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Date : 20110912

Dossier : IMM‑1623‑11

Références : 2011 CF 1068

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

Entre :

 

SLAVOMIR GREGOR

LUCIE KOVACIKOVA

KRISTYNA GREGOROVA

NELA GREGOROVA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

          Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, en date du 2 février 2011, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Faits

 

[3]               Slavomir Gregor (le demandeur principal) et son épouse, Lucie Kovacikova, ainsi que leurs enfants, Kristyna Gregorava et Nela Gregorova, sont des citoyens de la République tchèque. Le 19 mai 2009, ils sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile.

 

[4]               Le demandeur principal prétend qu’il a été victime de persécution en République tchèque en raison de son origine ethnique rom. Son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage ont fait état d’incidents d’agressions verbales et physiques par des skinheads.

 

[5]               En 1996, on l’a amené à coups de pied à l’arrière d’un tramway et on l’a insulté. Il a subi des blessures et a reçu des soins médicaux à l’hôpital local. Il a signalé l’agression à la police, qui lui a dit qu’elle ne pouvait rien faire pour lui puisqu’il n’y avait aucun témoin.

 

[6]               Plus récemment, en 2006, un groupe de skinheads a crié des propos racistes aux membres de sa famille et à lui‑même alors qu’ils voyageaient ensemble dans un tramway. En 2008, il a également obtenu des soins de son médecin de famille pour des blessures subies lorsqu’il a été jeté à l’extérieur d’un autre tramway. Selon son témoignage, il a signalé cet incident aux policiers, et ceux‑ci se sont moqués de lui.

 

[7]               Outre les agressions, le demandeur principal déclare qu’il a eu de la difficulté à trouver du travail et qu’il était sans cesse renvoyé en raison de son origine ethnique. Il déclare qu’on a refusé de le servir dans un bar et qu’on lui a interdit l’entrée dans des boîtes de nuit.

 

II.        Décision

 

[8]               La Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas raison de craindre d’être persécuté s’il était renvoyé en République tchèque. Même si les demandeurs faisaient l’objet de discrimination, et étaient même harcelés en raison de leur origine ethnique rom, les incidents ne constituaient pas de la persécution. Aucun élément de preuve convaincant de violation soutenue ou systématique des droits humains fondamentaux du demandeur ne démontrait l’absence de la protection de l’État.

 

[9]               De plus, la Commission a conclu que les demandeurs pouvaient bénéficier d’une protection de l’État suffisante. Comme la République tchèque est un État démocratique, le fardeau imposé aux demandeurs pour établir qu’ils avaient épuisé tous les recours dont ils disposaient était plus lourd. Des échecs locaux quant au maintien efficace de l’ordre, comme l’incapacité de mettre fin aux incidents, n’équivalent pas à une absence de protection de l’État, à moins que ces échecs ne fassent partie d’une tendance plus générale de l’incapacité ou du refus de l’État de fournir une protection.

 

[10]           La Commission a indiqué que même s’il existe des éléments de preuve selon lesquels les attaques perpétrées par les skinheads contre des groupes minoritaires sont en hausse, la République tchèque ne tolère pas ce comportement et fait des efforts pour corriger son bilan en matière de discrimination à l’égard des Roms. Les programmes mis en œuvre par la République tchèque constituaient des efforts sérieux en vue d’offrir une protection aux Roms.

 

III.       Questions en litige

 

[11]           La présente demande soulève deux questions :

a)         La Commission pouvait‑elle raisonnablement conclure que la discrimination dont les demandeurs avaient été victimes ne constituait pas de la persécution?

b)         La conclusion de la Commission relativement à la possibilité pour les demandeurs d’obtenir la protection de l’État en République tchèque était‑elle raisonnable?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[12]           La distinction entre la discrimination et la persécution est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 450, [2008] A.C.F. no 572, aux paragraphes 12 à 15). La même norme de contrôle s’applique à l’évaluation de la protection de l’État (voir Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] A.C.F. no 771, aux paragraphes 11 à 13).

 

[13]           Comme la Cour suprême du Canada l’a formulé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

V.        Analyse

 

Question A :    La Commission pouvait‑elle raisonnablement conclure que la discrimination dont les demandeurs avaient été victimes ne constituait pas de la persécution?

 

[14]           La persécution est considérée comme étant la « [traduction] “violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État” » (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] 2 A.C.S. 74, aux pages 733 et 734). La Cour a reconnu qu’un traitement discriminatoire ne sera pas nécessairement « suffisamment sérieux ou systématique[] pour être qualifié[] de persécution » (Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 182 N.R. 398, 1993 CarswellNat 316, au paragraphe 3).

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a omis d’évaluer l’effet cumulé de la discrimination dont ils ont été victimes avant de conclure qu’elle ne constituait pas de la persécution. Les demandeurs prétendent en outre que la Commission aurait dû expressément traiter de la preuve documentaire contradictoire.

 

[16]           On s’attend à ce que la Commission évalue l’effet cumulé des incidents discriminatoires et explique la raison pour laquelle ils n’équivalent pas à de la persécution (voir Bledy et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, 2011 CarswellNat 652, au paragraphe 31; Tetik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1240, 86 Imm. L.R. 154, au paragraphe 27). Les observations du défendeur me convainquent toutefois que la Commission a répondu à cette attente en l’espèce. La Commission a examiné la discrimination dans son ensemble. Elle a déclaré qu’il y avait eu plusieurs incidents d’agressions physiques et verbales et les a ensuite énumérés, insistant sur les plus graves. Elle a pondéré ces incidents et la preuve selon laquelle le demandeur n’a pas été privé de soins médicaux ni empêché d’informer la police. En effet, la Commission a clarifié son approche à l’égard de l’évaluation des incidents discriminatoires au paragraphe 12 de ses motifs, déclarant que même si « le traitement dont ont fait l’objet les demandeurs d’asile en raison de leur origine ethnique rom doit avoir été difficile à supporter, il n’équivaut pas, même pris cumulativement, à de la persécution ».

