

 

[66]           Certaines autres prétentions faites par M. Sauvé dans sa déclaration, qui ont été supprimées de la déclaration simplifiée, ont trait à l’abus de procédure, au harcèlement, à l’atteinte à la vie privée, à la témérité, à l’infliction d’un stress mental ou émotionnel, à la torture et au préjudice subi par son ex-épouse. Ces éléments seront radiés de la déclaration parce que (i) ils ont été supprimés de la déclaration simplifiée, (ii) ils n’ont pas été soulevés à l’audience par M. Sauvé ou, dans toute mesure significative, par les défendeurs et, en tout état de cause, (iii) j’estime qu’il est évident et manifeste que ces prétentions ne révèlent aucune cause raisonnable d’action (Vojic, précité; Merck & Co., précité).

 

[67]           Il appert que la déclaration simplifiée contient encore d’autres prétentions, par exemple, aux paragraphes 86, 123, 135, 142, 152, 154, 156 et 160. Les « prétentions » figurant au paragraphe 86 consistent en une longue liste de prétentions simples, suivies de deux pages de définitions légales. Il n’est présenté aucun fait substantiel relativement à l’une quelconque de ces prétentions, comme le requiert l’article 174. Il en va également de même pour les prétentions faites dans les autres paragraphes identifiés à la première phrase du présent paragraphe. Quoique l’article 175 permette à une partie de soulever tout point de droit dans un acte de procédure, cela ne diminue nullement la responsabilité de la partie de faire valoir des faits substantiels à l’appui de toutes les causes d’action qu’elle présente, et ce, pour que les parties adverses soient en mesure de contester les prétentions.

 

[68]           En conséquence, je suis d’accord avec la conclusion de la protonotaire Aronovitch selon laquelle il est évident et manifeste que les prétentions mentionnées au paragraphe précédent doivent être radiées au motif qu’elles sont frivoles et vexatoires (Vojic, précité; Merck & Co., précité).

 

            C.  Convient-il d’accorder à M. Sauvé la possibilité de modifier sa déclaration?

[69]           M. Sauvé fait valoir que la possibilité devrait lui être accordée de modifier sa déclaration afin qu’il puisse y apporter [traduction] « les modifications raisonnables susceptibles [de révéler] de véritables questions à trancher ». À cet égard, il invoque Hunt c Carey, précité. Cependant, cet arrêt ne traite pas de la question de savoir quand il convient d’accorder à un demandeur la possibilité de modifier sa déclaration.

 

[70]           M. Sauvé s’appuie aussi sur les déclarations faites dans Hamel c Brunelle et Labonté, [1977] 1 RCS 147, ayant trait à la véritable intention du législateur de faciliter la marche normale des procès, plutôt qu’à la retarder ou à y mettre fin prématurément, en raison d’actes de procédure inadéquats. Cependant, la loi en cause dans cet arrêt était le Code civil du Québec, LQ 1991, c 64. De plus, contrairement à la situation en l’espèce, l’intimé dans cette affaire ne pouvait formuler aucune raison valide justifiant l’interdiction d’apporter la modification.

 

[71]           De plus, M. Sauvé invoque Pringle c London City Police Force, [1997] OJ No 1834 (CAO). Cependant, cette décision ne saurait lui être d’aucun secours. Brièvement, en concluant que la requête des défendeurs pour obtenir le rejet des prétentions à l’encontre de l’un des défendeurs dans cette affaire était prématurée, la cour a noté que le seul motif pour rejeter la requête était qu’elle était hors délai. La cour a en outre noté qu’aucune défense n’avait été déposée, que le délai de prescription n’avait pas été plaidé et que le moment où ce délai avait commencé à courir n’était pas clairement établi.

 

[72]           À l’audience, M. Sauvé a fait référence à l’Énoncé de principes concernant les plaideurs et les accusés non représentés par un avocat adopté par le Conseil canadien de la magistrature en septembre 2006. À cet égard, M. Sauvé a cité les principes suivants de cet Énoncé :

 

A.1      En ce qui concerne les personnes non représentées, l’accès à la justice exige que, dans la mesure du possible, tous les aspects du processus judiciaire soient ouverts, transparents, clairement définis, simples, commodes et faciles à comprendre.

 

B.2       Les juges et les administrateurs judiciaires devraient faire tout le possible pour s’assurer que le processus judiciaire soit équitable et impartial et que les personnes non représentées ne soient pas injustement défavorisées.