 

[17]           Bien que la Commission n’ait pas expressément mentionné les documents relatifs au pays dans son analyse de la persécution, il ressort clairement du reste de la décision que ces documents ont été pris en compte. Plus loin dans la décision, la Commission a reconnu la discrimination dont ont historiquement fait l’objet les Roms, ainsi que l’augmentation des attaques des skinheads à l’encontre des Roms. Cela signifie que la Commission a pris en compte la preuve relative à la situation des Roms en République tchèque dans son évaluation globale de l’affaire. Cette situation a également été soupesée par rapport à la preuve des efforts déployés par l’État pour régler le problème.

 

[18]           Pour distinguer la discrimination de la persécution, la Cour doit être guidée par l’arrêt Sagharichi, précité, où la Cour d’appel indique, au paragraphe 4, qu’il incombe à la Commission de tirer sa conclusion en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

 

[19]           Après avoir soupesé l’effet cumulé de la discrimination et la situation des Roms en République tchèque, la Commission pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs étaient victimes de discrimination, mais que celle‑ci n’était pas suffisamment grave ou systématique pourrait être qualifiée de persécution. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

Question B :    La conclusion de la Commission relativement à la possibilité pour les demandeurs d’obtenir la protection de l’État en République tchèque était‑elle raisonnable?

 

[20]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la Commission relativement à la possibilité d’obtenir la protection de l’État était déraisonnable parce qu’elle n’a pas pris en compte tous les éléments de preuve. Plus précisément, les demandeurs font valoir que la Commission a étudié les documents relatifs au pays en sélectionnant l’information. Ils mentionnent la Commission n’a pas expressément analysé des éléments de preuve relatifs à la discrimination constante pratiquée par la police en République tchèque et des perceptions défavorables qu’elle entretient à l’égard des Roms.

 

[21]           Les demandeurs prétendent de plus que la Commission a omis de prendre en compte leurs tentatives infructueuses d’obtenir une protection, plus particulièrement les éléments de preuve selon lesquels les policiers se sont moqués du demandeur principal en 2008 lorsqu’il a tenté de signaler une agression.

 

[22]           Le défendeur affirme quant à lui que la Commission a examiné en détail tous ces éléments de preuve. La Commission a reconnu la discrimination dont sont victimes les Roms de façon générale et les attaques récentes perpétrées par des extrémistes. Elle a indiqué que la République tchèque ne tolérait pas les attaques récentes et faisait de sérieux efforts en vue de corriger la situation; ainsi, elle a élaboré un éventail de programmes destinés à améliorer le recrutement chez les policiers et l’assistance qu’ils fournissent, de même qu’à promouvoir l’inclusion sociale, pour corriger la discrimination dont les Roms ont fait l’objet dans le passé. Elle a reconnu qu’il existait une preuve contradictoire selon laquelle « des porte‑parole déclarent que ces programmes ne vont pas en profondeur ou qu’ils sont tout simplement superficiels », mais a quand même conclu que « la prépondérance de la preuve indique qu’il y a des programmes en vigueur et que des efforts considérables sont déployés ».

 

[23]           On ne s’attend pas à ce que les gouvernements démocratiques puissent fournir une protection parfaite à tous leurs citoyens en tout temps (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334, 150 N.R. 232, à la page 223; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 124 F.T.R. 160, 1996 CarswellNat 2216, aux paragraphes 4 et 5 (CAF)). Dans son examen de la preuve de la discrimination constante ainsi que des efforts destinés à aider les Roms, il était raisonnable que la Commission soupèse cette preuve et conclue à l’existence de la protection de l’État, aussi imparfaite soit‑elle.

 

[24]           De même, des échecs locaux de la protection de l’État ne signifient pas nécessairement que la protection de l’État n’existe pas (Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, 2000 Carswell 706, au paragraphe 31). La Commission a mentionné que le demandeur principal a signalé les incidents aux policiers et aucun élément de preuve n’indiquait que les policiers ont refusé de les protéger. Il n’y avait aucun témoin pour permettre à la police de faire une enquête sur l’agression. La Commission n’a pas expressément mentionné que les policiers se sont moqués du demandeur principal lorsqu’il a signalé la deuxième agression physique, mais cette omission n’est pas suffisante pour miner la conclusion plus générale. Les demandeurs auraient pu poursuivre leurs démarches vu les programmes mis en place à l’échelle du pays pour aider les Roms.

 

[25]           Les demandeurs auraient préféré que la Commission insiste davantage sur certains éléments de preuve relatifs à la discrimination constante et aux tentatives d’obtenir la protection de l’État, étant donné que ces éléments ont été examinés et que la perfection n’est pas requise, mais la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État en République tchèque est raisonnable.

 

VI.       Conclusion

 

[26]           La Commission a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas raison de craindre d’être persécutés et qu’ils pouvaient obtenir la protection de l’État.

 

[27]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1623‑11

 

Intitulé :                                                  GREGOR et al. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le septembre 2011

 

Motifs du jugement

et jugement :                                        le juge NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 12 septembre 2011

 

 

Comparutions :

 

Daniel Radin

 

Pour les demandeurs

 

Tessa Kroeker

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Radin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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