 

C.3      Les juges devraient s’assurer que les règles de procédure et de preuve ne servent pas à nuire injustement aux intérêts juridiques des personnes non représentées.

 

[73]           Cela dit, il convient de noter que le commentaire B.2 de l’Énoncé prévoit que «[l]es juges doivent faire preuve de diligence pour s’assurer que la loi soit appliquée de façon égale à toutes les personnes, qu’elles soient représentées ou non ». De plus, le principe C.4 de l’Énoncé prévoit que « [l]es juges et les administrateurs judiciaires ne sont pas du tout obligés d’aider une personne non représentée qui est irrespectueuse, frivole, déraisonnable, vexatoire ou méprisante, ou qui ne fait aucun effort raisonnable pour préparer sa propre cause ». En outre, selon le principe C.2 visant les personnes non représentées, « [l]es personnes non représentées sont censées préparer leur propre cause ». 

 

[74]           Pour les motifs exposés à la partie IV.A de la présente décision, M. Sauvé a manqué à son obligation de préparer sa propre cause. Il a eu des occasions additionnelles de présenter des faits tant soit peu substantiels révélant une cause raisonnable d’action devant la protonotaire Aronovitch et à l’audience que j’ai présidée, mais il ne l’a fait à aucun moment. Il lui a été demandé plusieurs fois à l’audience de présenter de tels faits et il n’a pas été capable de le faire, (i) même s’il a reconnu qu’il s’était dans certains cas appuyé sur des simples affirmations, (ii) même après que je l’aie questionné sur un certain nombre de points et (iii) même après que je lui aie expressément demandé quelles modifications il désirait faire. Il a seulement répondu qu’il désirait ajouter des détails, qu’il n’a pas précisés, à ceux qu’il avait donnés à l’audience, relativement à chacune de ses quatre prétentions. À mon avis, cela ne constitue pas un effort raisonnable de sa part pour préparer et énoncer sa propre cause.

 

[75]           Comme je l’ai noté à différents endroits à la partie IV.A des présents motifs, j’estimerais encore qu’il est évident et manifeste que la déclaration de M. Sauvé ne révèle aucune cause raisonnable d’action, même s’il était autorisé à modifier ce document pour y ajouter les faits substantiels additionnels présentés à l’audience. À cet égard, la déclaration de M. Sauvé ne fournirait toujours pas aux défendeurs des faits, même minimalement substantiels, et un lien suffisant entre ces faits et les causes d’action alléguées nécessaires pour que les défendeurs puissent présenter une défense en réponse à la déclaration.

 

[76]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je suis convaincu qu’il ne serait pas opportun d’accorder à M. Sauvé la permission de modifier sa déclaration.

 

V.        Les parties appropriées dans la présente action

 

[77]           Étant donné ma conclusion selon laquelle la déclaration de M. Sauvé doit être radiée dans sa totalité, il ne sera pas nécessaire d’examiner les observations écrites des défendeurs selon lesquelles la Cour n’a pas compétence pour statuer sur les prétentions présentées à l’encontre de l’agent de la GRC Jacques Lemieux et [traduction] « d’autres membres de la GRC (toujours non connus ».

 

 

 

VI.       Conclusion

[78]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis convaincu qu’il est manifeste et évident que la déclaration de M. Sauvé :

 

i.               ne révèle aucune cause d’action raisonnable;

 

ii.       comme cela est dit à la partie IV.B des présents motifs, contient certaines prétentions qui sont sans pertinence, frivoles ou vexatoires.

 

[79]           La déclaration de M. Sauvé sera par conséquent radiée en totalité.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La présente requête est rejetée.

 

2.      La décision de la protonotaire Aronovitch de radier la déclaration du demandeur dans sa totalité est confirmée.

 

3.      L’action est rejetée; les dépens sont adjugés aux défendeurs, au montant demandé de 1 700 $, qui a été déterminé en se rapportant à la colonne 3 du tarif B des Règles.

 

     « Paul S. Crampton »

________________________________

                             Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1-10

 

GARY SAUVÉ c SA MAJESTÉ

LA REINE DU CHEF DU CANADA et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 19 mai 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Gary Sauvé

 

SE REPRÉSENTE LUI-MÊME

 

 

Deric MacKenzie-Feder

Abigail Martinez

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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